« Eh ! Halte ! »

Pas d’importun pour lui taper sur les nerfs. Bien ! Elle allait pouvoir savourer cette matinée.

Traversant les terres libres baignées de soleil, la noble dame sillonnait les plaines herbeuses. Les pointes verdoyantes vinrent caresser son ventre et la rosée, encore présente, lui trempait les pattes. Agréable sensation qu’était celle de la fraicheur en cette chaude journée. Nul doute là-dessus, la saison humide était sur le déclin !

Ce pays était aussi désertique que la boite crânienne de ses habitants…Jusqu’à maintenant, Sierra n’avait pas eu l’occasion de rencontrer un de ces sauvages. Du moins, elle en avait croisé quelques-uns, mais n’avait pas songé leur adresser la parole. De toute façon, cela ne servirait à rien, la barrière du langage, c’était-elle dit.

C’est alors que le destin, dans sa fourberie la plus élaborée, décida de mettre en scène un bien étrange protagoniste. Un lion de la même tranche d’âge vint glisser devant son regard sanglant, se plantant sans vergogne dans le champ de vision de la noble femelle. Celle-ci resta de marbre face à cette entrée on ne peut plus indésirée :

- Eh ! Halte !

Comme elle s’y attendait, le mâle avait proféré une série de grondements qui s’apparentèrent à des mots. Quelle surprise ! Elle qui s’attendait à le voir se rouler dans la boue en guise de salutation !

- Mein Gott ! Vous savez parler ?! Fit Sierra, feignant l'étonnement. Puis, elle reprit, plus hostile ; Gut ! Dans ce cas, vous comprendrez certainement ceci : Dans la bonne société, avant de vous adresser à quelqu’un, il est préférable de commencer par "Bon-jour".

La femelle articula chaque syllabe, comme si elle tentait d’enseigner le mot à un très jeune lionceau. Son accent déforma pourtant la formulation, appuyant de ce fait ses origines étrangères. Après quoi, elle inspecta son interlocuteur avec mépris avant de le contourner, poursuivant sa route comme si de rien n'était.

« Ah eh ben... Je... Tout à fait... Bonjour milady. »

« Excusez mon approche quelque peu brutale, mais je dois vous informer que vous empiétez sur les terres de Freeland sans invitation, madame; »

La courbette de l’imposant mâle eut pour effet de ravir Sierra. Néanmoins, son contentement se manifesta par des yeux clos et un air hautin.

- Excusez mon approche quelque peu brutale, mais je dois vous informer que vous empiétez sur les terres de Freeland sans invitation, madame.

Voilà des excuses (presque) à la hauteur de son rang. La femelle reposa son regard sur l’autochtone, un sourcil levé. Ainsi, ces sauvages avaient un sens de la propriété ? Ils devaient être en pleine évolution sociale ! Autant les encourager.

- Gut ! Dans ce cas, conduisez-moi vers vos frontières. Mais gardez vos distances, je ne veux pas récupérer vos parasites !

Sa demande sonnait comme un ordre, mais si cette sentinelle tenait vraiment à la voir déguerpir, il lui faudrait y mettre du sien. En effet, ce territoire était si vaste que la lionne pourrait s’y perdre et tourner en rond…ce qui impliquerait de faire d’autres rencontres désagréables. Elle se mit en marche, fixant l’horizon.

« Vous avez un accent de l'est. » dit-il pour entamer la conversation. « Vous venez de Prideland ? Plus loin ? »

Entamant le chemin vers les frontières, Sierra ne daigna même pas regarder le mâle lorsque celui-ci brisa le silence. Assez curieux pour lui demander ses origines, le gardien des lieux n’en perdait pas l’horizon des yeux.

- Je ne viens pas de diese kontinent. Répondit la lionne en fouettant l’air de sa queue. Je viens d’une terre nommée LilaLänder, où je suis cheffe des armées. Meine familie gouverne ces territoires avec l’aide des autres nobles et le clergé.

De toute évidence, il n’avait pas compris la moitié de ce qu’elle venait de raconter. Après tout, l’ordre et la religion étaient des choses abstraites, dans des contrées si hostiles. Mais peu lui importait. De toute façon, les religions n’avaient pas leur place dans la politique active et devaient, selon certains noble dont elle, rester des divertissements. Donner une telle importance aux cultes était une hérésie que même ses proches ne pouvaient supporter. Elle surveillait du coin de l’œil la moindre expression défilant sur le visage du freelander.

- Qui êtes-vous ?

Non pas que son nom l’intéressait vraiment. En vérité, c’était la classe sociale de cet individu qui éveillait sa curiosité. Avec une telle stature, il devait être une sorte de guerrier.

« Quel rustre je fais. Je me nomme Luso, chef des armées de Freeland. Nous sommes donc homologue, chère madame. »

« Et vous, joli fleur venue de loin, comment-vous prénommez-vous ? »

- Quel rustre je fais.

- Je ne vous le fait pas dire ! Soupira Sierra. L’étranger se présenta alors, dévoilant son rôle au sein de son clan. Un chef des guerriers ? Dans une coalition d’individus aussi arriérés ? Eh bien, voilà qui était étonnant.

- Nous sommes donc homologue, chère madame. Un contact. Désagréable. Le bêta venait d’entrer dans son espace privé ! Et vous, jolie fleur venue de loin, comment-vous prénommez-vous ?

Surprise et légèrement offusquée par cette interaction soudaine, la rose poussa le lion d’un faible coup d’épaule, suffisamment fort pour le décaler.

- Mein name ist Sierra. Un sourire de défit s’était dessiné sur ses babines. Ils étaient homologues hum ? Du moins, c’est ce que l’autochtone pensait. Dans ce cas, pourquoi ne pas tester leurs capacités ? Finalement, peut-être pourrait-elle trouver de la distraction chez cet habitant des lieux ? Je suis étonnée que vous puissiez aligner autant de syllabes sans vous étouffer avec votre salive !

De la provocation ? Un peu sans doute…après tout, il fallait bien le piquer, pour obtenir une réaction. De mépris, son expression c’était transformée en une sorte de rictus provocateur.

« On peut s'étouffer avec sa salie ? » demanda-t-il, circonspect.

« C'est ici que nous nous quittons, madame. Ce fut un plaisir de vous venir en aide. »

Hélas, elle n’obtint pas la réaction escomptée. Au lieu de se venger, ce Luso ne fit que gober ses mots tel un poisson en manque d'oxygène ! Quel dommage ! Peut-être n’était-il pas si compétent qu’elle le pensait...

- C'est ici que nous nous quittons, madame. Ce fut un plaisir de vous venir en aide. Dit-il finalement.

- Gut. Soupira la Noble. J’aurais espéré vous voir à l’œuvre mais, si l’idée de me voir vous dépecer vous effraie, je suis prête à comprendre. Auf Wiedersehen, alors !

Déçue, mais néanmoins ravie de se séparer du probable vecteur de maladie qu’était ce lion, la femelle s’éloigna, laissant le mâle à la mèche blanche et son territoire derrière elle.