Hassun franchissait de nouveau la frontière entre Prideland et le Grand Désert – il retrouvait cette étendue de sable si importante à ses yeux et à ceux de son clan. Il n’était pas reparti de Prideland sans avoir confirmé ses soupçons, bien que cela lui ait coûté beaucoup de devoir rester ce Mwongo tout au long de son séjour. Cette peste de Mositu allait regretter ses mensonges et ses mauvaises ruses puisqu’il avait finit par apprendre que le groupe de « voyageurs » qui avaient rejoins Prideland était en réalité des Mositus bannis d’une certaine jungle par un peuple probablement aussi arrogant et puritain que ne l’étaient les Jangowas.

Foulant les grains de sable chaud, le Jangowa fut envahit par un sentiment de bien-être lui faisant oublier, pendant un instant, cette haine naturelle envers les lions bruns. Il aurait un rapport à faire au retour de son exil. Aujourd’hui il ne pouvait pas partager ces informations, pas même s’il croisait son frère sur le chemin. Têtu comme il était, Hanska serait parfaitement capable de s’engouffrer sur ces terres riches et foncer tête baissée dans le groupe de lions pour y faire le plus de victimes possibles.

Mais voilà, Prideland n’était pas sans surveillance et il avait déjà été difficile de récolter les informations qu’il s’apprêtait à ramener, pas besoin que l’un des siens répandent son sang pour rien. Faire des victimes oui, c’était le souhait le plus cher d’Hassun, surtout cette pimbêche avait qui il avait entretenu une conversation – mais les Jangowas devaient frapper fort et tous ensembles pour faire asseoir leur puissance et leur domination. C’était un trop grand risque de laisser les Mositus de nouveau en vie.

« Je connais ton odeur. »

Sans s’en rendre compte Hassun avait beaucoup marché, ruminant ses pensées sans réellement prêter attention à la direction qu’il empruntait et il s’était brusquement figé lorsque une odeur bien trop familière vint lui chatouiller les narines. Néanmoins, malgré la crainte que cela lui inspirait, il ne put retenir un léger sourire :

« Sors de ta cachette Lewa. »

Il ne pourrait pas s’accorder beaucoup de temps avec sa nièce mais la revoir lui faisait chaud au coeur et brisait cette carapace de solitude que l’exil avait forgé tout autour de lui. Le clan ne devait pas être très loin ou alors elle s’était beaucoup trop éloignée. Peu importe, la famille avait pris une dimension très importante pour Hassun et il ne passerait pas à travers cette occasion.

Hassun avait vu juste, il s’agissait bien de sa nièce Lewa et il fut heureux de constater que certaines choses ne changeaient jamais. Voilà que Lewa s’était saisie de ses crins, comme lorsqu’il était lui même plus jeune ce qui ne put le rendre que nostalgique. Non content de l’affection que lui donnait sa nièce, il finit par rire quant à ses questions et ses remarques débitées à ce qui semblait être la vitesse de la lumière. Il ne le dirait probablement pas de vive voix mais ça lui avait sincèrement manqué.

«  Le vent t’as trahis, petite terreur du Désert ! »

Lui mettre ses erreurs en face du museau n’était pas pour la dévaloriser mais bien pour l’encourager à faire davantage attention. Si cela avait été un autre lion, ou un autre animal, Lewa ne l’aurait pas su, le vent jouant en sa défaveur. Il fallait qu’elle soit plus prudente. Néanmoins, l’adolescent s’allongea finalement dans le sable, son petit pot de colle toujours scotché à l’une de ses pattes. La remarque de Lewa le fit sourire tandis qu’il secouait légèrement la tête, faisant virevolter la crinière qui avait plutôt bien poussée bien qu’elle ne s’étendrait pas davantage :

«  Tu ne pensais pas que j’allais rester minuscule toute ma vie ! J’ai besoin de cette grande taille pour pouvoir vous battre toi, ton frère et ta sœur. »

Et à ces mots il fit mine d’écraser lourdement sa patte libre sur le petit corps de sa nièce bien qu’elle ait également grandi elle aussi et qu’en réalité il ne fit que la chatouiller. Quant à son autre question, elle lui rappela combien Lewa avait été triste du départ d’Hassun et combien il la décevrait encore en annonçant que ce n’était pas pour tout de suite :

«  Encore quelques mois et je ne partirai plus jamais. »

Sauf si la guerre devenait un argument de poids – il serait certain de se lancer dans la bataille contre ces infâmes créatures, ces pourritures, ces lavettes qu’étaient les Mositus. Mais il doutait sincèrement de l’engagement des Jangowas, bien qu’il ait la ferme intention de rapporter ce qu’il avait vu et entendu sur Prideland. Mais il n’était pas non plus idiot, les lions du désert ne bougeraient pas pour finir ce qu’ils avaient commencé, ce qui laissait un étranger goût d’amertume et d’inachevé dans la bouche et l’esprit d’Hassun. Reprenant soudain conscience de l’interdit qu’il bravait, Hassun demanda, fronçant légèrement les sourcils :

«  Où est le clan ? Est-ce que tu t’es trop éloignée ? »

Cela sonnait presque comme un reproche bien que ce n’était pas l’effet escompté. Mais si le clan était trop prêt, alors Hassun serait en bien mauvaise posture.

