Le lion gris était un éternel insatisfait depuis son retour de l’exil. Sa mère était affaiblie, il se faisait du souci pour elle mais c’était aussi un tout. Tout le clan semblait penser que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et c’est un fait qui touchait le clan dans son intégralité, peu importe la tranche d’âge. Si les adultes ne pouvaient plus être sauvés selon Hassun, il était encore temps d’ouvrir les yeux des plus jeunes.

En parlant de jeunes et surtout de tire-au-flanc, il ne mit pas longtemps à en croiser un lors d’une escapade dans les marais. Akef, pas loin de l’exil bien qu’il lui reste encore quelque mois pour bien se préparer, ronfler comme une vieille loque à la digne image des adultes. Agacé, la langue d’Hassun claqua tandis qu’il ne put s’empêcher de lancer une remarque acerbe :

« C’est en dormant que tu comptes réussir ton exil ? »

C’était à cause de ce genre de comportements que les Jangowas ne valaient plus rien. Rester à flâner, à se dire qu’il ne servait à rien de s’entraîner toute la journée, que tout était facile puisque la probabilité de revenir était toujours plus élevée que celle d’y rester. Il n’y avait plus d’efforts fournies pas la jeune génération et Hassun savait appartenir à cette génération là également. Lui, il avait fait l’effort de demander de l’aide, de se rendre compte que l’exil ne serait pas une partie de plaisir, et c’était la vérité. Non seulement parce que ça avait été une épreuve mais parce qu’il avait affronté l’amère vérité.

Les Jangowas n’effrayaient plus personne et n’étaient plus les grands guerriers d’autrefois, justement à cause de ça. Tout ceci avait le don de faire enrager Hassun, lui d’habitude si patient et si calme. Sa fierté avait été entamée plus d’une fois lors de l’exil et c’était une plaie que certains semblaient se complaire à surinfecter.

« Je suis sûr que ta mère doit être ravie de voir que tu prends tout ça tellement au sérieux. Jusqu’à prendre le risque de mourir avec ta négligence. »

Se croyait-il impressionnant parce qu’il avait la langue bien pendue et l’insulte facile ? Il n’y avait pas plus lâche comme manière d’aborder les choses. Ce misérable lionceau avait choisi la facilité et il allait amèrement le regretter. La susceptibilité d’Hassun ne s’était guère arrangée au fil du temps et maintenant qu’il était adulte, il était hors de question qu’il se laisse marcher dessus par un lionceau qui ne voyait pas plus loin que le bout de son museau. Alors que le morveux s’était levé pour s’en aller, le lion gris ne prit que quelques secondes pour le rattraper en une ou deux foulée.

« Et toi tu n’es qu’un avorton.  »

Il leva la patte et balança le gamin avec force dans l’eau. Les marais étaient nauséabonds et l’odeur lui collerait probablement à la peau pendant quelques temps mais l’adulte ne s’arrêta pas là :

« Quand tu reviendras de l’exil tu seras le seul à te trouver bien bête. Crois-tu vraiment que les Jangowas sont respectés et craints en dehors du désert ? Ouvre les yeux espèce de misérable vermine.  »

Il ne le ressortirait pas de l’eau, qu’importe si le lionceau savait nager ou non et s’il tentait de s’en extirper avant qu’Hassun ait terminé, alors il se ferait un malin plaisir de réitérer son humiliation afin de le remettre à sa place. Il n’était rien du tout. Un lionceau qui ne savait rien de la vie et qui pensait qu’une fois sa crinière acquise il ne lui resterait qu’à se pavaner dans le clan pour montrer une supériorité qui n’existait même pas.

« Tu penses qu’il suffit de revenir de l’exil pour être un fier Jangowas ? Tu es le seul imbécile ici si tu crois que tout ça ne tient qu’au retour dans le clan et à ta pathétique petite crinière.  »

S’il avait terminé ? Non. Hassun cracherait chacun de ses mots et continuerait à le faire jusqu’à ce qu’Akef comprenne qu’il ne servait à rien de se prendre pour ce qu’il n’était pas. Il lui mettrait la vérité en face, exactement comme il l’avait fait avec Dyami. Sauf que ce dernier avait su être plus respectueux et plus clairvoyant que cette demie-portion.

« Les Jangowas ne sont plus rien et c’est précisément à cause de comportements comme le tien, de ce laxisme grandissant, que nous ne faisons plus peur à personne. »

S’il n’arrivait pas à s’extirper de l’eau boueuse et marécageuse de cet endroit, alors peut-être qu’il frôlerait la noyade. Peut-être qu’au final, c’était un bon moyen pour lui montrer à quel point il était faible. Un faible sourire sur les babines d’Hassun, il déclara :

« Le seul qui fait pitié, c’est toi. Toi qui fera exactement comme tous les autres minables de ce clan. Qui pensera que tout s’arrête après l’exil et qui deviendra un véritable tas d’os croulant sous le poids de sa propre graisse.  »

Tandis qu’Hassun, lui, continuerait l’entraînement jusqu’à la fin de sa foutue vie pour prouver que les Jangowas n’étaient pas aussi pathétique que ce qu’il voyait aujourd’hui.

