L'arrière train levé au ciel et l'oreille collée au sol, le lionceau guettait sa proie avec attention. Elle ferait bientôt surface. Il avait passé toute la matinée à poursuivre cette fichue souris et cette idiote l'avait conduit droit vers son trou, elle ne pouvait plus lui échapper maintenant. Enyeto n'avait plus qu'à attendre qu'elle sorte et baisse sa garde mais voilà déjà une éternité qu'il l'attendait ! Cela devait à peine faire cinq minutes mais pour le jeune turbulent c'était déjà trop.

« Ohé la souris, si tu viens pas c'est moi qui vais venir te chercher ! » braillait le lionceau en s'approchant de son trou.

Soucieux qu'elle ne se soit enfuie par un passage secret, le lionceau approcha son œil de la petite crevasse. Tché, il ne voyait rien là-dedans. Bon tant pis. Impatient jusqu'au bout des griffes, le lionceau entreprit de gratter la surface de ses petites pattes jusqu'à déterrer la fuyarde mais fragilisée par la fouille du lionceau, la terre céda soudainement sous ses pattes et la petite galerie souterraine s'effondra. Un nuage de poussière empli les poumons d'Enyeto qui manqua de s'asphyxier. Quelle aubaine, il était tout poussiéreux maintenant et Shaba ne manquerait pas de le réprimander ... Il déglutit à cette pensée mais son attention fut très vite détournée par une petite ombre s'échappant à toute vitesse. La voilà ! Ni une ni deux, le lionceau s'élança à sa poursuite. Cette fois-ci il l'aurait !

La souris l'entraîna dans une course poursuite autours de la termitière mais apeurée par la présence d'autant de lions, elle bifurqua soudainement et Enyeto sauta littéralement sur l'occasion pour l'attraper.

« Vich’toire ! » s'écria-t-il fier comme un coq lorsqu'il se redressa avec sa proie entre les crocs.

Les adultes témoins de la scène l'observaient d'un air drôle tandis qu'Enyeto les dardait d'un œil arrogant comme s'il venait d'accomplir la plus haute prouesse qu'il soit. C'en était une pour lui. Finalement armé de son trophé, le lionceau fila à toute vitesse pour retrouver Shaba mais peinait bien à la trouver. Une pointe d'agacement le prenait tandis qu'il songeait à la trouver en compagnie de ce vieux lion trop collant à son goût mais à son plus grand bonheur, Shaba était seule.

« Mamie ! Mamie ! » l'appelait-il en accourant vers elle. « Ch’est pour toi ! »

Tout fier de sa prise, le lionceau déposa le cadavre de la souris aux pattes de la lionne et s'assit face à elle, un grand sourire aux babines.

L’enthousiasme de sa grand-mère fit bomber le torse du petit lionceau terriblement fier de sa prouesse. Encore victime de la guerre, Shaba n’était guère en mesure de subvenir seule à ses besoins et elle devait compter sur l’aide des autres pour se nourrir mais grand prince qu’il était et très soucieux de la santé de sa grand-mère, Enyeto faisait de son possible pour lui venir en aide et lui rendre la vie plus facile.

« Quand je serai plus grand, je te ramènerai de grandes girafes et même des éléphants ! Tu n’entendras plus jamais ton ventre gargouiller ! »

Le pire était qu’il croyait foncièrement en cette promesse. Enyeto était trop vantard et insouciant pour réaliser qu’un éléphant n’était guère une proie à chasser ni même une girafe mais à défaut il avait conscience de la quantité de chair sous leur peau. Ce serait vraiment un beau festin … Son enthousiasme redescendit bien vite lorsque Shaba lui annonça que sa récompense serait un bon bain. Eurk. Il grimaça de dégoût. Il détestait les bains … ses poils devenaient tout collants et Shaba le disputait dès qu’il tentait de s’échapper de ses pattes.

Alors qu’il grimaçait de dégoût, Shaba ne manqua pas de le féliciter pour sa prise du jour qu’elle savait être la première. Enyeto était fier comme un paon.

« Je l’ai traqué jusqu’à la termitière, elle avait fait son nid dans les crevasses ! J’en informerai Tasa mais il faudra sûrement plus que des gerbilles pour nourrir tout le clan … Mais du moment que toi tu as quelque chose à te mettre sous la dent, je suis content ! »

C’était important de nourrir tout leur clan mais à ses yeux, Shaba en valait six des leurs et elle était blessée, c’était important de lui apporter de la nourriture. Les autres pouvaient chasser, pas elle mais le plus grand problème était surtout celui du manque de proie. Certains lions maintenaient les apparences grâce à leurs muscles saillants mais la plupart étaient relativement maigres. Impatient de subvenir aux besoins de sa grand-mère comme un grand, le lionceau poussa le petit gibier fraîchement capturé vers la belle lionne, le poussant de son museau teinté de sang.

