À peine Sayidi avait-il pointé le bout de son museau ce jour-là que ses frères adoptifs avaient sauté sur l'occasion pour accaparer toute son attention. Si leur discussion commença sur des sujets assez communs, les deux lions lui firent rapidement comprendre qu'ils tenaient à lui montrer une chose soi-disant incroyable. Cela acheva de convaincre Sayidi qu'il y avait bien quelque chose de louche dans cet intérêt soudain que les deux frères avaient témoignés envers lui. Sans compter qu'il avait des responsabilités. Il ne pouvait se permettre s'enfuir avec eux dans la savane. Que ferait-il si l'on venait à avoir besoin de lui et qu'il n'était pas joignable ?

Quand on parle du loup doré. Fedha déboula d'on ne sait trop où pour lui signaler qu'une lionne Mositu voulait le voir, qu'elle l'attendait au repère des Gardiens. Si par le passé, l'idée d'un tête-à-tête avec un Mositu aurait pu le faire craquer, ce n'était plus le cas à présent. Il avait l'esprit libre, ses démons ayant de plus en plus de mal à lui dicter son comportement grâce aux thérapies offertes par Tan Diel. Il se sentait enfin comme lui-même, s'appartenait entièrement, était maître de ses actions. Soulagé à l'idée d'avoir une véritable excuse pour laisser ses frères adoptifs et leurs plans embêtants de côtés, Sayidi se précipita presque en se rendant sur les lieux.

Cependant, il avait été loin de s'attendre au félin qu'il trouva là. Un seul coup d’œil, une seule inspiration de l'odeur ambiante, lui suffirent pour savoir à qui il avait affaire. Adana. Il n'avait pas exactement de bons souvenirs de leur dernier échange. Sans compter que l'expression qu'elle affichait ne présageait rien de bon. Ce fut donc avec une mine sombre qu'il s'approcha d'elle.

« On m'a dit que tu voulais me voir ? »

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Adana ne tourna pas longtemps autour de la proie. Elle plongea même directement dans le cœur du sujet, du moins, en apparence. Et cela arrangeait Sayidi, car les longues introductions n'avaient jamais été son fort. Cependant, cela signifiait également qu'il risquait d'être libéré plus tôt, et que ses frères adoptifs pourraient retenter de l'accaparer. Un frisson parcourut son échine. Adana lui posa alors des questions à propos de Kutoa, sans grande surprise. Après tout, ce vieux lion avait été partiellement au centre de leur dernière conversation. Malgré tout, Sayidi ne pouvait cacher sa curiosité. Comment se faisait-il qu'elle pensât encore à ce vieux félin ? Lui-même avait plus ou moins réussi à laisser de côté l'existence de ce lion dans sa vie de tous les jours. Enfin, elle pourrait défendre son cas en déclarant que Kutoa n'était pas non plus constamment dans son esprit. Sayidi haussa les épaules, plus pour lui-même que pour autre chose, puis s'assit avant de répondre calmement :

« Autant te le dire tout de suite, je ne l'ai pas espionné. Mais j'ai effectivement eu l'occasion de demander à des herbivores et autres oiseaux comment il se portait. Et apparemment, il avait l'air heureux, pas spécialement dangereux comparé à d'autres Outlanders. »

Sayidi plissa alors les yeux. Quelque chose dans la posture, l'expression, l'aura même, que la lionne dégageait l'inquiétait. Il s'agissait du genre de comportement auquel il devait faire attention, en tant que Gardien. Après tout, c'étaient souvent ces animaux-là qui se révélaient dangereux pour le cycle de la vie.

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Sayidi se tendit légèrement lorsqu’il vit les griffes d’Adana se plonger dans la terre sèche. Il leva alors les yeux et découvrit sans surprise son expression d’exaspération confuse. Leurs regards se croisèrent. Un léger silence, puis elle lui commanda dans un soupir d’arrêter de la dévisager ainsi. Cependant, le jeune mâle ne savait pas s’il en avait véritablement envie. Le comportement de la lionne était louche, et peut-être bien qu’il aurait besoin du soutien d’un autre Gardien à ses côtés.

