Sungura pleurait.
Il n'y avait pas d'ordre mot pour définir ce qu'elle vivait présentement. Il y avait peut-être d'autres mots pour définir le cocktail de sentiments qui l'accompagnait chaque jour depuis sa dernière conversation avec Akshaya, mais clairement, il n'y avait pas de verbe d'action aussi fidèle à la lionne bleue que celui de « pleurer ». Devant les autres, devant ses amis comme ses ennemis, la fille de Suki tâchait de rester forte, mais à l'abri des regards, quand l'heure de minuit sonnait dans la caverne familiale, Sungura se laissait aller à des crises de larmes sans se cacher de personne, maintenant que son père n'était plus. Oh … Vous n'étiez pas au courant ? Son père, Késhia, avait fini par rejoindre les étoiles pendant son sommeil. Elle se sentait désormais terriblement seule. Incomprise. Dernière représentante de la monarchie et incapable d'autant plus. Quelle brave fille faisait-elle ! Elle avait honte de plein de choses. Elle avait honte de pleurer pour des broutilles alors qu'elle s'était jurée, devant Menashshesh même, de s'endurcir et de devenir la digne fille de son père et de la monarchie. Elle avait honte, de ne plus être aussi proche de son ancien bras-droit, Akshaya, pour une simple question de politique qui les opposait. Quelque part, elle se sentait mal, parce qu'elle avait en quelque sorte « renié » son amie à cause de sa sincérité. Elle n'avait pas accepté que son jugement soit différent du sien. Etait-ce digne d'une amie de ce nom ? Mais Sungura n'y pouvait rien. Elle ne pouvait pas mentir, ni se voiler la face devant Akshaya, ni feindre des sourires alors qu'intérieurement, elle savait que son amie d'enfance avait changé de bord. Elle parlait et raisonnait comme une Nokosi, maintenant. Du moins, c'est de cette façon que Sungura cueillait les propos de celle qui fut son bras-droit à son époque. Elle ne savait que trop mal comment définir ce qu'elle ressentait exactement, et pour quelles raisons elle pleurait, mais en tout cas la douleur était suffisamment lourde pour que son cœur demande à l'alléger. Elle se sentait trahie. Aussi perdue. Elle soutenait toujours autant la monarchie mais maintenant, elle se demandait sincèrement si elle avait une chance de pouvoir rendre au Royaume du Nord sa grandeur volée lors de l'arrivée des Nokosis sur ces terres. Désormais, elle avait honte d'adresser des prières à sa mère le soir. Elle connaissait la vérité.

Elle avait échoué.

Et elle devrait parler de son échec à Menashshesh et à Macha. Sungura ne voyait que rarement Yuki, à cause de la mort des parents de cette dernière. La conteuse d'histoires s'était finalement plongée dans un mutisme qui inquiétait sérieusement la fille de Suki, sans qu'elle ne sache tellement comment faire pour la en sortir. Au final, il ne lui restait guère d'alliés ; les Nokosis étaient parvenus à séduire la majorité des Lions Blancs. Sungura n'avait plus tellement envie de se mêler à ces lions. Elle savait pertinemment que quoiqu'il arrive, on se méfierait toujours d'elle à cause de ce qu'elle représentait autant physiquement que psychologiquement. Cette perspective d'avenir la déprimait sérieusement, mais la demoiselle au pelage gris-bleu ne savait pas trop comment faire autrement. Elle songeait peu à peu à s'écarter de tout, comme le faisait présentement Yuki. Comme ça, elle ne verrait ni les Nokosis, ni les Nordiques qui leur léchaient les pattes. Elle ne verrait plus Akshaya, et elle ne penserait plus à l'affront qu'elle avait osé lui faire. Après tout, quelque chose s'était brisé entre elles. Et Sungura doutait sincèrement que cette chose brisée puisse être réparée un jour. Akshaya en aurait-elle seulement l'idée ? Non. Dans d'autres circonstances, Sungura aurait bien dit qu'elle préférait largement lécher les pattes des Nokosis plutôt que de réparer une amitié brisée mais par politesse, elle rectifiait son tir : Akshaya était simplement trop loyale envers les Nokosis pour tenter quoique ce soit. Et la princesse ? En aurait-elle le courage ? Non plus. Elle ne voulait pas d'une complicité fade et hypocrite avec la guerrière blanche.

Dissimulée dans les brumes des Montagnes Sombres, Sungura se laissa aller à un dernier ruissellement de larmes, tandis qu'elle y songeait. Sois forte, Sungura. Tu avanceras, quoiqu'il arrive, et malgré les pertes. Peut-être pleurait-elle encore à cause de son amitié perdue, mais dans quelques mois elle n'en serait que plus forte encore. Elle irait de l'avant.