Alors il avait finalement assez de force pour s’en sortir ? Peut-être que ce lionceau n’était pas un cas totalement désespéré mais le moins que l’on puisse dire, c’était que la satisfaction d’Hassun crevait le plafond. S’il avait voulu noyer le morveux ? Non pas vraiment mais disons que s’il ne s’était pas sortit lui même de ce pétrin, Hassun l’aurait aidé bien qu’il n’aurait pas manqué de lui rappeler ce petit service rendu jusqu’à la fin de sa misérable vie.

L’adulte se retourna en restant le plus stoïque possible, écoutant la respiration saccadée du lionceau avec contentement. C’était bien fait pour lui après tout. La prochaine fois il réfléchirait avant de parler. Il se contenta même d’hausser les épaules lorsqu’Akef le traita de fou. Probablement qu’il l’était. Qu’est ce que ça changeait, de toute évidence on ne peut jamais revenir en arrière n’est-ce pas ?

« Commencer par voir la vérité en face serait une bonne initiative de ta part. »

Et arrêter de chopper le melon en serait une autre mais ça il se garda de le dire pour l’instant, le lionceau avait vécu suffisamment d’émotion fortes, pensant avoir frôlé la mort de peu. Tant que ça lui remettait les idées en place, Hassun s’en fichait. Le temps où les Jangowas étaient la risée de la Terre des Lions doit être révolu et cela prenait forme tout de suite. Si la jeune génération devait être l’avenir, alors il fallait redresser la barre.

« L’exil n’est qu’une petite partie de ta vie et ne te fera pas récolter tous les honneurs. Ça montera juste que tu peux fouler le désert, que tu n’es pas si faible que ça. Mais avec une arrogance telle que la tienne, peut-être que même l’estropié serait capable de t’en coller une. »

Et ça, quelle insulte ce serait ! Daren était vraiment la risée de la risée des Jangowas et Hassun doutait sincèrement de sa capacité à réussir l’exil. Il avait survécu jusque là c’est vrai mais uniquement parce qu’il se cachait dans les jupons de sa petite famille. Un pleutre, rien de plus. Qui lui avait fait perdre son temps en plus. Recentrant son attention sur Akef, l’adulte continua sur sa lancée :

« T’es qu’un lionceau et tu penses avoir déjà toutes les cartes en main alors que moi-même je ne les ai pas. Réveille toi. »

Pourtant ce n’était pas faute de demander à les avoir ces cartes. Mais Hatasa se faisait discrète et Hassun n’arrivait pas à s’entretenir avec elle. Pourtant il était revenu d’exil depuis quelques temps déjà et l’urgence de la situation se faisait sentir, si bien qu’elle tendait chaque muscle du lion gris. Afin de mieux éveiller la conscience du lionceau râleur, Hassun bascula sur un sujet qui pouvait sembler, à première vue, totalement hors cadre :

« Tu connais l’histoire du cimetière du désert, le jardin des os ? »

Non seulement ce gamin était capable d’écouter sans cracher d’acerbes insultes mais en plus il avait le sens de l’humour. Qui l’eût cru venant d’un avorton pareil ? Hassun retrouva son sourire en coin tandis qu’il fixait le lionceau. Bien évidemment que tout le monde connaissait cette histoire, mais ce qu’il fallait retenir c’était à quel point les Jangowas l’idéalisait au point d’en oublier un petit détail qu’Hassun ne manqua pas de relever :

« T’as presque tout bon. Il ne faut juste pas oublier que certains de ces ossements appartiennent à des Jangowas qui n’ont pas su se montrer dignes et qui se sont fait lamentablement écrasés par les lions bruns. »

Mais là n’était pas nécessairement le point où Hassun voulait en venir. Certes, Akef n’avait pas tort, de nombreux Mositus étaient morts pour la reprise de l’Oasis et ils avaient au final tout perdu. Mais… Pas tant que ça puisqu’ils persistaient encore à vivre et à respirer l’air de cette fichue Terre. Aussi le lion gris se pencha vers le lionceau :

« C’est vrai, ni toi ni moi n’étions nés. Mais tu crois vraiment que nous pouvons être de fiers Jangowas ? Que nous avons réellement massacrés les Mositus ? Raté ! »

Et il se redressa, le rire jaune et un goût amer dans la bouche. Ces lions bruns étaient plus nombreux que jamais et ça le rendait malade, le clan entier le rendait malade parce qu’ils ne voyait pas, ne savaient pas et que ça leur convenait très bien. Les paroles tranchantes comme l’acier, le Jangowas cracha sa haine :

