La lignée du Feu

Appuyée par les conseils de sa propre mère, Adana s'attela à cette tâche, nouvelle, qui fut alors la sienne ce jour-là. Cette malédiction qui touchait toutes les futures mères, avant de les plonger dans une euphorie profonde les heures suivant le dernier gémissement de soulagement. La brunette s'était réveillée tôt, ce jour-là. Les contractions y étaient, en partie, pour quelque chose. Si seulement ça n'avait été que ça.
Le moment était arrivé et elle l'avait senti venir. Elle avait réveillé sa mère et sa sœur Talasi, implorant leur aide – pour une fois – pour qu'elle ne soit pas seule durant sa mise-bas. Talasi l'avait rassurée pendant que Kimiria lui faisait faire des exercices de respiration, tout en lui expliquant comment faire les choses correctement et qu'elle n'avait pas à s'en faire, qu'elle n'en mourrait pas... normalement. Bien évidemment, l'instinct même d'Adana savait comment faire les choses. Mais la rebelle avait besoin d'être rassurée. C'était très étrange venant d'elle, mais dans de pareils moments, la peur prenait le pas sur la plus piquante des audaces. La sienne était comprise dans cette catégorie, et ne fit pas exception à la règle.

Le travail commença donc tôt dans la matinée avant de s'achever quelques heures plus tard. Quand la douleur commença à se tasser, Adana s'osa un regard en direction de son ventre désormais occupé par trois boules de poils adorables. Ils n'avaient pas encore ouvert les yeux, elle ne les connaissait pas encore bien... pourtant, à la seconde où elle les vit, elle sentit son esprit lié aux leurs pour toujours. Son cœur se gonfla d'amour pour ces petits êtres qu'elle avait tant attendu et qui feraient bientôt fierté à leur père. Comme d'habitude, Vita manquait à l'appel dans les moments les plus importants. Mais Adana ne s'en préoccupait pas. Seuls ses trésors comptaient. Elle les observa, et en profita pour lécher leurs petits corps chétifs et à la recherche d'une mamelle. Alors qu'ils la tétaient, elle s'intéressa à la naissance de leurs pelages et remarqua que deux d'entre eux portaient une nuance de brun rouge ; ils avaient pris cela de leur père et de ses ancêtres. Le troisième petit portait un pelage chocolat. Comme le sien. Adana les couva d'un regard inhabituellement tendre et fier à la fois.

Sa mère, saisie par l'émotion, essaya de retenir ses larmes tout en indiquant à sa fille si un petit était un mâle ou une femelle. Résultat, l'un des bébés rouges et le bébé au pelage chocolat s'avéraient être des mâles. La deuxième rouge était une femelle. Deux fils et une fille. Aurait-elle pu espérer mieux ? Non. Elle n'aurait pas pu. Sa fille serait la plus vicieuse et la plus rusée des lionnes de ces terres ; quant à ses fils, on les craindrait comme des troupeaux de buffles enragés quand on les verrait arriver.

« Ma fille... J'aimerais l'appeler Ashanti. » confia-t-elle à sa mère, posément.

Talasi sourit à sa sœur puis chercha du regard les silhouettes d'Asani et d'Amon. Les deux oiseaux observaient la scène depuis le fin-fond de la grotte, intrigués mais pas suffisamment téméraires – enfin, Asani l'aurait été, mais Amon lui bloquait fermement le passage – pour oser s'inviter à une telle réunion de famille.

« Amon ! S'il te plaît, vas chercher Vita ! » lui lança la jeune femelle aux yeux bleus.

Amon hocha la tête et abandonna la surveillance de son frère pour voleter jusqu'aux femelles.

« Je lui annonce que ses enfants sont nés ? » insista l'oiseau, d'un air malicieux. Ensuite, il se tourna vers Adana et fit une légère révérence respectueuse. « Mes félicitations, chère maîtresse. Votre progéniture est magnifique... Ils feront la fierté des Mositus et des Lions du Feu à la fois ! »

Amon n'attendit pas davantage et disparut à l'extérieur de la grotte. Kimiria pressa son museau contre la joue de la nouvelle mère.

