Le temps était clément en cette matinée, et Rána marchait d'un pas souple. Il était temps de prendre un nouveau départ désormais. Les histoires de pouvoir était réglé sur Prideland, il avait défendu le parti qu'il estimait le plus juste et avait fait son devoir. Il pouvait maintenant quitter Prideland le coeur léger, en sachant qu'Ishana et les siens étaient en sécurité. Désormais, il avait tout loisir de consacrer son temps à élucider sa propre histoire. Kuzaidia lui avait donné bien des informations, mais l'orphelin avait souhaité maintenir son voyage pour en découvrir plus par lui-même. Il avait trouvé les racines de sa mère, il aurait souhaité découvrir celle de son père, bien que cela soit difficile. Mais peu importe ce qu'il aurait l'occasion de faire, Rána souhaitant avant tout découvrir comment évoluait la Terre des Lions, comment chacun des clans maintenait sa place. S'il n'escomptait pas forcément rencontrer les Jangowas, le jeune mâle avait à coeur de poser au moins une patte dans le grand désert, qui avait tant signifié pour son père. Il voulait aussi rencontrer les Nordiques, eux que l'on disait si sages et prospères.

C'était à ces projets ambitieux que Rána songeait tandis qu'il s'enfonçait un peu plus dans les gorges. Il était encore sur les terres de Prideland mais tous ses adieux - aussi temporaires soient-ils - étaient faits, et il n'escomptait pas faire demi-tour. Il ne savait pas vraiment quel chemin il suivrait, mais il se laisserait porter par son instinct, et saisirait les opportunités qui s'offriraient à lui. Il n'avait ni limite de temps, ni aucune obligation. Il pourrait rester aussi longtemps qu'il le voudrait, et rencontrer ou venir en aide à qui bon lui semblerait, tant que cela ne portait pas préjudice à Prideland. L'orphelin était donc serein, et se sentait léger à l'idée de ce nouveau départ. Il marchait donc d'un pas léger, son épaisse crinière oscillant en rythme.

Rána continuait sa marche tranquille, l'esprit léger, quand une infime odeur l'interpella. Il s'arrêta, surpris, et huma longuement l'air. Le vent ne jouait pas en sa faveur, pourtant il était presque certain de déceler une odeur qui lui était inconnu. Les oreilles aux aguets, il écouta attentivement, sans entendre aucun bruit. En y réfléchissant bien, les gorges étaient un endroit parfait pour une embuscade et surprendre quelqu'un, peu importe le but. Observant attentivement les alentours et reprenant une marche plus mesurée, l'orphelin finit par déceler un pelage plus clair au milieu de la masse de rocher, pelage dont les deux yeux dorés le fixaient, immobiles. Il n'était donc pas seul.

S'arrêtant à nouveau, il scruta l'inconnu à son tour, immobile. De ce qu'il pouvait voir, Rána constata qu'il s'agissait d'une femelle aux poils clair et à la musculature sèche et athlétique. Il n'en avait jamais vu, mais tout portait à croire qu'il s'agissait là d'une Jangowa. Mais pourquoi ? Que faisait-elle sur les terres de Prideland ? Pourquoi se cacher ainsi alors qu'elle l'avait vu ? Sans doute savait-elle qu'elle n'avait aucun droit d'être ici et qu'elle ne serait pas la bienvenue. A dire vrai, le grand mâle avait eu la chance de profite d'un petit souffle de vent pour déceler son odeur, sans quoi il l'aurait probablement manquée tant qu'il ne serait pas passé à côté. Or, n'étant pas vraiment certain des intentions de la lionne, il se gratifia intérieurement d'avoir repéré un potentiel ennemi avant qu'il ne lui tombe dessus, ou qu'il s'enfonce plus loin sur Prideland. Ráa dévisagea la lionne encore un long moment, immobile. Bien sur, il devrait se méfier, mais il n'était pas effrayé. On lui avait dit que les Jangowas était un peuple fier et belliqueux, prompt à la violence, mais il n'avait pas l'intention de se laisser faire. Surtout pas par un Jangowa, après ce qu'ils avaient fait. Alors, après de longue minutes à l'avoir dévisagé, l'orphelin finit par parler :

─ Tu n'as pas le droit d'être ici.

