La nuit était tombée depuis peu. La rose avait décidé de prendre congé de Wimbo, laissant le jeune adulte vaquer à ses occupations. Le noir de la pénombre contrastait avec les yeux luisants de la Noble, qui se faufilait à pas de loup entre les hautes herbes. Les brins humides venaient perler sa fourrure, mais Sierra n'en avait cure. A vrai dire, son esprit était préoccupé par les récentes nouvelles d'Aro. Selon la buse, la situation sur les LilaLänder empirait de jours en jours ! Et Harold s’en était retrouvé affecté. L’état de santé du vieux mâle était aussi périlleux que l’enchainement d’évènements qui l’accablait…ces sauvages ! Ils étaient de plus en plus nombreux à se tourner vers le Clergé ! Et ces idiots de religieux leur offraient des soins, du réconfort, grossissant leur rang, encore et encore ! Le peuple aussi donnait ses faveurs à ces naïfs pleins de superstitions ! Quelle idiotie ! Quelle trahison envers leur propre pays !

Sous le coup de la colère, les griffes de la Nobles s’enfonçaient d’avantage dans le sol. Son frère…il devait s’en frotter les pattes, de toute cette histoire !

Un rocher obstruait son passage. Sierra bondit gracieusement à son sommet, découvrant à quelques kilomètres le repère des Freelanders. Hors de question de s’y rendre ! Cependant, elle ne put s’empêcher de repenser au chef des guerriers, Luso, avec qui elle avait échangé quelques "gestes de camaraderie". Cela datait ! Etait-il toujours là ? Si tel était le cas, comment prendrait-il le fait qu’elle soit encore là ? Après tout, ils étaient censés avoir fait leurs adieux, quelques mois en arrière ! A priori, les étrangers n’étaient pas la bienvenue sur ce territoire. Mais Sierra avait l’excuse de voyager en compagnie d’un de leur pseudo-colocataires, si quelqu’un lui posait des questions, elle pourrait se justifier.

Bondissant en bas de la bute rocheuse, afin de rester discrète, la lionne s’accorda une minute de répit. Loin de tout, où elle pouvait ruminer sa colère tout en faisant les cents pas.

« Tss Tss... Je commence à croire que la "tourbière in-civilisée" vous a manqué, madame. » lança-t-il d'un ton faussement hautain. « Ou peut-être vous êtes-vous encore perdue, qui sait ? »

- Tss Tss...

Quand on parle du phacochère... Sierra pu reconnaitre cette voix entre milles. Celle de Luso, le premier sauvage un tant soit peu digne d’attention dans ce fichu pays. Levant ses prunelles de sang, la lionne défigura le chef des guerriers. Celui-ci avait pris place sur le rocher, se couchant à son sommet. Bien qu’ils fussent soi-disant "homologues", il était intolérable pour la Noble d’être surplombé par un tel individu. Néanmoins, l’intervention de Luso fut suffisante pour couper court à ses pensées colériques, sans la décharger de sa mauvaise humeur.

- Je n’ai jamais dit que je ne reviendrais pas ! Répondit-elle du tac au tac.

De la provocation à l’état pur. Cela lui permettait au moins d’oublier les tracas de sa terre natale.

- Mais si vous persistez à vous intéresser à mein personne, c’est que j’ai dû vous manquer… Ajouta la Noble, un sourire en coin.

« Cela dépend des intrus, certains me manquent autant que des puces, et d'autres... »

« Alors ? Quelle est la raison de vitre venue ? Une nouvelle visite guidée du territoire ? »

"Et d’autres..." ? Que devait-elle en conclure. Malgré elle, un rictus vint tordre ses babines.

- Aww, vraiment ? Dit-elle, à la fois sarcastique et taquine.

- Alors ? Quelle est la raison de votre venue ? Une nouvelle visite guidée du territoire ?

Cette soirée promettait d’être ennuyeuse et pleine de tourments. Autant prendre un tant soit peu de bon temps, en compagnie d’un individu ne trainant pas les pattes dans la boue tel un lionceau attardé.

- Humm…Si quelqu’un me fait l’honneur d’être mein guide, alors pourquoi pas ?

Freeland, elle l’avait traversé de long en large avec son élève. Mais elle n’avait jamais dépassé la frontière du pays verdoyant. Aussi, ce curieux rocher au loin attirait son attention. S’il était impraticable en solitaire, peut-être qu’avec un indigène, elle pourrait s’en approcher.

