Ce n’était pas dans mes habitudes et pourtant, voilà que je me retrouvais allongée à ne rien faire. Les petits êtres qui grandissaient en moi me prenaient toute mon énergie ces derniers jours et je n’avais pas l’envie de lutter face à eux. Et à vrai dire, je n’avais envie de rien du tout.

C’est pourquoi je me retrouvais là, allongée non loin d’un Azrael qui ne me quittait que peu depuis que je lui avais annoncé ma gestation. Il en avait été ravi mais je savais que son émotion de ce jour-là ne serait rien comparée à celle qui l’envahirait lorsqu’il rencontrerait son enfant. Ou ses enfants.

Ayant déjà vécu une gestation, j’avais des points de comparaison et si mon ventre s’arrondissait, il ne l’était pas autant que la première fois à la même période. Azrael n’aurait pas quatre enfants, ça c’était certain mais j’étais incapable de dire si il y en avait un seul ou plusieurs. Enfin, si la courbure du ventre signifiait quelque chose évidemment. J’avais déjà vu une ou deux femelles avec un ventre prêt à exploser mais qui par la plus grande des surprises ne donnait naissance qu’à un ou deux lionceaux.

Voilà ce à quoi je pensais quand une voix bien familière me héla. Je ramenais mon esprit à la réalité juste à temps pour accueillir la marque d’affection de ma fille aînée.

Je vais bien, ne t’inquiète pas pour moi.

Je lui rendis son sourire avant de glisser mon regard sur Shen, le lion qui l’accompagnait. Elle m’indiqua ensuite qu’il avait quelque chose à me dire.

J’haussais un sourcil interrogateur tandis que je détaillais le jeune mâle. Je l’avais déjà vu effectivement et je connaissais aussi son nom. C’était l’un de mes devoirs en tant qu’Impératrice après tout. Mais surtout mon devoir de mère. En tant que telle, j’avais bien évidemment remarqué que Lahira était allée le voir le jour où il était revenu d’Exil et j’avais aussi vu qu’ils passaient du temps ensemble tous les deux. J’ignorais qu’elle était la nature de leur relation mais je ne la désapprouvait pas. Le lion était de bonne famille, entrait dans les standards moraux du clans et s’entrainait dur depuis son retour. Un très bon élément, en soi.

Bonjour Impératrice. J’ai une demande toute particulière à vous faire, pouvons-nous nous éloigner un peu des regards indiscrets tous les trois ?

Je lui rendis son salut d’un mouvement de la tête avant de leur lancer un regard suspicieux à tous les deux. Cette situation ne m’était pas inédite et me rappelait grandement la scène ayant eu lieu quelques mois plus tôt lorsque Daren était venu me demander la patte de Hiari. Était-ce cela dont il s’agissait ?

Ta sœur devrait-elle se joindre à la discussion ?

Un léger sourire amusé avait étiré mes babines avant que je ne pose cette question. Je n’avais pas pu m’empêcher de la taquiner sur le fait qu’elle s’était imposée dans notre discussion lorsque Daren était venu me voir. Ma petite rose – plus si petite d’ailleurs si mon intuition ne me trompait pas - serait sans doute la seule à comprendre la blague mais qu’importe, j’aimais bien taquiner mes enfants et il était rare que je rate une occasion pareille.

Mon regard dévia alors pour croiser celui bicolore d’Azrael et celui-ci s’éloigna sans rien dire. Nous étions encore cependant proches du clan et Shen souhaitait que ce qui allait suivre reste à l’abri des regards. Je consentis donc à ce que nous nous éloignions et pour cela, je commençais par me lever. Je fis ensuite demi-tour sans rien ajouter, sachant pertinemment que mon comportement parlait pour moi. Une fois assez loin à mon avis, je refis face à ma fille et à Shen avant de m’assoir.

Je t’écoute Shen, quelle est donc cette demande particulière que tu as à me faire ?

Ce qui allait suivre était sans aucun doute important et même ceux qui grandissaient en moi semblaient l’avoir senti. Ils étaient étrangement calmes pour une fois et cela m’apaisait. Je serais bien plus sereine si je n’avais pas ces désagréables sensations de mouvements internes pour me déranger.

Contrairement à moi, les deux jeunes adultes restèrent debout et lorsque je demandais à Shen quelle était donc sa demande, il n’hésita pas une seule seconde avant de se lancer.

Impératrice, je viens aujourd’hui vous demander de bien vouloir m’accorder la patte de votre fille.

