HRP:

La chaleur était écrasante en cette fin d'après-midi, et nombre d'animaux restaient abrités à l'ombre, cherchant la fraicheur de la végétation ou des pierres fraiches. La saison s’annonçait encore chaude et sèche, pourtant Prideland restait une terre relativement fertile et hospitalière en comparaison du désert ou d'Outland. A cette heure de la journée, la plupart des lions privilégiaient des activités demandant peu d'énergie, les chasses et les patrouilles étant repoussés aux heures les plus fraîches de la journée. S'il n'était pas contre une après-midi tranquille, Rána avait cependant remarqué qu'il craignait moins la chaleur que certains de ses congénères. C'était probablement dû au peu de sang Jangowa qui coulait dans ses veines, et qui lui avait donné cette morphologie un brin plus fine que ses compagnons. Si elle n'était pas maigre, sa crinière n'était pas aussi fournie que celles des mâles de son clan, et son pelage restait parmi les plus clairs du clan.

Le grand mâle ne rechignait donc pas à rester au soleil, même si la température était encore élevée. Il s'était rendu auprès de l'étang pour s'y désaltérer et s'y rafraichir. A présent, Rána était allongé sur la rive, le bout des pattes avant presque dans l'eau, occupé à réfléchir aux récents évènements, et à son départ imminent. Sans l'agitation qui avait animé Prideland, le fils d'Hatari aurait déjà entamé son voyage, pourtant il avait souhaité rester pour assister aux échanges. Après tout, Prideland était la terre avec laquelle il avait le plus de lien, il se considérait donc ici comme chez lui.

Rána savourait la fraîcheur de l'eau sur ses pattes, profitant de ce moment de calme. Petit, il avait passé de nombreuses heures à jouer dans l'eau avec son père ; profitant allègrement de son innocence d'enfant pour barboter au bord et éclabousser ses parents. Il l'avait fait avec sa seconde famille également, mais cela n'avait jamais eu réellement le même goût. Les souvenirs avec Hatari et Safi étaient les plus rares, et les plus précieux. Le grand mâle n'y songeait que rarement, car ils avaient un goût amer, et en des jours comme celui-ci, son coeur se serrait à la simple évocation de ses parents. Ils lui manquaient, et quand bien même le temps avait pensé ses blessures, elle ne guérirait jamais totalement. Une petite voix fluette le tira soudain de ses pensées :

─ Bonjour Monsieur !

Haussant un sourcil, Rána tourna la tête vers le nouveau venu. Il s'agissait d'un petit lionceau au pelage clair, que le grand mâle reconnu sans peine. C'était le fils d'Awena, Tendaji. Il ne le connaissait que peu, mais l'avait déjà vu maintes fois, les lionceaux étant presque toujours rassemblés au rocher. Le petit lion s'avançait sans craintes vers lui, le torse bombé et l'air fier. Un petit sourire se dessina sur les babines de son aîné, qui le regarda s'avancer sans broncher. Le jeune mâle avait sans doute échappé à la surveillance de sa nourrice pour venir seul par ici, fort heureusement Prideland comptait parmi les territoires les plus sûrs, et désormais, Rána veillerait sur lui jusqu'à ce qu'ils rentrent ensemble. D'une voix calme, il répondit donc au nouveau venu :

─ Bonjour, Tendaji. Que fais-tu ici, tout seul ? Ne devrais-tu pas être au rocher avec les autres ?

Évidemment, c'était une petite pique innocente, pour rappeler gentiment au lionceau que les règles n'étaient pas faites pour l'embêter, mais bien pour le protéger. Rána attendit donc patiemment sa réponse.

Le petit ne semblait pas prêt à se démonter face à la remarque du grand lion qui lui faisait face, et conserva le même sourire fier sur ses babines. Le torse bombé, il finit par s'asseoir sur la rive d'un air digne, ce qui fit sourire Rána. Le lionceau portait en lui toute l'innocence des enfants, et il l'enviait. Il enviait cette insouciance que lui n'avait jamais eu, ou presque.

─ Je surveille l'étang. J'ai entendu qu'il y a de méchantes personnes qui chassent à l'étang. Du coup, je surveille. Ah ah, et si je trouve celui qui fait ça! Il aura affaire à moi!