« En contre bas c'est ici que nous vivons en communauté, que nous mangeons, dormons... Que notre roi fait ses annonces... Disons que c'est le centre de la vie active du royaume. »

« Sur vos terres, madame, est-ce un roi qui dirige ? »

Il l’invita, sans mot dire. Son regard seul suffisait à faire comprendre ses intentions. La lionne se joignit à Luso, remarquant la distinction dont celui-ci fit preuve. Au moins, il ne cherchait plus à se coller à elle. Aussi devait-il avoir, enfouit au plus profond de lui, un esprit doué pour l’apprentissage.

Le mâle engagea la conversation. Ce repère était donc la tanière des Freelanders ? Intéressant. Ces roches ressemblaient en tout point aux vestiges de pierre habités par les Nobles.

- Hum. Acquiesça la Lady, pensive. Puis, une question fut posée, lui arrachant un sourire amusé et un peu cruel.

- Oh Gott. Bien sûr que non, voyons ! D’où je viens, la royauté est dépassée. Ce sont les Nobles, qui dirigent nos terres.

Enfin…jusqu’à ce qu’une poignée d’irréductibles esclaves décident de mettre l’ordre établi à feu et à sang, bien sûr.

- Hélas, leur courage est bien limité. En ce moment, les LilaLänder connaissent une crise sans pareille…et tous se rejettent les responsabilités. C’est affligeant ! Gronda-t-elle. J’imagine que chez vous, l’atmosphère est plus tranquille.

Du moins, sur certains points. Après tout, ils avaient bien perdu un prince.

« Je suis peiné de l'admettre mais Freeland ne coule pas des jours tranquilles. » soupira Luso en balayant son territoire du regard. « Le prince héritier est porté disparu depuis presque deux ans et notre reine nous a quitté il y a peu... Le temps est compté avant que notre roi ne la rejoigne et pendant ces jours, Freeland ne connaitra aucun repos. »

« Avez-vous entendu parlé des Mositus ? Ces lions étranges sont venus sur nos terres, accueillis par notre roi. Mais selon moi, cette décision était une erreur. Freeland ne peut pas aider les autres tant que nos soucis persistent. »

Comme elle l’avait prévu, Luso déblatéra sur la disparition de leur prince. D’un côté, la Lady ne supportait pas de feindre l’ignorance d’un tel sujet mais de l’autre, mimer le manque d’information serait efficace pour ne pas la faire passer pour une espionne…ou une suspecte. Après tout, elle avait empiété sur le territoire à deux reprises dont une en dépit des avertissements. Maintenant renseignée sur la hiérarchie et les effectifs du clan –bien qu’en chute libre, d’après les dire du mâle brun–, mieux valait se faire petite, même si il lui restait la carte de la "bonne âme en faveur des Mositus"

D’ailleurs, ce sujet ne tarda pas être abordé :

- Avez-vous entendu parler des Mositus ? Demanda-t-il, arrachant un rictus à la Lady tandis qu’un rire tantôt amusé, tantôt méprisant, se fit entendre entre ses babines. Ces lions étranges sont venus sur nos terres, accueillis par notre roi. Mais selon moi, cette décision était une erreur. Freeland ne peut pas aider les autres tant que nos soucis persistent.

- J’ai eu l’occasion d’en croiser, ja. Des gens dénués de toute éducation…des sauvages, en somme. Je comprends votre inquiétude.

A l’exception de Wimbo, bien entendu.

- L’une d’elle, dont les parents devaient être de la même portée, a essayé de m’attaquer quand elle m’a aperçu au milieu des siens. Ils peuvent bien se plaindre de leurs rivaux du désert, ils ne valent pas mieux !

Elle lui adressa un regard, comme frappée par le détail qu’elle avait omis jusqu’alors :

- Oh, avant que vous ne me demandiez comment j’ai pu me retrouver parmi ces rebuts, sachez que j’en ai pris un sous mein tutelle. C’est sans doute le plus dégourdi de tous, vu qu’il est le seul à se démener pour siene clan ! Doch, saviez-vous que leur chef était mort ?

Au-dessus d’eux, l’orangé de la nuit tombante laissa place à une nuit étoilée, illuminé par sa lune complète. Preuve qu’ils avaient déjà bien avancé.

« Sans vouloir vous manquer de respect, je pense que ces Mositus ne sont pas rattrapables. Leur violence ne fait que prouver nos doutes : des sauvages venus d'une contrée tout aussi sauvage, on ne transforme pas un chameau en gazelle. »

« Mort ? Les siens l'ont exécuté ? Ou bien Prideland ? »

La remarque arracha un rire à Sierra. La métaphore parlait d’elle-même et visiblement, elle n’avait pas été le seul témoin de la dégénérescence de ce clan d’idiots. Pourvu que son élève accepte d’être formé, histoire de remonter le niveau !

- nous verrons cela. Dit-elle distraitement en observant l’horizon.

