Ces derniers temps, Sayidi peinait à trouver le sommeil. Son entrevue avec Adana le hantait, accaparait son esprit dès qu'un moment de pause se présentait à lui. Était-elle parvenue à accomplir sa vengeance ? Kutoa avait-il été effectivement assassiné ? À moins que ce fut Adana qui perdit la vie en échouant. En réalité, peu importait l'issue, car la culpabilité qui rongeait l'apprenti Gardien resterait la même. Un animal était peut-être mort par sa faute. Si seulement il n'avait pas partagé quelques informations avec Adana ! Il aurait dû se montrer plus ferme, chercher à convaincre la Mositu d'abandonner ses projets avec plus de ferveur. Bien évidemment, on en se refaisait pas en un jour. Sayidi était faible, un pleutre. Il avait laissée la lionne partir dans sa quête folle, s'était rassuré en se disant qu'il avait tenté tout son possible pour la retenir. Un mensonge. Pathétique.

Ce jour-là ne fit pas exception à la règle. Sayidi se leva le cœur lourd, l'esprit hanté d'idées noires. Toutefois, alors qu'il se préparait à partir patrouiller, Fedha l'intercepta de justesse pour lui demander de rester un peu plus longtemps au repère. Sayidi fut d'abord surpris, mais la réalisation lui tomba rapidement dessus. Kamwe l'entretiendrait avec lui, et l'issue de cette discussion pouvait être multiple. Allait-il être promu ? Le chef des Gardiens avait-il eu vent de l'histoire avec Adana ? Lui retirerait-on son statut d'apprenti ? Pouvait-on même l'exiler pour leonicide (in)volontaire ?

Le visage fermé, le cœur enserré d'angoisse, Sayidi se posa au repère, entouré de ses pairs, et attendit la sentence. Les secondes parurent des heures tandis qu'il fixait le sol poussiéreux ; il pouvait sentir la sueur suinter de ses coussinets. Finalement, Kamwe émergea. Une légère vague d'excitation parcourut ses amis, et Sayidi ne put se retenir de lever la tête, croisant ainsi le regard chaleureux de son mentor. Ses craintes s'estompèrent quelque peu, mais la culpabilité prévalut malgré cela.

Kamwe l'invita alors à s'approcher. Sayidi se leva donc, pattes tremblantes, et brisa le demi-cercle pour s'approcher de son mentor. Que devait-il faire ? Compter sur l'ignorance de ses amis et enterrer le secret à jamais, ou alors dire la vérité sur les récents évènements ? Pouvait-il réellement prétendre être Gardien en ayant cela sur la conscience ? Il devait faire un choix. Et vite.

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Sayidi ravala ses craintes, les rangea dans un coin de sa tête pour pouvoir les ressortir plus tard, à un moment plus opportun où il ne risquerait pas de mettre le projet de toute une vie en péril. Il était hors de question de tout abandonner, surtout pour une action qu'il regrettait plus qu'amèrement, au point de lui faire perdre le sommeil. Il apprendrait de ses erreurs. Plus jamais il ne mettrait le cycle de la vie en danger. Il pouvait donc devenir Gardien sans regret, n'est-ce pas ? Après tout, ce n'était pas comme s'il comptait vraiment enterrer le secret avec lui. Il en parlerait, c'était à présent décidé.

« Sayidi. »

Le dénommé sortit brusquement de ses rêveries pour se recentrer sur le moment présent. Il écouta les paroles de son mentor avec la même attention qu'il leur consacrait toujours, rassuré en quelque sorte par la familiarité d'une telle action, malgré la nouveauté de l'évènement qui prenait place. Kamwe fit un pas vers lui, puis prononça les paroles rituelles qu'il avait tant attendues. Un frisson parcourut Sayidi. Sa décision avait été prise des années de cela. De toute manière, il n'y perdait pas grand chose. Fonder une famille ? Très peu pour lui. Il n'avait jamais ressenti quelconque désir envers une femelle, de toute manière.

« J'en fais le serment solennel. »

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Le cœur de Sayidi battait la chamade au point de l'étourdir, culmination de toutes les émotions intenses qui tourbillonnaient dans son esprit. Excitation, nervosité, peur, joie s'entremêlaient, remuant tour à tour le sang qui coulait dans ses veines, tendant ses muscles d'anticipation. Le regard fixé sur le visage de Kamwe, le reste semblait disparaître aux yeux de Sayidi tandis qu'il attendait la fameuse formule traditionnelle qui ferait de lui un Gardien. Dans son hyper-fixation, l'apprenti put également constater dans le regard de son mentor que ce dernier avait bien compris que quelque chose le tourmentait. C'était mieux ainsi, car il ne pourrait alors pas se soumettre à sa couardise ; il serait forcé de confesser.

Les paroles furent prononcées. Un frisson parcourut Sayidi tandis que sa gorge se serra. Il était heureux. Tellement heureux. Cela faisait des années qu'il attendait ce moment, des années qu'il travaillait dur pour achever son objectif, pour se montrer digne de ses ainés. Ses efforts avaient enfin été reconnus. Les yeux quelque peu larmoyant, il croisa le regard de Kamwe. La fierté qu'il y lit brisa le sang-froid que Sayidi cherchait désespérément à maintenir. Un sanglot s'échappa malgré lui, tandis que les rugissements de ses amis faisaient presque trembler les murs du repère. Fedha en profita pour le rejoindre d'un saut et ébouriffer sa crinière tout en lui criant dans les oreilles. Sayidi ria, contrastant avec les larmes de joie qui roulaient le long de ses joues. Ils l'entourèrent, le félicitèrent.

Ses soucis oubliés pour l'instant présent, si l'on venait demander à Sayidi s'il était heureux, peut-être que pour la première fois de la vie, il pourrait répondre « oui » sans arrière-pensée.

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