Le temps s’écoulait plus lentement depuis quelques semaines, comme si la vie des jumeaux avançait au ralenti depuis la perte de leur père. Depuis les grottes qui dominaient le domaine des Nordiques, comme perchées dans les Montagnes, ils observaient les jours passer, aux cotés de leur famille. Les contrebas, toujours perdus dans un peu de brume lorsqu’on les regardait d’aussi haut, semblaient toutefois de moins en moins blancs : ci et là, quelques rochers se découvraient de leur habit neigeux. Les arbres aussi perdaient un peu de leur camouflage.

Ce matin-là, alors que la lumière du ciel se faisait encore rose, les deux frères s’étaient réveillés, l’un sur l’autre comme à leur habitude. Leur mère et leur sœur étaient toujours plongées dans leur sommeil, l’air paisible : aussi les garçons avaient décidé d’aller ensemble prendre l’air, s’offrant par là même une randonnée à travers le territoire, jusqu’à atteindre son cœur, le Cristalac. Ysafi avait un peu prit les devants sitôt qu’il sentit qu’ils s’en approchaient. Lui qui était particulièrement affecté par la perte de leur père, cet endroit comptait beaucoup pour lui, car c’était ici que les jumeaux l’avaient vu risquer sa vie en vain pour un étranger, leur donnant l’envie de consacrer la majeure partie de leur vie à la protection du Nord.

Tout comme l’individu que croyait reconnaître le géant.

« Psst, ‘koa, interpella Ysafi, qui se voulait le plus discret possible ! C’est pas le vieux Nhormero ? »

« J’pense bien, ouais, pourquoi, répondit l’intéressé ? T’as un truc à lui d… »

« Sssccchhht ! »

D’un mouvement de la patte, il intima à son reflet parfait de la fermer et de s’approcher de lui, pour continuer leur échange à voix basse. Cependant, le vieux lion les avaient déjà repéré, et les apostropha, loin d’être de bonne humeur, apparemment. Tout Nokosis qu’il était, il se trouvait surtout être vieux, alors peut-être ce mauvais ton était-il dû à la fatigue de l’âge ? Ils ne connaissaient absolument pas le personnage, c’était donc difficile pour les frères de tirer des conclusion. Alors ils furent polis. Après s’être redressés soudainement de leur position basse et ‘discrète’

« Bonjour, Monsieur ! »

« Bonjour, Monsieur ! »

D’instinct, leurs voix s’étaient mélangées. Et elles continuèrent en se complétant.

« On ne pensait pas croiser quelqu’un par ici si tôt, à vrai dire, encore moins vous, d’ailleurs. Que faites- vous par ici ? N’est-ce pas dangereux pour quelqu’un de votre âge ? Nos dirigeants sont précieux. »

Un sourire détendu, mais ne se voulant pas irrespectueux, irradiait leurs visages, contrastant beaucoup avec la mine de l’oligarque. Ils voulaient simplement détendre un peu l’atmosphère. La matinée était belle, autant en profiter sans la rendre morne.

Le vieux lion n’était pas connu pour manquer de répartie, et ne manqua pas l’occasion de le prouver aux jumeaux. Plus que proférer des menaces aussi abstraites qu’irréalistes, il leur posa une des questions les plus pertinentes qu’ils n’avaient jamais entendu, affublée de quelques insinuations des plus agréables. Deux réactions étaient possibles de la part des deux frères : noyer le vioque, ou lui passer l’envie de recroiser la route des deux peluches. La première option était tentante et permettrait à un peu de sang neuf d’occuper un rôle de premier choix dans le clan à la place d’un croulant.


Finalement, ils ne s'offusquèrent pas outre mesure pour si peu d’allusion. Leur mère faisait bien ce qu’elle voulait, l’important était qu’elle ne mette pas au courant ses enfants de ses diverses pratiques. Ils avaient bien assez d’imagination pour s’amuser sans avoir besoin de ce genre d’histoire. Quoique l’idée émise par Nhormero leur donnait quelques pistes sur comment lui répondre.

« Vous avez raison, c’est curieux. »

« Vous avez raison, c’est curieux. »

Un rapide coup d’œil les avait mis d’accord sur la suite des évènements : le plus vif des deux frères se hâta d’aller se fourrer dans le creux du cou du vieil animal aussi amoureusement qu’il l’aurait fait dans celui de son reflet.