Le petit lion semblait tout fier de montrer ses petites griffes encore immaculées. Rána prit un air impressionné devant les propos du jeune mâle, se plaisant à entrer dans son jeu. S'il revenait avant tout aux nourrices de s'occuper des lionceaux et de leur inculquer les bases du savoir vivre, chaque membre du clan avait sa part de travail. Le grand mâle se souvenait sans peine avoir appris des choses d'autres lions qu'Ishana, que ce soit gentiment dit, ou plus fermement. Bien sur, il s'était parfois vexé, mais le groupe restait la meilleure source d'apprentissage qui soit.

─ Et bien, c'est une sacrée mission que tu as là ! N'aurait-il pas été prudent de venir à plusieurs ? Ensemble, on est plus fort, et moins vulnérable, qu'en penses-tu ?

Un lion seul avait peu de chance de survie contre un groupe, même si l'histoire avait parfois démontré que l'inverse pouvait se produire. Pour autant, le groupe restait la meilleure protection.

Les yeux du petit mâle se tournèrent vers Rána, comme s'il réfléchissait à ses propos.

─ Oui, je sais... Mais je ne veux pas mettre les autres en danger. Je suis fort, je peux affronter tous les dangers, mais je ne veux pas que les autres soient blessés.

L'orphelin sourit. Voila de biens nobles intentions que celles de ne pas vouloir mettre en danger les siens. A bien choisir, Rána aurait sans doute préféré laisser sa vie dans un combat plutôt que de combattre aux côtés de ceux qu'ils aimaient en prenant le risque de les perdre. Sans doute peu judicieux, puisqu'on disait souvent que l'union faisait la force, mais le grand mâle avait déjà vécu trop de traumatismes pour accepter de perdre encore un proche.

─ Monsieur, peut-être pourriez-vous m'aider ? Ce serait super. Dites-oui, dites-oui s'il vous plait! Ce serait génial!

Un léger sourire se dessina sur les babines du grand mâle. Il ne savait guère de quoi il retournait, mais s'il disait oui, le lionceau serait sûrement content. Et après tout, qu'avait-il de mieux à faire ? Il avait tout son temps.

─ Tu peux m'appeler Rána. C'est d'accord, dis moi comment je peux t'aider ?

Il avait répondu d'un ton calme, curieux de savoir ce qu'il pourrait apporter au petit.

Le petit mâle affichait un large sourire, et cela suffit à faire sourire son aîné, qui le regardait se réjouir pour peu de choses.

─ D'accord Rána. Au fait, je voulais surveiller l'étang pour être sûr que personne n'y chasse. J'ai entendu que des lions y chassent, alors j'ai pas envie que ça recommence. Maman m'avait dit que c'était interdit...

Sans nul doute, Tendaji faisait allusion à la règle qui régissait la chasse sur Prideland. L'étang était un asile commun, et il était interdit à quiconque d'y chasser. Jadis, certains prédateurs avaient abusé de leurs droits, et cette loi avait été instaurée pour éviter de nouvelles tensions entre les habitants de la Terre des Lions.

─ Et peut-être que les autres lions vont être gentil avec Maman, après ça.

Surpris du changement de sujet, Rána baissa les yeux vers la petite boule de poils assise à côté de lui. Le petit lion avait légèrement baissé les oreilles, comme s'il était inquiet de la situation. Après tout, ce n'était pas facile de comprendre ce qui s'était passé pour un petit de cet âge là. Evidemment, Rána faisait partie de ceux qui étaient en colère contre Awena, et lui plus encore parce qu'il avait vu nombre des siens mourir sous les griffes de Soto ou d'épuisement parce qu'ils n'avaient pas su trouver un lieu pour s'abriter. Pour autant, Tendaji n'était pas responsable des actes de ses parents, et il devait le comprendre.

─ Tu sais, les membres du clan ne sont pas méchants avec ta maman juste parce qu'ils en ont envie. Ils sont fâchés parce qu'elle a fait des choses qui les impliquaient tous mais ne leur a rien dit.

Rána avait parlé d'un ton calme, ses grands yeux bleus posés dans ceux du petit mâle.