Le mâle reprit la parole. Cette fois ci, c’est une question qu’il posa. Il visait bien haut dans les suppositions, cela dit.

- Il aurait été logique que ses sujets le dévore ou l’offre en pâture à une divinité impie, mais la vérité ist encore plus hilarante : Il a été tué par des hyènes !

Quel comble pour un lion ! Comment ces créatures de l’enfer avaient pu s’en prendre à un félin ? Cela dit, il ne s’agissait là que d’une boucle logique : Un lion de basse extraction mangé par des animaux de basse extraction.

« Elles sont de plus en plus remuantes celles-là. » siffla le mâle entre ses dents. « Je ne doute pas de leur capacité à tuer un lion, même de haut rang, malgré tout votre information me surprend et me préoccupe. »

« J'envoie des patrouilles chaque jour sur les frontières, surtout celles avec les hyènes. J'ai des informateurs, des lions habiles et avec une excellente ouïe. Mais comment se fait-il que vous me rapportiez une telle nouvelle sans que je ne sois mis au courant auparavant ? »

Le rictus de la lionne se dessina davantage quand les mots de Luso firent écho aux siens. Les hyènes étaient des barbares dont l’extinction serait la bienvenue.
A priori, ce lion-là était bien plus proche d’elle qu’aucun autre en matière d’idéologie. Et c’était fort plaisant ! A croire que, parmi l’océan d’imbéciles dans lequel elle avait navigué jusqu’à maintenant, le mâle brun était l’unique à avoir un tant soit peu la tête sur les épaules…Au moins, elle savait qui chercher si, d’aventure, elle devait retrouver les terres libres.

Le guerrier poursuivit sur une question, qui amusa la dame :

- Je ne me contente pas de rester aux frontières, voilà tout.

Les Terres Libres étaient vastes, même aux abords des montagnes, il était difficile de capter quoi que ce soit sur le territoire voisin. Un voyageur était bien plus informé qu’un lion qui refusait de s’aventurer au-delà de son lopin de terre. Elle espérait que sa remarque sonne suffisamment l’esprit de Luso. Toutefois, le voyage n’était pas le seul argument de Sierra : Elle avait également participé au sauvetage d’un Mositus, blessé par les charognards. Mais ça, il n'avait pas besoin de le savoir.

- Ce n’est pas en restant cloitrer dans son petit jardin qu’on obtient des renseignements, mein lieber. C’est en allant sur le terrain ! Les espions manquent à se point sur Freeland ?

Oh, il devait certainement le savoir. Mais ça n’était pas la procédure mise en œuvre pour l’instant. Et un chef des guerriers mal informé représentait un danger équivalent à une attaque ennemie.

« Des espions sur Freeland, une idée très alléchante mais n'allant pas dans le sens de la politique de notre roi. » fit Luso avec un sifflement agacé.

« Je ne vois que ce que je crois. Je pourrais être un espion... Vous pourriez... m'enseigner ? »

La réponse de Luso amusa la Noble.

- Encore un ahuri qui crois en la bonté des autres ! Commenta-t-elle. Un comportement dangereux qui mettait la stabilité de son royaume en péril. Pas étonnant que ces terres soient victimes d’immigration et de disparitions… Le guerrier semblait désapprouver les agissements de son souverain, vu l’agacement qu’elle pouvait lire sur son museau. A croire qu’en effet, ce brun était le seul à avoir les idées claires. Cela dit, en tant que chef des armées, il devait s’imposer et prendre des initiatives.

Et c’est ce qu’il fit, bien que cela fût amené d’une étrange façon…

- Je ne vois que ce que je crois. Je pourrais être un espion... Vous pourriez... m'enseigner ?

La Lady arqua un sourcil, perplexe. Elle savait être discrète, mais elle n’était pas une espionne ! Néanmoins, l’idée était amusante. Elle fit mine de réfléchir un instant, exagérant son expression dubitative.

- Vous pensez vraiment être la hauteur ? Humm…

Comment pourrait-il surveiller son royaume et s’entrainer avec elle ? D’autant plus que la Dame s’apprêtait à quitter les Terres Libres.

- Très bien ! Dit-elle enfin. Demain, je m’en vais vers les Prideland. Je resterais à la frontière les premiers jours…surprenez moi.

Elle laissait échapper ces mots sur un ton de défi. Il fallait piquer l’égo du guerrier, si elle voulait obtenir quelque chose de lui !

Sur ces paroles, elle adressa un dernier regard au mâle, avant de le distancer. Il était temps pour elle de repartir. Cette deuxième rencontre avec Luso avait bouleversé son opinion du brun. Et l’idée de le retrouver n’était désagréable...en fin de compte…