Les Elites étaient rentrés de leur deuxième mission et celle-ci avait été un franc succès. Cinq sang d’encre avaient été tués. C’était magnifique. Quatre étaient prévus de base mais les Elites avaient été surpris par une autre de ces pourritures et notre entreprise n’avait été sauvée que par Kaya. Le Désert lui avait soufflé de se joindre à la mission et je ne pouvais m’empêcher de penser que notre Père avait vu ce qui allait se produire et qu’Il avait fait en sorte que nous ne soyons pas découvert. Il veillait sur nous et cet évènement me prouvait qu’Il était d’accord avec la décision que nous avions prise de massacrer les Mositus jusqu’au dernier.

Une bouffée de fierté m’avait envahie à cette pensée avant qu’elle ne soit vite chassée à la vue de l’Estropié. Si les Elites œuvraient pour purifier la Terre des Lions des charbonnés, le Désert, lui était toujours souillé malgré la Purge que j’avais faite. J’avais eu le malheur de croire qu’avec son sang pur, mon gendre était un vrai jangowa mais plus je pensais à la discussion que j’avais eu avec Nazhir, plus je pensais que j’avais eu tort. Je cherchais désormais un moyen de changer la donne mais l’exil me paraissait être une punition trop faible. Non, il s’était joué de moi et il s’était emparé de ma fille. Cela ne pouvait être puni que par la mort.

En tant qu’Impératrice, j’avais le droit de tuer qui je voulais. Je pouvais donc éliminer l’Estropié mais encore fallait-il savoir comment. Je n’allais pas lui laisser l’occasion de se défendre dans un combat, non. J’allais l’exécuter purement et simplement. Mais comment faire ? Sa crinière complète m’empêchais de viser directement sa gorge pour la lui trancher. Je pouvais l’étouffer en refermant ma mâchoire sur son coup mais l’idée d’avoir des crins dans la gueule ne m’enchantais pas trop. Même chose si je cherchais à lui briser la nuque. Peut-être pourrais-je tout simplement lui entailler le ventre assez profondément pour que ses boyaux s’échappent de lui. Oui, pourquoi pas.

Je méditais là-dessus lorsqu’une voix bien connue m’appela. Sortant de mes pensées, je tournais la tête pour apercevoir ma fille aînée qui s’approchait. Elle vint frotter son front contre le mien et je souriais face à ce contact.

Mère, comment vas-tu ? J’ai des choses à te dire.

Lorsqu’elle se recula après avoir pris la parole, mon regard tomba sur la cicatrice qui montrait à tout le monde son appartenance à l’Elite Jangowa. Je remarquais aussi l’ajout d’une nouvelle marque, prouvant la réussite de sa première mission. J’en étais extrêmement fière et cela devait se lire dans le regard que j’avais lorsque nos prunelles se croisèrent.

Je vais parfaitement bien, merci. Et toi, comment te sens-tu après cette première mission ?

Si moi j’étais fière d’elle, quel devait-être son propre ressenti ? Quel sentiment s’était emparé d’elle lorsqu’elle avait tué un de nos pires ennemis ? Je pouvais imaginer ce que cela devait être car j’avais moi-même éliminé un intrus en compagnie de Kaya. Cependant, cet illuminé n’était pas un charbonné alors la satisfaction que j’avais ressentie devait être bien moindre comparé à celle de ma fille.
Je chassais bien vite le sentiment de jalousie qui s’emparait de moi pour me concentrer de nouveau sur ma fille aînée.

Je t’écoute. De quoi souhaites-tu me faire part ?

En attendant sa réponse, je me questionnais. De quoi s’agissait-il ? Cela avait-il un rapport avec sa mission d’Elite ou était-ce plus personnel ? Allait-elle m’annoncer à son tour qu’elle allait avoir des petits ? Non, elle m’avait assuré que sa mission passait avant ça et qu’elle n’aurait pas d’enfants de sitôt. Cependant, voir sa sœur et depuis quelques jours, son frère être parents, cela lui donnait peut-être envie d’honorer le Désert à son tour et de former d’autres jeunes prometteurs.

Le regard que je posais sur les cicatrices de ma fille fut suivi par leur propriétaire.

