Je me réveillai dans le Repère des Lions. Encore une journée simple à l'horizon. Journée où je passerai le plus bref de mon temps à patrouiller aux côtés des miens. Mon père n'avait pas besoin de moi aujourd'hui. Et en soit, ce n'était pas une si mauvaise chose. Je m'en allais donc vers les montagnes humides, las. Jahl s'était trouvée une vocation, ou tout du moins, l'avait évoquée. Je ne pouvais qu'être content pour elle. J'espérais que cette joie de vivre demeurerait. Pourtant, j'avais une drôle de sensation, celle d'être épié. Quelqu'un était là... Je le sentais; mais cette odeur était celle d'un étranger. Ce n'était pas celle du liard. Tant mieux. J'épiais les environs, cherchant à le voir, le jauger, savoir si je devais sortir les griffes, ou non.

Pourtant, avec l'humidité, personne n'aurait pu parvenir à mes yeux... Enfin, c'était comme cela que j'avais vu les choses. Cependant lorsqu'un pelage clair se mit à se mouvoir, je m'avançais, peu sûr de moi.

- Halte étranger !

Arrivant à sa hauteur, je remarquai qu'il s'agissait d'un lion très étrange... Était-ce un jangowas ?

- Veuillez signaler votre identité je vous prie.

L'étranger se présenta sous le nom de Kyu, apparemment fils d'un ancien de Freeland. Je me retins de lui dire qu'il arborait plus une dégaine de Jangowas que de Freelander, cependant, cela aurait été bien mesquin de ma part et trop peu réfléchi. Surtout que celui-ci paraissait relativement pacifique. Je décidai donc de me présenter :

— Je suis Naba, fils du roi de Freeland. Frère du Prince Kama. Si votre père est bel et bien originaire de Freeland, vous devez forcément connaître les deux noms cités en dehors du mien.

Chaque Freelander qui se respectait connaissait au moins de nom mon frère, tué par un liard noir dans la plus tragique des circonstances. Rien que d'y penser fit se serrer mon coeur.

— Maintenant, j'apprécierai de savoir ce que vous venez faire en ces lieux, s'il vous plait. Et si possible, je vous serais gré de me donner le nom de votre père, que je puisse avoir une vague idée de votre personne.

Si je restais courtois, je n'en demeurais pas moins suspicieux à l'égard de cet animal qui se disait fils d'un ancien freelander. Sierra m'avait prouvé que les étrangers n'étaient pas tous des mauvais bougres, mais je me laissai tout de même une certaine réserve à l'égard de ce dernier.

-Oh...C'est un honneur de faire votre connaissance prince Naba ! En ce qui me concerne, je ne suis rien de plus qu'un simple voyageur en quête de réponses sur plusieurs choses importantes pour moi. Et parmi ces interrogations, se trouve une question relative à la vie que mon père a mené sur Freeland. Son nom : Banguko.

Banguko ? Ce nom ne m'étais guère inconnu. Banni par les siens et plus précisément mon père pour outrage à nos lois, il fallait avouer que je ne savais pas trop comment accueillir ce fils "d'ancien freelander". Pourtant, avec sa crinière courte, il n'y avait pas lieu de douter de ses paroles. Il était bel et bien le fils du fameux lion sans crinière.

- Tout le plaisir est pour moi.. Monsieur... Cependant, je suis au regret de vous annoncer que je ne suis pas le mieux placé pour vous parler de l'histoire de votre paternel, je ne connais que la raison de sa venue sur Freeland et la raison pour laquelle il l'a quitté. Ou plutôt, la raison pour laquelle nous l'avons banni..

Au moins, j'avais été franc, j'avais mis coussinets sur table et cela, on ne pourrait me le reprocher. Je repris :


- Cependant, je peux au moins essayer de vous aider au mieux. Et aussi vous renseigner si vous parcourez un itinéraire particulier.

