Je m’ennuyais… Cette sensation ne m’avait pas habitée depuis longtemps mais depuis que mes fils étaient partis en Exil, je ne savais pas quoi faire du temps que je leur accordais avant leur départ. Oh, il y avait toujours Hiari et Lahira mais l’une comme l’autre - bien qu’elles adorent que l’on passe du temps ensemble – grandissaient et consacraient plus de temps à leurs ambitions. Cela ne me dérangeait pas, bien au contraire, mais cela n’enlevait rien au fait que je m’ennuyais.

J’avais beau être l’Impératrice, je n’avais pas plus d’amis que ça. Ceux qui m’approchaient venaient souvent pour me demander mon avis ou plus rarement, pour tenter de se faire une place parmi les personnes importantes. Et à moins que je les en trouve dignes – ce qui était rarement le cas, il fallait bien l’avouer – je les remerciais assez rapidement.

Hassun m’avait avoué ce que l’on pensait des Jangowas en dehors du Désert et c’était pitoyable. Les lions se moquaient de nous et nous, trop occupés à nous vanter d’être les meilleurs guerriers de la Terre des Lions, n’avions absolument rien remarqué. Evidemment, j’en avais parlé avec Kaya et une idée grandiose était ressortie de cette discussion. Nous la mettrons en œuvre d’ici peu et quand bien même cela prendrait du temps, je n’avais aucun doute que cela permettrait à notre Clan de retrouver sa grandeur. Cependant, pour mettre en place notre plan, nous avions besoin de lions talentueux et sur qui nous pourrions être assurées de pouvoir compter.

C’est pourquoi je me retrouvais assise en haut d’une dune, regardant mes sujets. Certains noms avaient été évoqués mais il nous en fallait plus. Je n’étais pas certaine de les trouver mais il était de mon devoir d’essayer. Aucun de ceux sur qui mon regard se posait ne trouvaient grâce à mes yeux, d’où l’ennui qui me gagnait.

Je décidais donc de bouger et plusieurs regards se tournèrent vers moi lorsque je descendis de la dune sur laquelle je me trouvais. Des salutations me parvinrent et je répondis plus par obligation qu’autre chose. Je déambulais parmi les miens et commençais à penser que je ne trouverais pas ce que je cherchais quand mon regard doré fut attiré par du mouvement à la périphérie de mon champ de vision.

Je tournais la tête pour apercevoir un pelage sable terne et une crinière approchant du gris. Je reconnu sans mal leur propriétaire. Légèrement plus âgé que moi, je n’avais jamais vraiment parlé avec lui. J’avais quelque fois joué avec sa sœur lorsque nous étions enfants – et je la comptais encore parmi mes amis aujourd’hui - mais lui ne s’était que rarement mêlé à nous.

Je m’approchais donc, ne cherchant pas à cacher ma présence. Je n’avais pas l’intention de parler de notre projet à ma sœur de cœur et moi mais peut-être ferait-il l’affaire. Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir. J’engageais donc la conversation, commençant par une simple banalité.

Bonjour, Uluthrek.

Pure force maitrisée, sauvage et brutale. Rugissements et grognements entremêlaient. Le vent du désert en son souffle chaud emporte avec lui l’écho d’un entrainement féroce. Tu soupires, tête abaissée sur les traces de tes pas qui progressivement s’effacent sous la brise. Tu halètes bruyamment, la chaleur s’obstinant à te faire déglutir ce trop plein de salive qui te gagne la gueule. Tu t’y résignes, une fois, avant de lever le museau vers le ciel. Étendue bleue, disproportionnée qui lie tous les territoires et tous les êtres. Un soupire s’échappe d’entre tes babines et ces dernières se métamorphosent en un rictus singulier. La situation actuelle du clan te fait doucement rire jaune. Rare sont les lions qui prennent soin d’eux. Rare sont les jangowas qui vivent au rythme du Grand Désert.

Pour toi, cette image de puissants guerriers impitoyables se perd, s’estompe doucement mais surement. Si tu prends le temps de t’entrainer, ce n’est pas uniquement pour le Grand Désert. Non, c’est un état d’esprit, un hommage, une responsabilité envers ton père et ton frère. Quand tu poses les yeux sur ces retours d’exil, un sentiment désagréable, mixant pathétisme et pitié, te choppe la gorge. Etrangle tes mots frustrés. Tu te dis vous n’êtes pas prêt, que vous êtes en réalité bien trop faibles et ignorants. Que tout ce qui vous entoure vous est inconnu et que la vie t’as appris qu’on ne gagne pas un combat sans en connaitre son adversaire.

Mâchonnant à gros crocs cette insatisfaction, tu décides de revenir vers les tiens, ou du moins d’en croiser leur présence. Pattes lasses, tu trainerais presque les griffes si une silhouette ne venait pas se découper sur le haut d’une dune. Devant toi, dans la pente, exposée sous la lumière brute du soleil, l’Impératrice. Tu souris. Sans être forcément des plus impressionnés tu l’observes avec une curiosité que tu croyais avoir laissé en Exil. Hatasa t’a toujours plus ou moins intrigué avec Kaya et ne sont pas rares les fois où tu les a, à plusieurs reprise, lorgné avec intérêt de juvénile. Alors oui tu souris, laissant se dessiner une risette presque nostalgique.

