La sentinelle l’avait laissée aux frontières. Sierra avait donc entreprit de se reposer sur la parcelle de territoire jonchant les terres de la fierté et les terres libres. Pendant son séjour, la noble dame s’était demandé comment de telles étendues verdoyantes et hospitalières avaient pu rester insoumises. Elle songeait déjà en parler à la table des Lords une fois de retour sur les Lilaländer. Ils enverraient des colons et opéreraient telles que le voulait leurs coutumes : Offrir à ces indigènes une meilleure vie en leur apprenant la discipline. Les plus dociles trouveraient une famille pour laquelle ils pourront travailler, sans doute en tant que gouvernante ou esclave. Quant aux plus revêches…un sourire mauvais s’était dessiné sur les babines de la lionne.

Le soleil commençait à poindre quand Sierra avait quitté sa grotte de fortune, située sur une zone vallonnée. Eveillée et assoiffée de découverte par la vue que lui confiait son promontoire, son regard sanguin avait détecté une masse dans le lointain. De quoi pouvait-il s’agir ? Fronçant les sourcils pour mieux y voir, la noble eut fixait ce point tandis que grandissait en elle une indicible curiosité. Qui plus est, elle était d’humeur à chasser.

Et la voilà qui avait pénétré les frontières du pays libre, les mêmes que l’aborigène à crinière bicolore c’était donné tant de mal à surveiller. En deux jours de marche, Sierra était parvenue à son objectif : La masse broussailleuse était en fait une biodiversité plus riche et verdoyante que le territoire où elle prospérait.

Redoublant de prudence, de crainte d’être repérée par le bigarré, la femelle continua son périple. Elle put bientôt déceler une odeur étrangère. Sondant la provenance, elle s’approcha de ce qui, à en juger par les effluves, était un félin, sans doute différent de celui rencontré la veille. Se faufilant entre les feuillages, la sablée pu l’apercevoir. Un jeune mâle brun, à moins qu’il ne s’agisse d’une femelle ? Les lignes fines de son corps prêtaient à confusion. Elle s’approcha d’avantage, allant jusqu’à sortir de sa cachette et perturber la toilette du jeune brun...

- Welche grobheit ! Vous pourriez être plus discret ! Lança-t-elle avec dédain. Cette attitude était grossière ! Digne d’un lion au pelage sombre !

Quand le jeune imprudent s’approcha, la fourrure de Sierra s’hérissa. Quelle audace ! La queue de la lionne fouettait rageusement l’air tandis que ses yeux de sang fusillaient le sauvage. L’envie de décrocher un violent soufflet à cet impertinent la démangeait. Néanmoins, elle fit de son mieux pour contenir sa colère…nul n’avait le droit de violenter l’ilote d’un autre, encore fallait-il que cet énergumène soit la propriété de quelqu’un. Qui voudrait d’un larbin aussi maigre ?

Cependant, quelque chose vint titiller la curiosité de la femelle : Les derniers mots du jeune mâle. En effet, celui-ci venait de mentionner les "Mositus". Bien qu’elle n’avait guère voyagé longtemps sur ce continent, cela sonnait comme un nom de clan. Clan qui, visiblement, était en peine. Voilà qui devenait intéressant...un sauvage remonté contre d’autres sauvages ?

- Si j’étais toi, je resterais à ma place ! Gronda la noble. Elle soupira ensuite pour reprendre, plus calmement : Qui sont les Mositus et que vous êtes-t-il arrivé ?

Après tout, elle aurait bien besoin d’aide pour chasser dans ces contrées. Et, malheureusement, elle n’avait que ce petit à portée de pattes. Mieux valait être sympathique pour le moment. Et cela permettrait à la lionne d’en apprendre plus sur le mode de vie de ces individus.

- Pardon ? Comment ça ? Questionna le brun en reculant, un sourcil arqué. D’où venez-vous, pour ignorer le nom d’un clan ?

Répondre à une question par une question était certes mal vu dans la société où Sierra avait grandi, néanmoins, le jeune mâle semblait soulagé. Elle soupira d’agacement face une telle indiscipline. Malgré cela, elle fit son possible pour demeurer calme. Bien que cela était inconcevable pour elle de rester polie avec un lion sombre.

- Je suis des Lilaländer. Répondit-elle. Je parcours dieses land depuis peu de temps. Mein but et d’explorer ce kontinent et de l’étudier. J’ai pu faire le tour des Freelands seulement.