Le félin ne semblait pas le moins du monde gêné à l'idée de me faire subir un interrogatoire, il semblait comme un poisson dans l'eau. J'aurais pu en être agacé, mais je voulais d'abord voir jusqu'où il oserait se montrer entreprenant dans cette affaire.


-Voilà qui est intérréssant...Il se trouve que la question que j'estime être la plus importante, tourne autour du bannissement de mon père. Pourquoi en être arrivé là ? Existe-t-il un lien entre la décision du roi Haki et la disparition de cette Kimya ? Avez-vous déjà entendu parlé d'un dangereux liard noir ?

Si le début de cette conversation semblait presque normal, entendre parler de ce fameux liard noir me fit grincer. Comment voulait-il que je ne connaisse pas ce liard, qui avait assassiné mon frère ?! S'en était trop.

- Ce liard noir est l'assassin de mon frère.

Je me murai dans le silence une fois ces paroles prononcées. Même si la blessure était refermée, il restait une cicatrice au sein de mon cœur depuis la mort de Kama. Je n'en dirai pas plus avant que le félin réalise son erreur d'avoir parlé de cette créature monstrueuse et cruelle en ma présence.

-Je vous présente toutes mes excuses pour votre frère...J'ai déjà ressentis cette douleur...Cette douleur provoquée par la perte d'un être cher...

Le lion clair sembla réaliser dans quelle histoire il s'était immiscé. J'osais maintenant espérer qu'il changerait de sujet... Mais non.

-Et c'est justement parce que cet être cher n'est plus de ce monde que je me présente devant vous aujourd'hui ! Je vous en supplie prince Naba...Dîtes-moi tout ce que vous savez sur les raisons du bannissement de mon père...

- Arrêtez.

Je grognais, un semblant d'autorité s'imprégnant de ma personne, ce félin était agaçant. Très agaçant. Je le regardai alors, pesant le pour et le contre. Je ne voulais pas lui donner d'informations sur Freeland avant de connaître ses réelles intentions. Mais il avait perdu son père... Comme moi j'avais perdu ma mère... Mais c'était un étranger alors, je devais éviter de dévoiler l'intégralité de l'histoire.

- Je vais vous répondre. Mais... Je vous préviens, la vérité n'est pas toujours agréable à entendre. Etes-vous certain de vouloir la connaître ?

Je plongeai mon regard dans le sien un instant. Ma réponse dépendait uniquement de lui à présent.

C'est avec un air calme que j'écoutais le félin m'expliquer ses états d'âmes, me décrivant qu'une soif de vérité insatiable s'était emparée de sa propre personne depuis quelque temps. Il me quémandait des faits, sans masques ni de fausses excuses. Je devais donc étaler la vie du vieux géniteur sans le moindre voile.

- Enfin... Je sais que je n'ai aucune raison de m'inquiéter quant à la véracité des propos qui vont suivre, car j'ai la ferme assurance d'avoir affaire à un prince honnête et digne de son rang !

Je soupirai, me flatter ne nous avancerait en rien dans notre histoire. Je pris donc une grande inspiration avant de lorgner le ciel. Je cherchais à rameuter mes brèves connaissances à propos du vieux lion gris afin d'être le plus fidèle possible à la version initiale de l'histoire de l'animal, aujourd'hui défunt.

— Vous avez d'ores et déjà entendu l'histoire d'amour complexe qui s'était installée entre votre père et notre ancienne nourrice, Kimya, n'est-ce pas ?

À partir de ce moment, les dés étaient lancés, mes souvenirs commençaient à revenir et avec eux, l'image du félon. Le liard noir. Mais ce n'était pas le moment ! Cachant mes émotions avec le plus de courage que je pus, je remis ma crinière en place de ma patte avant de baisser la tête, attristé :

— Leur idylle n'a cependant pas connu une fin heureuse. En effet, Kimya a été assassinée... Par le même liard qui a ôté la vie de mon frère aîné.

Je mordis ma babine inférieure, parler de cela me rappelait de sombres souvenirs. Mais je n'étais pas là pour m'étaler sur mes propres états d'âmes.