Et bien voilà qui était on ne peut plus clair. Mon intuition avait donc été la bonne et bien que j’ai déjà vécu ça, ça ne rendait pas l’instant plus facile. Mon autre fille avait trouvé un compagnon elle aussi et voilà qu’elle prenait son envol également. Cela était tout aussi étrange que la première fois mais au moins, ce lion avait la politesse de venir me demander ma permission. Et il n’y allait pas par quatre chemin, c’était déjà deux bons points.

Cette décision vient de nous deux bien que… votre fille n’a pas hésité à prendre les devants.

Vraiment ? Cela ne m’étonnait guère après tout. Je connaissais assez bien ma fille pour savoir quelles motivations avaient pu la pousser à agir de la sorte.
Je remarquais ensuite l’échange de sourires et de regards entre les deux jeunes adultes et cela me fit discrètement sourire à mon tour. Ils avaient l’air complice et c’était toujours appréciable dans un couple.

Je porte une grand affection à Lahira et c’est la lionne ayant le plus de valeur à mes yeux tout comme je suis, selon ses dires, le lion ayant le plus de valeurs aux siens ! Ce serait mentir que d’avouer que c’est un lien d’amour qui nous unis mais malgré cela, je vous promets de ne jamais blesser ou rendre triste votre fille. Mon lien avec elle compte beaucoup pour moi.

Décidemment, ce lion était des plus francs et ça me plaisait. Ce n’était pas un lien d’amour certes, mais l’amour n’était pas nécessairement synonyme de bonheur. La complicité que je devinais entre eux et les derniers mots énoncés me suffisaient pour savoir qu’il disait vrai et qu’il était sans doute le meilleur parti pour ma fille aînée.

C’est aussi pour cette affection que j’ai accepté sa requête, je n’aimerais pas la voir entre les pattes du premier imbécile venu.

Si j’avais encore des doutes – ce qui n’était pas le cas – voilà qui aurait achevé de me convaincre. Il prenait les devants pour éviter une union qui ne plairait pas à Lahira et cette attention en disait beaucoup. J’avais laissé Shen s’exprimer sans l’interrompre et il était temps de rompre mon silence.

Si je savais que cette situation se produirait tôt ou tard, je dois avouer que je suis surprise par votre manière de procéder. Cela ne me déplaît pas, au contraire et je suis bien heureuse de t’entendre dire que tu ne la blesseras pas, pas plus que tu ne la rendras triste. Ton attitude et tes actes parlent pour toi et c’est pourquoi je te crois.

Mes prunelles quittèrent celles de Shen pour se poser un instant sur ma fille. Elle était – au même titre que sa sœur et ses frères – l’un de mes plus précieux trésors et gare à celui qui leur ferait du mal. J’acceptais l’union de Lahira avec Shen mais je veillerais toujours sur elle, et je ne me privais pas de le lui dire afin qu’il en ait bien conscience.

Je n’ai rien contre votre union et c’est pourquoi j’accepte ta demande Shen. Néanmoins, je te met en garde : fais-lui du mal et tu auras affaire à moi.

Il était un mâle, certes. Il était plus fort, certes. Mais une mère en colère n’était pas un adversaire à prendre à la légère…

Le désormais compagnon de ma fille me remercia vivement et cette réaction me fit me dire que cette demande lui tenait réellement à cœur. Peut-être avais-je pris la bonne décision cette fois-ci.
Le regard de mon nouveau gendre alterna entre Lahira et moi et bien qu’il affichait un grand sourire, je voyais dans ses yeux qu’il avait parfaitement compris mes propos et qu’il ne prenait pas ma menace à la légère.

Après lui avoir répondu par une petite pique, ma fille aînée s’approcha de moi pour m’offrir une marque d’affection que je lui rendis. Elle aussi me remerciait avant d’ajouter que notre famille s’agrandissait de jour en jour.
C’était effectivement vrai et je m’en inquiétais un peu à vrai dire. Il ne fallait pas que cette croissance continue trop vite ou d’ici quelques années, il n’y aurait plus que très peu de sang différents dans le Désert. Même s’il était pur, le sang d’une même famille ne devait pas être mélangé. Je ne voyais pas cela d’un bon œil et je souhaitais éviter les conséquences d’un tel mélange. Des exemples s’étaient produits par le passé et cela n’avait pas été bon. Jamais.