Elle lâcha alors le morceau et Sayidi écarquilla les yeux de surprise. Kutoa avait encore frappé ? M-Mais, on lui avait qu’il se portait bien, qu’il n’avait aucune raison de faire preuve de violence ? Et puis, à son âge ? Attaquer, non. Tuer le père d’Adana ? Cela semblait presque trop gros. Et pourtant. Sayidi avait pu vivre, voir de ses propres yeux la folie de son père biologique. Un nouveau frisson le secoua. Cette réaction paraissait décidément de mise, avec cette Mositu. Cependant, Sayidi ne manqua pas de noter la façon dont elle avait formulé sa révélation : « il doit payer désormais ». Le cours que prenait la conversation ne plaisait pas au jeune lion.

Et Adana chercha alors à se justifier, confirmant par là le fait qu’elle comptait bien accomplir une vengeance et un assassinat par elle-même. Si Sayidi ne sut trop qu’en penser aux premiers abords, un sentiment comme jamais il n’en avait ressenti auparavant, mêlant colère, effarement et aversion, le saisit sans attendre lorsqu’il prit pleinement conscience des implications de la situation. Il n’arrivait pas à croire cette Mositu. À croire que cette histoire de peuple pacifiste n’était qu’un beau lit de mensonge. Ce fut à son tour de froncer les sourcils, de tendre davantage ses muscles. Une tension de nature nouvelle se créa dans l’air. Intenable, Sayidi se leva et se mit à faire les cent pas devant la lionne, crachant au passage des murmures outrés :

« J-Je n'arrive pas à croire ce que tu me demandes. »

Il s’arrêta brusquement le temps d’imiter les paroles d’Adana « je ne te demande pas de m'aider à le tuer », avant de recommencer à tourner en rond. Il y avait quelque chose de déstabilisant dans sa façon d'exprimer sa colère. Ce n'était pas des explosions de fureur incontrôlée comme son père, non, mais des mouvements saccadés, une respiration accélérée, une voix cassée et à moitié murmurée, comme s'il se trouvait incapable d’extérioriser son aigreur comme la plupart des lions, par des cris ou des coups. Un rire vide de toute joie s'échappa alors de ses babines, témoignage de son ébahissement quant à la situation.

« La bonne blague. Comme si te donner des informations ne consistait pas déjà à faire de moi un complice de meurtre ! »

Il s’arrêta de nouveau, se tourna d’un bond vers Adana, la regarda droit dans les yeux. Une lueur révoltée assombrissait le regard habituellement doux du mâle. Ses paroles, soufflées, comme si ses poumons ne parvenaient plus à remplir leur fonction, laissaient transparaître son effarement.

« Tu sais que mon rôle est de protéger les vies. Toutes les vies, même les plus ignobles. Et non, ne me ressors pas tes arguments de la dernière fois. »

Sayidi ferma les yeux. Il devait se calmer, ou la situation risquait de dérailler sur une conversation de sourds. Il expira. Ce fut avec des yeux gardés fermés qu’il ajouta, plus posément, comme s’il s’adressait à un individu particulièrement récalcitrant :

« Il existe d’autres moyens. Le meurtre n’est pas une solution. Assassiner Kutoa ne ferait que prolonger le cycle de la haine. Et puis, il est vieux, la vieillesse ne tardera pas à réclamer son dû. »

Il rouvrit les yeux et, cette fois-là, toute trace de colère avait laissé place à de la peine, de l’inquiétude. Sa voix fut plus douce lorsqu’il demanda :

« Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? Ton action pourrait te hanter toute ta vie. Pourras-tu regarder ta famille dans les yeux en te sachant meurtrière ? »

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Sayidi parle en #ad5223

La mine de Sayidi se mua en surprise face aux aveux de la Mositu. Adana s'en était doutee, maintenant elle savait que les Gardiens avaient sous-estimer la folie de Kutoa. Contrairement à d'habitude, la féline s'épargna de critiquer quiconque puisque, elle n'en avait pas tellement envie aujourd'hui, et puis elle attendait toujours l'aide de Sayidi. Serait-il de son côté encore une fois ? Elle se mit à douter en le voyant froncer les sourcils et tendre ses muscles. Il y avait comme une ambiance tendue qui s'immiscait entre eux. La tache serait ardue, de toute évidence. Prête à essuyer une quelconque attaque physique ou verbale, la demoiselle sombre tendit ses muscles et fixa le lion a la crinière rousse, jugeant ses actions avec attention.