Un mince sourire désolé étira les babines d’Hassun quand il constata la peine qu’il venait de causer à sa nièce. Mais c’était ainsi et on ne plaisantait pas avec les lois du Grand Désert ainsi que des Jangowas. Hassun mènerait cet exil à bien, il triompherait du Désert et montrerait qu’il est un digne enfant de ce dernier. Mais là ne s’arrêtait pas sa mission et il le savait parfaitement. Néanmoins il n’eût pas le temps de laisser sa nièce se faire une raison qu’une contrariété vint à l’appel. Lewa s’était éloignée du camp et voilà que maintenant elle était perdue. Fronçant les sourcils, il se permit de monter un peu dans les tons, montrant bien que sa nièce avait fait une erreur. Il avait beau essayer de la ménager de temps à autres, ce genre de faute pouvait parfois être impardonnable.

« Lewa ! Si tu n’avais vraiment plus besoin d’être surveillée, tu ne te perdrais pas. »

Il s’en voulut presque immédiatement mais garda un faciès autoritaire. Il était son oncle, pas son père et ça il le savait très bien, mais il ne pouvait s’empêcher de se faire du souci pour les siens. Perdre des petits qu’il avait presque vu naître… Rien que d’y penser, ça le rendait malade. Il ne pouvait pas se permettre une quelconque perte. Soupirant et tentant de retrouver un semblant de calme, Hassun finit par arborer un visage plus doux et plus proche de l’oncle gâteau qu’il était :

« Écoute Lewa, tu sais que j’adorerais t’emmener avec moi à travers tout le Désert. Mais tu sais aussi que ce n’est pas possible. Je dois terminer mon exil tout seul, c’est la loi. Sinon j’aurai pris la peine d’emmener ton frère et ta sœur aussi. »

Et dans un sens ça aurait pu être bien de leur montrer autre chose. Mais voilà, l’exil était une épreuve que chaque mâle avait hâte d’affronter mais surtout hâte d’en revenir. C’était une inondation de fierté qui le submergerait, autant pour lui que pour sa famille. Mais aujourd’hui ce n’était pas son principal souci. Voilà qu’il devrait presque braver un interdit pour permettre à sa nièce de ne pas se faire engloutir par le Désert. Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour le siens ! Plus doucement il dit :

« Tu vas rester avec moi jusqu’à ce qu’on retrouve les autres et tu les rejoindras. Et plus de bêtises de ce genre, d’accord ? »

Elle avait eu juste de la chance de tomber sur son oncle au final. Et si Kaya l’apprenait, autant Lewa que lui allaient passer un sale quart d’heure. L’idée le fit grimacer tandis qu’il se relevait. Il balaya les alentours du regard – pour n’importe qui qui n’était pas Jangowas, ce n’était qu’une étendue de sable. Mais le clan du désert suivait à chaque fois un cheminement précis. Au fond, il était simple de ne pas les croiser. Enfin… En théorie. Il entama la marche bien que gardant un rythme modéré face à la jeunesse de sa nièce :

« En route petite terreur ! Et si tu me racontais comment vont ton frère et ta sœur ? »

« Les idiots ne méritent pas notre attention. Le Désert les avalera eux et leur stupidité. »

Et il pensait parfaitement ce qu’il disait. Il avait toujours été terriblement protecteur envers son neveu et ses nièces, gare à ceux qui oseraient les importuner, mais il avait toujours pu placer une certaine confiance à sa famille aussi. Il ne doutait pas de la capacité de riposte de chacun d’entre eux, à leur façon. Mais la suite lui fit écarquillé les yeux et tout se mélangea. C’était beaucoup trop d’informations et il se rendit bien vite compte qu’il était parti depuis un moment. Le temps venait de lui mettre une grande claque en pleine figure et il ne put que poser des questions pour avoir de plus amples précisions :

« Comment ça Jehara s’est fait attaqué par un vautour ? Et de quelles vilaines choses me parles-tu ? »

Qu’est ce que c’était que toute cette histoire. Jehara n’avait pas la révolte dans le sang, que pouvait-il avoir bien fait ? Son neveu et ses nièces grandissaient sans lui, des événements se passaient et il n’était pas là. D’un coup il se sentit à la fois coupable et en colère mais tempéra ses émotions. La fatigue n’aidait probablement pas. Il se reprit et décida de se concentrer sur les dernières paroles de sa nièce, ajoutant un air compatissant à chaque phrase :

