Aux aurores, la lionne s’était mise en route, un facies las et passablement agacé au visage. En effet, les nouvelles allaient et venaient depuis les LilaLänder, et ces dernières n’étaient pas bonnes. Pas du tout, même ! Aro lui-même avait hésité à faire le bilan de son voyage à Sierra, lorsque ce dernier était revenu de son expédition.

Lors Elias, son père, était mort. Et cela n’était guère du fait d’Harold, l’époux de la Noble, trop occupé à rester cloitré chez lui tel un zèbre privé de ses bourses ! Le vieux mâle se contentait d’observer la dégradation des LilaLänder depuis le trou où il s’était terré, serrant les dents à chaque fois qu’un conflit éclatait un peu trop près de sa tanière. La chambre des Lords se retrouvait donc avec un membre en moins, tandis que le Clergé ne cessait de grossir ses rangs. Pour un peu, la femelle avait voulu quitter la terre des lions, juste pour le plaisir de retrouver son compagnon et lui infliger la gifle qu’il méritait. Il ne respectait pas leur plan ! Il trahissait son pays par lâcheté ! C’était intolérable et misérable ! Les esclaves ne craignaient plus les forces de l’ordre, à présent. Et ces abrutis étaient épaulés par le peuple lui-même !

Tout ceci mit bout à bout, la féroce native des terres violettes ne pouvait qu’en demeurer profondément irritée. Et elle ne s’en cachait pas : Sa face en disait long sur son état d’esprit.

Et son frère…son cher frère devait bien s’en frotter les pattes. Lui qui avait quitté le nid familial pour se consacrer à la "tolérance et l’amour du prochain" …pouha ! Foutaises ! Un vrai repère de couards !

Hélas, La Noble avait également un projet sur le feu : Wimbo. Elle lui avait fait une proposition, suite à quoi, les deux s’étaient séparés afin de le laisser réfléchir. Aujourd’hui, Sierra allait connaitre la réponse du jeune brun. Et mieux valait pour lui qu’il ne la déçoive pas, au même titre que tous ces idiots qui l’entouraient.

Bondissant en haut d’un rocher, la Noble huma l’air. Le vent lui apporta des effluves bien connus. Elle suivit le chemin olfactif jusqu’à la frontière des terres libres, séparée de Prideland par un fleuve. Il fallut quelques minutes à Sierra pour trouver un pont de fortune, des rochers disposés ici et là du bras aqueux. Quand ses coussinets se posèrent sur la berge dorée du glorieux royaume, la guerrière poursuivi sa route. Dans son esprit, les images de sa terre natale en plein déchirement faisait naitre en elle une profonde colère…et une certaine tristesse ou se mêlait une anxiété inexplicable. Si Wimbo refusait son offre, alors la Noble s’en irait.

En parlant du lycaon…alors qu’elle s’approchait d’un arbre, la lionne aux yeux de sang aperçu son apprenti, juché sur ses branches. Où avait-il appris à faire ça ? Elle leva son regard vers lui., haussant un sourcil. Quant à Aro, il vint se poser près du mâle.

- Hem, il serait prudent de la ménager, elle n’a pas eu une semaine reposante. Lui confia l’oiseau à voix basse.

Son intonation laissait présager une bonne nouvelle. Grand bien lui en face. Le jeune brun bondit au pied de l’arbre, se pressant pour la rejoindre.

-Nous voilà enfin partis des Terres Libres. Dans mes souvenirs, Prideland est très intéressante à visiter.

Ça n’était, certes, pas ce qu’elle attendait. Mais à y réfléchir, Wimbo avait raison. A force de progresser sur les terres libres, la lionne s’était lassée, bien que les panoramas de cette partie du pays fussent impressionnants. Et puis, il y avait autre chose. Quelque chose dont elle avait un peu honte… Laisser Luso derrière elle lui avait laissé un pincement au cœur. Aro s’en était peut-être aperçu, mais n’avait rien dit à ce sujet. Néanmoins, la fierté de la Noble s’était empressée de balayer cette troublante vague d’émotion. Elle était de sang royal, pas lui. Et, si elle le désirait, rien ne l’empêchait d’empiéter à nouveau sur son territoire.

- Gut. Affirma-t-elle. Et qu’en est-il de tes réflexions ?

Ils ne partiraient pas avant d’avoir reçu le verdict du jeune adulte. Voyons voir si la Lady avait raison de croire en lui…

- Je m’en pense capable. Si vous m’apprenez le nécessaire. Mon clan peut pas se permettre d’avoir un nouveau Tenzin, quelqu’un qui fuit ses responsabilités dès qu’elles deviennent trop lourdes, ou que la situation part dans tous les sens.

Cette réponse seule suffit à redonner le sourire –ou du moins, un rictus soulagé– à la lionne. C’est exactement ce qu’elle voulait l’entendre dire.

- Mein Gott, tu as déjà réussi la première épreuve : Prendre des initiatives !

Enfin quelqu’un sur qui compter ! Wimbo était bien plus fort qu’il n’y paraissait, raison pour laquelle la Lady avait accepté de le suivre…et de le former.

- La prochaine fois, je t’apprendrai comment t’adresser à un large auditoire. Et aussi, je te dirais les mots à utiliser. Pour convaincre ein peuple, il faut savoir lui parler.

Elle s’enfonça dans l’herbe dorée de la savane, la tête haute. Si elle parvenait à éduquer le jeune mâle à l’art de gouverner, personne ne pourrait lui tenir tête lors des prochaines élections. Ces sauvages de Mositus ne pouvaient que sortir leur derrière de la boue, avec un dirigeant instruit. Qui plus est, cela permettrait à sa mentor d’oublier la situation critique sur ses terres natales…

-Pourquoi pas maintenant ?