《 J-Je n'arrive pas à croire ce que tu me demandes. 》 cracha-t-il, indigné.

Elle haussa un sourcil, sans lui répondre. Elle le regarda faire les cents pas, tourner en rond, puis imiter ce qu'elle avait dit "je ne te demande pas de m'aider à le tuer". Avait-elle bien fait de tout lui dire ? Entre la respiration saccadée, les murmures et la voix cassée que lui faisaient subir le fils de Kutoa, elle commençait à croire qu'elle avait commis sa première bêtise d'apprentie tueuse. Elle n'avait pas mesurer ses propos. La situation aurait-elle pu se dérouler autrement si elle l'avait fait ? Non. Dès le départ, elle avait manifesté de la tension et incapable de mentir qu'elle était, Sayidi aurait fini par comprendre qu'il y avait anguille sous roche. Les cartes étaient posées. Elle allait devoir gérer la situation du mieux qu'elle le pouvait.

《 La bonne blague. Comme si te donner des informations ne constitait pas déjà à faire de moi un complice de meurtre ! 》

Sayidi poussa un rire tout sauf amusé. Trahissant bel et bien son indignation vis à vis de la situation. Il se tourna brusquement vers la femelle à masque, plongeant ses yeux dans les siens. Une lueur comme révoltée y brillait. Effarée.

《 Tu sais que mon rôle est de protéger les vies. Toutes les vies, même les plus ignobles. Et non, ne me ressors pas tes arguments de la dernière fois. 》

La fille de Kimirua retint un grognement, réfléchissant d'ors et d'avance à sa prochaine réplique. Peut-être aurait-il préféré qu'elle lui mente ? Qu'elle feigne un intérêt hypocrite pour Outland ? Pour qu'au final, il apprenne qu'il a été indirectement complice du meurtre de Kutoa ? Sayidi l'aurait bien mérité. Mais quelque part, elle ne pouvait pas lui en vouloir. Il était bien trop heureux, parmi ces Gardiens qui ne le rejetaient pas et se servaient de lui comme larbin afin de sauver la veuve et l'orphelin. Avaient-ils au moins servi à quelque chose depuis son arrivée à Prideland ? Pas tellement. Ou alors elle n'avait pas prêté attention aux nouvelles. Ils se prétendaient protecteurs de la Terre des Lions, mais ils n'avaient pas réussi à protéger les Outlanders d'une invasion. Ils auraient dû entendre parler de Vita depuis le temps mais ce dernier continuait de vadrouiller au sein du royaume - quoique prudemment - sans que personne ne lui dise quelque chose. Il y a quelques jours de cela, son père avait été tué par un criminel et voilà que Sayidi était indigné à l'idée qu'elle fasse justice elle-même. En quoi était-ce mal de vouloir punir un criminel de ses actes ? Quelle bande de lâches, ces gardiens.
Les yeux fermés mais la voix posée, Sayidi enchaîna :

《 Il existe d'autres moyens. Le meurtre n'est pas une solution. Assassiner Kutoa ne ferait que prolonger le cycle de la haine. Et puis, il est vieux, la vieillesse ne tardera pas à réclamer son dû. 》

C'était au tour de la lionne de s'indigner des propos de son cadet. Comme si elle allait laisser la vieillesse lui prendre sa victime aussi facilement ! Une mort sans souffrance, c'était le plus beau des cadeaux pour le pire des scelerats comme lui. Si le meurtre n'était pas la bonne solution, alors que ferait-elle ? Elle irait voir Kutoa pour lui faire la leçon ? Lui dire qu'il était un très vilain vieillard ? Qu'il avait mal fait son boulot, en laissant le cadavre de son père en plein dans la Lande ? Un sourire méprisant se dessina sur ses babines. Sayidi rouvrit les yeux, cette fois-ci la colère semblait être retombée. Inquiet et triste, il s'enquit d'une voix douce :

《 Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? Ton action pourrait te hanter toute ta vie. Pourras-tu regarder ta famille dans les yeux en te sachant meurtrière ? 》

Sachant que le félin a la crinière rousse semblait plus posé que précédemment, Adana s'en fit une raison pour ne pas s'énerver davantage elle aussi. Elle perdit son sourire et devisagea durement le gardien, la mine sérieuse.