— A partir de cela, votre père, s'est mis dans l'idée de venger son aimée, coûte que coûte...


Malgré tout cela, j'étais surpris de devoir me dire que Banguko, le lion qui avait remué ciel et terre pour obtenir vengeance s'était accoquiné de quelqu'un d'autre. Mais peu importait, ce n'étaient pas mes affaires. J'attendais cependant un instant, le temps que le blondinet assimile chaque information que je venais de lui apporter.

Le lion m’avait écouté calmement, sans me couper, il était réellement intéressé par ce que je racontais et il me semblait que j’étais en chemin pour lui rendre un grand service en lui offrant la vérité. Après la fin de ma phrase, il dit alors, sérieux :

- Je vois… Et ensuite ?

Ensuite ? Voulait-il que je parle de l’Exil de son père ? Je soupirai alors avant de me creuser les méninges, tentant de me rafraîchir la mémoire. Les hyènes… Oui, je me souvenais :

— Votre père n’a cessé depuis ce jour de traquer ce liard, déterminé à l’idée de venger son aimée. Mais, quand il retrouva une créature correspondant à ce portrait, ce fut sur le territoire des hyènes et ils causèrent une attaque en blessant des hyènes. Ces dernières vinrent alors exiger réparations à mon père qui décida de bannir votre père, le jugeant trop instable pour la sécurité du clan.

Une fois ce long monologue terminé, je relevais ma crinière et la remit en ordre. Il valait mieux que je me tienne prêt pour la suite, personne ne savait quelle réaction aurait le jeune fils de l’ex freelander… Qui savait comment il réagirait après ça ?

Le pseudo jangowas était visiblement peu satisfait des réponses que je lui apportais. Comme si cela était de ma faute si ce lion avait été banni parce qu’il avait atteint un stade proche de la folie. Mais le bannissement me semblait toutefois une mesure excessive pour ce lion-là. Après tout, il aurait pu venger Kama. Mais pourtant, je savais que la mort ne résolvait rien, ni n’atténuait la douleur.

-Je vois...Et je suppose que mis à part mon père, aucun d'entre vous au sein du clan n'a réussi à mettre la patte sur ce liard ?

Ah. La question qui fâche, mais je me devais d’être honnête.

— Non, personne. Mon père a préféré s’affairer à rechercher mon frère plutôt que de chercher vengeance. Mais cela n’a pas été très concluant, il faut l’avouer.

Finalement, mon nouvel interlocuteur reprit, plus calme que précédemment :

- Merci... Grâce à vous, je comprends mieux pourquoi mon père à tant souffert...
Souffert ? Était-ce là un reproche ? Je demeurai sur mes gardes, agacé. Ce jeune blondinet ne manquait pas d’air. Je dis alors, soupirant :

— J’imagine qu’il a fait ce qu’il a pu, comme nous tous, tout du moins, comme moi.

-Je retiens l'histoire d'un roi qui par peur des hyènes, a préféré chasser un membre de son clan...Vous pouvez me détester, me haïr pour ce que je viens de dire ou même pour ce que je suis à savoir, le fils d'un lion qui à vos yeux, est devenu complètement fou, cinglé, malade, tout ce que vous voulez. Bien sûr, je n'ai jamais dit qu'il était doux comme un agneau et en tant que fils, je suis de loin, le mieux placer pour le savoir. Néanmoins, pardonnez-moi de le dire mais je considère qu'un exil reste une sentence clairement déplacée...Loin d'être pertinente. En chassant mon père, le roi Haki a chassé le seul freelander capable d'identifier l'assassin de votre frère.

Le lion était effectivement en colère. Mais au lieu de m’attaquer, il déblatéra une nuée d’insinuations plus déplacées les unes que les autres, n’hésitant pas à toucher la corde sensible au passage. Malheureusement pour lui, ses mots n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd, bien au contraire. Il se croyait supérieur à tout le monde ? Et bien il le ferait ailleurs.