Mais là n’était pas le sujet de discussion et je revenais aux propos de ma fille. Elle avait parlé des futurs lionceaux qui gambaderaient bientôt entre les dunes avant d’ajouter que je pourrais les leur confier lorsque je le désirerais.

Cela ne m’étonna pas le moins du monde. Elle avait bien grandie et était désormais en âge de construire sa propre famille mais elle prenait toujours son rôle de grande sœur très à cœur, même avec sa future fratrie. J’en déduisit qu’elle n’avait donc rien contre ces nouveaux frères ou sœurs et cela me soulagea quelques peu.
Avec notre dispute, je ne parlais plus à Jenkaa et j’ignorais si ce qu’il m’avait dit tenait toujours mais je savais que mes nouveaux enfants pourraient compter sur au moins trois de leurs quatre grands-frères et sœurs. Et le regard de Shen en disait assez pour que je sache que je pouvais aussi compter sur lui.

Eh bien pourquoi pas. Mon rang nécessitera forcément que je les laisse quelques fois et je suis certaine qu’Azrael sera ravi de ne pas être le seul à s’occuper d’eux.

Voilà qui remplirait quelques journées des deux jeunes mariés et si je connaissais suffisamment ma fille pour savoir qu’elle ne voulait pas d’enfant dans les prochains mois, je ne savais pas ce qu’elle souhaitait faire de son avenir. Je savais qu’elle s’entraînait avec Shen mais était-ce simplement pour garder la forme ou y avait-il un but derrière cela ? C’est ce que je lui demandais.

J’imagine que le rôle de grande sœur et de tante ne te prendra pas tout ton temps. Ni même le tiens, ajoutais-je après avoir porté mon regard sur Shen. Alors dites-moi, qu’avez-vous prévu pour votre futur commun?

La vie de ma fille était bien rempli entre ses entraînements, ses activités avec Makini et le chacal qui les avait rejoint et son rôle de grande sœur qui reprendrait bientôt de plus belle mais pour Shen, je n’avais aucune idée de ses objectis.

Comme je m’y attendais, ma fille confirma qu’elle ne passerait pas ses journées avec sa nouvelle fratrie ou avec ses neveux. Ses entraînements comptaient beaucoup pour elle et si j’avais une idée de ce qui pouvait la motiver, il était temps qu’elle me l’annonce de vive voix. Après tout, son nom était parfois ressorti lors de mes discussions avec Kaya alors pourquoi ne pas profiter de cette occasion afin de savoir si l’une de nos possibilités souhaitait rejoindre les Élites ? Si c’était là son souhait alors pourquoi ne pas le réaliser si elle remplissait les critères ?

On poursuit l’entraînement tous les jours pour faire partie des meilleurs. Personnellement, je vise le groupe des Élites.

Voilà qui était direct et qui avait le don de me plaire. Je savais que la révélation de la création du groupe d’Élites avait fait naître quelque chose chez ma fille et apprendre aujourd’hui qu’elle voulait en faire partie me remplissait de joie. J’aurais voulu plonger moi-même mes griffes et mes crocs dans la chair de ces rejetons des Enfers mais actuellement, je ne pouvais quitter le Désert. Peut-être que j’accompagnerais les élus lors de l’une de leur mission mais pour le moment, ce n’était pas à l’ordre du jour alors savoir que ma propre fille avait une chance de pouvoir le faire pour moi, j’en étais plus que ravie.

Shen m’avoua également viser les Élites ou au moins quelque chose d’important pour reprendre ses mots. Cela ne m’étonna guère car Lahira n’aurait pas choisi le fils de Nefertari si ce dernier souhaitait uniquement se fondre dans la masse sans aspirer à plus grand.

Avec des parents tels que vous deux, nul doute que vos enfants seront fiers d’être de votre sang. Et bien que cela ne soit pas conventionnel d’attendre avant d’offrir une descendance au Désert, je pense que vous faites le bon choix au vu de vos ambitions.

Je le suspectais mais entendre ma fille dire qu’elle et son compagnon ne souhaitaient pas engendrer une descendance sous peu me soulageait. C’était un peu égoïste de ma part mais je n’étais pas prête à être appelée grand-mère et pourtant, il faudrait que je m’y habitues car je le serais bientôt. Alors savoir que Hiari serait pour le moment la seule à donner de nouvelles vies me rassurait.