Sa voix était calme et posé, nullement agressive, sans pour être autant faible ou craintive. La jangowa ne l'impressionnait pas, bien qu'elle aurait peut-être dû.

Dans un premier temps, la femelle Jangowa ne bougea pas, dévisageant Rána comme ce dernier l'observait également, cherchant à déceler un indice, une information sur la suite de leur rencontre.

─ Je cherche quelque chose.

Ce disant, la lionne se décida enfin à bouger quelque peu. Elle ne fit que descendre de quelques dizaines de centimètres, mais cela permis au moins de diminuer la distance entre eux, bien que la Jangowa conserve l'avantage de la hauteur. Néanmoins, Rána n'était pas impressionné, et se plaisait à le montrer. Tandis qu'elle s'approchait, le Pridelander put observer de plus près la nouvelle venue, remarquant ainsi son poil léger et ses yeux aussi dorés qu'ils pouvaient l'être.

─ Si tu diriges vers le Désert, fais demi-tour, étranger.

Sa voix était posée et légèrement grave, mais n'en laissait pas moins transparaitre la même interdiction que celle de Rána précédemment. La queue de la lionne balayait le sol en rythme tandis qu'elle attendait que son interlocuteur réagisse. Ce dernier, n'ayant pas réellement l'intention de se rendre dans le désert, n'était cependant pas surpris que la femelle du désert lui rappelle que l'étendue de sable n'appartenait qu'à ses occupants, et qu'il était interdit d'y pénétrer sous peine de se voir sanctionné. Décidé à ne pas se laisser faire et désireux de ne pas avoir à se justifier - sans toutefois se montrer agressif ou agacé - il déclara donc d'une voix calme :

─ Et que cherches-tu, si cela n'est pas indiscret ?

Son regard azur toujours posé sur la lionne, il n'escomptait pas la laisser continuer plus loin sans avoir une bonne raison de le faire.

[Désolé du retard :3]

La femelle gardait une attitude impassible, pourtant Rána ne doutait pas que son esprit analysait chaque détail de la situation.

─ Un chacal.

Le grand mâle haussa un sourcil, surpris. Pourquoi un lion du désert s'embêterait-il à chercher un petit mammifère jusqu'ici ? Avait-il une importance particulière ? Il aurait pu pousser puis loin sa demande, pour autant il doutait que ce soit une bonne idée. Le Pridelander avait déjà eu la surprise de recevoir une réponse, il ne fallait sans doute pas en demander trop. Ce fut la femelle qui repris l'échange d'une voix toujours impassible, les yeux cette fois plissés et la tête penchée sur le côté :

─ Pourtant, je ne pensais guère tomber sur un étranger dont la couleur pourrait être celle de l'un des miens. Si l'on omet cette crinière et ces marques. Qui es-tu, étranger ? Tu es un Pridelander ?

Elle s'était redressée, pourtant la situation ne présageait aucunement de la suite que pourraient prendre les choses. Rána se retrouvait dans une position bien délicate, et seul un léger tic de son oreille pouvait permettre à un œil aguerri de le remarquer. Deux choix s'offraient au grand mâle, celui de nier ses origines - ce qui lui vaudrait sans doute la sécurité - ou celui de les faire valoir, qui rendrait les choses bien plus dangereuses pour lui. Bien qu'il soit toujours sur Prideland, les Jangowas avaient un sens de l'honneur et du devoir bien trop poussé pour accepter de subir un affront, si tant est que cela pouvait en être un. Après tout, dans le désert, nul n'était au courant que l'exilé, le traître, avait eu un fils, et avait ainsi perpétré sa lignée. En se révélant au grand jour, Rána prenait le risque de se mettre en danger, lui et potentiellement sa nouvelle famille. Pour autant, il n'était pas question de renier qui il était maintenant qu'il venait de le découvrir. Il fallait seulement jouer finement.

─ Je suis bien des choses, et Pridelander en fait parti.

Son regard azur n'avait pas quitté la lionne tandis qu'il s'exprimait de manière assez évasive. Bien des mots le définissaient, mais il ne ferait pas le plaisir à la lionne de lui donner ce qu'elle attendait aussi facilement. Elle n'était pas la seule à se méfier. Seulement, lui savait qu'elle était Jangowa, tandis qu'elle ne savait pas qui il était.

