Six mois. Cela faisait six mois déjà qu’ils étaient nés. Et ils ne ressemblaient déjà plus aux petites boules de poils que j’avais mises au monde. Ils avaient bien grandis et leurs caractères s’étaient affirmés. L’un comme l’autre semblaient bien partis pour être de parfaits jangowas et des membres incontournables du clan. Enfin, ils feraient bien ce dont ils avaient envie mais l’ambition d’une mère à l’égard de ses enfants n’avaient pas de limites.

Ayant terminé les différentes tâches qui m’incombaient aujourd’hui, j’avais prévu de passer du temps avec mes deux plus jeunes enfants. J’avais trouvé Makan en premier et avait donc profité de ce moment à deux pour une petite session d’entraînement rhétorique avant que je ne me concentre à travailler son agilité et un peu de son endurance. Il n’avait que six mois mais je ne l’avais pas ménagé pour autant et j’avais été fière de voir qu’il ne demandait pas de pause alors qu’il transpirait à grosses gouttes et qu’il était très essoufflé. Je l’avais félicité chaleureusement avant de mettre fin à l’entraînement. Je l’avais ensuite regardé s’éloigner pour prendre un repos bien mérité avant de me détourner à mon tour afin de chercher sa sœur de portée.

Regardant autour de moi, je cherchais un pelage identique au mien et fini par l’apercevoir, un peu à l’écart du clan et surtout seule. C’était assez inhabituel mais pour le coup, cela servait mon dessein. Prenant garde au sens du vent afin de ne pas me faire détecter, je me mis en marche et si je n’avançais pas ventre à terre, je fis tout de même en sorte que mes pas soient silencieux.

J’avais remarqué que ma jeune fille prenait un malin plaisir à prendre les autres pour des proies pour leur sauter ensuite dessus par surprise. Mais il était temps pour elle qu’elle commence à faire attention à son propre environnement et qu’elle se tienne sur ses gardes afin de ne pas devenir la proie à son tour.

Comme prévu, j’arrivais derrière elle sans qu’elle ne me remarque. Le soleil étant face à nous, même mon ombre ne m’avait pas trahie. M’arrêtant, je levais la patte et l’utilisais pour faucher celles de ma fille et la faire basculer dans le sable chaud.

Lorsque tu donnes un conseil, veille à l’appliquer toi-même petit cœur.

Je faisais évidemment référence au conseil qu’elle avait donné à Hazina et que la petite était venu me répéter. Elle avait voulu savoir comment faire pour ne plus se faire avoir par sa tante et je me demandais si ma fille allait en faire autant.

Sourire malicieux étirant mes babines, je regardais ma dernière fille secouer la tête avant de se retourner. Je pu contempler sa surprise avant qu’elle ne s’exclame.

MAIIIIS ! Maman je venais de passer du temps à nettoyer mon pelage ! Tu l’as tout sali ! En plus, je t’avais entendu arriver d’abord ! Mais je voulais pas te décevoir !

Mais bien sûr. Que de mauvaise fois dans un si petit corps, c’était impressionnant. Et pour sa toilette, je serais ravie de me faire pardonner en l’aidant à la faire mais… le voulait elle vraiment ? Tenait-elle vraiment à avoir un pelage impeccable ? Je me souvenais qu’à son âge, je me roulais volontairement dans le sable après la toilette faite par ma mère dans un esprit de pure contradiction avec les envies de mon père. J’avais très bien réussi dans ma vie sans suivre ses conseils sur ce qu’une femelle se devait d’être et surtout pas quelqu’un qui prenait soin de son apparence. Mais si mon petit cœur voulait avoir un pelage sans la moindre imperfection alors je l’y aiderais.

J’allais lui poser une question lorsque je la vis se mettre en mouvement. Elle sauta et s’agrippa à la patte que j’avais utilisée pour la faucher et la faire tomber. Elle m’attaqua ensuite en utilisant ses crocs tandis que ses pattes arrières donnaient des coups dans le vide. Cette scène m’amusa et je la laissais faire, consciente qu’il s’agissait là de sa vengeance. Elle s’arrêta après un moment, et s’assit de nouveau, face à moi cette fois-ci.