Elle avait prononcé ces mots sans prendre compte de son débit de parole. Après tout, visiter et s’instruire devait être des notions abstraites pour le brun…

- Je me doute que ça doit sembler singulier pour toi. Aussi répète-je donc mein question : Qui sont les Mositus ?

Avec ce qu’il avait dit précédemment, nul doute doute que ces histoires devaient être passionnantes !

Elle écoutait attentivement. Ce jeune indigène intriguait Sierra à chaque phrase. La colère étant passée, il semblait bien plus éveillé intellectuellement que les autres félins sombres qu’elle avait pu croiser. Voilà qui devenait intéressant…

- On dirait que l'errance est une constante pour ton clan...Pourquoi tes aïeuls ont-ils quitté leur Oasis pour un territoire qui ne leur appartient pas ? Es ist lächerlich !

Tout semblait partir de là. Elle voulait tout savoir ! Après tout, c’était une réelle curiosité ; Des lions ne quittaient pas leur terre natale sans raison. Peut-être avaient-ils été chassés ou déportés par des familles de haut rang ? Quoi qu’il en soit, Sierra avait l’intime conviction que ces "nomades" y étaient pour quelque chose. Mais le résultat était le même : Les Mositus avaient été bannis et ce, à plusieurs reprises. La femelle invita, d’un signe de tête, le brun à mêler les discutions à la balade. Les langues se déliaient mieux lorsque les pattes se dégourdissaient. Et, avec un peu de chance, ils trouveraient une proie sur le chemin.

- Pour exiler un clan suite à une telle erreur, ces Lamazus doivent être un clan de lions civilisés ! Commenta la lionne en se mettant en marche. Quel aristocrate voudrait croiser son sang avec un sauvage, en même temps ?

Evidemment, la réaction ne se fit pas attendre, le jeune lion protesta, pestant contre les-dits lamazus. Il se joignit à la noble, déambulant à ses côtés en terminant son récit.

-Et voilà où nous en sommes. Les éternels chassés. Au moins, cette fois, les responsables, c’est nous. Enfin, les adultes. Je ne sais pas quelle humiliation dans notre histoire était la pire. Quand je vois les lions des autres clans, leur passé est tellement plus glorieux ! Les Mositus ont dû oublier leur fierté au fin fond du désert.

- Mein gott ! Je suis surprise qu’un lion de ton rang puisse voir la tourbe dans laquelle il marche ! Commenta Sierra. En effet, ce mâle était plus mature que son âge laissait paraître. Ce petit brun commençait à attiser la curiosité de la lady. Ça n’était pas tous les jours que l’on voyait une race inférieure se rendre compte sa situation ! Même Harold serait surpris ! Si tes dirigeants ne sont pas capables de gouverner correctement, alors, il n’y a qu’une seule solution : Les remplacer ! Ahhhh ! Cela me rappelle mes jeunes années, quand mon tendre époux a empoisonné der general de notre armée pour que je puisse prendre sa place…C’était mon plus beau cadeau d’anniversaire ! Dit-elle avec un petit rire pincé.

- Vous plaisantez ? Avait rétorqué le môme alors que la dame rêvassait encore. Oui, l’annonce du décès avait été une grande joie pour elle, plus forte encore que ce fameux jour où son frère était parti. Personne ne voudrait d’un gamin comme dirigeant, et nous ne sommes pas des assassins ! On est civilisés, m’dame.

Elle laissa échapper un petit rire amusé et moqueur. Eux, civilisés ? Quelle blague ! Bien tentée de faire une remarque à ce sujet, la noble fut interrompue par la vision d’une proie.

- Stille! Regarde ! Dit-elle en chuchotant, pointant l’animal d’une griffe. Elle avait parcouru tout le territoire sans rien trouver et la faim la rendait plus irritable que l’accoutumée. Elle ne laisserait pas cette occasion lui passer sous la truffe ! Qui plus est, la présence de cet indigène lui serrait bien utile…pour peu qu’il sache chasser. La féline se tassa dans les hautes herbes.

- Aide moi à occire cette impala , et je partagerai le butin avec toi.

Le sauvage s’attela donc à la tâche, se proposant même pour la partie la plus pénible de cette dernière. Il se faufila entre les hautes herbes alors que la femelle se dirigea à un point stratégique, là où elle pourrait abattre l’animal rapidement et changer pour le piéger si ce dernier venait à fuir.