- Assez, lion. Si vous aviez un tant soit peu de respect pour moi vous ne parleriez pas sans savoir les responsabilités qu’engendre ce genre de propos. Mon père n’a pas banni vôtre père par « peur des hyènes » mais pour préserver un certain équilibre au sein des royaumes pour garantir la paix. Et vous, vous vous permettez de venir et de juger un peuple qui est dans cette histoire, la victime du comportement immature et dégénéré de votre géniteur tout simplement car votre ego est touché ? Dans ce cas, pardonnez moi de le dire, mais l’acte le plus déplacé ici, c’est le votre.

A ces mots, je m’avançai près de lui et dis, menaçant.

- Maintenant, je considère que j’en ai assez entendu. Partez, maintenant. J’informerai mon père de votre venue ici. Votre père vient peut-être de Freeland mais aux yeux de tous vous êtes le fils d’un lion banni et instable mais aussi et par-dessus tout, vous êtes un étranger. Vous n’avez donc rien à faire chez nous, encore moins après nous avoir insulté de la sorte.

Ce félin m’agaçait tout particulièrement, je dus d’ailleurs me retenir de ne pas planter mes griffes dans son visage. Mes crocs se dévoilèrent lorsqu’il proféra alors un discours au comble de l’irrespect.


-Quoi que vous disiez prince Naba, les faits sont là. Votre père n'a pas su protéger les siens. Quant à vous, vous essayez de justifier ses actes en allant jusqu'à qualifier mon géniteur d'immature. Si le simple fait de se bouger un minimum pour son clan devient synonyme d'immaturité... Franchement, vous êtes pathétique. Sachez que c'est ce même lion "immature", qui a préféré se jeter sous les sabots de gnous pour me sauver...Il l'a fait au prix de sa vie.

J’haussais les épaules, il avait fait ce que n’importe quel père correct aurait fait. Quant à se bouger un minimum pour son clan… Je n’y croyais pas. Il n’avait pas fait cela pour Freeland, mais pour une vengeance ridicule. Moi non plus je n’étais pas sorti indemne de l’attaque du liard, mais j’avais eu au moins l’intelligence d'aller de l’avant. Je dis alors, en colère :

— Vous ne savez rien de ce que nous avons vécu. Vous ne savez que juger. Vous agissez de manière stupide en préférant vous pencher du côté qui vous arrange plutôt que d’observer les deux poids de la balance. Votre père n’avait que faire de nous, il voulait simplement soigner son petit ego blessé par la mort de sa compagne qu’il n’a même pas été capable de protéger.

Je soufflai bruyamment, les griffes sorties, attendant qu’il parte, ce qu’il commençait à faire. Mais lorsqu’il se retourna, plus insolent que jamais :


-Ah oui, dernière chose. Je tiens à préciser que j'assume totalement mes propos. D'ailleurs, si j'ai révélé le fond de ma pensée aujourd'hui, c'est tout simplement parce que je savais que vous ne pourriez rien faire...Si ce n'est proférer des menaces ridicules.

Je grondais avant de rugir, alertant mon clan, incitant le pseudo jangowa à s’éloigner et cela le plus vite possible. Finalement, mes camarades arrivèrent en courant et je dis, les yeux plissés :

— Je viens de rencontrer un intrus sur ces terres. Je veux que vous surveilliez toutes les frontières, il n’a rien à faire ici.

Les guerriers se regardèrent un instant avant de dire, surpris :

— Pouvons-nous savoir qui est-ce ?

— Le fils de Banguko. Et à la vue de la conversation que je viens d’entretenir avec lui, il vaut mieux pour lui qu’il reste à l’écart de notre territoire.

— A vos ordres, Prince Naba.

C’est donc, fortement contrarié que je pris congé de mes comparses, le cœur battant sous de coup de la colère. Ce lion n’avait pas seulement touché à ma famille, mais à des souvenirs bien enfouis. Ceux de la mort de mon frère.