Comme bien souvent, Salim peinait à trouver le sommeil.

Il n'avait jamais été un grand dormeur, depuis l'incendie. On pouvait dire que sa dernière nuit de sommeil profond s'était très mal terminée. Peinant à s'abandonner aux bras de Morphée à cause de la douleur que lui causait son visage calciné par la suite, il avait enchainé sur les cauchemars une fois ses blessures plus ou moins cicatrisées, et à présent c'était un esprit trop prompt à vagabonder — et des cauchemars, des fois, toujours – qui faisaient de ses nuits un challenge, plus qu'un évènement reposant.
En cet instant précis, étalé dans son petit coin, non loin de sa famille adoptive, Salim contemplait d'un air las un point indistinct devant lui. Ses pensées étaient ailleurs. Il cogitait beaucoup trop.
Retenant un grognement de peur de réveiller les autres autour de lui, il enfouit son visage dans ses pattes, excédé. Après quelques minutes supplémentaires à clore résolument les yeux dans l'espoir que cela suffise à ce qu'il s'endorme, il finit par céder et se leva en silence. Rejoignant la sortie de la grotte en veillant à ne heurter personne, chose à laquelle il excédait en dépit d'une faible prédisposition à l'équilibre — la dure vie d'un lion à qui il manquait un bout de queue – grâce à des mois de pratique, il rejoignit la sortie sur la pointe des pattes. L'air frais de l'extérieur le saisit à la gorge et il prit une grande inspiration. C'était loin d'être désagréable. Comme regagner la surface, après de longues secondes à se débattre sous l'eau. Désormais plus libre de ses mouvements, il s'ébroua, hésitant entre se rendre à l'étang pour boire un coup et aller se poster sur le rocher pour observer les étoiles. Optant dans un premier temps pour la seconde possibilité, il remonta la corniche, étouffant un baillement — parce qu'évidemment c'était maintenant qu'il était dehors qu'il baillait, super, merci –, et freina brusquement lorsqu'il s'aperçut qu'il était sur le point de percuter quelque chose.
Quelqu'un.

— Désolé, souffla-t-il en se reculant d'un pas. Je t'avais pas...

Il réalisé alors que la personne dans laquelle il avait manqué de se prendre les pattes n'était autre que Wanda, la petite princesse du clan.
En cet instant précis, Salim se sentit vraiment à chier.

— ... vue.

Que d'aventures dans le merveilleux pays de l'insomnie.

S A L I M
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Il aurait préféré qu'elle crie un tout petit peu plus tôt. Quelques fractions de seconde tout au plus, juste après qu'il lui ait parlé, ou au moment exact où ses yeux se posaient sur lui. Ca lui aurait donné le sentiment qu'elle ne faisait que sursauter en se retrouvant face à face avec quelqu'un dans un moment où elle se pensait seule, et non pas que sa frayeur était majoritairement due à... eh bien, à lui.
Salim avait l'habitude, il avait toujours fait cet effet, surtout aux lionceaux, notamment quand lui-même était tout jeune. Il s'était plus ou moins résigné, à présent qu'il entrait dans cette phase un peu particulière qu'était l'adolescence, à subir ce genre de regard de la part des plus jeunes. Condamné à n'être qu'une sorte d'épouvantail balafré, sujet de nombreuses histoires effrayantes que les plus jeunes pouvaient se raconter le soir pour se faire peur, il s'était plus ou moins résigné à son sort. Mais savoir qu'il en serait plus ou moins toujours ainsi ne rendait pas ça moins difficile à vivre. Il s'efforça de ne rien en montrer, aussi bien parce que ça n'aurait servi à rien que parce qu'il était quand même en face de la princesse du clan et qu'il lui fallait faire preuve d'un minimum de déférence. Par dignité, aussi.

Sa stupeur passée, Wanda prit la parole.

-C'est... C'est pas grave ne t'inquiète pas. Mais... Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure ? Tu n'arrives pas à dormir ?