« Les étrangers entrent dans le Désert comme si c’était normal, les sangs-mêlés continuent d’affluer dans nos rangs et entachent notre honneur mais en plus de ça, les Mositus sont plus nombreux que jamais ! Quelle est la fierté des Jangowas dans tout ça ? Et tu penses que revenir de l’exil fera de toi un lion plein de grandeur et d’honneur ? Regardez les tous ceux qui sont rentrés d’exil, il y en a pas un pour rattraper l’autre. »

«  Je pense que tu apprendras bien assez vite, et probablement à tes dépens, que vouloir n’est pas pouvoir. »

Et cela ne concernait pas seulement les Mositus et la volonté grandissante d’Hassun de tous les abattre un par un. Il était certain que son père n’aurait pas toléré un tel affront au Grand Désert – il ne n’aurait de cesser de désirer la mort de ces infâmes créatures ayant réussies à se sortir les pattes d’ici.

«  J’aimerai que l’Impératrice me suive sur cette fois afin d’avoir l’armée que tu suggères bien qu’il me semble fou de marcher seul contre tous. Ce n’est pas d’un bain de sang dans une seule bataille qu’il nous faut. C’est une traînée rouge qui s’étalera sur une longue période de l’Histoire. »

Il espérait seulement qu’Hatasa saurait voir à quel point participer à ce pan historique serait important. Il espérait qu’elle ne lui rirait pas au nez, qu’elle ne lui dirait pas d’aller se faire voir dans les sables mouvants ou autre chose. Sinon il serait ravi d’aider son frère à atteindre son but ultime quoique trop peu ambitieux à son goût. Il rebondit néanmoins sur les propos d’Akef, supportant déjà mieux ce morveux qu’il y a quelques minutes :

«  Si un Mositu n’est pas difficile à éradiquer je doute que ces moins que rien ne soient pas entourés. S’ils sont sur Prideland c’est que ces imbéciles leur offre l’hospitalité et qui sait quoi d’autre encore. »

Cela prouvait bien la faiblesse des lions bruns que de les avoir vus là bas. Incapables de se débrouiller seul et peu importe leur motif, leur passif, leur accablante apathie, cette sous espèce devait disparaître définitivement de la Terre des Lions. Et c’était aux Jangowas de s’en charger mais pas n’importe comment et cela, Hassun tenta de l’expliquer au lionceau :

«  Nous n’avons pas besoin de montrer davantage notre stupidité en nous jetant tête baissé dans ce genre de combat. Je ne me crois pas plus intelligent, je suis juste assez lucide pour ne pas me montrer négligeant. »

« Ce n’est pas à moi de faire mes preuves en tant que dirigeant. Je ne suis ni Empereur ni Chef de guerre, c’est à Hatasa de prouver qu’elle peut prendre les bonnes décisions. »

Et cette décision serait à prendre rapidement, Hassun s’en assurerait. Mais il fallait envisager le cas contraire. Ne pas prendre en compte toutes les possibilités c’était se voiler la face et le lion gris refusait de se bercer à nouveau de douces illusions. Le retour à la réalité avait été, la première fois, trop brutal pour qu’il se le permette à nouveau.

« Si elle ne le fait pas, alors à ce moment-là on rediscutera de mon plan. Mais je ne laisserai pas les Mositus nous narguer à nos portes sans rien faire. Nous sommes Jangowas et cela devrait signifier quelque chose ! »

Il lâcha un grognement à la fin de sa phrase. L’exil l’avait marqué plus qu’il ne voulait l’admettre et il ne parlerait sans doute jamais des humiliations personnelles qu’il avait subi. Il avait été souillé par l’ignorance, l’idiotie, la stupidité et l’insolence de ces clans qui se pensaient au-dessus des enfants du Désert. Il ferait tout pour montrer que c’était la pire des erreurs à commettre. Se recentrant sur les paroles d’Akef, bien que ce dernier soulève un point important, Hassun ne put s’empêcher de faire remarquer :

« Les Pridelanders ne pourront pas les protéger indéfiniment. Ils ont déjà à faire avec les leurs. »

Nourrir un clan était déjà suffisant sans qu’ils en ait à nourrir un deuxième. Bientôt les Pridelanders ne pourraient plus se permettre d’offrir l’asile à ces lions bruns et se verraient contraint d’agir. C’est dans ces moments de creux qu’il fallait agir. Quand les Mositus étaient seuls. Hassun décida finalement qu’il avait assez malmené Akef et décida de reprendre ses entraînements. Il dépassa rapidement le lionceau, non sans lâcher une dernière remarque :

« Ne relâche pas ton entraînement. Tu auras peut-être le plaisir de leur faire payer leur affront. Ce serait bête d’échouer. »