Tu faisais quoi avec Makan ce matin ? Tu veux qu’on fasse quoi ? T’as vu elle était bien mon attaque hein ?

J’aurais voulu lui poser ma question ma sa curiosité fut plus rapide et elle me devança. Cela ne changeait cependant rien car je pourrais de cette manière amener mes propres questions plus facilement. Mais avant de poser les miennes, je commencer par lui répondre.

Je l’entraînais. Son exil ne commencera que dans un an et demi mais il n’est jamais trop tôt pour débuter la préparation. Et si la puissance et l’apprentissage du combat sont importants, j’ai fait travailler ton frère sur son agilité et son endurance car l’un comme l’autre sont des points à ne pas négliger.

Et je comptais bien en faire de même avec ma fille. Hors de question de la laisser de côté car si elle ne ferait pas l’exil, elle pourrait être amenée à combattre et je n’avais pas l’intention de la perdre car elle ne serait pas en mesure de faire face à n’importe quel adversaire. Et ça commençait aujourd’hui.

Quant à ton attaque, elle était pas trop mal. Cependant, je n’aurais eu aucun mal à te décrocher de ma patte si je l’avais voulu. Tu n’as utilisé que tes pattes avant pour te maintenir mais tes pattes arrières auraient été d’une grande aide plutôt que de balayer le vide.

Effectivement, si j’avais simplement agité ma patte, elle aurait rapidement rencontré le sol. Je ne l’avais pas fait mais j’aurais pu et elle n’aurait rien pu faire pour me contrer. Et c’est bien ce sur quoi je comptais la faire travailler. Mais si je commençais par là, il y avait tout de même de nombreux domaines à explorer.

Mais ce n’est pas de ta faute car je ne t’ai jamais appris et je compte bien remédier à ça. Alors dis-moi : si tu n’avais pas voulu me faire plaisir tout à l’heure, comment aurais-tu réagi ?

Tout comme je le faisais avec mon fils et pas plus tard que plus tôt dans la journée d’ailleurs, je décidais d’un petit cours de rhétorique avec ma fille même si je ne lui avouerais pas que selon ses réponses, je déciderais si oui ou non je l’emmènerai avec moi lors de ma prochaine partie de chasse. Elle ne participerait pas mais observerait car l’observation était l’un des meilleurs moyens d’apprendre mais encore une fois, je ne comptais pas m’en contenter et lui poserais de nombreuses questions. Mais chaque chose en son temps. Elle devait d’abord répondre à la première d’une très longue série.

Alors que j’évoquais son frère, l’inquiétude put se lire sur le visage de ma fille. Si je n’avais personnellement pas vécu l’exil d’un frère – les miens étant tous les deux morts durant le leur et avant ma naissance – j’avais vécu celui de mes fils. La puissance du sentiment n’était sans doute pas la même mais je comprenais ce que ressentait ma fille pour son frère. Cependant, elle n’avait pas à s’en faire : Makan était d’une bonne lignée et saurait faire face au Désert pour revenir en vainqueur au sein du clan.

Ce fut ensuite un air contrarié qui déforma le joli visage de ma dernière née tandis qu’un long soupir s’échappait de ses crocs alors que je lui disais ce que je pensais de son attaque. Elle n’était pas contente mais je n’allais pas la féliciter alors qu’il n’y avait pas matière à le faire, se serait la desservir pour son futur.
Elle réfléchit ensuite longuement à ma question avant de me donner une réponse.

Euh… Bah vu que tu arrivais dans mon dos, ET que je t’ai ENTENDU arrivé, j’aurai dû te jeter du sable au visage, comme ça tu n’aurais rien vu et je te saute dessus pour te déséquilibrer ! Comme ça !!