« Tu sais… Ta mère et moi avons beau être frère et sœur, au début nous nous détestions cordialement. Enfin, elle me haïssait bien plus que je ne le faisais mais le temps fait son œuvre, Lewa. Et puis, ta mère me cache encore des choses j’en suis certain mais si ces choses font mal, alors il vaut mieux ne rien dire et attendre le bon moment. »

Il comprenait que ce serait sûrement plus dur pour elle que ce ne le fut pour lui. Kaya avait toujours été distance alors qu’eux … Eh bien ils étaient toujours fourrés ensembles ! Ce n’était pas le même genre de relation et pourtant, Hassun ne pourrait pas se passer de sa sœur aujourd’hui et il espérait que cela soit réciproque. Il ajouta un dernier conseil avec un faible sourire tandis qu’il donna un léger coup de museau à Lewa, afin d’achever de la rassurer :

« Ne pousse pas trop ton frère dans ses retranchements. Fais ce que tu as toujours pu faire pour lui. Être là. C’est suffisant parfois, crois moi. »

Il ne pouvait rien dire de plus, c’est, lui même, ce qu’il avait pu faire pour Kaya. Juste être avec elle, dans les moments les plus compliqués comme les plus aisés bien qu’il ne se souvint pas s’il y en avait vraiment eu.

Alors que Lewa continua son récit, le jeune adolescent ne put s’empêcher de froncer les sourcils. C’était bien malin de la part du Grand Désert de lui infliger autant de souci alors qu’il ne pouvait pas être présent pour sa famille. Mais cela ne faisait-il pas parti de l’exil ? Soupirant légèrement il ne put s’empêcher de baisser les yeux quand Lewa parla des choses horribles dont Jehara et Kaya avaient pu discuter. Si elle avait voulu les tuer avant leur naissance ? Hassun n’en doutait pas un seul instant mais il avait vu également que cette volonté avait entièrement disparue le jour où ils sont venus au monde. Peut-être lui faudrait-il avoir une discussion avec son neveu quand il serait en âge de mieux saisir les choses. Pour le moment, il se devait de rassurer Lewa :

« Un Jangowa digne de ce nom n’est jamais inutile. Tu as fait bien plus pour ton frère que tu ne sembles le croire. Si tu n’étais pas allée chercher ta mère, qui sait ce que cet infâme volatile aurait pu faire de plus à Jehara. »

De plus, il valait mieux pour cet oiseau qu’il ne croise jamais la route d’Hassun. Il valait mieux qu’il quitte définitivement le Désert et si l’envie de voler par ici lui reprenait, Hassun se ferait une joie de lui briser les ailes avant de l’achever. Décidant de chasser ses envies de meurtre dans l’immédiat, il reporta son attention sur les dernières paroles de Lewa. Comment lui expliquer ? Il ne pouvait pas – lui-même ne connaissait pas toute la vérité ou du moins ne l’avait jamais entendu de la bouche de sa sœur. Confronter Kaya à ce sujet pourrait vraiment lui éviter des situations inconfortables comme celle-là.

« La peur nous pousse à faire des choses stupides. » - il le savait, des choses stupides, ils en avaient tous fait – la peur ne les rendait pas plus rationnels, bien au contraire. De plus, mêlée à la colère, cela ne faisait jamais bon ménage. Mais Hassun ne pouvait pas trop en dire à Lewa – elle, son frère et sa sœur n’étaient clairement pas désirés. Comment lui faire comprendre son trop la secouer ?

« Tu sais, votre naissance était un imprévu pour Kaya. Elle n’était pas du tout prête à devenir mère et elle a appris sur le tas. Ses moments de maladresse ont peut-être heurté ton frère et lui ont fait penser ce genre de choses. L’important c’est apprendre à comprendre. Ton frère doit grandir un peu pour ça. »

Que dire de plus ? Hassun défendrait sa sœur envers et contre tous mais il éprouvait également une affection sans limites pour son neveu et ses nièces. Ce n’était pas avec lui que Lewa devait discuter mais bien avec Kaya. Mais il ne pouvait pas forcer Lewa à aborder ce sujet avec sa mère, d’autant que ça semblait déjà l’affecter un peu trop. Hassun s’arrêta à la hauteur de sa nièce, lui adressa un léger sourire :

« Aller petite terreur, relève la tête. Tu es une Jangowa et pas des moindres ! » - il marqua une légère pause, constant avec une légère appréhension que des effluves lui parvenaient. Il reprit en lui donnant un dernier coup de museau : « Le clan n’est pas très loin, va les retrouver. Je reviendrai quand l’exil sera terminé et j’espère que tu seras là pour accueillir ton oncle. »

Quant à lui, eh bien il ne pouvait pas traîner ici, pas plus longtemps, aussi il fit demi-tour et bien qu’adressant un dernier regard à Lewa, il s’éloigna dans un trot régulier qui le ferait s’éloigner des autres. Il lui restait encore quelques mois. Juste quelques mois.