《 Tu ne comprends pas ce que je ressens, Sayidi. Aujourd'hui tu es heureux dans ta vie, tu as un entourage aimant et la vie que tu désires mener. Mais que feras-tu le jour où un groupe de lions attaquera Prideland et t'arrachera ce que tu aimes le plus ? Tu raisonneras comme aujourd'hui ? Devant les cadavres des Gardiens et de tes proches, tu te diras que les venger prolongera la haine de leurs assassins et qu'il est mieux d'attendre que la vieillesse les punisse à ta place ? Que tu es un Gardien et que tu dois donc respecter ton devoir au détriment de ta peine et protéger les vies les plus ignobles comme celles qui ont fait du mal à ton entourage ? C'est comme ça que tu aurais réagis ? Sinon j'aimerais bien connaître ta version des faits. 》

Plus elle y songeait, à cette souffrance, plus elle réalisait que sa colère vis-à-vis de la situation était bien minime. Elle l'avait aimé, son père, malgré tous leurs désaccords. Mais comment aurait-elle réagi si cela avait été son compagnon rouge à sa place ? Son coeur se mit à s'agiter sous la nervosité. Et si c'était Vita qui avait été tué ... comment aurait elle pu vivre en sachant son meurtrier encore vivant et peut-être heureux sur Outland ?

《 Cette personne que je souhaite venger, ce n'était pas n'importe qui. Je te le rappelle, c'était mon père Sayidi. J'ai toujours essayé de fuir son autorité et ses interdits mais il demeurait un Mositu loyal et bienveillant envers ses proches. Il ne méritait pas de mourir ainsi. Tu penses que Kutoa s'en est fait la réflexion quand il lui a pris la vie ? Non. Je suis sûr que non. Il n'a pas dû songé au fait qu'il avait également une famille qui l'aimait et qui vit désormais un calvaire par sa faute. Pourquoi aurait il droit au bonheur s'il gâche celui des autres ? 》

Paradoxalement, c'était une vraie injustice. La pire des choses qu'elle pourrait faire, c'était laisser Kutoa tranquille. Laisser un criminel vivre heureux malgré ses actes. Mais elle savait que si elle échouait sur Outland, elle mourrait et aggraverait la peine de sa mère. Cela dit, elle préféra passer sous silence ce détail, trop têtue pour abandonner son idée.

《 S'il faut que je me fasse passer pour une meurtrière pour faire régner la justice, alors je le ferais. Depuis la mort de mon père, ma mère ne s'étonne plus de rien. Savoir sa fille meurtrière ne la fera pas tomber plus bas. Je peux être égoïste et je le vis très bien. 》Dans un soupir, elle tenta de détendre sa nervosité naissante.《 Que ferais-tu, toi ? Quelle autre solution pourrais-je adopter à part le réduire en cendres ? 》

Même si au fond, elle ne comptait pas renoncer à sa mort. Tant pis. Elle trouverait une personne moins sensible aux valeurs morales et surtout plus proche d'elle pour établir un plan de vengeance contre Kutoa. Le tout était d'éviter que Sayidi sonne l'alerte jusqu'à Outland pour empêcher la lionne de tuer Kutoa. S'il continuait à brandir ses valeurs de gardien de la sorte, elle n'aurait pas le choix. Il n'avait pas le profil d'un bon allié.



HRP:

Crédits : Kuona.
Adana se rebelle en SeaGreen.