« Je savais que tu y arriverais. C'est très bien ! Tu as fait du bon travail. »

Talasi approuva d'un mouvement de tête, tout en ne quittant pas des yeux ses neveux et nièces. Adana posa sa tête entre ses pattes. Bercée par le piaillement de ses lionceaux qui abandonnaient de temps à autres leur tétée pour essayer de voir le monde alentour. Bien évidemment, ils n'y arrivaient pas ; leurs yeux ne s'étaient pas encore ouverts.
Adana était enfin devenue mère... La mère la plus heureuse de toutes.

La lignée du Feu

Blottie contre sa progéniture, Adana poussa un soupir de soulagement. Sa mise-bas s'étant bien passée, elle pouvait désormais songer à des jours meilleurs en compagnie de ces trois merveilleux chérubins que le Ciel avait décidé de lui offrir. Kimiria et Talasi contemplèrent les bébés avec de l'adoration dans le regard ; Talasi demanda à sa mère si ses propres petits ressembleraient à ceux de sa grande-soeur plus tard. Kimiria lui répondit par l'affirmative. Le silence retomba finalement sur la grotte et on n'entendit plus que les piaillements des petits et les petits ricanements d'Asani qui se moquait, comme à son habitude, des réactions que pouvaient avoir les femelles de son groupe. Enfin, deux silhouettes émergèrent de l'extérieur. Lorsqu'Adana reconnut son bien-aimé, son cœur rata un bond.

Vita s'approcha de sa compagne et de ses enfants. L'air perdu, le mâle rouge observa les lionceaux et s'arrêta net dans sa progression.

« Adana... » souffla-t-il.

Son museau vint se presser contre le front de la lionne de la jungle avant de frotter sa tête contre la sienne. Adana laissa apparaître un petit sourire satisfait. La tête de Vita approcha ensuite des boules de poils et il huma leur parfum. Au bout de quelques instants, le verdict tomba.

« Ils sont magnifiques. Comment te sens-tu ? » s'enquit le lion du feu, dans un soupir d'aise.

Il la regarda, puis ses yeux de braise se fixèrent sur les lionceaux. Adana bailla légèrement, comme si la mise-bas n'avait été qu'un jeu d'enfant pour elle. Bien évidemment, ceci n'était qu'une simple feinte ; la Mositu avait souffert de son accouchement et ça Kimiria et Talasi pouvaient l'appuyer.

« Je suis plutôt fatiguée... mais la mise-bas s'est bien passée dans l'ensemble. Ma mère m'a dit que les petits étaient en bonne santé. » confia la jeune mère, son regard doré posé sur ses petits.

Elle lâcha un petit rire amusé lorsque le mâle brun-rouge vint se cogner contre la grosse patte de son père. Un petit sourire apparut sur les babines de ce dernier.

« Jakko. Il va s'appeler Jakko. » affirma-t-il, dans un hochement de tête. Il lécha ensuite la tête du petit mâle aventureux avant de s'intéresser à l'autre garçon au pelage brun.

A la plus grande surprise d'Adana, le faciès de Vita changea du tout au tout lorsque ses yeux se posèrent sur le dernier non-nommé de la tribu. Elle ignorait, cela dit, la signification du nom de Jakko – mais elle le trouvait très beau, et puis elle faisait confiance en le jugement de son compagnon. En attendant, la Mositu préféra s'intéresser aux remarques de Vita concernant leur fils chocolat.

« Il est vraiment petit, lui. Par rapport aux deux autres, même la petite femelle est plus grosse pour le moment. Il a un problème ? »

Hmm... La joie visible sur le visage d'Adana s'atténua quelque peu lorsqu'elle prit en compte le sens des mots de Vita. Elle observa à son tour le petit chocolat, et constata que son compagnon disait vrai. Enfin ! C'est vrai qu'il était un peu plus faible que sa sœur et son frère – mais il n'était pas non plus si petit. Elle voyait en lui un futur pion redoutable sur l'échiquier de la Terre des Lions. De là à ce qu'il dise qu'il avait « un problème » était un peu trop gros à son goût.

Vita n'attendit pas une réponse venant de sa dulcinée. Il s'intéressa ensuite à la petite femelle rouge qu'elle avait nommée précédemment.

« Comment s'appelle ma fille ?
- Ashanti. Elle s'appelle Ashanti... Unis dans l'adversité. » précisa Adana.

