Une journée comme bien des précédentes se terminait doucement et commençait à teinter le Désert de couleur orangées. J’avais laissé notre fils s’entraîner avec Azrael tandis que de mon côté, j’avais emmené Anaya à la chasse.

Enfin, c’était ce qui était prévu mais nous avions finalement été trois et non deux. Toujours fourées ensembles, je n’avais pu convaincre Hazina de retourner auprès de sa mère. Elle avait tenu à nous accompagner et jugeant que cela lui serait utile, j’avais finalement cédé et l’avais emmenée avec moi.

J’avais déjà fait des repérages hier et je savais qu’un troupeau de zèbre des sables se trouvait non loin. S’agissant du met préféré de ma cadette, c’est donc naturellement que j’avais emprunté la direction du troupeau. Lorsque j’avais été sûre d’être sur la bonne piste, je m’étais arrêtée et avais laissé les deux jeunes félines se débrouiller seule.

Elles avaient les connaissances théoriques pour réussir mais parvenir à attraper une aussi grosse proie, c’était une autre histoire. Il fallait dire aussi que je n’avais appris à ma fille que comment chasser en solitaire puisque c’était généralement de cette façon que fonctionnait les jangowas mais parfois, il arrivait qu’un groupe se forme si la proie était de taille conséquente, comme un dromadaire par exemple. Je les avais toutefois laissées se débrouiller et à force de persévérance, elles étaient parvenues à se coordonner et à attraper un jeune zèbre, âgé tout au plus de six mois.

La proie n’était pas énorme mais c’était déjà quelque chose de bien pour elles et en revenant au clan, Hazina s’était empressée de trouver sa mère pour tout lui raconter, me forçant à la suivre pour que je confirme tout. Son enthousiasme avait duré un moment et je n’avais pu la laisser qu’il y a tout juste quelques minutes.

Je marchais pour rejoindre mon compagnon afin qu’il me raconte l’entraînement de Makan lorsqu’un appel retentit non loin de moi.

A L’AIDE !! VITE ! MON FRÈRE !!... MON FRÈRE EST COINCÉ !

Cette voix juvénile ne s’entendait dans le Désert que depuis peu et pourtant, je reconnu immédiatement la voix de Wassim, l’un des fils de Jenkaa. Et effectivement, lorsque je m’avançais en direction du bruit, un pelage doré si similaire à mon ex-amant apparut bien vite dans mon champ de vision. Wassim semblait vraiment avoir peur pour son frère et je le cru sur parole. Ne laissant pour autant rien paraitre, je tâchais d’essayer de calmer mon petit-fils.

Calme-toi et montre-moi où se trouve Edwyn, d’accord ? On va l’aider à s’en sortir tous les deux, tu veux bien ?

Ma voix s’était faite douce et rassurante. Il ne pourrait rien faire de bien dans cet état alors avant d’aller voir dans quel pétrin Edwyn s’était mis, je commençais par apaiser son frère cadet.

Ma tentative de rassurer Wassim ne fut pas aussi réussie que je l’espérais. Le lionceau avait cessé de s’agiter mais son regard était toujours empli de peur. Et son attitude ne laissait pas place au doute : Edwyn était vraiment en danger. Le cadet de Jenkaa regarda derrière lui et je suivi son regard mais je ne vis rien. Je reposais de nouveau les yeux sur mon petit-fils lorsque celui-ci se mit à parler.

M-Mais… On a pas le temps que je me calme !

Ce n’était pas faux alors je n’ajoutais rien, enjoignant alors Wassim du regard à me montrer le chemin lorsque nos prunelles se croisèrent.

Vite ! Il faut me suivre ! Il est tombé dans le Mochanga !

Comment ?! Mes yeux s’agrandirent d’effroi à cette révélation. Je ne me demandais même pas comment cela avait pu se produire et lorsque Wassim parti en courant, je m’empressais de le suivre. Un lionceau de cet âge ne savait pas nager et il ne tiendrait que très peu de temps avant de se noyer. Il n’y avait pas une seconde à perdre car elles étaient comptées.

N’étant encore qu’un lionceau, Wassim ne courait pas très vite et je pestais intérieurement de ne pas pouvoir accélérer. Mon petit-fils était mon guide et je ne pouvais donc pas me permettre d’accélérer au risque de ne pas trouver Edwyn à temps. D’autant qu’avec le courant, il était fort probable que l’endroit où le fils aîné de Jenkaa était tombé n’était plus celui où il se trouvait et j’avais donc besoin d’un point de départ pour mes recherches.

Attentive au moindre son, je ne faisais pas attention où je mettais les pattes et après une énième foulée, mes pattes ne touchèrent plus le sol, beaucoup plus bas qu’auparavant. Je perdis l’équilibre et avec la vitesse accumulée, je m’effondrais lourdement et tête la première sur le sol du Désert. Sonnée, je ne me relevais pas.