Amon conseille en GoldenRod.
Imani s'émerveille en Orchid.
Asani se rebelle en LightSlateGray.
Kito panique en #000000

Sayidi écoutait Adana, emmagasinait ses paroles afin de pouvoir y réfléchir. Il n’attendait que d’être convaincu ; parce que malgré les apparences, il haïssait Kutoa, parce que ce lion méritait effectivement une mort indigne, parce qu’au fond de lui, Sayidi ne souhaitait pas que sa morale face obstacle à ce qui pourrait être qualifié de justice.

Il écoutait donc. Elle parla beaucoup, l’accusa de ne pas la comprendre, de ne pas avoir été dans sa situation. Elle avait certainement raison. Et pourtant. Et pourtant, lorsqu’elle proposa l’ébauche d’un scénario catastrophe, Sayidi eut le fervent sentiment d’avoir déjà connu une situation similaire. Un félin arrachant la vie à tout ce qu’il possédait de plus cher ; Kutoa tuant Hofu. Un groupe de lions faisant de sa vie un enfer ; son enfance chez les Mositus. Djailli, son sauveur, son modèle, qui les avait soudainement abandonnés du jour au lendemain. Sayidi n’avait cherché à poursuivre aucun d’entre eux, et peut-être bien que cela résumait sa personnalité. Passif, lâche, un bon à rien qui ne savait pas prendre de décisions. Au moins, il en avait conscience. Sans doute, le comportement d’Adana face au drame qui la touchait correspondait plus à une réaction classique.

Elle évoqua alors son père, parla un peu de lui, et Sayidi se sentit comme transporté de tristesse, comme s’il était un être empathique. Ou alors, était-ce de la pitié ? Il n’avait jamais été bon pour donner des noms à ce qu’il ressentait. Dans tous les cas, Adana semblait avoir été attachée à son père, et cela semblait être la chose naturelle. Cette situation rendait le crime de Kutoa impardonnable. Surtout, cela montrait que chacune des actions de ce meurtrier avait certainement eu plus de répercussions que ce qu’il aurait pu croire aux premiers abords. Laisser sa mère biologique seule, tuer Hofu, tuer Athar. Combien de vies avaient été à jamais changé ainsi ? Et encore, il ne s’agissait là que des atrocités dont l’apprenti était au courant. Qui sait qu’elles autres horreurs le vieillard avaient pu commettre ! Se sentant un peu étourdi, Sayidi s’assit.

Adana lui avoua alors qu’elle était prête à sacrifier son intégrité pour apporter la justice, et si l’on en oubliait les implications, Sayidi aurait été ouvertement admiratif. Elle soupira. Il pointa les oreilles en avant. Elle lui demanda son avis, sans surprise. Le rouquin se dandina légèrement, hésitait. Finalement, il se lança dans un soupir :

« À vrai dire, je ne sais pas trop. Ou si… Mais la réponse risquerait de ne pas te plaire. Contrairement à ce que tu as l’air de croire, j’ai été dans de nombreuses situations similaires à ce que tu racontes. Kutoa a tué mon parrain, qui était comme un père pour moi. Et… Je n’ai rien fait. Voilà ta réponse : rien. Et pourtant, je sais que ce n’est pas la solution. »

Il marqua une pause. À vrai dire, il ne possédait pas de solution miracle. Chez les Gardiens, lorsqu’il y avait un conflit quelconque, ils se retrouvaient tous ensemble pour discuter. Sans doute, leur manque de réaction venait de là, mais comment y remédier ? En faisant en sorte que chacun agît comme bon lui semble ? Ils étaient un groupe, une équipe, ils ne pouvaient se permettre d’intervenir séparément. Bref. Le fait était que Sayidi n’était pas en mesure de conseiller Adana. Il avoua donc :

« H-Honnêtement, je ne saurais pas te conseiller. Habituellement, quand un criminel appartient à un clan, on l’exile, mais là… Je ne pense pas que ce sera efficace, étant donné que les Outlanders actuels sont d'anciens exilés. »

Finalement, peut-être bien qu’il ferait mieux de donner à Adana ce qu’elle voulait : des informations, vraies comme fausses. S’il n’était pas vraiment convaincu des bienfaits de l’expédition qu’elle entreprendrait, au moins, il offrirait quelque chose à la Mositu. Et puis, rien ne garantissait qu’elle réussît.