Mh. Au moins elle ne détalait pas en courant comme une souris terrifiée. Ca lui était déjà arrivé, récemment. Pas super flatteur pour l'égo, il fallait bien le dire.
Il décida d'essayer de se comporter le plus normalement du monde.

— Toi non plus, on dirait.

Il recula d'un pas avant de s'assoir face à elle. En lui laissant un peu plus d'espace personnel, il parviendrait peut-être à lui montrer qu'elle n'avait rien à craindre.
Parce que non, en dépit de son apparence peu soignée, Salim n'était pas le croquemitaine qui venait enlever les lionceaux dans leur sommeil pour les dévorer quelque part, dans une tanière connue de lui seule.

S A L I M
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Il l'écouta calmement, hochant légèrement la tête. Il lui était difficile de se mettre dans la peau de Wanda, avec le poids que son ascendance devait faire peser sur ses épaules, lui qui n'était même pas Pridelander d'origine. Quand bien même avec la destitution de sa mère la petite lionne n'était plus à proprement parler héritière de la tribu, elle avait quand même une place un peu à part dans le clan, ou en tout cas, c'était l'impression qu'il en avait. Et il supposait que malgré son jeune âge, la petite, qui grandissait, en prenait peu à peu conscience, de ça et de la pression qui allait avec.

S'ils étaient tous deux bien différents de naissance — elle était une jeune et belle lionne du soleil à l'héritage glorieux et lui était un pauvre mec hirsute venu de nulle part, une pièce rattachée à la gueule cramée – ils avaient un point commun : celui d'avoir été coupés dans leur élan par les aléas de la vie. Il aurait pu avoir une vie sympa, grandir choyé par ses parents aux côtés de sa soeur, mais un incendie avait en un éclair ruiné toutes ses perspectives d'une vie normale. Elle aurait pu être reine, peut-être, un jour. Avant.
Il pouvait également prétendre aux mêmes problèmes que ceux qui tracassaient actuellement la petite. Borgne et amputé d'un bout de sa queue, il doutait de jamais pouvoir être un véritable chasseur. Pas sûr non plus qu'il excelle au combat. Bon sang, il n'aurait même pas pu être nourrice avec une gueule comme la sienne. Il avait beau essayer de ne pas trop y penser, il était confronté aux mêmes dilemmes. Avec un gros handicap en plus.

— J'ai le sommeil léger, fit-il avec un haussement d'épaules. Mon esprit vadrouille beaucoup, surtout lorsqu'il s'agit de trouver le sommeil.

S'asseyant, il reprit :

— Je suis sûr que tu trouveras la place qui te convient. Quand tu seras prête, tu sauras quoi faire.

Il espérait en tout cas que ce serait le cas, tout aussi bien pour elle que pour lui.

S A L I M
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Les craintes de Wanda qu'à à son physique étaient compréhensibles : la ressemblance avec sa mère et sa tante étaient frappantes. Pour autant, les enfants ne pouvaient être blâmés pour les fautes de leurs parents. La destitution de leur mère était assez récente, et la douleur causée au clan par ses actes mettrait certes un peu de temps à s'atténuer, mais les Pridelanders, réputés pour leur justesse et leur bienveillance, finiraient bien par apprendre à considérer Wanda et son frère en tant qu'invidivus à part entière, plutôt qu'en fille et fils de.

— La ressemblance est peut-être moins frappante mais Azaan est également votre oncle, et c'est un roi apprécié par le clan. Il réfléchit un instant, avant d'ajouter : sois une Pridelander exemplaire, oeuvre pour le bien de ton clan, et tout le monde oubliera bien vite d'où tu viens.

Etrange nuit, tout de même. Voilà qu'il se retrouvait à prodiguer à la princesse de Prideland des conseils, lui qui n'était qu'un tout jeune adolescent. Des conseils dont il ne savait d'ailleurs pas s'ils étaient fondés ou pas : bien incapable de se mettre dans la tête des autres, il ne faisait que des suppositions, fortement biaisées par son propre jugement. Enfin, les tracas de la jeune femelle étant d'une certaine manière similaires aux siens, à défaut de pouvoir lui prédire l'avenir, il pouvait lui donner ce dont lui-même avait désespérément besoin : des encouragements, et du réconfort. En prime, ça lui permettait d'oublier ses propres soucis.

