Plus de gerbilles. Enyeto avait passé ses dernières semaines à leur courir après dans le but de se nourrir mais surtout d'aider sa grand-mère blessée cependant, à force de les traquer, les gerbilles avaient fini par quitter leur nid. Il n'y en avait plus ou du moins le lionceau n'avait pas encore trouvé leur nouvelle cachette. C'était pénible. La patte de Shaba prenait beaucoup de temps à guérir, sûrement en raison de son âge, et cela inquiétait son petit-fils. Il avait beau faire tous les efforts du monde pour prendre soin d'elle, s'il n'y avait plus de gerbilles alors il ne pouvait plus la nourrir, aussi maigre la proie était-elle. C'était une fierté personnelle de prendre soin de sa grand-mère et quand bien même l'aide du clan était primordial, il voulait être celui qui brillait le plus à ses yeux.

Enyeto arpentait les divers zones où avaient pu trouver refuge les gerbilles mais ses recherches ne donnaient rien. Ces chipies étaient bien cachées. Alors qu'il grommelait de mécontentement, le lionceau aperçu au loin l'ombre d'une lionne rouge. Tasa, la cheffe du groupe de chasse. Ni une ni deux, le lionceau se lança à sa poursuite.

« Tasa ! Attends-moi ! »

Ils ne s'étaient jamais vraiment parlé mais ici tout le monde connaissait la lionne que ce soit par son lien de parenté avec Wanji, son apparence atypique ou plus simplement son nouveau rôle au sein du clan. Il n'avait aucun préjugé envers elle, il n'avait pas connu son père bien que sa réputation le précédait au-delà de la mort et son physique ne le dérangeait pas, c'était plutôt attrayant. Arrivant à sa hauteur, le lionceau un brin manipulateur afficha une tête d'ange.

« Tu t'en va chasser ? Je peux venir avec toi ? »

Tasa s'en allait peut-être à d'autres occupations mais étant la cheffe de chasse, il semblait logique au lionceau qu'elle s'en aille trimer à cette tâche. Les lions du clan avaient faim et Tasa avait une lourde responsabilité. Il ne pourrait probablement pas l'aider à chasser mais au moins saurait-il où trouver de la nourriture pour sa grand-mère. Peut-être savait-elle où étaient parties les gerbilles.

Tasa semblait hésiter, peu convaincue par l'idée d'emmener un lionceau chasser avec elle. Il était vrai qu'Enyeto n'avait pas de talent particulier mais il pouvait apprendre, peut-être y aurait-il même des proies adaptées à sa force ou alors c'était une autre mesure qui faisait pencher la balance. Soucieux d'accentuer ses chances, le petit lion accentuait son sourire d'ange au possible mais celui-ci sonnait de plus en plus faux. Consciente des manœuvres du lionceau, Tasa marmonna quelques mots pour elle-même avant de capituler un brin agacée. Oh. Il ferait mieux de se tenir à carreaux avec elle.

« Oui oui, c'est compris ! » répondit-il dans un sourire plus franc, soulagé d'avoir remporté cette bataille. Mais sans même écouter ses mots, Tasa tourna les talons et s'élança vers le champ herbeux. « Hé, attends- moi ! »

Essayait-elle de le semer ? Ah ça, elle n'y arriverait pas ! Enyeto prit ses pattes à son et s'élança à la poursuite de la lionne. Ses foulées étaient bien moins denses que celles de la guerrière et il trébucha plusieurs fois dans sa course endiablée. Heureusement qu'il ne pouvait pas perdre Tasa au milieu de la végétation, un pelage aussi rougeoyant que le sien était facilement repérable. Il arriva quelques temps après elle, bien essoufflé par sa course.

Entre deux souffles saccadés, le lionceau parvint à articuler :

« T'aurais pu m'attendre , j'ai pas ... » Il prit une grande inspiration. « ... d'aussi grandes pattes que toi ! »

Il lui jeta un petit regard grognon puis s'assit dans l'herbe pour reprendre son souffle. Très concentré sur sa respiration, Enyeto reprit du poil de la bête en un rien de temps. Il ne voulait pas paraître faible devant une fille même si celle-ci était adulte. Son souffle stabilisé, le lionceau prêta davantage attention à la lionne qui humait l'air en quête de proie environnante. Il fit de même, espérant saisir une effluve mais il n'avait guère connaissance de l'odeur des proies autres celle des gerbilles ou du moins lorsque celles-ci étaient encore vivantes. Les lionnes ne ramenaient jamais de proie vivante, seulement des carcasses, et l'odeur du sang prenait vite le pas sur celle de la vie. Peut-être devraient-elles les ramener vivantes tiens, pour que les jeunes s'entraînent à chasser sous leur regard instructeur. Enfin, c'était un autre débat.