Elle ne démentait pas et continuais à assurer qu’elle m’avait entendu arriver. Je fronçais les sourcils face à cette attitude que je n’aimais pas. Si elle continuait sur cette voie elle…
Je n’eus pas le temps de penser plus qu’elle me sautais dessus, visant mes côtes. Le rapport de force ne penchant pas en sa faveur, elle fut vite déséquilibrée et retombais dans le sable dans un bruit sourd.

Bon… J’avais pas prévu ça, le soleil m’a ébloui ! Mais si ce n’était pas arrivé je t’aurais eu !

Je grognais légèrement en entendant les paroles de ma fille. Encore cette attitude déplaisante. Comment le soleil aurait-il pu l’éblouir alors qu’il se trouvait sur son côté lors de sa dernière tentative d’attaque ? Elle était de nouveau en face de moi mais n’avait pas fini de parler.

Et tu sais quoi ? L’autre jour, j’ai accompagné Lahira à l’Oasis Oubliée, et j’suis montée dans un arbre ! C’était trop facile ! Et regarde, je me suis même blessée en redescendant ! Et j’ai même chassé un fennec ! Il a déguerpi comme un lâche en me voyant !

J’observais la petite plaie désormais refermée sur la patte d’Anaya. Ne sachant le faire moi-même, j’étais impressionée qu’elle sache grimper aux arbres mais ne le lui dit pas, consciente qu’elle ne ferait que s’en vanter. J’haussais aussi les sourcils à son histoire de fennec. Elle avait vraiment fait cela seule ? La connaissant, je doutais qu’il s’agisse là de l’entière vérité. Néanmoins, si elle avait déjà quelques expériences en chasse, cela ne serait que mieux pour la récompense qui l’attendais peut-être.

Ta réponse était mauvaise. Le sens du vent n’aurait pas permis au sable de m’atteindre et c’est toi qui l’aurait eu au visage. Ensuite, j’aimerais que tu cesses cette attitude. Te surestimer ou sous-estimer ton adversaire est le meilleur moyen pour te conduire à la défaite. Tout le monde a des points forts et des points faibles, toi y compris. Connais-les et travaille dessus pour t’améliorer. Enfin, ne te fixe jamais l’objectif d’être meilleure que tout le monde car lorsque tu y arriveras, tu n’auras plus de perspective d’amélioration. En revanche, si tu cherches toujours à être meilleure que toi-même, là, tu n’auras pas de limites.

Mon ton était plus ferme et plus sec que je ne l’aurais voulu mais tant pis. Si cela permettait à Anaya de l’ancrer dans son esprit, cela me convenait.

Maintenant réfléchis mieux. J’étais dans ton dos et dans le sens du vent, ce dernier ne t’aurais donc été d’aucune aide. Le soleil était face à moi alors tu ne pouvais pas voir mon ombre non plus. Quelle est la seule chose qui aurait pu te permettre de me sentir arriver ?

Peut-être n’avait elle jamais eu conscience de la réponse que j’attendais, c’est pourquoi je l’avais mise subtilement sur la voie en utilisant le terme sentir. Cela était trompeur car il ne s’agissait pas de sentir avec son odorat mais plutôt avec son corps. Si elle avait été attentive, elle aurait remarqué un changement dans l’air avant que je ne la fasse tomber.

Souvent dans la peau de la prédatrice, je ne savais pas si elle avait déjà ressenti cela et si elle pourrait me répondre. Je m’attendais d’ailleurs à ce qu’elle ne sache pas et j’espérais qu’elle me le dise clairement. On ne pouvait pas tout savoir à six mois et il était de mon devoir de mère de lui apprendre ce genre de choses.

La réaction de ma dernière née ne se fit pas attendre et bien vite, une mine boudeuse s'installa sur son visage. Elle baissa la tête et j'entendis même un "pardon Maman" s'échapper de sa gueule. Bien, c'était ce que j'attendais. Mieux valait freiner cette attitude dès maintenant en me montrant plus sévère mais si au moins ça lui servait pour qu'elle vive plus longtemps, ça me convenait.