C’était incroyable, mère. J’ai été exalté de détruire la misérable existence de cette Mositu ! Si tu avais vu son regard, son abandon quand elle a comprit finalement qu’elle ne pourrait rien faire pour les siens… C’était magnifique.

Ainsi donc, ils étaient encore pires que ce que j’avais pu imaginer. Même au pied du mur, ils n’étaient pas capables de tout donner pour protéger les leurs. Comment une mère pouvait elle accepter d’abandonner le combat ? C’en était écœurant. Ils ne méritaient vraiment pas de vivre. Bien que j’en comprenais l’utilité afin de ne pas éveiller les soupçons, je pensais toujours que la mort que leur offrait les Élites était encore trop douce pour ces pourritures .

Je laissais cela de côté afin de me concentrer sur ce que souhaitait ma fille. Nos discussions étaient nombreuses mais le sérieux plus poussé dont elle faisait preuve aujourd’hui ne m’échappait pas.

Tu te souviens quand j’étais petite et que nous avions parlé des vautours ? Quand je te parlais de mon désir de trouver des informateurs.

Cela nous ramenait des années en arrière mais je me souvenais effectivement de cette discussion. Je lui avais parlé de mon année aux côtés de Kaïad et Chimwe – de qui je n’avais plus jamais eu de nouvelles après son départ du clan et que je considérait morte depuis longtemps – et de l’initiation au commandement des vautours que j’avais reçu de la part du père de ma meilleure amie à l’époque. Je me souvenais lui avoir expliqué la formation de l’Envolée Macabre et à quoi ils servaient exactement, je hochais donc la tête positivement afin de signifier à ma fille qu’elle pouvait continuer, chose qu’elle fit sans tarder.

J’ai patrouillé il y a quelques jours et je suis tombée sur un vagabond déjà affaibli par notre Père. Je l’ai tué et des vautours sont venus admirer mon œuvre, j’ai parlé avec celle qui les dirige et… Je pense que j’ai là une alliance très intéressante.

Je sifflais de mécontentement aux premiers mots de ma fille. J’avais bien entendu été prévenue de cette affaire mais je ne comprenais toujours pas comment un vagabond pouvait il avoir réussi à se soustraire à la vigilance des sentinelles ? Comment les patrouilleurs avaient ils fait pour ne pas le voir ? Je savais que leur nombre était insuffisant pour couvrir l’entièreté du Désert mais si Lahira avait pu l’intercepter en patrouillant, cela signifiait qu’il n’était pas très loin du clan…

Je n’acceptais pas que des intrus s’aventurent autant à l’intérieur du Désert et j’avais eu une discussion des plus importantes avec les patrouilleurs. Ce qui s’était produit n’était pas acceptable Hors de question que cela se reproduise à nouveau bien que l’impudent ait été tué. J’espérais également que l’avertissement de sa tête plantée à l’entrée du Désert suffirait à décourager toute tentative d’intrusion.

Enfin, cela n’était pas le sujet important du jour et je ramenais mon esprit sur les vautours tandis que ma fille reprenait la parole.

Elle s’appelle Uzima, si tu vois des vautours, tu ne pourras pas la rater. Elle est plus grosse que ses congénères, plus sombre et son œil droit n’est plus valide. Dans tous les cas, j’ai beaucoup parlé avec elle et elle accepte de travailler avec moi. Je lui offre nourriture, protection et abri sûr. Ils séjournent aux marais.

J’opinais du chef, montrant à ma rose que j’assimilais les informations qu’elle me donnait. Cependant, même si elle trouvait là un moyen de parvenir à l’un de ses objectifs, je ne voyais pas ce qui pouvait nécessiter mon concours et j’attendais donc la suite, certaine qu’il y en avait une.

J’ai simplement besoin que les Jangowas ne les attaquent en aucun cas. En échange de tout ça, ils espionnent à mon comptent et seulement à mon compte, peuvent agir physiquement si je le désire et se plier à à peu près tout ce que je veux. Ou presque, c’est pour le moment encore un peu fragile car ils n’apprécient pas forcément les lions. Mais je crois que notre goût du carnage les charment, et l’assurance de nourriture à profusion.

Voilà donc où voulait en venir Lahira. Je n’avais rien contre sa demande et il ne me fallut pas plus de quelques secondes avant de lui donner ma réponse.