« Tu sens quelque chose ? » demandait-il d'un ton bas pour ne pas trop perturber la concentration de la lionne quoique le simple fait de parler devait la perturber.

A défaut de sentir quoi que ce soit, Enyeto se dressa sur un petit rocher à portée de pattes et inspecta les environs. Pas l'ombre d'une gazelle. Il plissa les yeux. Toujours rien. Ils allaient sûrement devoir courir lorsque Tasa sentirait une effluve. Pas question qu'elle le laisse derrière cette fois, il se tenait prêt !

A la question innocente du lionceau, Tasa répondit par un grognement. Enyeto fit la moue. Très bien il avait comprit, il ne parlerait plus. C'était pas très fun comme activité. Pour tuer le temps tandis que la lionne flairait les environs, Enyeto grattait la terre sèche pour dessiner des petites formes. Son dessin ne ressemblait à rien. Il gribouilla tout d'un coup de griffe. Il s'ennuyait. Il observa alors Tasa qui s'était allongée, le vent battant contre son poitrail. Qu'est-ce qu'elle faisait ? Délaissant ses gribouillis, il inspectait la position de la féline et ce qu'elle faisait. Elle humait toujours l'air quand soudain, ses oreilles frémirent. Il comprit alors que c'était une façon de sentir les proies sans qu'elles ne sentent venir le chasseur. Ingénieux. Il conserva cette information dans un coin de sa tête.

Tasa semblait donc avoir repérer quelque chose, son corps s'agitait dans une direction précise. Avait-elle senti ou entendu quelque chose ? Bon élève quand il le souhaitait, Enyeto vint s'allonger à côté de la lionne et copia minutieusement son attitude, que ce soit par le levée du menton jusqu'à la posture de sa queue. Peut-être tout était lié mais lui ne sentait toujours rien. Pourtant, ce n'était pas le museau de la lionne qui s'agitait mais ses oreilles. Très concentré, le lionceau fit le vide dans sa tête et se focalisa sur le bruit de la savane mais son instinct de chasseur n'était pas encore assez développé pour entendre les mêmes choses que la lionne expérimentée. Ce n'était qu'un petit bruit lointain qu'il était incapable de distinguer convenablement. La lionne rouge l'interpella, lui confiant que quelque chose rôdait et qu'elle devait voir ça de plus près.

« A ton avis, qu'est-ce que ... » Il ravala ses mots aussi vite qu'il les avait prononcé. Tasa gronderait sûrement sur lui s'il osait parler de nouveau. Tché.

Mimant toujours chaque fait et geste de la lionne, Enyeto la suivait au grain près. A défaut d'être aussi compétent qu'elle, il pouvait au moins apprendre de sa technique. Tasa était toujours aussi concentré dans son flair pour localiser la proie qu'elle avait vaguement entendu mais ses yeux semblaient rester aveugles. Qu'est-ce que c'était comme bête ? Il aurait bien aimé lui demander mais Tasa risquait encore de l'enguirlander. Un peu fâché d'être réduit au silence par la lionne, Enyeto se concentrait pour marcher comme elle. Il ne la regardait plus, se focalisant uniquement sur ses pas souples et silencieux. Il y arrivait plutôt bien. Il chercha Tasa du regard pour lui montrer combien il excellait dans l'art de la marche silencieuse mais ne la trouva pas.

« Tasa ? » murmura-t-il.

L'incendie marquait encore la plaine et les pousses de plantes demeuraient maigre mais suffisantes pour dissimuler un lionceau de son gabarit. Un bruissement d'herbe. Ah, ça devait être Tasa ! Il se dressa sur ses pattes pour surmonter les herbes mais à défaut de découvrir un pelage sombre, deux cornes lui faisaient face. Hein ?! Il observa la créature qui broutait paisiblement sans se douter de la présence du petit félin à quelques mètres d'elle. Mais qu'est-ce que c'était ? Enyeto n'avait jamais vu de gnou et ignorer qu'il s'agissait d'un de ces herbivores mais ce qu'il comprit tout de suite c'était que ces cornes étaient dangereuses. Il s’aplatit immédiatement sur ses petites pattes, dissimulé dans la faune et le corps battant. C'était pas bon, pas bon du tout. La bête cornu continuait de paître mais plutôt que de se diriger vers la gauche ou la droite, elle avançait droit sur le lionceau. Enyeto était tout recroquevillé dans l'herbe, priant que la bête s'en aille brouter ailleurs et surtout, que Tasa arrive vite.

