Assise sur un rocher, Sierra guettait l’horizon. Aujourd’hui, elle avait rencardé Naba pour un exercice particulier. Le prince semblait déterminé, et cela lui plaisait. Elle avait donc décidé d’appliquer sur lui la méthode qui avait d’elle une Lord digne de ce nom. Bien entendu, elle avait modifié certaines étapes. Car bien que cela restait difficile à admettre, elle n’était plus sur ses terres natales.

Une tâche rousse apparue au loin. Se redressant, la Lady bondit sur le sol encore trempé de rosée.

Il était temps pour le fils d’Haki de faire le premier pas dans sa vie de futur souverain.

- Guten Tag, mon jeune ami. Salua la femelle lorsque Naba parvint jusqu’à elle.

A leurs pattes, une ligne avait été tracée dans la terre. L’ex noble l’avait dessinée à l’aide d’un bâton. Cela pouvait sembler étrange, mais ce curieux dessin serait important pour ce qu’elle lui reservait.

C'était le moment. Mon premier rendez-vous avec Sierra. Enfin, "rendez-vous" était un bien grand mot. Disons que la lionne charismatique m'avait invité à lui rendre visite au Pays Verdoyant, Pays que je commençais à connaître. Saluant un instant Adda qui m'offrit un regard furibond, expression que je commençais à trouver passablement agaçante.

- Adda, regarde moi !

Mais il m'ignorait délibérément, me tournant le dos. Grognant de colère, je m'approchai de lui, mais comme à l'accoutumé, je ne reçus que de l'indifférence. Je baissai donc les bras, encore. Préférant m'éloigner plutôt que de déchaîner ma colère sur mon propre enfant. Qu'avait donc fait Sumu à mon fils ? S'en était trop, je devais apprendre... Apprendre à être ce que je devais être.

D'un bond, je me ruai vers le Pays Verdoyant, sans un regard pour ce fils qui était mien. Finalement, c'est tout essoufflé que j'arrivai à l'heure convenue au point de rendez-vous. Je fus donc accueillis par Sierra, qui me salua avec sa grâce habituelle :

- Bonjour, Sierra. Je suis prêt. Qu'allez-vous m'apprendre aujourd'hui ?

Quelque chose semblait troubler son nouvel élève… Ils auraient tout le loisir d’en discuter plus tard, si Naba le désirait. Mais pour l’heure, il était temps de se secouer les puces !

Lorsque le prince posa sa question, la lionne eut un sourire. Elle s’imaginait déjà la réaction de son apprenti quand elle lui révélerait le but de sa venue. Celle de la noble déchue avait été spontanée, à l’époque où elle s’était retrouvée dans cette situation. Néanmoins, le fil d’Haki semblait déterminé. Tout devrait bien se passer !

- Aujourd’hui, je vais vous apprendre…à marcher. Déclara Sierra, désignant la ligne tracée au sol.

Si, dans l’art de la droiture, se tenir droit était primordial, savoir s’imposer rien qu’avec sa démarche était tout aussi important ! Qui voulait d’un roi avançant maladroitement en regardant ses pattes ?

Pour la première fois, je vis ma nouvelle professeure m'offrir un sourire. Elle semblait satisfaite de ma venue. J'étais véritablement déterminé à devenir un lion fort et respectable. Cependant, la première réponse de la femelle eut le don de me déstabiliser :

- Aujourd’hui, je vais vous apprendre…à marcher.

Mes oreilles se dressèrent et je regardai aussitôt mes pattes. Même ma manière de marcher posait problème ? Il fallait donc tout revoir ? Je bégayai, surpris :

- M'apprendre... A marcher ?

Je remarquai donc finalement le trait que mon mentor avait sûrement tracé en attendant ma venue. J'allais donc... Marcher dessus ? Mais comment allais-je réussir à marcher directement sur cette ligne ? J'allais tomber... Je me posais trop de questions... Mais je ne pouvais pas les poser ! Cela aurait été ridicule ! Je soupirai :

- Il faut tout reprendre à zéro. C'est cela ?

Comme elle à l’époque, Naba fut surpris. En effet, il allait falloir reprendre à zéro. Mais qu’il se réjouisse ! Le prince n’avait, contrairement à ce qu’elle laissait dire, beaucoup plus de ressource qu’il n’y paraissait.

- Ja. Répondit la lionne. Vous déambulez…n’importe quel lion peut le faire ! Sierra s’approcha du dessin et mit ses paroles en exemple : Tout en roulant des épaules, elle aligna gracieusement chacun de ses pas, la tête haute et le regard sûr. Marcher, mein liebe, ce n’est pas simplement mettre une patte devant l’autre : C’est s’imposer en se déplaçant ! Expliquait-elle, tandis qu’elle terminait sa démonstration. Elle s’assit sur le côté du tracé, invitant son élève à se mettre au travail. Cela devait sembler très facile. Mais l’exercice était bien plus complexe qu’il en avait l’air !

La lionne tenta alors de m'expliquer ce qu'elle attendait de ma personne. Elle voulait que je marche, cependant, je devais également m'imposer dans mes mouvements, d'ailleurs, elle prit soin de me montrer l'exemple en s'avançant avec un charisme qui m'effarait presque sur le dessin. C'en était désolant. Cependant, je n'abandonnais jamais, alors je me mis à marcher, la tête presque basse, puis, voyant que mon attitude ne convenait pas, je m'arrêtais en plein milieu du dessin et fis demi-tour, presque penaud.

- Cela ne va pas...