Uzima… Elle a l’air d’être une personne à connaître. Si elle aimait le goût du carnage, il y avait des chances pour que l’on s’entende. Ce que faisait les Élites était après tout une idée que j’avais développée avec Kaya et peut-être qu’elle aimerait savoir comment tout cela avait vu le jour. Je ferais passer le mot pour que personne ne s’en prenne aux vautours. Cependant... J’hésitais avant de d’en dire plus car il m’en coûtait de révéler cela mais j’avais confiance en ma fille et je reprenais. Cependant, certains n’approuvent pas mes tous mes choix depuis que j’ai accepté que Hiari devienne la compagne de Daren. Je ne peux donc pas t’assurer que tout le monde les laissera en paix.

Je savais que je ne faisais pas l’unanimité à la tête du clan. Cela avait toujours été plus ou moins le cas mais depuis l’union de ma fille avec l’Estropié, cela empirait. J’avais fait une erreur mais je comptais bien la réparer et cela ne saurait tarder.

Suite à mes mots sur sa nouvelle informatrice, Lahira m’assura qu’elle me la présenterait avant d’ajouter que la cheffe de ce petit groupe de vautour était curieuse de savoir qui avait initié le projet des Elites. En ce cas, il faudrait aussi qu’elle parle avec Kaya puisque cela découlait d’une idée commune que nous avions peaufinée toutes les deux jusqu’à ce qu’il devienne ce qu’il était aujourd’hui : une réalité née d’une envie de réparer les torts de nos ancêtres.

J’acquiesçais avant de reprendre la parole pour lui dire que je ferais passer le message afin que personne ne s’en prenne à eux. J’hésitais quelques secondes avant d’ajouter que même si je faisais cela, je n’étais pas certaine que tous respectent ma voix.

Je m’en doute, j’ai entendu les lions parler. Je me chargerais personnellement de ceux qui ne tiennent pas ces engagements, je les défierais en combat singulier s’il le faut.

Un petit sourire en coin étira mes babines face à cette déclaration. Je ne doutais guère de sa réussite si tel était le cas et me moquais d’avance de ceux qui auraient assez de cran pour la défier mais qui ne sauraient pas dans quoi ils se lançaient. Ma rose était après tout une Élite et à part les cinq autres membre de ce groupe, ils n’avaient pas beaucoup de chance de la battre.

Pour Daren… Je sais que je t’avais promis de ne pas m’en mêler mais, comptes-tu y faire quelque chose ? Je sais que le choix est difficile mais… Pour remonter en popularité...

Surprise de ces propos, je sondais longuement ma fille sans dire un mot. Avait-elle deviné ce que je comptais faire pour me parler de cela maintenant ou n’était-ce qu’une simple coïncidence ? Je ne croyais pas à ce genre de choses. Lahira m’avait déjà prouvé qu’elle savait garder un secret alors je décidais de lui faire part de mon projet.

Je me fiche de ma popularité au sein du clan. Je sais que je ne peux pas plaire à tout le monde, d’autant plus que je suis une femelle et que je n’ai pas gagné ma place par combat malgré ma victoire contre Khassim...

Je savais ce qui se disait à mon sujet et malgré le fait que j’ai redonné un but aux Jangowas ainsi qu’une certaine gloire et que j’avais – en partie – purifié le Désert de sa vermine, certains restaient bloqués sur mon genre et la seule erreur que j’avais faite. Je ne les blâmais pas car à leur place, j’aurais sans doute agis de la même manière. Cela dit, aucun n’avait le cran de venir me défier pour prendre ma place donc soit je ne m’en sortais tout de même pas si mal que ça, soit ils étaient de vrais couards, plus doués pour critiquer que pour agir.

Ce qui m’importe, c’est le bien de ma famille ainsi que celui du Désert. Il y a deux ans, j’ai privilégié celui de ma famille car je ne voulais pas que Hiari souffre à nouveau. Cependant, cela a été au détriment du Désert et aujourd’hui, ça ne peut plus durer. Je laissais quelques secondes s’écouler avant de conclure. Elle devra apprendre à vivre avec le statut de veuve.

J’avais failli dire « sans lui » mais cela aurait très bien pu signifier que j’allais l’exiler. Ce n’était pas le cas et bien que je ne l’ai avoué qu’à demi-mots, c’était bien un assassinat qui se préparait.