Tu étais inquiet. Habari avait disparu dès l'aurore, elle qui appréciait le fait de venir troublé ton sommeil, elle avait été aux abonnés absents aujourd'hui. Cela n'était pas normal. Aussitôt, tu étais allé voir Matumaini, la mère de ton épouse, pour savoir ce qu'il se passait, mais elle refusa de te répondre. Tu avais beau la menacer, supplier, tu n'obtenais aucune réponse. La vieille lionne, agacée, cracha :

- De toute façon, cette discussion ne mènera nul part, jeune Jenkaa. Toi et ma fille n'êtes que des poisons pour l'un et l'autre. Comment pourrais-je t'envoyer la voir alors que son père est sur la pente raide ? Pour quelle raison t'acharnes-tu à vouloir la voir ?



Tes yeux se plissèrent tant tu peines à assimiler les informations données par la vieille. Tu grognes, coléreux :

- Je veux uniquement la voir pour m'assurer qu'elle ne s'offre pas à un autre. Vous savez, les femelles ont souvent des idées saugrenues.

Bien entendu, cela ne comptait pas pour ta famille. D'ailleurs, tu devais bien avouer que tu n'avais pas du tout réfléchis avant de sortir une telle grossièreté, tu avais juste cherché un moyen d'atterrir sur tes pattes en mâle dominant. Tu savais qu'Habari ne te tromperait pas mais...

- Petit impertinent !

Tu n'eus pas le temps de te mouvoir qu'une patte pleine de griffes se plongeait dans ton visage. Au même endroit que t'avait frappé ta mère, Hatasa, lors de votre première dispute. Tu foudroyais la mégère du regard, menaçant. Cependant, contrairement à tout ce qu'on aurait pu penser de toi, tu ne frappais pas une femelle. Tu fis donc volte-face, t'élançant à la recherche de la lionne qui était devenue ta compagne.
Il te fallut au bas mot deux heures pour sentir ne serait-ce que son parfum, si bien que dès que la senteur parvint à ta truffe, tu rugis pour l'appeler. Mais elle ne répondait pas. Que lui était-il arrivé ? Tu commençais malgré toi à t'inquiéter.

Bon sang... Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Tu étais fou, tu ne pensais plus qu'à une chose, la trouver. C'était obsessionnel, tu savais que tant que tu ne l'aurais pas près de toi, rien n'irait. Pourquoi la voulais-tu ? Pour la posséder ? Ou pour l'aimer ? Tu ne savais pas. Tu savais juste que tu ne pourrais plus penser correctement tant que tu ne la retrouverais pas...

Finalement, c'est entourée d'ossement que tu la retrouvas, près du corps de son père, étendu sur le sol; raide mort. Ton coeur semblait battre plus lentement, maintenant qu'elle était là. Mais il se serrait malgré lui devant l'horreur de la scène. Tu t'avançais près d'elle; presque penaud, mais elle ne te voyait pas. Elle s'en moquait à cet instant. Elle voulait juste son père et tu pouvais comprendre cela.

- Laisse-moi... J'ai besoin d'être seule.

Tu soufflais bruyamment, lessivé. Hors de question de la laisser seule. Tu t'assis donc, calmement, quand un rugissement te déchira les tympans :


- LAISSE-MOI !

Et paf ! Un énième coup vint atteindre ton visage... Cependant, nulles griffes ne se plantèrent dans ta chair. Tu reculas, autant surpris par sa faiblesse que par son geste. Tout était contradictoire, cela n'avait aucun sens.


- Tu me traites comme un jouet, tu joues avec moi. Me ridiculise devant ta nièce. Me ridiculise devant MA famille. Et après... Tu viens comme une fleur, comme si tu pensais que cela allait réparer tout ? Comme si au final... Cela ne changeait pas le fait que... QUE TU AS RUINÉ MA VIE !

Tu grondais, agacé. Tu acceptais, en serrant les crocs. Tu attendais que cela passe. Qu'elle se calme... Mais elle continua :

- Je ne serai tranquille que lorsque tu seras mort...

Ces mots... Ne pouvaient pas t'atteindre; ils ne devaient pas. Pourquoi... Pourquoi tu avais si mal ? Tu ne comprenais pas. Tes yeux... Non... NON ! Tu détournais le regard, peiné. Habari, elle, te lorgnait soudain avec des yeux ronds. Oui, Jenkaa, tu avais envie de pleurer. Mais tu ne pleurais pas, un Jangowas ne pleure pas. N'aime pas non plus. Pourtant...

- Alors tu ne seras jamais tranquille. Car tant que tu seras là, je demeurerais.

Comprenant que cette discussion ne mènerait à rien, tu te contraints à tourner les talons, le cœur serré. Tu le savais maintenant... Tu l'aimais... Et elle....

Ne t'aimait pas.