Je lève la tête vers la sortie de la cavité où j'ai élu domicile. J'essaie de contrôler ma nervosité mais je n'arrive pas à empêcher le tressaillement de mes oreilles. Je fais les cent pas, plongée dans mes réflexions. Après un moment, je m'assieds et prends une grande inspiration. J'essaie de prendre mon mal en patience.
Le matin même, j'ai demandé un rendez-vous avec le roi Haki et c'est en début d'après-midi que l'entretien a lieu. Ce n'est certes pas la première fois que je dois faire face à la perspective me retrouver seule avec lui mais jusqu'à présent, cela a toujours été dans des situations d'urgence ou à l'occasion de quelques rapports.
Cette fois, c'est différent.
Je ne cesse de me le répéter. J'ai beau avoir préparé minutieusement mon discours et envisagé tous les scénarii possibles, me dire que Haki est un roi généreux et juste envers tous ses sujets, je reste toujours aussi tendue.

L'attente est interminable. J'ai l'impression que le temps ne s'écoule plus de la même manière. Le soleil semble me jouer un mauvais tour en ralentissant sa course. Midi passe, les patrouilles de chasse rentrent au repère. Je m'efforce de manger un morceau mais la faim n'y est pas, j'ai presque l'impression d'avoir une boule dans l'estomac. Je retourne donc vite à mon coin habituel.
Lentement mais sûrement, l'heure approche. Je me passe quelques coups de langue en vaine tentative de lisser mon pelage et ainsi avoir l'air plus présentable lors de cette entrevue prochaine. Je m'y résigne bien vite.

Il est l'heure. Je me lève et prends la direction du repère de sa majesté Haki. Je m'arrête à une distance respectueuse du domicile du roi. Je contrôle ma respiration afin calmer mon pouls.
Je me tiens droite et tente de paraître la plus calme possible. J'essaie de la relativiser, de me dire que cet entretien ne sera pas pire qu'une bataille. Cette simple autodérision me fais prendre conscience du ridicule de ma peur, bien qu'elle soit toujours présente. Cela ira sans doute mieux une fois que l'entrevue aura commencé.

Je n'attends plus que l'invitation du roi.

Le roi ne tarde pas à se montrer. Je suis un peu surprise d'entendre autant de gaieté dans sa voix et ne peux m'empêcher de sourire. Cette petite touche de bonne humeur est anodine mais n'en reste pas moins contagieuse. En un seul instant, le roi à su me mettre à l'aise. Je me décrispe et mon appréhension retombe. Comme toujours devant cette figure bienveillante, je me sens en confiance. Je réponds aussitôt aux salutations par un signe de tête respectueux.

- Votre majesté.

J'attends patiemment que le roi s'installe et m'interroge sur la raison de ma venue. J'y suis donc, le moment fatidique. J'ai beau avoir préparé mon discours la veille et avoir envisagé la situation, je me rends compte que m'y retrouver en temps réel change complètement la donne. Je sens la nervosité remonter et j'ai l'impression d'oublier ce que j'ai préparé d'avance. Je dois pourtant rester calme et ne pas perdre mes moyens. Me retrouver à bredouiller et chercher mes mots serait sans doute la meilleure chose à faire pour perdre ma crédibilité.
Ainsi donc, je prends soin de bien réfléchir à mes paroles, tout en gardant à l'esprit que je ne peux pas prolonger le silence trop longtemps. J'attends un petit instant, puis me lance en veillant à adopter un ton calme et posé.

- Je souhaitais effectivement m'entretenir avec vous sur un sujet concernant l'avenir de Freeland et - d'une certaine mesure - notre alliance avec Prideland. commencé-je.

Bien sûr, je commence tout d'abord par une introduction avant d'amorcer le vif du sujet. Je préfère toutefois ne pas perdre mon temps dans de longs et inutiles discours. D'une part je n'aime pas tourner autour du pot, d'autre part je me doute bien que le roi dispose d'un temps limité. J'enchaîne donc en formulant directement ma requête.

- J'aimerais devenir Gardienne.

Ai-je été trop directe ? Possible. Devrais-je détailler mes motivations dans la foulée ? J'ouvre la gueule pour reprendre la parole avant de me raviser. Je dois la laisser au roi, c'est lui qui me posera toutes les questions nécessaires. J'imagine qu'il en aura beaucoup. En ce qui me concerne, je suis prête à répondre.

Je laisse au roi le temps de prendre pleine connaissance de ma requête. J'imagine que ma démarche est inattendue puisque je n'ai parlé de mes projets à personne jusqu'à présent. Freeland n'a plus envoyé de Gardien depuis Itan et je crois qu'aucun lion du clan ne s'est intéressé à cette organisation depuis lors. Je suis sans doute la première à vouloir intégrer la Garde depuis des années. Ceci est d'autant plus inédit que les Gardiens ne prennent normalement plus que des apprentis et non des lions adultes et déjà formés.
Comme je m'y attendais, le roi note ces faits et formule plusieurs questions. C'est désormais à mon tour d'argumenter et de développer mes motivations mais je ne suis plus anxieuse, m'y étant déjà préparée d'avance.

- Il s'agit d'un sujet sur lequel j'ai longuement réfléchi. J'ai grandi dans l'optique de devenir une guerrière qui défendrait Freeland. Toutefois, je pense que je peux fournir encore plus à la Terre des Lions en faisant partie de quelque chose encore plus grand. commencé-je.