« À vrai dire, je ne sais pas grand-chose d’Outland. Tu ne le sais peut-être pas, mais ce royaume ne nous a toujours pas donné de Gardien. Dès lors, nous n’avons pas vraiment le droit de veiller sur leur territoire. Tout ce que je sais, c’est qu’ils ont tendance à traîner sur le territoire le soir ou la nuit, car il y fait plus frais que de jour. Kutoa est certainement du genre à suivre cette mode. Cependant, cela veut également dire que d’autres pourraient te surprendre. »

Bon, peut-être bien qu’en vérité, il en savait plus. Toutefois, sa morale le bloquait et l’empêchait de rentrer plus en précisions. Au moins, ainsi, Sayidi ne mentait pas et ne mettait techniquement la vie d’aucun individu en danger.

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Sayidi regrettait déjà d'avoir ouvert la gueule. Le voilà qui se trouvait complice d'un possible crime, d'un meurtre. Sa gorge se noua, sa respiration devint difficile. Il se sentait nauséeux, étourdi. Il devrait se coucher, afin d'éviter de se faire mal s'il venait véritablement à tomber. Toutefois, il se força à tenir bon, à aller contre son corps malgré les protestations, car Adana se trouvait toujours en face de lui et ne semblait guère encline à le laisser sans ajouter quelques commentaires. Elle l'interrogea, avec ce ton réprobateur qui faisait sa signature et hérissait le poil du jeune mâle, car il lui rappelait bien trop Maafa et sa clique.

Adana, sans doute lassée, lui fit alors comprendre qu'elle partirait sans attendre davantage. Un poids s'enleva aussitôt, et Sayidi se sentit respirer plus facilement. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de détester cette réponse corporelle, car elle lui paraissait déplacée au vu de la situation. Il ne devrait pas laisser la lionne partir si facilement, céder à ses caprices de fille gâtée et égoïste. Il devrait persévérer dans sa morale, chercher à la convaincre d'abandonner sa vengeance. Pour une fois dans sa vie, il devrait se battre pour ce qu'il pensait être juste ! Pour briser le cycle de la haine, parce que les blessures cicatrisaient, laissant une marque indélébile mais exempte de douleur. Parce que pour détruire ce cercle vicieux, le pardon et la compréhension sont la clé. Kutoa allait mourir, la nature ferait son travail, et le réseau de haine qu'il avait construit sur son passage serait anéanti.

Pourtant, Sayidi doutait. Peut-être avait-il tort de penser ainsi. Peut-être bien que sa morale ne valût rien, car inapplicable. Peut-être que les circonstances de sa vie auraient été différentes s'il avait été moins passif, s'il avait répliqué aux harcèlements des jeunes Mositus, s'il n'avait pas abandonné Hofu à son sort, s'il avait empêché Djailli de partir.

Adana le laissa en proie à ses doutes, disparaissant dans l'obscurité de la nuit, mais pas avant de lui avoir déclaré qu'elle songerait à ses paroles. Cependant, pouvait-il réellement lui faire confiance ? De ce qu'il avait pu voir, elle semblait franche, manquait de tact même, mais cela n'empêchait pas le mensonge. Néanmoins, Sayidi était fatigué de ce genre de fatigue que l'on ressentait au profond de son être, à travers ses os. C'était son âme qui s'épuisait et, malgré son âge, il sentait tel un vieillard qui avait tout vécu.

Il souffrait d'une culpabilité qu'il haïssait, trouvait bête et stupide. Pourquoi se sentait-il coupable de condamner un meurtrier au sort qu'il avait réservé à d'autres ? À moins que, peut-être, il craignait la responsabilité de potentiellement délivrer Adana à une mort tragique. Il ne saurait sans doute jamais, et ne souhaitait pas le savoir. Il préférait rester dans ces limbes d'incertitudes où chaque éventualité pouvait éventuellement arriver. Ainsi, il pouvait croire en une réalité dans laquelle Adana avait renoncé à sa vengeance et où Kutoa avait trouvé une mort baignée de souffrance par l'action de la nature.

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