Enyeto pouvait observer les pattes de la bête à travers les brins d'herbes. C'était preques étonnant que celle-ci ne l'ait pas encore repéré. Stupide animal, pensait-il. Toutefois, le lionceau ne pouvait qu'être rassuré par cette simple présence d'esprit car s'il pouvait observer ses sabots crasseux, il voyait également ses grandes cornes se balancer au rythme de sa tête. C'était vraiment pointu. Il reculait au fur et à mesure que la bête avançait mais bientôt, son arrière train se heurta à une branche. Enyeto eut le réflexe de s'immobiliser pour ne pas faire céder la branche et alerter l'animal mais il était désormais bloqué et n'avait plus aucun moyen d'échapper à l'animal. S'il partait à droite ou à gauche, la bête le repérerai. Bon, réfléchissons. Il devait bien y avoir un moyen d'échapper à son regard ... Enyeto avait beau se tourner encore et encore les méninges, il n'en voyait qu'un seul : enjamber la branche sans la faire craquer. Mission puérilleuse mais avait-il vraiment le choix ? Cette bête broutait à une vitesse inquiétante ... Prenant son courage à deux mains, le petit lion entreprit une marche arrière. Sa première patte passa l'obstacle sans problème, la seconde aussi mais vint son petit ventre rebondi. La branche céda. Enyeto s'immobilisa, pris de panique mais il était trop tard, il vit la tête brune de l'animal se dresser au dessus des herbes et beugler avec force. Oh non. La bête frappa furieusement des sabots et Enyeto se fit tout petit, priant pour être confondu avec une pierre -quelle drôle d'idée- mais à sa grande surprise, la bête se tourna vers un autre point. Qu'est-ce qui avait bien pu attirer son attention ? Apeuré mais trop curieux, surtout inscouciant, Enyeto tendit son cou une nouvelle fois au-dessus de l'herbe. Seul le sommet de son crâne ainsi que son regard émeraude était visible.

« Tasa ! » cria-t-il, profondément heureux de la voir.

Quelle erreur. Le buffle tourna son encolure et aperçut les poils bruns du lionceau. Enyeto déglutit. Son instinct de survie prit le dessus sur l'effroi et le lionceau se mit à détaler en direction de la lionne. Le gnou aux trousses, celui-ci plongea la tête en avant pour embrocher le lionceau mais une fois de plus, le petit gabarit du lionceau lui sauva la vie puisque la corne passa sous son ventre grassouillet et à défaut d'être transpercer, le lionceau fut envoyé dans les airs.

« TASA ! » hurlait-il.

Sa chute fut lourde et douloureuse. Le lionceau se ramassa comme il pu, roulant de côté pour éviter un coup de sabot de la proie devenu prédatrice et s'échappa de justesse. Il savait qu'il serait amené à courir mais il pensait que ce serait en poursuivant Tasa, pas en tentant d'échapper à un gnou furieux. Jamais le lionceau n'avait couru aussi vite. Son coeur tambourinait si fort qu'il était persuadé que le gnou l'entendait ou alors le fracas de ses sabots furieux couvrait sa peur. Il détalait à toute allure vers l'adulte, zigzaguant dans les herbes pour tenter de désarçonner le gnou et surtout lui échapper.

Rapide comme l'éclair tant la bête lui collait aux fesses, Enyeto parvint à la hauteur de la lionne qui s'était également avancé vers eux. Heureusement d'ailleurs, le petit n'aurait jamais eu le temps de l'atteindre sinon. Enyeto se réfugia en vitesse derrière la guerrière tandis que celle-ci faisait face à la bête. Pressée par le manque de temps, Tasa hurla au petit de trouver un lieu sûr tandis qu'elle ferait diversion pour éloigner. Pour une fois, le lionceau ne rétorqua pas et hocha vigoureusement de la tête, détalant vers un gros rocher derrière lequel il se cacha. Dressé sur ses petites pattes, Enyeto observait la scène le regard brillant. Tasa faisait face au gnou, seule, et lançait un rugissement si puissant qu'il en ferait frémir plus d'un. Enyeto sentit un frisson le parcourir. Alors c'était ça un guerrier en pleine action. Il était tant admiratif qu'il en oubliait presque le danger.

Prudente mais féroce, Tasa rôdait autours de l'animal avec la grâce des félins. Le gnou chargea la tête première, ses cornes plongées en avant, mais heureusement la lionne l'évita. Ouf. Enyeto était transcendé par ce duel. C'était la première fois qu'il assistait à un tel spectacle ! Consciente de son environnement et les idées bien en place, Tasa se rua vers un arbre qu'elle escalada avec un facilité déconcertante. Vraiment impressionnant. Enyeto n'en perdait pas une miette. Le gnou chargea le tronc avec férocité et sa force n'était pas à sous-estimer puisque son coup fut suffisamment puissant pour déraciner le tronc. Encore un coup et Tasa risquait de se trouver prise au piège. Dans un grondement furieux, la lionne bondit de son perchoir pour atterrir sur le dos de l'animal. Celui-ci se débattait avec véhémence, ruant de part et d'autres pour désarçonner son adversaire.

