La journée courrait à son terme. Les jeunes regagnaient leur tanière, les traits du visage tirés et la fourrure en bataille. Certains étaient contusionnés de blessures, superficielles la plupart du temps.

Shasta fut surprise de ne pas croiser Kuji dans la marée d’enfants contre laquelle elle marchait…les jeunes s’écartaient sur son passage, mais même en se dispersant, la boule de suie restait introuvable.

La Dominante poursuivit sa ronde jusqu’au Lac au Roi. La saison sèche approchait à grand pas ! Nul doute qu’Outland, le territoire voisin, chercherait à empiéter chez eux quand les troupeaux fuiront la leur… le sol de la terre des exilés était réputée pour sa sécheresse intense. Il ne fallait pas être un ancien pour conclure que l’herbe s’y ferait rare, et, à fortiori, le bétail.

Alors qu’elle suivait la frontière naturelle tracée par le lac, la géante repéra la tâche sablée au loin. Zar’roc, en pleine contemplation de son reflet. Un mince sourire se dessina sur ses babines alors qu’elle s’approchait de son frère de cœur.

- T’en fait une tronche ! C’est ton minois qui te met dans cet état ?

- C’pas la joie avec le p’tit.

Bref et concis. Tout lui, en somme. Au moins, elle n’aurait pas à lui tirer les vers du pif quant à sa tronche de biais.

- J’t’avoue que j’l’imaginais autrement qu’en graveur d’os.

Il lui avait brièvement fait part du manque de vigueur de Kuji. Le jeune mâle était découragé, et son flegme ne faisait que grandir au fil du temps. Shasta s’assit aux côtés de son Lieutenant, les yeux rivés sur la berge voisine, le territoire ennemi. Pouvaient-ils se passer de son filleul, lorsque les rivaux naturels attaqueraient ? C’était une bonne question…

- Il a forcément une place parmi la meute ! Laissons Gu en décider.

Sa grosse tête pivota en direction de la Plaine. Quand les mortels ne pouvaient trouver les bonnes réponses, les esprits étaient les seuls à pouvoir y remédier, pas vrai ?

- Le môme t’a parlé de ce qui le mettait dans cette situation ?

- Nan, il ne m’a jamais parlé de ça…

C’était une bien piètre façon d’exposer les choses, mais c’était sans doute la meilleure. Pourquoi s’emmerder avec des fioritures quand la réalité était déjà compliquée à gérer ?

De par son pacte de sang, Shasta considérait le chiot comme l’un des siens. Certes, Kuji était assez timide et peinait à s’intégrer pleinement auprès de la famille de la Cheffe. Mais il avait déjà eu le courage de la prendre à part, pour lui demander ou lui faire part de certaines choses. Néanmoins, le problème dont il était question n’avait jamais été abordé, ce qui surprenait d’avantage la grise.

- Il doit avoir honte…Tu vas devoir lui tirer les vers de la truffe, je le crains.


Les ados étaient compliqués, elle pouvait en témoigner…

Désolée de ne pas pouvoir apporter de réponse à son ami, Shasta se laissa aller à une expression navrée. Kuji avait eu un parcours de vie difficile. Si la jeunesse lui avait permis d’éclipser certaines choses de son esprit, l’adolescence tendrait à faire resurgir ces questionnements enfouis en lui… Le mieux qu’ils pouvaient faire était de rester présent pour lui quoi qu’il arrive. Et quand bien même le jeune mâle refusait de discuter, le simple fait de se sentir épaulé l’aiderait. Il était évidemment hors de question de l’éberner, juste de lui faire comprendre qu’il n’était pas seul !

-T’penses qu’il aurait été mieux si j’l’avais laissé à une vraie famille ? Il lui manque p’t’êt’une mère, à c’garçon.

La géante fronça un sourcil. Ses yeux d’or se posèrent sur le rayé.

- Je ne suis pas sûre que l’absence d’un parent soit l’élément perturbateur, dans cette histoire…

Elle reporta son regard sur l’horizon. A force de se renseigner –et pour expérimenter la vie de mère- Shasta comprenait d’avantage les besoins des enfants. Il allait de soi qu’un gosse aimé, éduqué, entouré de proches aimants dans une famille adoptive pouvait se construire aussi bien qu’un chiot à la postérité standard.

- Kuji cherche sa place dans la meute. Il se développe, il prend conscience des choses qui l’entourent. C’est normal pour un enfant de son âge. Encore plus en vue de son passé !

Elle eut un sourire. Sa propre fille lui en faisait baver. Il était tout à fait normal que les autres se voient dans le même turbin.

- Anka est dans la même passe. Elle fait souvent le mur et m’en fait voir de toutes les couleurs. Elle me rappelle moi, lorsque j’étais jeune. Cette période leur passera. Lorsque tous auront trouvés leur utilité au clan.

La géante eu un sourire. En un sens, Zar’roc avait raison : Son avenir était tout tracé. Shasta avait obtenu ici ce qui lui avait été volé dans son ancienne meute. Comme quoi, le destin arrivait toujours à remettre les choses dans leur ordre naturel. Les forts dominaient, les autres suivaient. Et quand bien même l’adversité venait à déranger cette règle fondamentale, le sort réorganisait toujours le coche !

Le rayé reprit la parole. Décidément, le sort de Kuji lui importait bien plus qu’elle ne le pensait…à croire que, finalement, même cette boule de muscles possédait un cœur. Ce fut encore plus flagrant lorsqu’il s’excusa de la déranger avec ses problèmes, avant de dériver sur un autre sujet.

- Apparemment, il y a du grabuge dans la zone du rocher. Des animaux mécontents en auraient après les "princesses" de Prideland. Répondit la brute en se redressant. Elle s’ébroua, un large sourire aux babines. Cette histoire de trahison avait finalement explosée au grand public. Les hyènes avaient bien fait de couper les ponts avec ce clan de dégénérés à la loyauté aussi stable qu’un buffle à trois pattes. La Brute se détourna de son Lieutenant. Elle aimerait continuer la discutions, mais le devoir l’appelait. Avant de s’en aller, elle passa la tête par-dessus son épaule.

- En ce qui concerne Kuji, ne t’en fais pas. Il y a bien un moment où il trouvera sa voie. Chaque vie est utile, ici.