Moins fermement, je lui demandais ensuite de mieux réfléchir et de me donner une réponse correcte. Ne lui ayant jamais appris ce que j'attendais comme réponse, je ne m'attendais pas à ce qu'elle trouve mais à ce qu'elle me dise clairement qu'elle ne savait pas. Plus sérieuse, Anaya se concentra et réfléchis longuement avant de me fournir une réponse.

Et bien... Je dois toujours rester attentive ? Car le bruit de tes pas pourrait faire du bruit ? Ne jamais baisser sa garde ?

Ce n'était pas tout à fait ça mais elle était sur la bonne voie. Voyant qu'elle réfléchissait toujours, je gardais le silence. Elle y était presque mais je n'allais pas lui mâcher le travail. Elle était assez grande pour deviner toute seule si elle avait été attentive lors de ses jeux.

Oh ! L'instinct ! C'est ça ?

Un sourire franc étira mes babines, fière qu'elle ait trouvé. Voilà qui était mieux que ce à quoi je m'attendais, c'était très bien.

Lahira a dit que j'étais fatigante la dernière fois, pourtant j'ai appris beaucoup avec elle, j'espère qu'elle voudra bien m'emmener de nouveau avec elle la prochaine fois... J'essaye de montrer que je suis forte tu sais, mais des fois bah... On dirait que je fais les choses de travers...

Je levais ma patte pour la passer ensuite sur la tête de ma fille. Oh oui qu'elle était fatigante, encore plus lorsqu'elle était avec Hazina ! Mais contrairement à Lahira, j'avais la patience d'une mère.

Lahira a toujours était la plus posée et la plus mature de la fratrie et ça fait bien longtemps que quelqu'un d'aussi énergique que toi n'a pas trainé dans ses pattes. Elle n'a plus l'habitude, c'est tout. Mais tu pourrais peut-être te montrer un peu plus calme lorsque tu es avec elle. Je sais que tu es impatiente de montrer ta force mais la théorie est toute aussi importante que la pratique, si ce n'est plus. Commence par apprendre puis lorsque viendra le moment de passer à l'action, tu verras que tu y arrives plus vite que si tu t'étais précipitée.

Je ramenais ma patte vers moi puis détournais le regard pendant plusieurs minutes. Je savais qu'elle attendait que je lui dise ce que je pensait de sa réponse mais je la faisais volontairement attendre, cherchant à voir si elle resterait tranquille ou si elle reviendrait à la charge.

Au bout d'un moment de silence, je ramenais mon regard doré sur Anaya qui était restée sagement silencieuse, réfléchissant peut-être à ce que j'avais dit précédemment.

Il s'agit bien de l'instinct, bravo pour avoir trouvé. Il ne s'agit pas de quelque chose d'inné chez nous puisque nous sommes des prédateurs et non pas des proies. Cependant, ça se travaille et je compte bien t'aider à t'améliorer. C'est pourquoi à partir de demain, je te prendrais pour cible au minimum une fois par jour. Ton but est de me sentir arriver et d'esquiver mon attaque et pourquoi pas, de contre-attaquer. Soit attentive à ton environnement et tu réussiras.

Oh, elle n'y arriverais pas tout de suite mais au fil du temps, cela viendrait. Elle échouerait à de nombreuses reprises et elle serait sans doute frustrée plusieurs fois mais cela me permettrait aussi de tester sa détermination. Laisserait-elle tomber ou au contraire, continuerait-elle à essayer ? Quoi qu'il en soit, seul le futur pourrait me répondre et je me reconcentrais sur l'instant présent.

Pour être honnête, je ne pensais pas que tu trouverais la réponse. Alors pour te récompenser d'être une bonne élève, j'ai une petite proposition pour toi : je ne suis pas encore allée chasser aujourd'hui, ça te dirait de venir avec moi pour apprendre ?