« Allez Tasa ! » hurlait le lionceau pour encourager la lionne. « Mets le à terre, t'es plus forte que ce crétin d'herbivore ! »

Complètement absorbé par le combat, Enyeto s'était dressé sur son caillou et brandissait ses pattes en l'air comme s'il frappait l'ennemi avec la lionne. Il remarqua alors que la bête avait une faiblesse à l'une de ses pattes arrières. Il avait du se blesser en courant après le lionceau, la terre sèche d'Outland était remplie de piège.

« Sa patte arrière gauche, Tasa ! Il boîte ! Met tout poids dessus ! »

Enyeto égosillait dans l'espoir que la lionne entende ses indications. Il avait plutôt une bonne vue de son petit caillou mais regrettait tout de même de ne pouvoir aider davantage la lionne. Ce n'était pas comme si c'était de sa faute si la lionne devait s'occuper de la bête cornue ...

La lionne avait tant éloigné la bête du petit pour le protéger que le son de sa voix lui parvenait difficilement. S'égosillant à répétition, Enyeto agitait ses pattes en l'air dans l'espoir qu'elle comprenne ses indications jusqu'à ce que son message lui parvienne. Elle semblait l'avoir saisi puisqu'elle se mouva sur l'arrière train de l'animal, faisant pression de tout son poids. Le plan fonctionna, la bête beugla de douleur. Consciente du point faible du gnou, Tasa n'avait plus qu'à user des bonnes armes aux bons endroits et ce serait joué. C'est ce qu'elle fit. Déchiquetant le flanc de la bête à coup de griffe, Tasa obtenu finalement ce qu'elle souhaitait : le gnou flancha et mit pattes à terre avant de s'effondrer. Il était probablement encore en vie, ce type de blessure n'était pas suffisante pour l'achever et le but n'était certainement pas de le laisser agoniser.

« Ouais, bien joué Tasa ! » criait-il rendu euphorique par la victoire de la lionne.

Poussé par une curiosité morbide et surtout très heureux de voir le danger éliminé, Enyeto bondit par-dessus son rocher et accouru aux côtés de la lionne.

Il freina sa course en arrivant près de la bête. Son souffle saccadé pliait les brins d'herbe avec force. Il semblait s'accrocher à la vie. Enyeto eut un léger mouvement de recul. C'était donc à ça que ressemblait un animal aux portes de la mort ? Il n'avait jamais été saisi de la sorte lorsqu'il chassait ses gerbilles. Sûrement le gabarit de la bête y était pour quelque chose. C'était saisissant. Il déglutit puis dressa son regard vers la lionne qu s'apprêtait à achever la bête. Elle n'avait pas à être gênée par la présence du lionceau, il n'était pas effrayé par la mort et il voulait voir la fin de ce combat qui l'avait saisi jusqu'aux tripes. Tasa était impressionnante et brillait dans son regard une lueur d'admiration.

Sans se fatiguer à réprimander la lionceau pour sa curiosité morbide, Tasa exécuta la bête sous ses yeux. Enyeto frémit, non de crainte mais d'excitation. La chasseuse s'immobilisa quelques instants comme si elle honorait cette mort puis le regard décidé, elle referma ses crocs dans la chair de l'animal pour le traîner jusqu'à la termitière. Enyeto n'avait pas la force suffisante pour l'aider dans cette tâche mais à défaut de rester sans rien faire, il s'empressa d'attraper la queue du gnou entre les crocs. Il n'aidait pas vraiment Tasa mais cela le consolait. C'était mieux que de rester sans rien faire.

La lionne rouge coula son regard olive vers le lionceau et argua qu'il aurait des choses à dire à sa grand-mère. Ah ça oui ! Mais bien évidemment, il passerait sous silence sa bêtise, ce ne serait qu'une légère modification de l'histoire et Tasa n'en perdrait pas son mérite, peut-être que cela aiderait sa grand-mère à la voir d'un autre œil.

De retour au camp, Enyeto se pavanait comme un paon devant le regard ébahi des autres lionceaux. Il n'avait pas tué la bête mais ça ils ne le savaient pas. Même s'ils devaient s'en douter. Quoi qu'il soit, débarquer aux côtés de la cheffe de chasse et une belle proie entre les crocs, ça claquait ! Il suivit la lionne jusqu'à l'endroit où était déposé les carcasses puis, une fois les crocs délivrés de la peau de la bête, il confia :

« On remettra ça une autre fois ! »

Mais pas sûre qu'elle accepte encore sa compagnie. D'un geste amical, la lionne lui dit au revoir avant de lui fausser compagnie et de s'en aller à d'autres occupations. Enyeto l'observa s'éloigner, petit sourire aux babines, puis fit également demi-tour pour retrouver sa grand-mère et lui raconter sa folle aventure.

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