Je lorgnais donc le dessin un instant, imaginant quelle dégaine pourrait être appropriée pour un lion comme moi... Je réfléchissais trop. Je me remis donc à marcher; la tête plus ou moins haute et de manière assez bancale. Je soupirai un instant avant de m'asseoir une fois ma marche faite.

- Pour un peu, je me moquerai de moi-même.

Cela blessait mon ego, je devais bien l'admettre. Il avait fallu que j'attende d'atteindre de l'âge pour finalement me soucier de mon image, quelle ironie du sort !

Attentive, la lionne observait les gestes de Naba. Le prince avait l’air peu confiant…Cela se confirmait lorsqu’il jugea sa propre performance, soulevant ainsi un aspect intéressant de sa personnalité : Il savait reconnaitre ses erreurs et cherchait des moyens pour s’améliorer ! Une capacité notable pour un monarque.

Agacé par ses échecs, il se laissa décourager à la deuxième tentative.

- Pour un peu, je me moquerai de moi-même. Dit-il en soupirant.

- Vous réfléchissez beaucoup trop ! Faites-vous un peu confiance. La lady s’approcha doucement du rouquin. L’attitude est un état d’esprit. Cela vient vient du cœur, mein liebe. Pas du cerveau !

Elle se positionna à côté de la ligne, invitant le prince à la rejoindre.

- Il faut que vous leviez la tête. Vous êtes le futur roi ! Vous voyez à l’horizon l’avenir du clan qui est entre vos pattes. Dit-elle avec passion. Son apprenti comprendrait d’avantage ce qu’elle attendait de lui, avec de telles images en tête. Venez, je vais vous montrer !


Avancer côte à côte aiderait le souverain à intégrer les mouvements à effectuer. Il n'y avait pas à dire, cette aventure plaisait énormément à la vieille noble déchue. Transmettre son savoir était plus jouissif que toutes les conquêtes du monde ! Si seulement Wimbo était là...

Mon mentor s'avança vers moi, m'expliquant la démarche à suivre pour atteindre un minimum de self-estime. Déjà, arrêter de réfléchir constamment pour tout et n'importe quoi était un point qu'elle avait soulevé sans trop de problèmes. Vint alors une phrase qui me fit dresser les oreilles : L'attitude vient du cœur, pas du cerveau...
Je commençais à comprendre ce qu'elle signifiait par ces phrases lorsqu'elle m'invita à la suivre au bout de la ligne, m'incitant à marcher à ses côtés.

- Il faut que vous leviez la tête. Vous êtes le futur roi ! Vous voyez à l’horizon l’avenir du clan qui est entre vos pattes.

Je la regardai finalement, réfléchissant un instant. Oui, je crois que je commençais à comprendre. C'est donc la tête haute que je m'avançais, aussi fier que je le pouvais. Ces images m'ayant totalement galvanisé, j'essayais de marcher le plus droit possible, mettant en pratique tous les conseils de ma mentor.

Finalement, à la fin de la ligne, j'attendais ses réactions, pour voir si j'avais bel et bien assimilé l'exercice. J'étais impatient de savoir son opinion et attendais comme un lionceau attendant un cadeau. Une chose était sûre, un compliment de la part de mon professeur suffirait à égayer ma journée !

— C'était mieux ?

Ragaillardi, Naba se joignit à sa professeure. Avançant au côté du rouquin, la Lady observait, silencieuse, satisfaite de constater les efforts de son élèves. La prince progressait à une vitesse surprenante, confirmant les pensées de la vieille lionne : Elle l’avait jugé beaucoup trop vite. En dépit des apparences, le mâle avait la royauté dans le sang…mais, dans l’ombre de son frère, cette flamme du pouvoir n’avait jamais l’opportunité de se dévoiler. Qu’à cela ne tienne, il était temps pour Haki de la découvrir !

Une fois la marche terminée, le lion aux yeux dorés s’enquit de l’avis de la femelle.

- Bien mieux, ja ! Vous apprenez vite, c’est bon signe ! Dit-elle en souriant. Certes, le plus dur restait à venir. Mais avec une telle détermination, nul doute que cet apprentissage se déroulerait plus vite que prévus. L’avenir de Freeland serait alors assuré de la meilleure manière qu’il soit.

- Maintenant, voyons voir si vous parviendrez à garder l’allure jusqu’au repère. Allez, venez ! Conclu-t-elle, invitant le souverain d’un signe de tête. L'entrainement était terminé pour aujourd'hui, mais l'ancienne cheffe des guerriers avait de la suite dans les idées...

Lorsque je demandai à ma mentor comment je m’étais débrouillé, elle s’exclama :

- Bien mieux, ja ! Vous apprenez vite, c’est bon signe !

Flatté par le compliment de mon mentor, je laissai un sourire se peindre sur mon visage. C’était bien entendu un entrainement de maigre ampleur contrairement à ce que la lionne m’apprendrait plus tard, mais je savais qu’un lion devait se satisfaire de toutes les victoires, même les moindres. Je soufflai donc et dis, aux aguets :

— Je ne pensais pas qu’un simple changement de posture provoquerait un changement pareil. Je ne me reconnais pas !

La lionne semblait satisfaite, c’était parfait, j’avais réussi mon premier exercice.

- Maintenant, voyons voir si vous parviendrez à garder l’allure jusqu’au repère. Allez, venez !

Je mis alors ma patte en avant et dis, amusé :

— A vos ordres, Professeure.

Une fois cette phrase prononcée, je repris ma marche à ses côtés, droit et gracieux comme l’était mon père. Je n’avais pas encore sa répartie et son jugement mais cela ne saurait tarder ! J’étais impatient de faire mes preuves et cela, le plus vite possible !