Bonjour, Uluthrek. Lance alors la lionne tandis qu’elle s’approche progressivement de toi. Tu es surpris. Un sourcil s’arque sans honte devant cette salutation qu’elle te jette d’une voix neutre.

Bonjour, Impératrice. Un mouvement de tête, une mini révérence. Un mouvement usé mais respectueux en soit. Que puis-je faire pour vous ?

Alors que je salue mon camarade, je vois qu’un sourcil se lève chez celui-ci, exprimant ainsi son étonnement. Il est vrai que je ne vais que rarement vers mes camarades mais il faut que cela change. Il faut que j’apprenne à les connaître pour savoir qui vaut d’être appelé un véritable enfant du Désert et savoir ainsi sur qui je peux vraiment me fier.

Bonjour, Impératrice. Que puis-je faire pour vous ?

Alors qu’il prononce ses paroles, il effectue un léger mouvement de tête. J’apprécie ce geste et laisse tomber mon habituelle expression neutre pour lui offrir un mince sourire. Elle reprend cependant bien vite sa place tandis que je réfléchis à la réponse que je peux lui donner. Il n’est pas encore temps de lui parler du projet, cependant s’il n’est pas bête – ce qui n’a pas l’air d’être le cas – il soit déjà savoir ce qu’il se passe à nos portes. C’est pourquoi je décide d’être franche.

Peut-être… Tu dois sans doute savoir que nos ancêtres ne sont pas aussi supérieurs qu’ils le pensaient. Ils croyaient avoir exterminés les Mositus mais j’ai récemment appris que ce n’était pas le cas.

Comment avaient-ils pu croire une seule seconde que ces parasites avaient tous été éliminés ? Ils avaient été assez fourbes pour laisser quelques-uns des leurs derrière eux lorsqu’ils étaient venus reprendre l’Oasis. Cela était sûrement un reste de leur ascendance Jangowa. Enfin, toujours était-il que la colère que cela me provoquait était toujours aussi grande. Elle était atténuée par ce que nous projetions mais elle ne partirait définitivement que lorsqu’il n’y aurait plus un seul sang d’encre sur la Terre des Lions.

Et ce n’est pas le pire, non. Le pire, c’est que ces pourritures se baladent impunément à nos frontières sous la protection des Pridelanders.

Mes griffes s’enfoncèrent dans le sable, traçant des sillons de plus en plus profond à mesure que je parlais. Si je gardais une expression neutre, cachant mes sentiments, il était facile de les comprendre rien qu’en regardant comment je maltraitais le sable.

J’aimerais savoir ce que tu ferais si tu en avais la possibilité.

La réponse était on ne peut plus claire pour moi mais je voulais être sûre que nous ne nous étions pas trompé lorsque son nom avait été évoqué lors de notre discussion à Kaya et moi.

Après lui avoir dit ce qu’il se passait en dehors de nos frontières, même si je me doutais qu’il devait déjà le savoir, je guettais sa réaction. Elle n’était pas tout à fait celle à laquelle je m’attendais mais je ne pouvais nier que cela me plut. Ce sourire en disait long sur ce qu’il souhaitait et je savais déjà qu’il serait un candidat pour le groupe.

Non surpris de constater qu’il y a des choses qui, même après des années, n’ont pas changées chez ces couards de sang d’encre.

Un autre grognement s’échappe de la gorge d’Uluthrek, reflet de ces pensées à l’encontre des Mositus. Evidemment, il les hait au plus haut point et je suis satisfaite de voir qu’il existe toujours des lions dignes du Désert parmi mes camarades du même âge que moi. A force de les voir s’enliser dans des valeurs qui ne nous ressemblaient pas, j’avais presque cru que cela n’existait plus. Mais heureusement, ce n’était pas le cas et bientôt, la mentalité des Jangowas redeviendrait celle qui était la nôtre à l’aube de notre Histoire.

Honnêtement et sauf votre respect, Impératrice.

Le lion inclina alors la tête pour appuyer ses dires et je balayasi d’un geste de la patte sa crainte de m’offenser. Je lui avais parlé franchement et j’attendais la même chose de sa part, je l’invitais donc à continuer, chose qu’il fit après s’être redressé.

Cela ferait bien des lunes que je me serais pris au jeu de les traquer pour en finir une bonne fois pour toute. Et ainsi, redorer la terreur autrefois installée de notre peuple.

Voilà une réponse qui a le mérite d’être claire. Et qui étire mes babines dans un sourire satisfait. Bien. Nul doute qu’il ferait un candidat de choix maintenant. Il avait les muscles, cela se voyait. Mais avait-il la tête qu’il fallait pour intégrer le groupe ? J’allais m’en assurer immédiatement.

Très bien. Admettons que je t’autorise à quitter le Désert pour aller traquer ces maudits sang d’encre, comment t’y prendrais-tu ?

De sa réponse allait dépendre sa possible intégration dans le groupe d’élite. Serait-il à la hauteur ? Il me tardait de le savoir.