L’herbivore, concentré sur sa nourriture, leva soudainement la tête. Sierra fit rouler ses yeux rouges au ciel. Ce jeune mâle s’était mis contre le vent ! L’impala apeurée pivota ses oreilles puis, tournant la tête en direction du mositu, vu celui-ci bondit hors des hautes herbes, effrayant le cornu pour de bon. L’animal en détresse se pressa de prendre ses jambes à son coup, ignorant qu’à quelques mètres, un autre prédateur l’attendait en embuscade.

Quand, sous ses coussinets, le sol se mit à vibrer, la lionne reconnu le moment propice pour attaquer. Elle bondit à son tour hors de sa cachette, plantant ses griffes dans l’encolure de sa proie. Ses crocs cherchèrent immédiatement les cervicales, sur lesquelles elle referma sa mâchoire. Encombrée par la féline, apeurée par son poursuivant, l’impala s’efforça de courir, secouant la tête en tous sens sans parvenir à se dégager de l’étreinte de la noble. Sierra savait pertinemment comment tuer. Ces longues années d’entrainement avaient été ponctuées de séances de chasse pendant lesquelles la lionne pouvait mettre à exécution les conseils de ses mentors. Elle brisa le cou de l’herbivore qui mourut instantanément. La dépouille fraiche tomba lentement sur le flanc.

La noble secoua gracieusement sa fourrure, avant de lancer une œillade à son camarade. Ils n’avaient plus qu’à s’attabler ! Cela serait bien la première fois qu’elle partagerait son repas avec un indigène. Aussi fut-elle tentée de le chasser. Après tout, elle n’avait plus besoin de lui. Néanmoins, il connaissait ce pays mieux qu’elle et, par conséquent, pourrait se rendre à nouveau.

- Gut. Ça n’était pas glorieux ! Commenta-t-elle.

La Noble ignora les protestations du brun, nettoyant délicatement ses griffes sur l’herbe avant de les rentrer dans leurs fourreaux. Faisant fi de l’invitation du jeune lion, la femelle tira la carcasse vers elle et l’emprisonna entre ses pattes, se réservant ainsi le poitrail de l’animal. Elle comptait bien récupérer la part du riche : Le cœur. Puis, il fallait délimiter ce qui lui appartenait. Après tout, ce sauvage devait bien être accoutumé des morceaux les moins raffinés, à en juger par sa minceur.

- Où sont les ‘Lililanders’ ? J’en ai jamais entendu parler sur la Terre des Lions.

La question brisa le silence qui s’était installé. Sierra leva son museau ensanglanté avant de poser ses yeux tout aussi rouges sur le mâle.

- Lilaländer. Corrigea la châtelaine. Et il est impoli d’interpeller les Nobles durant leur repas !

Cela dit, elle avait déjà creusé suffisamment pour apercevoir l’organe vital de l’herbivore. Elle n’en fit, pour ainsi dire, qu’une bouchée. Puis, une fois rassasiée, piqua de sa griffe une feuille avec laquelle elle essuya ses babines couvertes d’hémoglobine.

- Elles se trouvent à plusieurs jours de marche ! Mais es ist ein magnifique pays ! Avec des montagnes, et des versants couverts de bruyères. C’est un kontinent puissant, surtout depuis que mon époux et moi sommes appelés à régner.

Certes, Harold n’était pas encore un Lord. Mais avec quelques empoisonnements malencontreux et des mystérieuses disparitions, nul doute qu’ils arriveraient bien vite au sommet.

- Là-bas, je suis la cheffe des armées.

Elle s’était écartée de la proie tantôt dévorée, laissant au mositu sa part du butin. Puis, elle se rinça les pattes dans un ruisselet avant de s’y désaltérer.

- C’est quoi les ‘naubles’ ? Fit la voix du juvénile, dans son dos. Gonflant son poitrail, la lionne se tourna vers lui.

- Les Nobles sont les personnes chargées der organisation sur les Liländer. Nous contrôlons l’économie, mais aussi l’armée, sous la direction des Lords, qui sont les große Meister sur le kontinent !

Oui, ces derniers avaient tous les pouvoirs ! Quand elle gagnera leurs rangs avec Harold, nul doute que le clergé sera dissocié de la politique. Ces imbéciles cléricaux n’avaient rien à faire dans les pattes des Nobles ! En songeant à cela, ses babines se tordirent dans un rictus étrange, avant que son visage ne reprenne une expression hautaine.

