Petit à petit, la lionne apprenait à mener un train de vie "normal". Loin des responsabilités militaires, des voyages en terre inconnue. A présent, c’était un mode de vie complétement inédit qu’elle explorait : Celui d’une mère de famille. Et l’exercice était tout aussi périlleux qu’arpenter un camp de bataille où des sentiers dangereux.

Parfois, lorsqu’elle s’exécutait à l’éducation de ses fils, elle repensait à Wimbo. Qu’était-il devenu, depuis ces longs mois ? Lorsqu’elle songeait au petit brun, son cœur se serrait davantage. Tant de choses étaient mortes, mais semblaient rester avec elle, dans sa mémoire et dans son esprit.

Elle essayait d’évincer cette mélancolie, cette culpabilité et cette tristesse qui tarissaient son regard. Mais sans succès. A l’inverse de Ceset, Sierra était revenue à la vie, d’une certaine façon… "Sierra la freelander", cela sonnait encore d’une drôle de façon, dans sa tête.

Tout avait changé, autour d’elle. Jusqu’au statut de Luso, qui n’était désormais qu’un père au foyer. Même la démographie du territoire semblait avoir changée…à moins que son attention soit décuplée depuis qu’elle avait rejoint ses terres ? Ce territoire qui était désormais le sien.

Elle avait quitté le repère au petit matin, arpentant la frontière depuis lors. Une fatigue inconnue l’avait alors prise d’assaut, sévissant ses articulations en premier. La chaleur de l’après-midi ne faisait qu’empirer cette sensation.

Sierra vieillissait.

Elle en avait conscience, même si ça fierté refusait de l’admettre. Elle le sentait au fond d’elle. Bientôt, elle rejoindrait son frère, en espérant que les cieux lui accordent ce privilège…

Mais elle avait encore bien trop à faire ! Ses enfants avaient besoin d’elle !

Un mouvement au-dessus de sa tête vint interrompre ses divagations. Ses prunelles de sang se dressèrent vers la source du bruit.

Une panthère…Elle détecta son odeur. C’était un félin étranger au royaume !

- Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Grommela-t-elle.

Des questions d’usage, de simples formalités. Les plus basiques, lorsque l’on tombait sur un individu suspect. D'autant plus depuis qu'elle connaissait le drame qui secouait encore le roi Haki.

Quelque chose sonnait faux chez lui…Sierra avait suffisamment d’expérience dans le domaine militaire pour reconnaitre quelqu’un de louche. Et ce léopard, justement, l’était. Il avait esquivé sa question en répondant lui-même par une interrogation, faisant mine de se présenter sous une identité passe partout et relativement vague.

- Aucun léopard n’est insignifiant, sur une terre qui n’est pas la sienne. D’autant plus avec cette histoire de prince disparu, tué par un liard noir. Luso lui avait remémoré la tragédie durant ses premières semaines sur Freeland. Ce clan était désormais le sien, la lionne devait tout faire pour protéger ses enfants et son mari des intrus aux intentions floues. Son ton était calme, mais témoignait de la force qu’elle déploierait en cas de besoin. Cela lui rappelait son pays…ses habitudes. Mehr, mon identité ne vous concerne en rien. Sachez juste que je suis une habitante de Freeland. C’est donc moi qui pose die questions.

Elle inspira silencieusement.

- Donc, je vous le redemande : Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?

Son regard c’était durcit. Il n’avait pas l’odeur du territoire, ni celle de la jungle des Gorilles. A coup sûr, ce félin était étranger à la terre des lions…S’il refusait de coopérer, Sierra serait obligée de le raccompagner à la frontière. De grés…

…Ou de force.

En voilà un qui ne manquait de culot ! Sierra laissa échapper un grondement sourd. Cet individu osait la traiter d’étrangère alors qu’elle était chez elle ?! Et osait la provoquer en refusant de coopérer.

Soit.

- Il est vrai que vous faites preuve d’une meilleure éducation, en refusant de délivrer votre identité !

Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas utilisé ses griffes sur de la chair féline. Elle s’assit avec élégance au pied de l’arbre.

- Mais gut. Comme vous voudrez, meine liebe !

Refus d’obtempérer, comportement suspect, insulte et arrogance envers un habitant des lieux… Il allait souffrir. Et Sierra serait dans son bon droit, lorsqu’elle lui planterait ses griffes dans la chair. Il lui suffisait juste d’attendre. Cet idiot ne restait pas perché indéfiniment. Elle commença à échauffer les muscles de ces pattes, un rictus cruel défigurant son visage.