Elle avait déjà emmagasiné du savoir aujourd'hui. Peut-être ne souhaiterait-elle donc pas se lancer dans un nouvel apprentissage afin de réfléchir plus longuement à ce qu'elle avait appris mais c'était à son âge que l'on retenait le plus facilement les choses. Et puis, ce qu'elle verrait à la chasse pourrait lui être utile pour le défi quotidien auquel j'allais la confronter. Il serait dommage qu'elle ne saisisse pas cette occasion.

Tout en expliquant mes pensées à ma dernière fille, je guettais ses réactions. Elle semblait plus calme que précédemment et cela me plu. Je savais qu’elle était très active, son nom lui correspondait d’ailleurs à merveille mais si elle ne faisait pas l’effort d’écouter, elle n’apprendrait jamais ou bien beaucoup plus lentement que les autres. Ce que je refusais. Ma fille serait l’une des meilleures et non pas une lionne quelconque.

Elle me promit d’être plus attentive lorsqu’elle serait avec sa sœur aînée et cela fait, je quittais son regard et gardais le silence. Elle ne me posa pas de questions et attendit tellement sagement que je reprenne la parole que j’aurais presque pu me demander si je n’étais pas seule à l’instant précis.

La recouvrant de mes prunelles dorées, je la félicitais pour avoir trouvé la bonne réponse et comme pour me prouver qu’elle allait se calmer, il n’y eu aucune effusion de joie chez ma fille, seulement un large sourire. J’acquiesçais doucement devant cette bonne attitude et pour la récompenser, lui proposais de m’accompagner à la chasse. Elle ne pu refréner ses ardeurs bien longtemps et la voilà qui sautillait littéralement de joie tout en ronronnant de plaisir, ce qui eu pour effet de m’arracher un sourire amusé.

Et comment que je veux venir ! On va chasser quoi ?

Je n’eus pas le temps de répondre qu’elle partait déjà dans une direction, sans m’attendre. Elle s’arrêta cependant bien vite, sans doute consciente qu’elle agissait encore trop rapidement. Je la rejoignis en quelques pas et humais l’air tout en continuant de marcher. J’observais également le ciel, cherchant après quelques charognards volants mais aucun oiseau n’était apparent. Tant pis, je ferais autrement.

Tu as une idée de ce qu’on va attraper ? C’est quoi la plus grosse proie que tu ai chassé ?

Consciente qu’il n’y avait aucune proie aux alentours pour le moment, je ne faisais pas attention au bruit que nous provoquions et répondis sans hésiter aux questions d’Anaya.

Avant de devenir Impératrice, je me souviens qu’on s’était mis à plusieurs pour attraper un dromadaire.

Je laissais sous silence le fait que nous l’ayons raté et qu’il avait fallu nous y reprendre à plusieurs reprises pour le mettre à terre. Mais nous avions finalement réussi et tout le monde avait eu le ventre plein ce soir là. Quant à ce que nous allions chasser et attraper aujourd’hui…

J’ai entendu dire qu’il y avait des ânes sauvages non loin. Peut-être pourrions nous réduire leur groupe d’un individu, qu’en dis-tu ?

Ils étaient peu nombreux et il était donc rare d’en trouver. Néanmoins, je me rappelais en avoir déjà mangé lorsque j’étais petite et je me rappelais également que j’avais adoré ce goût sans jamais rien retrouver de semblable. Un mets dont je raffolais et qu’il me tardais de faire goûter à ma fille.

*****

Quelques heures avaient passées depuis que nous avions quitté le clan ma fille cadette et moi. Nous nous étions mis en quête d’ânes sauvages et la rumeur s’était révélée fondée après un long moment de marche. Une piste s’était révélée et je l’avais suivie après avoir expliqué à Anaya ce que je comptais faire et ce que j’attendais d’elle.