Alors ça…C’était une vraie initiative. Qui ne fit que grandir l’estime de la Noble pour le lion brun. S’il était aussi enthousiaste, il allait très vite toucher des sommets ! La suite de sa proposition fut encore plus encourageante.

Elle se tourna vers lui, un large sourire aux babines.

- Tu as bien raison…

Elle s’assit, le dos droit, le regard sérieux. Il était temps de débuter les choses sérieuses. Et pour cela, il convenait de commencer avec exercice de pratique : Comme on l’avait fait pour son père, pour Harold, pour elle. Elle allait donner toutes les clés à Wimbo, pour qu’il réussisse et que ses rivaux ploient sous sa candidature et ses arguments.

- Vas-y, convint moi de te choisir comme chef.

L’interjection du brun ne reçut qu’un hochement de tête en guise de réponse. Oui, oui, il allait devoir lui montrer ce qu’il savait faire, afin qu’elle puisse déterminer où commencer.

Alors il s’affaira. Et cela ne fut pas glorieux…

- Ah diese point, je préfère encore élire ein lionceau ! Commenta la Noble en riant. Puis, se ressaisissant, elle posa ses pattes avant sur les épaules du brun, positionnant ce dernier pour que son corps soit bien droit. Et puis…arrête de t’affaisser comme ein cube de graisse au soleil ! La prestance est sehr importante !

Elle reculant de quelques pas, examinant la posture de Wimbo. Oui, c’était mieux ainsi !

- Il faut croire en tes paroles ! Un bon chef a le pouvoir de persuader n’importe qui, même dans les situations les plus périlleuses. Il faut se montrer assuré, mettre le ton, même quand tu ne crois pas ein mot de ce que tu dis ! Et, surtout : Organiser ses idées !

Elle se rassit, Aro se posant près d’elle.

- On recommence. Convins-moi de te choisir comme chef.

Il s’exécuta à nouveau. Bien que la pose et l’intonation soient meilleures, le discours n’en demeurait pas moins confus. Qui plus est, Wimbo se plaçait bien trop au centre du dialogue. Il ne lui laissait guère le temps de faire ses remarques, emboitant avec une question :

-Mais comment ça, «même quand tu ne crois pas un mot de ce que tu dis ?

Sierra soupira. Elle n’allait pas passer par quatre chemins pour s’expliquer.

- Parfois, il faut savoir mentir pour conserver la sécurité d’ein peuple. C’est comme ça. Un dirigeant a le devoir de garder son clan soudé, même en cas de crise. Sinon, les esprits s’échauffent, et ça devient l’anarchie !

Puis, son expression changea, virant de l’exaspération à un facies sérieux.

- Gut. Tu commences à comprendre. Mais le plus important est de placer ton peuple au centre de tes intérêts : Personne ne veut d’ein président qui ne parle que de lui et ses exploits ! Parle au nom de ton peuple, dis-leur que tu agis pour son bien sans te mettre zu en avant. Fais en sorte de créer de l’unité entre tes sujets.

Cela pourrait également créer de la contrariété chez son élève… Mais il n’avait pas le choix. Pour amener des lions à voter pour soit, il fallait les caresser dans le sens du poil, leur donner l’envie de croire en leur camarade.

Après avoir digéré l’information, Wimbo s’exprima à nouveau. La femelle opina du chef tandis qu’il énumérait les points à aborder. Un sourire se dessinait sur ses babines. Il apprenait si vite !

- Mais si je ne parle jamais de moi, comment je fais pour leur dire que je vaux mieux qu’un autre ?

La réponse ne se fit pas attendre :

- S’ils voient que tu les comprends, ils s’intéresseront à toi tout naturellement. Ton rôle, c’est de soulever des problèmes existants et proposer les solutions. Leur parler de ton périple leur ferait croire que tu cherches à les culpabiliser de votre situation. Il faut mettre toutes tes chances de ton côté ! Parle leur plutôt de tes projets.

Elle inspira, comme pour s'étirer les muscles des flancs.

- "Die vergangenheit ist die vergangenheit", comme on dit chez moi...Une fois au pouvoir, il faut aller de l'avant, pas rester bloqué sur le passé.

En effet, ouvrir des perspectives d'avenir était préférable que rester focalisé sur époque révolue et troublée.

A quoi s’attendait-il ? Bien sûr qu’il en fallait sous la patte ! Diriger des gens était bien plus qu’un jeu de rôle, bien plus qu’une simple expérience ! La lionne craignait que son élève ne se dégonfle, au même titre que ces imbéciles de Lords en vue de leurs responsabilités. Mais celui-ci se plongea dans ses pensées. Il y avait beaucoup à faire, pour arranger ce clan de dégénérés. Wimbo trouverait forcement de quoi redresser la barre. Mais l’implication du jeune mâle redonnait espoir à sa mentor.

Il était fort plaisant de voir que, malgré tout, elle pouvait faire confiance à quelqu’un. Tout compte fait, la compagnie du Mositu était bien plus agréable que celle de ces couards sans motivation et sans courage.

- Je devine déjà que c’est mon exercice suivant ?

- Ja ! Répondit la lionne, tout en se levant. Elle s’ébroua gracieusement. Le vent avait apporté quelques grains de poussière dans sa fourrure rosée. Mais pour l’instant, allons marcher un peu. Cette savane est à mourir d’ennui !

La leçon reprendrait demain, le temps que le brun puisse organiser ses idées. Il avait encore tellement de choses à apprendre… Elle savait pertinemment que, elle aussi avait beaucoup à en tirer de voyager avec ce lion qu’elle considérait autrefois comme un moins que rien.