Sonnée, je n’arrivais pas à reprendre mes esprits. Ma tête me lançait et je ne comprenais pas comment j’avais pu me retrouver dans une telle situation. Bien que mes oreilles bourdonnaient, j’entendais du bruit autour de moi et je mis quelques secondes à me rappeler que j’étais avec Wassim.

...Grand-mère ?

Le son était lointain mais je compris parfaitement ce qui avait été dit. Et bien que cela était effectivement mon lien avec le jeune lionceau, je détestais ce mot et n’y répondais pas.

Hatasa ?!...

Voilà qui était bien mieux comme appellation. J’avais noté la plainte dans son ton et même si mes pensées n’étaient pas aussi rapides qu’habituellement, je comprenais que rester allongée sans bouger avait de quoi faire peur. Et le temps que je me fasse cette remarque et que je prenne ma décision d’ouvrir les yeux, une patte vint toucher doucement mon épaule.

Tu… T’es vivante ?

Je clignais plusieurs fois des paupières le temps que mes yeux s’habituent à la luminosité et je commençais à bouger lentement, ramenant d’abord mes pattes sous mon corps pour ensuite me relever en douceur afin d’éviter à ma tête de tourner.

Il semblerait...

Je regardais le fils cadet de Jenkaa avant de détourner le regard pour observer les alentours et comprendre comment j’avais pu me retrouver presque assommée alors que je courrais pour chercher Edwyn. Je remarquais alors la différence de niveau du sol sablonneux et malgré la distance, je compris que la seule possibilité qui explique cette différence était qu’il ait été creusé. Et une conclusion en amenant une autre, je devinais que l’instigateur de tout cela était le jeune Wassim.

Je me doutais donc que son frère ne craignait rien et qu’il était sans doute sous les bons soins de Jenkaa et Habari. Ainsi donc, j’avais été la victime d’une farce. Elle n’était pas très drôle à mon goût – ce qui était généralement ce que pensait ceux qui les subissaient – et puisque cela aurait pu finir autrement plus mal (je ne souhaitais même pas imaginer ce qu’il serait advenu si je m’étais rompu la nuque. Wassim serait-il devenu Empereur ? Un tournoi aurait-il été organisé pour trouver mon successeur ? Je chassais mes questions pour reprendre le fil de mes pensées.) je décidais de faire à mon tour, une blague de mauvais goût à mon petit-fils.

Qui es-tu ? demandais-je alors à Wassim tandis que je reposais mon regard doré sur son pelage qui l’était tout autant. Où sommes-nous ? Et moi, qui suis-je ?

Ne montrant que peu mes émotions, il m’était extrêmement facile de jouer la comédie en laissant mon visage s’exprimer plus que d’habitude. Et là, c’est de l’inquiétude que je montrais. Inquiétude que pourrait ressentir une personne qui ne se souvenait de rien et qui se retrouvait dans un environnement qu’il ne reconnaissait pas.

Bien qu'encore sonnée par ma chute, je compris vite ce qu'il m'était arrivée. Wassim m'avait joué un tour et je n'appréciais pas vraiment. Je décidais donc à mon tour de faire une blague à mon petit-fils en lui faisant croire que j'avais perdu la mémoire.

Alors que le lionceau s'approchait vivement de moi, sans doute heureux que j'aille bien, mes questions l'arrêtèrent net et je pu clairement lire de l'effroi dans son regard vert. Je le vis ouvrir et fermer plusieurs fois la bouche sans pour autant qu'un son n'en sorte. Il reculait même et semblait en proie à une vive inquiètude. Et même si cela me chagrinait de lui faire subir ça, je ne flanchais pas et continuais mon petit manège. C'est donc avec un regard appuyé et demandant des réponses que j'observais Wassim.

Les premiers mots du fils cadet de Jenkaa n'avaient rien de compréhensibles mais je ne loupais pas le ton employé. Il avait peur.

... Tu... Tu es ma grand-mère, tu es Hatasa… J-Je... Je suis désolé... Je suis... Wassim ton petit fils... Et-Et tu es l'impératrice des Jangowas…

Il était vraiment effrayé et face à cela, je décidais d'arrêter là ce que j'avais entamé. Il n'était pas nécessaire d'aller plus loin et je pensais bien qu'il comprendrait - si ce n'était déjà fait - à quel point cela aurait pu mal tourner. Cependant, je ne comptais pas lui avouer qu'il avait été l'arroseur arrosé et optais plutôt pour une autre option.

Hatasa… Wassim… L'Impératrice des Jangowas… Je marquais une pause après chaque mot que je répétais, comme si les entendre et les redire faisaient ressurgir en moi tous mes souvenirs. Ne manquait plus qu'une petite touche pour que cela soit crédible. Mais bien sûr..

Voilà qui devrait faire penser à mon petit-fils qu'il s'agissait d'une perte de mémoire temporaire et liée à la chute que j'avais faite. Offrant un sourire rassurant à Wassim, j'effaçais la distance qui nous séparait pour le prendre contre mes pattes. Ses émotions avaient été bien bousculées et il avait besoin de ce réconfort que je lui offrais. Nous restions un moment ainsi avant de retourner auprès du clan et à nos occupations.