J'aborde la situation avec tact. Je n'ai pas connaissance de la position du roi par rapport aux Gardiens, bien qu'il en ai envoyé un par le passé. Je comprends que m'envoyer les rejoindre reviendrait à me voir passer moins de temps sur Freeland au profit des autres royaumes. Je sais également que beaucoup espèrent me voir devenir cheffe des guerriers après Luso - ce dernier y compris. Devenir Gardienne serait y renoncer et devoir chercher quelqu'un d'autre remplir ce poste si jamais Luso devait ne jamais revenir.
C'est pour cela que je mets l'accent sur le fait que m'envoyer auprès de la Garde serait rendre service à l'ensemble de la Terre des Lions - Freeland y compris - la tâche accomplie par les Gardiens étant très importante.

- Les Gardiens sont un ordre prestigieux, des lions chargés de protéger et défendre le Cycle de la Vie. Je veux défendre les plus démunis et continuer à préserver la paix. Leur cause m'inspire et me correspond. Je veux être l'un de ces chevaliers du bien. poursuis-je.

Cette fois-ci, il s'agit de quelque chose de plus personnel. Aussi dois-je mettre de l'énergie dans ma voix afin de faire ressentir ma motivation.

- Bien que je n'ai pas suivi l'initiation traditionnelle des Gardiens, j'ai pu bénéficier d'un entraînement rigoureux sous la tutelle de Luso. J'ai également servi Freeland de longues années en tant que guerrière. J'ai connaissance de mes capacités et je pense pouvoir apporter à la Garde.

Là est le plus dur : se mettre en avant sans passer par la vantardise. Je pense bien m'en sortir. Le roi et les Freelanders ont eux-même pu juger de mes aptitudes de guerrière au fil des années et je suis certaine de répondre aux critères de sélection physiques des Gardiens. Je pense qu'il est inutile de m'attarder plus longtemps là-dessus, je peux donc passer au dernier point relevé.

- Il est vrai que je suis la première lionne à m'y intéresser. Toutefois, je suis prête à me plier aux mêmes règles et au même niveau d'exigence que n'importe-quel lion. conclus-je.

Je pense avoir tout dit. Ai-je réussi à le convaincre ? Que pense-t-il donc de tout ceci ? Si je veux que le roi me recommande auprès des Gardiens, je souhaite également avoir son approbation personnelle. Son soutien m'est d'une grande importance et j'espère qu'il verra mon initiative du bon œil.

Cette pensée m'arrache un sourire. Le roi est perspicace ! La plupart des guerriers connaissent la rudesse des méthodes de Luso. Il n'est d'ailleurs pas inconnu des Freelanders que notre chef des guerriers tend à désapprouver le régime pacifique de Haki. Peut-être s'agit-il là des restes de la politique Sharkan qu'il a pu connaître dans sa jeunesse ?
Je reprends bien vite mon sérieux. Il est vrai que j'ai peut-être déteint sur Luso. Si dans le meilleur des mondes les mots seraient armes suffisantes, je sais pertinemment qu'il existera toujours des criminels à arrêter par la force brute. Je pense que la violence est malheureusement inévitable en ce monde ; il faut savoir se battre pour la paix. Haki est sans doute mieux placé que quiconque pour savoir cela, ayant lui-même mis fin au règne du roi tyran.
Toutefois, je comprends que les paroles du roi sont également empruntes de sagesse. En toute bonne foi, j'admets qu'il a quelque part raison. La vertu est aussi - si ce n'est plus - importante que les capacités martiales. Je comprends donc que si je souhaite adhérer à la Garde, il faudra que j'adopte une attitude plus souple et que je travaille mon état d'esprit.
Cette perspective m'enchante car même si j'échoue, je pense que ce sera une expérience des plus enrichissantes.

- Je suis prête à prouver ma valeur. réponds-je avec détermination.

J'observe attentivement mon interlocuteur. Un détail m'interpelle. Est-ce mon imagination qui me joue des tours ou ai-je bien eu l'impression d'entendre de la tristesse dans sa voix ? Pourquoi ? Une nouvelle candidature pour rejoindre l'ordre des Gardiens ne devrait-elle pas être une réjouissance ? Aurait-il peur que j'oublie mon royaume natal si je deviens Gardienne ? C'est une idée qui me paraît absurde mais je ne vois pas d'autre explication possible à la réaction du monarque. J'aimerais dire quelque chose pour le rassurer de ce point de vue mais les mots ne viennent pas.

La réaction du souverain me soulage au plus haut point. J'écoute attentivement ses paroles et les repasse plusieurs fois dans ma tête. Je crois que je n'aurais pas pu rêver mieux. Une telle confiance me fais chaud au cœur. J'essaie de ne pas m'emballer malgré ce fourmillement d'excitation que je ressens dans mes pattes... J'aurais presque envie de sautiller comme une enfant ! Je laisse un nouveau sourire s'étirer sur mes babines mais ne perds pas contenance.

- Je vous remercie. dis-je en inclinant respectueusement la tête.

Je pense que cela met fin à notre entretien. C'est fait. Je viens de franchir la première étape. Je me sens plus légère, comme si je venais d'être libérée d'un poids.
Bien sûr, je sais que ce n'est pas terminé ni gagné. Je dois encore me rendre au Rocher de la Fierté où je rencontrerai les Gardiens dont leur chef, le légendaire Azari. Sans doute serais-je mise à l'épreuve. Peut-être connaîtrais-je de nouvelles difficultés. Auparavant, je devrais préparer mon départ de Freeland et m'éloigner pour la première fois de tous mes repères. Je sais que ce ne sera pas facile. Pourtant, loin de m'effrayer, cette perspective de changements et de nouveaux défis me galvanise.

Peu importe ce que l'avenir réserve, je suis prête.