Elle avait tout son temps.

"Irrespectueux" ? Voilà qui était fort amusant, de la part d’un étranger débarquant sur un territoire qui n’était pas le sien, avec le toupet de ne pas répondre aux interrogations. D’où pouvait bien sortir cet idiot ?

-À votre place, Reprit-il, je réfléchirais à deux fois avant de prendre racine ici. Vous perdez votre temps madame. Lorsqu'un léopard trouve un arbre, impossible de le faire bouger.

Elle gloussa avec cruauté. Non, elle ne partirait pas. Et ces tentatives pathétiques de la désespérer n’auraient aucun effet. Si un léopard ne bougeait pas de son arbre, une lionne ne reculait devant rien devant sa proie. Et, la nature étant bien faite, cette erreur de la nature devrait bien se nourrir, à un moment.


-Il est clair que vous êtes arrivés ici très récemment. D'où venez-vous ?

Etait-ce là une farce ? Il refusait de communiquer les réponses aux questions de base et se permettait en plus de l’interroger ?! Etait-il vraiment stupide ? Ou cela était juste de la provocation ?

- Des enfers. Répondit calmement Sierra, dirigeant ses yeux de sang sur l’étranger. Quitte à passer le temps, autant s’amuser un peu…

Quel individu ennuyeux…

Sierra resta campée au pied de l’arbre. Elle aurait préféré que cette créature la défie en combat singulier, qu’elle ait l’audace de lui montrer ce qu’elle savait faire ! Mais au lieu de ça, la panthère restait clouée sur sa branche.

-Libre à vous de changer d'avis en abandonnant, je ne vous en voudrais pas pour ça. Sachez que je n'ai guère l'intention de bouger. Du moins pas maintenant.

Abandonner ? C’était mal la connaitre ! Il se fourvoyait amèrement. Un rictus sadique vint illuminer le visage de la lionne. Elle n’avait qu’une envie, à présent : Dégager ce danger potentiel de ses terres, et lui faire payer son arrogance.

Tandis qu’en haut de son arbre, la tâche noire s’endormait, la Lady eut une idée.

***

Le soir était tombé. Le ciel était couvert d’étoiles et l’herbe ondulait faiblement au grès de la brise. Tout semblait calme. En haut de l’arbre, le félin noir dormait toujours. Non loin, Sierra s’était tapie dans un buisson couvert de rosée. Fixant la branche sur laquelle somnolait le gêneur, elle guettait, alerte.

Ses muscles étaient tendus, ses griffes sorties. Elle était prête à refermer le piège qu’elle avait préparé. Il suffisait juste d’attendre…comme au bon vieux temps ! Ahhh, cela lui rappelait de délicieux souvenirs !

L’attente avait été interminable ! Mais tout portait à ses fruits : En haut de l’arbre, la panthère s’était réveillée. Il était temps ! A force de rester couchée dans les buissons, les muscles de la lionne commençaient à fatiguer…

Elle envisageait déjà la façon dont elle allait tailler cet importun en pièce, mais un nouveau paramètre vint contrecarrer ses plans : Une famille de pachydermes se ressemblaient autour d’eux ! Voilà qui était…fâcheux.

- Scheiße ! Gronda Sierra entre ses crocs, lorsque les énormes bêtes se massèrent autour de sa cachette. Discrètement, elle se fraya un chemin entre les branches, afin de fuir leur vigilance. Son odeur devait être bien plus ténue à l’endroit où elle s’était postée quelques heures plus tôt.

Elle contourna le petit groupe sans bruit, le regard rivé sur l’arbre où se tenait toujours le noiraud.

Acculée par les géants, Sierra senti son pelage se dresser sur son corps. La situation devenait dangereuse et les possibilités de fuite s’amincissaient à chaque secondes. Il fallait agir ! Vite ! Tant pis pour cet inconnu. Elle informerait les guerriers de son intrusion.

Bondissant hors des fourrés, la vieille lionne effraya les herbivores qui sursautèrent. Les plus anciens se mirent à piétiner le sol en barrissant, manquant de peu d’estourbir la féline.

Les yeux écarquillés par la frayeur, Sierra coupa net le troupeau d’éléphants. Une technique bien maladroite et dangereuse…néanmoins, elle parvint à se défaire de cette situation délicate. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, sur son chemin, ses yeux de sang croisèrent la masse sombre de l’étranger.

- TOI ! Rugit-elle, accélérant sa course vers le noiraud, toutes griffes dehors.