- Et toi ? Comment s’organise ton clan ? Je me doute que la politique doit être quelque chose de rudimentaire chez toi…

Après tout, comment pouvoir trouver une harmonie parmi une bande de sauvages qui ne faisait que bafouer les règlements et se montrer insolents ?

Terminant son repas, le jeune lion se décida à répondre. Il détailla la politique de son clan, tout en reparlant des barbares du désert. En apprenant leur technique de passation, Sierra roula les yeux au ciel, secouant la tête d’un air réprobateur. Franchement, quel manque de raffinement ! A quoi beau se battre lorsqu’une dose de poison dans une proie suffisait ?! Bien entendu, il restait aussi la possibilité d’une rencontre malencontreuse et totalement isolée avec un Raüber…L’adolescent avait, d’ailleurs, l’air tout aussi dégouté qu’elle.

- Chez nous, notre Chef est élu. N’importe quel adulte peut y prétendre, et proposer son projet au reste du clan. Les autres adultes votent pour celui qui les a convaincus. Après quoi, notre dirigeant a un pouvoir absolu, à vie. Mais s’il gouverne mal, le clan peut le destituer, et on recommence une nouvelle élection.

- C’est donc une "dé.mo.cra.tie". Expliqua la Noble tout en inspectant ses griffes. Elles étaient si bien entretenues, si tranchantes et aiguisées que…

- Eh ? Si vous nous accompagniez à travers la Terre des Lion ?

Une crise de toux disgracieuse la frappa soudain. Elle se reprit rapidement en contenant ces effroyables éructations, reprenant un air décontracté et tout à fait délicat.

- Was ?! Wirklich ? Et qu’y gagnerais-je ?

Alors ça, c’était une première ! Et pas des moindres ! Un lion sombre lui proposait de faire chemin faisant pour découvrir le monde ! Si les circonstances avaient été différentes, nul doute que la femelle aurait éclatée d’un rire cristallin et perturbant. Mais, pour l’heure, c’est un sourcil arqué et un visage circonspect qui accompagnait ses pensées.

La lionne retrouva son calme quand le brun commença les négociations. Son regard hautin posé sur son corps frêle. Voilà que l’autochtone se mettait à marchander, et voilà qu’il le faisait bien ! Un rictus vint tordre les babines de la lionne. Voilà qui devenait intéressant…Un ricanement vint secouer ses épaules à la dernière phrase.

- Je n’aurai aucun mal à convaincre les gardes-frontières. Affirma-t-elle. En effet, elle n’avait eu aucun souci à discipliner ce guerrier freelander, quelques temps auparavant. Qui plus est, en quoi le fait de voyager à plusieurs rendrait les sentinelles moins regardantes ? Mais pour ce qui était du reste…Elle se leva et s’approcha du jeune mâle.

- J’accepte. Mais à ein condition : Si nous devons voyager avec des bagages, tu te chargeras de cette lourde tâche.

Elle posa ses yeux de rubis sur le jeune mâle dont il ignorait encore le nom, attendant sa réponse.

- Très bien, si ça vous chante. Accepta le jeune mâle. S’il n’avait pas eu la truffe ensanglantée par son repas (et surtout, s’il n’avait pas été un sauvage), la Noble lui aurait volontiers serré la patte. Mais dans son cas, le témoignage de cet accord aurait dû être signé d’un coup de griffe en pied d’un manuscrit. Mais, faute de papyrus à l’horizon, la femelle devait se contenter de la parole du brun.

- Wunderbar ! S’enquit-elle, sur un ton neutre mais ne trahissant pas une certaine excitation. Le voyage était sur le point de s’amorcer pour de vrai !

- Euh, Reprit l’adolescent… Je crois qu’on a oublié les présentations. Je m’appelle Wimbo. Et vous ?

La lady haussa un sourcil. Elle s'était déjà levée, prête à entamer leur long voyage.

- Lady Sierra Von Lilaländer. Mais pour toi, ça sera juste "Madame". Bon, allons-y, lieber Gott !

Elle était bien pressée de prendre la route ! Jusqu’à maintenant, sa première expédition sur les terres libres s’était soldée par un abandon forcé. Aussi devrait-elle trouver un messager volant garantissant le contact avec son cher époux. Celui-ci devait se demander ce qu’elle faisait et nul doute qu’il serait ravi de prendre connaissance d’un possible pays à envahir.