Il avançait, dans cet environnement hostile et aussi sombre qu’une terre abandonnée de ses Dieux. Le soleil rouge vif explosait dans des volutes sanguines qui s’élargissaient, telles l’effet d’une pierre lancée dans l’eau, dans cet océan de noirceur vide qu’était son support céleste. La terre sous ses pattes était éclairée par l’astre mourant, dont la lueur était aussi maléfique que les ondes qui émanaient de ce sol maudit. Il faisait chaud. Si chaud ! Le pèlerin sentait ses forces l’abandonner, son souffle se couper alors que l’atmosphère-même semblait l’écraser. Il ne fut bientôt plus en mesure de lutter contre ce monde et se laissa choir sous le poids pesait sur ses épaules. Alors c’était donc ça, l’Enfer ?

- Je ne peux pas ! Je ne veux pas ! Gémit-il, enfonçant ses griffes dans le sol, trainant son corps à même ce dernier. Il ne sentait plus ses pattes ! Les seules informations fiables étaient celles que lui renvoyaient ses yeux. Si un sentiment de fatigue et de tristesse extrême l’avait accompagné jusqu’alors, c’est une peur incommensurable qui étreignait son âme, désormais. Un effroi tel qu’il n’en avait jamais ressenti, une terreur si forte qu’elle faisait taire toute autre émotion et paralysait son corps.

Etalé de tout son long dans cette dimension infernale, le lion noir en oublia jusqu’à sa nature, son identité, tout lui échappait ! Etait-il mort ? Vivant ? Fait de chair ? D’où venait-il ?!

Tu es pathétique ! Fit une voix rauque derrière lui. Incapable de bouger, sentant la peur grandir jusqu’à prendre possession de tout, il ne put qu’écouter ce grognement à l’apparence dédoublé, si familier et étranger en même temps. Le noir du ciel s’intensifiait, absorbant la faible lumière du soleil sanglant. Dans un ultime effort, le croyant rassembla ses forces, mais sa tentative de déplacement échoua, il était immobilisé.

- C’est ça, oui ! Rampe devant nous, raclure ! Beugla la chose derrière lui. RAMPE ! Tes Dieux t’ont abandonné ! Ils chient sur les vivants et rigolent de leurs souffrances !

Quel blasphème horrible ! Ceset essayait de ne pas écouter, mais l’immonde gargouillement semblait résider dans sa propre tête.

- Il n’y a pas de paix. Ni en haut, ni en bas !

- Partez ! Hurla le médecin, désespéré. C’est à peine s’il trouvait la force de crier. Autour de lui s’élevait des sons aussi désagréables qu’indescriptibles. Un mélange de hurlements, de grognements, d’animaux déchirant de la viande et mastiquant bruyamment…quelle était cette folie ?! C’était insupportable ! Réunissant ses dernières forces, il pria, faisant fi autant que possible que l’immondice sonore qui grandissait autour de lui. L’exercice était difficile…si seulement il pouvait mourir ! Mais ici, personne ne mourrait !

Il continua à balbutier des prières, encore et encore, de plus en plus fermement, appelant sa déesse de toute sa foi. Il fallait qu’il résiste ! Le prêtre senti le sol trembler sous son corps amorphe. Il ferma les yeux, alors que des larmes vinrent perler le coin de ses yeux…Il fallait continuer d’implorer Sha’Haar ! Avant qu’il ne puisse les rouvrir, un craquement sinistre se fit entendre. Puis, une curieuse sensation envahit son âme. Etait-il en train de tomber ? De voler ? Il ne put en être sûr.

- PARDONEZ MOI POUR MON PÉCHÉ !

A côté de lui, un oiseau apeuré prit son envol. Le croyant, les paupières écartées à leur maximum, décolla sa joue du sol. Avec lenteur, il tourna la tête, visionnant le paysage. Ses pupilles étrécies par la peur balayèrent l’endroit…où était-il ?

La confusion dura plusieurs minutes. Sa longue crinière, collée en partie à son visage, troublait sa vision. Mais tout portait à croire qu’il était dans le marécage ! Tout ceci n’était donc qu’un cauchemar ! Encore !

Ceset se sentait néanmoins affaibli. Une raideur inhabituelle sévissait son corps entier, comme si le noiraud avait été roué de coups. Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre le contrôle de ses membres et se lever. Bon sang ! Pourquoi avait-il si mal ? En y regardant de plus près, le vieux lion se rendit compte qu’une saillie avait été tracée dans le sol. Cette dernière s’arrêtait exactement sur le lieu de son réveil. S’était-il trainé jusqu’ici ?! Sans que personne ne s’en aperçoive ?