La réponse qu'il venait de donner à la lionne ne semblait pas convenir à cette dernière, qui plissa légèrement les yeux. Rána se doutait qu'il jouait avec le feu, car on lui avait toujours enseigné que les lions du désert étaient prompts à la violence pour régler les affaires qui ne tournaient pas à leur convenance. Elle s'était redressé, et déclara avec une pointe de dédain :

─ Tu es un sang-d'encre.

L'orphelin ne savait guère ce que signifiait réellement cette appellation, mais nulle doute qu'elle devait faire référence à ses multiples origines. Cela semblait être une tare pour elle, mais cela importait peu au grand mâle, qui voyait plutôt cela comme une source de curiosité et de diversité.

─ Et que fais-tu ici tout seul, étranger ? C'est un peu loin de tes semblables.

La lionne avait bondi sur un rocher un tant soi peu plus proche, conservant cependant l'avantage de la hauteur. Toujours sur ses gardes, Rána pivota de quelques pas pour ne pas la perdre de vue, sans toutefois être plus impressionné qu'auparavant. Il était de commune mesure de dire que les Jangowas - quand bien même ils étaient d'excellents guerriers - jouaient beaucoup de leur réputation. Le grand mâle n'avait pas l'intention de marcher dans leur jeu. Son regard bleu toujours fixé sur la lionne, il lui répondit d'une voix calme :

─ Tu l'es plus encore. Je suis encore sur mes terres, quand tu ne l'es plus.

Il la regarda calmement, toujours impassible. Il était encore sur Prideland, quand bien même ses compagnons n'étaient pas là. Elle était loin du désert, et seule. Lui n'était pas agressif, néanmoins il ne la laisserait pas s'enfoncer plus loin sur Prideland, elle n'y était pas la bienvenue.

─ Tu n'es pas la bienvenue ici, retourne dans ton désert. Si je croise un chacal, je lui dirai que quelqu'un le cherche, qui sait.

Sa voix s'était faite un brin plus grave tandis qu'il mettait la lionne en garde.

Tandis que Rána attendait, impassible, la lionne en face de lui semblait réfléchir, comme si la décision de partir n'était pas due à la demande de son interlocuteur mais bien prise de son plein gré. Les deux lions se toisaient, chacun refusant de céder quoi que ce soit à l'autre.

─ Je vais partir mais j'ai des questions. Tu as dis être bien des choses alors... As-tu du sang des miens ? Es-tu partiellement Jangowa ? L'un de tes parents est-il devenu un traître au désert en se reproduisant avec un déchet extérieur ? Mérites-tu de mourir comme un traître ?

La voix de la lionne du désert s'était faite plus agressive au fur et à mesure qu'elle posait ses questions, et Rána redoubla d'attention, ne quittant pas la lionne des yeux. Il la sentait prête à bondir s'il ne lui répondait pas ce qu'elle attendait. Elle même le fixait intensément, cherchant sans doute à déceler un quelconque indice. Durant un court instant, le grand mâle réfléchit à la conduite à tenir. Il pouvait nier avoir du sang Jangowa et justifier sa couleur claire par des ascendances lointaines. Ou il pouvait aussi dévoiler la vérité, et prendre ainsi le risque - presque certain - de devenir une cible pour la lionne, et plus globalement les Jangowas. Les lions du désert n'étaient pas connus pour leur ouverture d'esprit, et ils ne laissaient que peu d'espoir aux bâtards issus des leurs. Bien évidemment, en révélant ses origines, l'orphelin s'exposait bien plus qu'il ne l'était actuellement, mais cela importait peu. Il ne renierait pas ses origines, et encore moins parce qu'on le menaçait. Il répondit donc presque avec entrain, un léger sourire moqueur sur les babines.

─ Le même sang coule dans nos veines, que cela te plaise ou non. Je n'ai nulle peur de tes menaces et je ne me cacherai pas. Les miens ont jadis défié le désert et je ferai de même s'il le faut.

Le grand mâle avait choisit de ne pas révéler d'office qui il était réellement, conscient que cela ne ferait que redoubler l'indignation de la lionne. Après tout, son père faisait partie de l'histoire du désert, et il ne comptait pas laisser son nom tomber dans l'oubli. Rána était plus calme que son père et n'irait pas provoquer les lions des sables s'il n'avait pas une bonne raison, mais il ne leur laisserait cependant pas le plaisir de bafouer sa mémoire et son héritage.