Tout s’était déroulé pour le mieux et j’avais rapidement abattu ma proie au milieu de la débandade des autres. La peur de voir Anaya se faire écraser m’avait saisie mais elle s’était vite évaporée lorsque je l’avais vue saine et sauve.

Il nous fallait désormais retourner au campement mais une question se posait avant cela.

Veux-tu y goûter ou préfères-tu que nous mangions tout à l’heure avec ton père et ton frère ?

Si j’avais été seule et sans famille, nul doute que j’aurais volontiers pris mon repas ici-même afin de pouvoir savourer ce qui était sans nul doute mon aliment favori. Mais ce n’était pas le cas et je me devais de penser à mes enfants avant de satisfaire mes propres envies. D’où ma prochaine question.

Ou bien peut-être as-tu des questions sur ce que tu viens de voir ?

Elle avait normalement pu voir la scène dans son entièreté sans que rien ne dérange sa vue mais elle n’avait peut-être pas tout compris, ce qui serait tout à fait normal. Et puisque j’avais l’intention de lui apprendre, cela passait forcément par des questions.

Sentant le délicieux fumet de la proie que j’avais fraîchement abattue, je n’avais qu’une envie : enfoncer mes crocs dans sa chair pour pouvoir m’en sustenter. Je n’en fis cependant rien, attendant l’avis de ma fille avant de faire quoi que se soit. Celle-ci me répondit qu’elle souhaitait attendre, certaine que son père et son frère seraient ravis de pouvoir partager ce repas avec nous. J’étais déçue mais ne le montrait pas, consciente que je finirais par savourer cet âne de toute manière.

Je lui demandais ensuite si elle avait des questions et comme j’en avais eu à son âge, elle en avait également. Je m’attendais à des questions sur les positions que j’avais prises, pourquoi j’avais opéré comme je l’avais fait ou d’autres choses du même genre. Mais ce qu’elle me demanda était bien différent.

Non, je n’ai pas eu peur, je sais ce que fais. J’ai évalué la situation, peser le pour et le contre avant de mettre en place un plan d’attaque. Je savais que je ne risquais rien, petit cœur alors ne t’en fais pas pour moi.

Je passais doucement ma patte sur le haut de sa tête avant de prolonger le contact en descendant ma patte contre sa joue, tout ceci pour la rassurer. Je la reposais ensuite sur le sol tandis qu’Anaya me posait une nouvelle question. Elle voulait savoir pourquoi les herbivores ne s’étaient pas défendus alors qu’ils étaient bien plus nombreux alors qu’ils auraient pu me repousser facilement.

Tout comme il est dans notre instinct de chasser, il est dans le leur de fuir. Nos ancêtres nous ont transmit l’art de la chasser et les leurs leur ont transmit qu’il fallait fuir lorsqu’ils étaient pris pour cible. Et puis, tu l’as dit toi-même : les proies sont stupides. C’est pour ça que nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire et pas eux.

Je la vis acquiescer avant de poser une autre question. Celle de savoir si elle pourrait bientôt chasser. Ah, enfin une question que je m’attendais à entendre. Un léger sourire étira mes babines tandis que je lui offrais une réponse.

Tu es encore trop jeune pour des proies de cette taille mais tu peux déjà mettre en application ce que tu as appris sur des proies plus petites. Les gerbilles, ce n’est pas ce qui manque dans le Désert...

Je lui avais donné là un exemple et j’étais persuadée que d’ici quelques temps, elle serait fière de me montrer la première proie qu’elle aurait attrapée seule. Mais en attendant, je voyais bien qu’elle était fatiguée alors je donnais le signal du départ après avoir chargé cet âne sur mon dos. Il pesait son poids mais il me semblait tout de même plus simple de fonctionner comme cela plutôt que de trainer le cadavre sur la distance qui nous attendait. De plus, je préférais garder ma gueule libre, au cas où Anaya aurait d’autre question, évitant ainsi des haltes répétées et une perte d’énergie inutile.