Un instant, elle eut envie de lui expliquer les raisons pour lesquelles elle avait choisi ce nom pour sa fille ; mais elle ne trouvait pas les mots, et puis il y avait plus important à éclaircir concernant... quelqu'un d'autre.

« Au fait. Tu le trouves vraiment différent, ce gamin ? Personnellement je le trouve tout à fait normal. Est-ce que tu pourrais m'aider à lui trouver un nom ? Je ne lui en ai pas encore trouvé un... » se désola la femelle à mèche.

Il lui fallait un nom aussi lumineux que celui de son frère et de sa sœur... Intelligence... Solidarité... Sérénité, jungle, fierté. Ce qu'il lui fallait, c'était le nom parfait.

La lignée du Feu

Suspicieuse, Adana attendit impatiemment la justification de son compagnon quant à ce qu'il avançait. Oui, donc ? En quoi trouvait-il leur fils si « bizarre » ? Il ne correspondait pas à ses attentes, c'est ça ? Il était peut-être un peu trop brun à son goût ? Il ne ressemblait peut-être pas suffisamment à un Fils du Feu ? La brune pouvait au moins être certaine d'une chose. Si son fils ne trouvait pas grâce aux yeux de son père, qu'importe, il trouverait grâce dans les siens quoi qu'il arrive. C'était même une aubaine qu'il soit aussi chocolaté que les défunts Enfants de la Jungle. Quelque chose lui disait qu'il ferait un très bon représentant de sa lignée. Kimiria serait très contente d'avoir un petit-fils dont le pelage se confondait beaucoup avec celui de son défunt grand-père Athar. Aux yeux d'Adana, il était aussi parfait que son frère ou sa sœur. Aux yeux de la nouvelle mère... Sa portée méritait toutes les louanges du monde tant elle était parfaite. Au fond, quelle mère ne dirait-elle pas une telle chose à propos de ses enfants ? Elle se le demandait. C'en était presque dommage que Vita ne soit pas touché par cette maladie de l'auto-persuasion post-natale.
Le lion du Feu avoua que le prénom, « Ashanti », était parfait. Ah ! Adana ressentit beaucoup de fierté. Une fierté stupide que l'on pourrait retrouver aisément chez pratiquement toutes les mères de la Terre des Lions. Ceci dit... La suite des événements ne l'encouragea pas sur ce chemin lumineux.

« Tout à fait normal... ? Hm, peut-être. » admit-il.

La femelle sombre haussa un sourcil suspicieux. Comme ça, « peut-être » ? Pouvait-il au moins développer sa pensée ? Il n'avait pas à rester neutre alors qu'il était question de l'un de ses enfants. C'était soit « Oui, il est normal », soit « Non, il n'est pas normal », et dans le second cas, la brune se ferait une joie de lui remonter les bretelles. Mais bon. Au moins, elle pouvait compter sur lui pour trouver un nom à leur petit chocolaté.

« Eh bien... Je n'ai rien qui me vient pour le moment. »

Oh, ils allaient bien finir par en trouver un, quand même... D'ailleurs, que signifiait exactement le prénom « Jakko » ? Elle n'avait même pas pensé une seule seconde à le lui demander. Peut-être parce qu'elle lui faisait suffisamment confiance pour ne pas donner des noms étranges à leur progéniture. Mais la curiosité et la suspicion naissante n'aidant pas, la nouvelle mère se dit qu'elle ne perdait rien à se renseigner.
Elle s'apprêta à ouvrir la bouche, mais son compagnon fut plus rapide et sembla marmonner quelque chose au sujet de leur enfant. Elle pencha légèrement la tête de côté. Quoi ? Elle n'avait pas très bien entendu.

« Euh... Parle plus fort, s'il te plaît. Je n'ai pas très bien entendu. Alors ? Quel est le nom que tu souhaites lui donner ? » insista la fille de Kimiria, un peu mal-à-l'aise. « Et... Je me demandais ce que signifiait le prénom Jakko. Après tout, le prénom d'Ashanti veut bien dire quelque chose de symbolique... »

Jakko, Jakko. Qu'est-ce que ce nom pouvait bien signifier, exactement ? Elle n'avait jamais entendu quelqu'un épeler ce nom. Était-ce un nom gratifiant ? Glorieux ? Digne d'un fils du feu comme son père ? Adana était bien curieuse de le savoir.