« Nous avons quelques secrets de famille, en effet. »

« Nous avons quelques secrets de famille, en effet. »

Le second bondit derrière leur supérieur pour lui couper toute issue, espérant même le réceptionner entre ses pattes s’il lui venait un mouvement de recul.

« Peut-être voudriez-vous reconstituer avec nous notre conception ? Votre âge vous rendrait parfait dans le rôle de notre mère. Nul besoin de bouger, cela soulagerait votre arthrose en plus de vous faire passer un bon moment. »

Ils se mirent alors à tourner autour -ou plutôt contre- le Conseiller Blanc, lentement, faisant de leur mieux pour lui laisser le moins possible d’angle d’échappatoire.

Tiens donc, les jumeaux n’avaient pas d’humour ? Voilà qui était une hypothèse des plus fantaisistes de la part du Nokosi, d’autant plus que celui-ci dégagea de son chemin le géant qui bloquait sa retraite d’un bon coup dans la face, assurément une des meilleures blagues qu’avait du voir le Royaume depuis sa fondation !

« Revoyez le vôtre, d’humour, Monsieur, fit remarquer Ysafi en se frottant la joue. »

Makoa déposa une lèche de a gène dont il avait le secret à l’endroit où son frère avait reçu un coup. S’il ne s’était pas agit d’un membre du Conseil Blanc, de surcroît un ancêtre parmi les ancêtres, l’agresseur aurait déjà eu droit à un retour de flammes, et n’aurait sans doute pas fait long feu contre deux jeunes adultes en pleine possession de leurs forces. Seulement, les deux frères savaient à qui ils avaient affaire, et que lever la patte sur ce lion leur vaudrait sans doute un sévère châtiment de la part du clan entier. Quoique si ces quelques rumeurs de princesse déchue voulant récupérer son trône étaient fondées, ce seraient des médailles qui les attendraient. Choix difficile.

« Elle nous a tout de même mieux éduqué que la vôtre, vraisemblablement. Nous ne faisions que nous inquiéter pour l’un de nos dirigeants. »

Avec un peu d’ironie sur l’âge de leur oligarque, mais tout de même. Plus profondément, les jumeaux repensèrent à cette histoire de monarchiques nostalgiques de l’époque. Ces gens n’avaient peut-être pas cette opinion par simple envie d’emmerder le monde tranquille bien que difficile des lions du Nord. Ils s’assirent l’une à coté de l’autre, l’air moins léger qu’un peu plus tôt.

« On comprend mieux d’où vient la défiance de certains Nordiques envers le Conseil Blanc. Vous pensez corriger ça un jour ? Ou vous attendez qu’un royaliste vous assassine ? »

Comme on pouvait s’y attendre, le vieux lion fut soudainement plus sérieux, et n’arborait plus le ton condescendant et crachant qu’il avait eu jusque là. Ce changement d’attitude aurait été drôle à observer si les jumeaux ne pensaient pas le sujet sérieux. Ils s’approchèrent du Nokosi jusqu’à ne laisser qu’une cinquantaine de centimètres entre leurs museaux et le sien.

« Le rapport est que deux d’entre eux suffiraient à vous faire disparaître en toute discrétion, s’ils se sentaient offensés par vos insultes. »

Ils laissèrent planer leurs paroles qui, bien qu’elles en avaient volontairement le ton, n’avaient rien de menaçantes ou de mauvaises. Ils n’avaient en aucun cas l’intention de commettre un tel acte. C’était bien l’avantage de l’oligarchie comparé à la monarchie :

« Heureusement qu’il n’y a qu’un seul enfoiré irrespectueux des veuves parmi les cinq Nokosis. »

Ils éloignèrent un peu leurs têtes.

« Autrement, nous serions tentés, Monsieur. »

« Autrement, nous serions tentés, Monsieur. »

Sans en demander plus, les géants passèrent autour du lion en s’y collant tout autant que quelques secondes plus tôt, mais cette fois simplement pour le contourner, et continuer leur promenade sans esprit parasite à leurs cotés. Même eux avaient fini par décider qu’ils n’avaient pas plus de temps à perdre avec un vieux con aigri. Celui-ci n’avait plus que leurs fessiers dandinants à insulter, et toute la belle vue allant de paire avec.