Je ne peux rien révéler des noms qui sont susceptibles d’être choisi pour devenir les trois derniers Élites mais je prend note de ce que vous m’avez dit. J’ignore encore combien de temps il me faudra pour décider mais si vous êtes les meilleurs, alors je viendrais vous voir pour vous annoncer la bonne nouvelle.

Tout comme celui de Lahira, le nom de Shen était ressorti au fil de mes discussions avec Kaya. Les deux jeunes me faisant face faisaient partis d’un petit groupe restreint dans lequel nous ferions notre choix définitif mais pour le moment, rien n’était encore sûr. Mais ce qui l’était en revanche, c’est qu’il y aurait forcément des déceptions. Toutefois, il ne faudrait pas que cette non-nomination ne leur coupe l’envie de s’entraîner et de devenir chaque jour meilleur. Nous y avions réfléchi avec ma sœur de cœur et bien qu’elle ne soit pas encore totalement finalisée, une idée avait germé. Idée que je partageais avec ma fille et mon nouveau gendre.

Cependant, si vous n’êtes pas nommés, je compte sur vous pour ne pas arrêter l’entraînement. Ne pas être le meilleur au moment du choix ne voudra pas dire que vous ne serez jamais meilleur que l’un des Élites et que le groupe vous sera fermé à jamais. J’ai l’intention d’organiser des tournois dans lesquels les Élites pourraient choisir des apprentis afin de faire perdurer leur savoir, de renouveler les effectifs et de garder une envie de tendre vers le meilleur. Ces apprentis seraient formés pendant une certaine période et lorsque leur formation sera finie, un nouveau tournoi serait organisé. En même temps qu’un nouveau choix d’apprenti, ceux arrivés au bout de leur formation choisirait le maître qu’ils souhaitent défier afin de prendre sa place.

Tout ceci était décidé avec Kaya mais étant censé être la seule dirigeante, j’avais volontairement employé la première personne du singulier. Il restait cependant encore des zones d’ombre comme par exemple le temps nécessaire à la formation des apprentis en prenant en compte les missions menées par les maîtres ou encore le nombre d’apprentis que ceux-ci pourraient prendre en même temps.

J’avais donc arrêté là mes explications, consciente que ce que j’avais déjà dévoilé pouvait mener à de nombreuses questions auxquelles je répondrais volontiers si je détenais les réponses.

Observant leurs différentes réactions, je pu aisément voir que cela semblait leur plaire. Tant mieux, au moins cela montrait que la décision était bonne et leurs paroles me confirma ce que je pensais.

Je vois, c’est une excellente idée.
Haha, j’adore enseigner en plus, si j’avais l’occasion de faire une telle chose ce serait parfait.

Le petit rire de Shen m’amusa et m’arracha un sourire. Ses yeux pétillaient et je voyais qu’il s’imaginait déjà en tant qu’Elite, à enseigner ce qu’il savait à son apprenti. Cela pourrait être réel ou non. Comme je le leur avait annoncé, je ne savais pas encore qui choisir. Je savais cependant d’autres choses que je leur avais révélées, ce qui ne tarda pas à éveiller la curiosité de ma rose, qui posa rapidement de nombreuses questions.

Ces tournois seront pour les jeunes adultes ? Ceux revenus d’exil et celles désireuses de combattre ? Ce ne sera pas trop compliqué pour les Élites de concilier leurs missions et l’entraînement des jeunes ? Et si l’apprenti échoue à vaincre le maître qu’il a défié, il pourra réessayer une autre fois, il devra reprendre l’entraînement avec les autres ?

Décidément, elle avait beau grandir, son goût pour la connaissance ne faiblissait pas et j’étais heureuse de voir que ma fille restait fidèle à elle même malgré le temps qui passait. Je m’apprêtais à lui répondre lorsqu’un mouvement dans mon ventre me fit grimacer. Voilà que ça recommençait. Je détestais cette désagréable sensation mais heureusement pour moi, j’avais trouver la parade.

Tout n’est pas encore défini mais si tu veux des réponses à tes questions, je peux éventuellement te fournir celles que je possède. Il te faudra cependant m’accompagner : ils commencent à s’agiter et c’est la seule chose que j’ai trouvé pour les calmer.

Je me levais donc et lançais un regard interrogateur à ma fille pour savoir si elle allait me suivre ou non. Qu’elle m’accompagne ou pas ne changerait rien au fait que je me baladerais quand même, quelle que soit sa réponse. Cette dernière serait seulement beaucoup plus agréable si ma rose venait avec moi.