-Est-ce que...Cette blessure au visage te fait encore mal ?

... enfin de les oublier jusque là.
Il se raidit très légèrement, n'ayant clairement pas vu la question venir, même si elle était un sujet récurrent. Mâchoires légèrement crispées, il baissa les yeux vers la petite après quelques secondes.

— Plus maintenant.

Et fort heureusement son épaule, également endommagée dans l'incendie, avait conservé toute sa possibilité de mouvement. A défaut d'être le lion le plus sexy du clan, il pouvait au moins se vanter d'être un lion qui ne boitait pas.

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Malheureusement, Wanda demeurait toujours curieuse au sujet de lui, et s'il avait espéré — un peu naïvement sans doute – clore le sujet de par sa brève réponse, elle revint bientôt à la charge, lui demandant ce qui avait bien pu lui arriver pour qu'il se retrouve avec une gueule pareille. Elle dut cependant bien vite se rendre compte qu'elle allait peut-être un peu trop loin et se reprit, s'excusant dans la foulée. Toujours raide, Salim l'observait, mâchoire crispée.

Avait-il envie de parler de ça ?
Clairement, non.
Cependant il lui faudrait bien un jour commencer à aborder la question, premièrement parce que les gens se poseraient toujours la question, deuxièmement parce que clarifier le sujet serait peut-être un moyen de mettre un terme à certaines rumeurs qui couraient à propos de lui, chez les plus jeunes en tout cas. Non, sa mère ne l'avait pas balancé dans un brasier parce qu'elle ne voulait pas de lui quand il était né. Par exemple. Après un moment de silence, il finit par prendre une inspiration, avant de lâcher, d'une voix se voulant le plus neutre possible :

— Un incendie quand j'étais petit.

Il était bien sûr très avare en mots, mais, supposant que d'autres questions viendraient par la suite, il étaya un peu ses propos :

— On m'a trouvé et amené ici.

Il ne savait pas trop ce que Wanda — et les autres, d'ailleurs – savait de lui, et de ses véritables origines. Néanmoins à le voir et à constater les différences avec ses parents adoptifs, il était évident qu'il n'était pas le fils biologique d'Ukarimu.
Estimant qu'il en avait sans doute assez dit et surtout peu désireux de s'étaler sur le sujet, il chercha désespérément un moyen de détourner la conversation. Peu imaginatif dans ce genre de situation, il s'accrocha à la première chose qui lui venait à l'esprit :

— Tu as une idée de ce que tu voudrais faire, plus tard ? Au sein du clan, je veux dire.

Pour une lionne comme elle, les possibilités devaient être nombreuses. Elle n'avait sûrement qu'à choisir ce qui lui plaisait le plus, et ce dans quoi elle se sentait le plus à l'aise.

S A L I M
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Chasseuse, hein ? Un choix plausible. Les lionnes étaient bien meilleures chasseresses que les lions, notamment parce qu'elles ne risquaient pas de claquer d'hyperthermie au bout d'une galopade de cent mètres à traquer un gnou. Et il savait bien de quoi il parlait, puisqu'il était bien parti pour avoir une crinière noire, ce qui n'allait pas lui faciliter la vie lors de la saison sèche.
Salim aurait bien voulu être chasseur, aussi, enfin, peut-être. Sa silhouette efflanquée ne le prédisposait clairement pas au combat, et à défaut d'être une armoire à glace, il jouissait d'un esprit vif et d'une bonne capacité d'analyse. Le problème était qu'il ne voyait pas les distances. Et qu'en prime, son équilibre était rendu précaire par une queue sectionnée à la moitié : effectuer un brusque visage en pleine cavalcade se solderait probablement par un échec, pour lui.
En bref, c'était mort.