La nuit était avancée. Le Général et sa compagne devait être alités…mais comment se faisait-il que les sentinelles ne l’ai pas arrêté ? Quelqu’un l’avait-il trainé délibérément hors de leur vigilance, l’isolant de tout le groupe ? Cette idée paralysa le guérisseur. Il était seul, Son corps, à force d’être trimbalé à même le sol rocheux, était contusionné de toutes parts et couverts de scories en tout genre, rendant ses déplacements difficiles. Mais pire encore : Si un lion malintentionné était à l’origine de ce déplacement étrange, alors Ceset était en danger. Il resta ainsi, pétrifié dans la nuit au beau milieu de cette plaine. Rêvait-il encore ? La peur fut bientôt rejointe de la confusion, alors que les images et les sons de son songe lui revenaient en tête.

Il était à des lustres de se douter que, non loin, quelqu’un l’observait…

Alors qu’il se demandait quelle conduite adopter en cas de mauvaise rencontre, un silence s’était installé, plus pesant à mesure que les secondes s’écoulaient. C’est une voix totalement inconnue qui brisa l’atmosphère, sans pour autant apaiser le prêtre. L’interpellation fit sursauter Ceset qui se tourna immédiatement vers sa source…Un lion ! Un lion énorme ! Bien plus imposant que ce « Banguko », rencontré quelques mois auparavant et même Waban ! En le voyant s’approcher, le noiraud opéra de quelques pas en arrière, ne pouvant retenir une grimace de douleur : Ses blessures lui faisaient atrocement mal ! C’est à peine s’il put bouger de quelques mètres avant d’abandonner et se laisser asseoir, à bout de forces ! Cet immense félin faisait plusieurs fois sa taille. Un seul coup de patte pouvait être fatal. De plus, sa carrure lui aurait permis de trainer le pèlerin sans effort jusqu’à cet endroit !

- Quelqu'un vous a trainé jusqu'ici ?

En observant d’avantage le nouveau venu, le guérisseur remarqua qu’aucune trace de sang ne souillait les babines de son interlocuteur…chose qui, s’il avait été à l’origine du déplacement du prêtre, n’aurait pas manqué de le mettre sur la liste des suspects. Mais, à l’exception de ses pattes couvertes de boue, l’énorme boulle de poil était immaculée. Qui plus est, sa taille phénoménale ne lui aurait guère permis de passer inaperçu dans le marécage, les sentinelles l’aurait rapidement repéré. Cette analyse faite, le croyant put se résoudre à se calmer. Néanmoins, que répondre à cet étranger ? Il perdait la notion de réalité et qui sait ce qui c’était réellement passé durant son sommeil ?

- Oui, oui, je vais bien. Ne vous en faites pas. Répondit l’ancien, sur un ton légèrement exaspéré. Tout ceci l’ennuyait profondément. Je me suis simplement perdu et je suis tombé en arrivant ici.

C’était faux, bien entendu. Et cela était une bien maigre excuse pour justifier la trainée laissée par son corps. Mais le grand gaillard devrait se satisfaire de cela. En tout cas, c’était une occasion de le rassurer et expliquer l’origine de ses égratignures…sans mentionner le clan de Waasi. Qui sait ce que le blanc penserait s’il apprenait que des étrangers blessés résidaient en ces lieux ?

- J’étais à la recherche d’une plante rare, afin de préparer quelques médicaments. Visiblement, elle ne se trouve pas dans ce secteur.

Il serait trop facile pour le géant de suivre le chemin dans le sol et de tomber sur les Waasiens. Ceset devait éloigner ce nordique du clan. Dire que cette partie de la Lande n’avait aucun intérêt détournerait sans doute l’attention du maous. Tant pis, le maigrelet trouverait un moyen de rejoindre les siens en contournant les marécages, quitte à passer par des sentiers tortueux. Hélas, la tâche s’annoncerait pénible en vue de son état lamentable. Et elle s’annonça encore plus rude lorsque le prêtre essaya de se relever : Il retomba sur la terre gluante dans un grondement usé.

- Hem. Finalement, je pense que je vais rester ici.

Voilà qui était fâcheux…

- C'est cela oui.

Ceset était doué dans l’art de guérir, mais pas celui de mentir. Cela se confirma quand le facies de l’inconnu se tordit dans une moue énervée. Qu’allait-il lui faire ? Il était impuissant et effrayé, bien qu’il fit de son mieux pour ne pas le montrer. Il se mit à prier de toute sa foi pour que ce géant blanc ne le tue pas. Qu’avait-il fait ? Venait-il de mettre les exilés en danger ? Pourquoi tout semblait lui en vouloir ? Encore une prouesse du Mal ou la conséquence d’une quelconque folie ? A la peut s’ajoutait l’incompréhension. Il voulait s’enfuir ! Mais ses antérieurs ne répondaient pas, amplifiant sa détresse.

