Cela faisait quelques jours que la délivrance était arrivée. Enfin, délivrance était un bien grand mot. Si j’avais su ce que j’allais apprendre à mon retour, peut-être aurais-je préféré ne pas revenir.

Mon exil s’était déroulé sans accrocs bien que la faim m’avait parfois tiraillé pendant de longs jours. Le Désert s’était cependant toujours montré clément avec moi et j’avais pu tenir pendant une année entière. Une année pendant laquelle je n’avais eu peur pour ma vie qu’une seule fois, lorsqu’à mon réveil je m’étais retrouvé nez à nez avec un serpent que je savais mortel. Heureusement pour moi, le sang froid que j’avais eu à ce moment avait décidé le serpent à repartir aussi subitement qu’il était arrivé.

Sur le moment, je n’avais pas saisi mais étant seul avec moi-même, j’avais pu y réfléchir longuement. Et j’avais fini par comprendre. J’avais entendu dire par je ne sais plus qui que lorsque la mort vous approchait, vous reviviez votre vie et les images de ceux qui vous étaient chers vous apparaissaient. Je m’était donc attendu à mes parents mais c’est une toute autre personne qui avait envahi mon esprit à ce moment-là. Une personne à laquelle je ne m’attendais pas. Et cette personne, c’était Hatasa. La lionne était certes mon amie mais apparemment, elle était bien plus que cela. J’adorais nos joutes verbales et c’est bien ce qui m’avait le plus manqué durant cette année de solitude.

C’est donc avec une certaine précipitation que j’étais revenu vers le Clan. Mes yeux bicolores avaient parcouru l’assemblée mais il y avait quelques visages manquants. Vako et les filles de notre groupe pour ne pas les citer. Je cachais ma déception tant bien que mal et me dirigeais vers mes parents. Je pouvais lire la fierté dans leurs yeux et cela me fit chaud au cœur.

Des murmures parcoururent la foule et je tournais la tête pour remarquer l’arrivée de mes amis. Sayed tout d’abord qui avait trouvé le moyen de prendre encore en masse malgré son année en solitaire. Vinrent ensuite Aberash et Wivu. Si le premier semblait avoir vécu une année difficile, il n’avait pas l’air d’en être de même pour le second. Si j’avais pu choisir, j’aurais préféré que se soit le rouquin qui déguste un maximum mais bon, le Désert semblait en avoir décidé autrement…

J’avais toujours considéré Wivu comme un rival mais c’est bien lui qui retenait mon attention. Se tenant au pied d’une dune, il venait d’appeler un nom qui m’importait. Et c’est là que je la vis. Elle se tenait en haut d’une dune et observait, comme à son habitude. Elle n’avait plus rien à voir avec l’adolescente que j’avais gardé en mémoire. Elle aussi avait grandi durant les derniers mois et elle avait gagné en beauté. Son corps fin et son pelage lui donnait un air d’apparition et mon cœur rata un battement. Un sourire béat étira mes babines et il n’échappa pas à l’œil avisé de ma mère. Comprenant sans mal ce qu’il se produisait sous ses yeux, elle me glissa d’aller la rejoindre et c’est ce que je fis.

Je n’étais pas le seul à s’être mis en mouvement et la belle lionne aux iris dorées rejoignait tranquillement les membres de notre petit groupe. J’en fis de même et bientôt, il ne manquait plus que Kaya et Jalan. Leur absence souleva des questions et bien vite, Nyarai et Hatasa informèrent leurs amis masculins que Shabel était désormais celle qui dirigeait le peuple Jangowa. Des protestations s’élevèrent et une discussion ne tarda pas à s’engager sur la façon dont nous allions agir pour la détrôner.

A mon plus grand malheur, c’était Wivu qui avait été choisi pour la défier. Je n’avais rien dit et avait attendu la fin de la conversation pour m’éloigner et ruminer dans mon coin. Nous étions tous les deux les plus en forme et j’étais certain que j’aurais pu y parvenir également. Alors pourquoi lui et pas moi ? Enfin, c’était pour le Désert que nous faisions ça. J’avais donc accepté la situation et participais parfois aux entrainements de Wivu lorsqu’il souhaitait affronter un adversaire réel.

Mais là n’avait pas été le coup le plus dur porté par le rouquin. Il avait été choisi pour devenir le prochain Empereur mais il était une chose qu’il n’aurait pas. Cherchant l’objet de ma convoitise parmi les membres du clan, je finissais par la trouver un peu à l’écart. Elle était plus belle qu’elle ne l’avait jamais été à mes yeux et son large sourire en était sûrement pour quelque chose. Intrigué par la présence d’une telle expression chez mon amie, je la saluais avant de lui demander quelle en était la cause. C’est là que le monde s’arrêta de tourner pour moi.

Elle m’avoua sans détour qu’elle venait d’accepter de devenir la compagne de Wivu et qu’elle n’aurait jamais cru possible que ses sentiments soient partagés. Bon comédien, je fis mine de partager sa joie et la félicitait pour son bonheur. Elle me remercia et s’éloigna rapidement, pressée de partager la nouvelle avec sa famille.

Quant à moi, je restais sur place et la regardais s’éloigner. Il n’y avait jamais eu qu’elle et il n’y aurait jamais qu’elle. Les autres femelles étaient bien pâles face à Hatasa et il était inconcevable que ma descendance ne soit pas également la sienne. Je me promis de ne prendre personne d’autre qu’elle lorsqu’une pensée ironique me traversa l’esprit.

Hatasa. Le désespoir. Elle n’avait jamais aussi bien porté son nom qu’en ce jour…