Quand Wanda lui demanda ce qu'il souhaiterait faire, il se trouva bien embêté. Cette question, il se l'était souvent posée, mais fait était que la plupart des jobs disponibles au sein du clan lui étaient impossibles d'accès. La chasse, du coup, non. Guerrier, c'était à voir, mais très clairement c'était mal parti. Eventuellement il pouvait être plus rapide que les autres, étant assez fin et vif. Mais pas plus agile, une fois de plus.
S'occuper des gosses, carrément pas : les gosses le détestaient.
Guérisseur, peut-être. Il était intelligent — il avait au moins ça pour lui, il fallait bien le reconnaître – et était littéralement coutumier des locaux. Il devrait creuser la question.
Du reste, quoi, conseiller ? Ca pouvait le faire aussi, mais ce n'était même pas un vrai rang, et ce n'était pas non plus utile. Il devrait en discuter avec sa mère. Elle pourrait peut-être l'éclairer.

— Je ne sais pas trop. Je ne peux ni chasser ni me battre correctement.

Il réfléchit quelques instants, avant de reprendre :

— J'aimerais juste être utile.

Vivre aux crochets du clan ne l'emballait pas vraiment.

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-Je suis sûre que tu trouveras quelque chose qui te plaira ! Le clan n'a pas seulement besoin de muscles... Il a aussi besoin de cerveaux. Ah ! Ah !

Un fin sourire étira les babines de Salim. Il haussa légèrement les épaules. Le cerveau n'avait contrairement au reste pas été touché par les flammes, et restait totalement efficace.

— Nous verrons bien le moment venu.

A défaut de trouver dans un futur proche un rang qui lui convienne, il pourrait peut-être se montrer utile un jour, dans un contexte particulier. C'était en tout cas ce qu'il essayait de se dire. Salim avait une dette envers Prideland, quand bien même avoir été sauvé d'une mort certaine par le clan l'avait condamné à une vie de galère. Il tâchait de se montrer reconnaissant pour ce qu'il avait, à savoir une famille adoptive aimante, et la chance d'être en vie, même s'il lui arrivait de se sentir comme étant toujours un peu mort, quelque part.
Enfin. Il pouvait au moins marcher sur ses quatre pattes sans problèmes, était autonome dans ses déplacements et ne souffrait pas de handicap mental en particulier. Il n'était juste pas optimal dans son fonctionnement.
Retenant un bâillement, il secoua la tête. Peut-être que le sommeil commençait à le gagner, après tout. Discuter avec la petite lionne avait eu le mérite de lui changer les idées et de l'aider à se détendre. Il en venait à se dire que ça irait peut-être mieux pour lui, un jour. Qu'il lui était possible d'être accepté par les autres.

— Toujours pas sommeil ? demanda-t-il en souriant.

S A L I M
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Hrp:

Avatar et Signature Koliya et Disney © Base et Background Disney ©

[ Merci à toi ]

Somme toute le sommeil avait fini par les gagner tous deux.
Salim se raidit légèrement lorsque Wanda vint frotter sa tête contre son poitrail, peu habitué à de tels témoignages de sympathie venant de quiconque n'appartenant pas à sa famille adoptive, avant de lui adresser un maigre sourire lorsque, s'éloignant de lui, elle finit par se retourner pour le saluer une dernière fois.

— Bonne... nuit, répondit-il faiblement, sans savoir si elle avait pu l'entendre ou non.

Il l'observa qui regagnait silencieusement le rocher, puis demeura là quelques longues minutes encore, enveloppé dans le silence nocturne, à contempler silencieusement les étoiles. Puis, lorsqu'il supposa que Wanda avait rejoint les siens, il se mit en route à son tour, pénétrant dans l'antre des lions et se frayant péniblement un chemin jusqu'à sa famille, en veillant à ne réveiller personne. Lorsqu'il fut finalement aux côtés d'Ukarimu et des autres, il se roula en boule à la place qu'il avait abandonné plus tôt dans la nuit, et ferma les yeux.

Il ne s'endormit pas tout de suite, non.
Mais lorsqu'il s'abandonna enfin dans les bras de Morphée, ce fut sereinement. Dans l'idée que tout n'était peut-être pas foutu pour lui après tout.

S A L I M
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