- Je vous ai entendu hurler. Je tenais juste à m'assurer de votre état et vérifier que vous comptiez faire demi-tour avant de franchir la frontière du Nord. Reprit le félin d’ivoire, esquissant un pas vers le prêtre. L’attention de celui-ci avait été happée par les derniers mots de l’étranger. La frontière nord ? Qui y’avait-il là-bas de si intriguant pour qu’elle soit gardée par un tel mastodonte ? Il n’eut guère le temps d’y songer. Déjà, le blanc s’approchait un peu trop de lui, marquant d’avantage leur différence de taille. Permettez que je vous aide ?

Avait-il vraiment le choix ? Le vieux noiraud se retrouva bien mal à l’aise de faire appel à la force d’un inconnu. Mais si un danger prévalait aux frontières du nord, alors se laisser faire était la meilleure des choses. Néanmoins, l’herboriste ne manqua pas de montrer son mal-être.

- Très bien…laissa-t-il tomber, se préparant à être hissé ou tiré. Mais avant toute chose, quel genre de danger abrite le Nord pour que ses frontières soient ainsi gardées ?

Cela était toujours bon à savoir. S’il revenait au camp entier, Ceset ne manquerait pas de faire passer le mot. Qui plus est, si des lions mal intentionnés vivaient par-delà le marécage, alors la raison de son déplacement pouvait être expliquée. Comble des bienfaits ; Converser avec ce géant aiderait peut-être à détendre l’atmosphère.

Les explications du géant eurent l’effet d’un poing dans les côtes. En effet, un terrain si montagneux ne pouvait être un endroit propice à la survie. Néanmoins, Ceset ignorait que la frontière du grand nord soit aussi proche !

Le lion crème s’approcha ensuite, malgré un mouvement de recul de son interlocuteur, il saisit ce dernier et le releva. Une aide non négligeable mais pour le moins désagréable.

- Attention ! Avait grommelé le prêtre, avant que le maous ne lui propose son aide. Force était de constater que le pèlerin ne pouvait pas se déplacer seul. Le vieillissant arrivait à peine à se tenir debout, ses muscles pris de tremblements incontrôlables à chaque tentative de déplacement.

- Je crains de devoir requérir votre aide, en effet. Soupira Ceset. Etait-il en train de mettre les exilés en danger ? Il en doutait de plus en plus…mais mieux valait rester prudent. Après tout, s’il était animé de mauvaises intentions, ce lion lui aurait déjà ouvert la gorge voire pire ! Venez, approchez, hem...à qui ai-je l’honneur, d’ailleurs ?

Le fameux géant se présenta donc, sous le nom de « Maficho ». Il s’avança, pliant son grand corps tout en invitant le blessé à s’y installer, ce qu’il fit sans autre forme de procès. La fourrure blanche était d’une épaisseur telle, que Ceset senti ses pattes s’y enfoncer pour y disparaitre partiellement !

Une fois hissé verticalement sur sa monture, le prêtre daigna répondre à son tour :

- Je m’appelle Ceset, pèlerin et prêtre de Shar’Haar. Il veilla à bien s’accrocher, sans planter ses griffes dans la chair du géant. Je suis un guérisseur en quête d’une herbe capable de remédier à certaines maladies incurables, que l’on ne trouve dans mon pays d’origine.

Inutile de mentionner les exilés. Il craignait encore pour la sécurité du clan.

- Je suis arrivé ici dans l’espoir de la trouver, mes recherches sur les terres de l’est ont été infructueuses… Il laisser s’écouler quelques secondes, le temps de reprendre son souffle. Je sillonne le continent depuis un certain temps, mais je n’ai jamais entendu parler de Nokosis, jusqu’à maintenant. De quoi s’agit-il ?

Peut-être une sorte de sentinelle, en vue de la surveillance des frontières et du contexte de leur rencontre ?

- Je vois…Acquiesça le prêtre, pensif, tandis que son interlocuteur se présentait. Ainsi donc, Maficho était un lion important chez les siens ? Cela était rassurant.

Le géant enchaina avec une question, qui ne manqua pas de surprendre son chargement dans un premier temps. Puis, en observant l’épaisseur de la fourrure blanche, le noiraud se rendit à l’évidence : Bien sûr qu’un tel félin ne pouvait survivre en bas !

Quoi qu’il en soit, Ceset ne pouvait se permettre d’être escorté jusqu’au cœur du clan. En tant que sentinelle, qui sait ce que Maficho pouvait rapporter aux oreilles de ce "Conseil Blanc" ? Bien que le pèlerin fût rassuré par la bienveillance du nordique, il fallait rester prudent.

- Si j’en crois mes souvenirs, il est en pied de montagne, dans la Lande. Je doute que cela soit un terrain adapté pour vous…

D’autant que les premiers rayons commençaient à poindre…Tant pis. Il demanderait à la masse de muscles de le déposer au point le plus éloigné du marécage. L’ancêtre trouverait bien la force de finir le voyage tout seul, même s’il lui faudrait ramper pour cela.