« Dis mamie, c’était aussi compliqué la chasse quand tu vivais sur Outland ? Je veux dire avant notre retour. Les chasseurs rentrent souvent bredouilles et les lions se disputent des petites proies. On peut pas aller chasser ailleurs que sur notre terre ? »

Sans crouler sous les informations relatives à ce sujet, Enyeto avait toutefois conscience des autres clans qui peuplaient la Terre des Lions. Étaient-ils autant confrontés à la faim qu’eux ? Si non, c’était injuste de garder leurs proies pour eux.

Encrassé de sang séché, le lionceau se léchait goulûment les babines pour s'en défaire tout en maintenant un œil averti vers sa grand-mère et ne manqua de remarquer sa drôle de réaction à l'évocation du nom de Tasa. Ne l'aimait-elle pas ? Elle avait l'air gentille pourtant ... et puis c'était leur cheffe de chasse, ils comptaient tous sur elle. Enyeto n'eut toutefois pas le temps d'approfondir le sujet et l'oublia même assez vite. Rassurante au possible, Shaba lui confiait qu'il n'avait pas à s'inquiéter et que tout s'arrangerait avec le temps. Le lionceau fronça les sourcils, loin d'être satisfait par cette maigre réponse.

« Comment est-ce qu'ils peuvent être fatigués alors qu'ils dorment toute la journée ? Ce sont des feignants, moi je chasse les gerbilles tous les jours. Puis c'est pas les levés de soleil qui vont changer les choses, c'est nous ! »

Pourquoi est-ce qu'ils ne pouvaient pas aller chasser ailleurs ? Enyeto aurait aimé surenchérir pour en savoir plus mais Shaba ne lui en laissa pas le temps, préférant aborder un autre sujet qu'était justement celui de sa chasse. Facilement malléable, le lionceau se laissa vite aller à cette tentation que celle d'impressionner sa grand-mère.

« Bon d'accord mais attention, tu risque d'être épatée ! »

En piste, le lionceau s’aplatit au sol et rampa en direction d'une proie imaginaire. Soucieux du regard de sa grand-mère, il s'appliquait dans chacun de ses gestes : ses pattes se posaient sur le sol avec précision sur la terre sèche et non les brindilles cassantes qui traînaient, il s'appliquait à être silencieux et son regard était en alerte, surveillant son environnement et sa proie imaginaire.

« C'est comme ça que je m'approche des gerbilles quand elles sont à découvert, sinon j'attends patiemment qu'elle sorte de leur mot. » murmurait-il très concentré.

Enyeto avait peut-être menti, il n'était pas particulièrement patient voir pas du tout et ce même si de la viande était à le clef mais si la nourriture se faisait trop attendre, il grattait avec hâte les trous de souris pour les faire sortir de leur repère. Après la démonstration de son approcha silencieuse, il passa à l'action. Il prit pour cible la carcasse de gerbille et bondit dessus, l'emprisonnant entre ses pattes. Bon celle-ci était morte, aucun risque qu'elle ne s'échappe. Il fit mine de s'assurer que la proie était piégée avant de libérer l'une de ses pattes et de l'abattre furieusement sur le crane de la gerbille pour la tuer d'un coup sec. Un œil se décrocha et partit en direction de la vieille lionne.

« Oups, désolé. » dit-il en affichant un sourire mi-angélique mi-interdit bien qu'il se retenait de rire.

La démonstration n'étant pas terminée, car la proie pouvait avoir survécu à son terrible coup si puissant, il prit le corps de la gerbille entre les crocs pour briser sa nuque mais s'abstenu toutefois d'aller au bout de sa performance pour ne pas mutiler davantage le corps déjà sans vie et borgne. Puis d'humeur joueuse, il laissa subitement le cadavre tomber au sol et pris une mine horrifiée.

« Nom d'une girafe, une proie encore plus grosse ! » Et sans crier gare, il bondit sur sa grand-mère et se hissa contre son poitrail pour lui mordiller les oreilles. « Ch'tremble devant le terrible guerrier d'Outland ! »

Il oscillait entre ricanement et miaulement terrifiant. Un vrai guerrier oui.

La vieille lionne se prêta volontiers au jeu de son petit-fils et se laissa tomber en arrière, vaincu par le terrible lionceau. Elle simula une mort douloureuse avant que sa joue ne tombe au sol, la langue pendue.

« Ah ah, craignez le terrible Enyeto, le plus fort des guerriers d'Outland ! »

Fanfaronnait le lionceau se bombant le torse, triomphant. Bon pour sûr Shaba s'était choir sans chercher à se débattre et offrant ainsi une victoire facile au lionceau mais il était tout de même ravie d'avoir terrassé la lionne. Il passa un coup d’œil rapide sur la fausse morte, s'attardant sur ses blessures en cours de cicatrisation et sentit un brin coupable.

« Par mes grands pouvoirs, je te ramène à la vie ! »

Et ces dits pouvoirs se manifestèrent par une grand coup de langue sur la joue de sa grand-mère. Il était heureux de passer du temps avec elle loin de l'ombre néfaste du Kulishas blond. Il ne l'aimait pas, Kutoa représentait une menace à son équilibre familial mais ce simple songe suffit à assombrir son sourire d'ange.

« Hé mamie, ce Kutoa ... tu l'aimes bien ? Il passe beaucoup de temps avec nous. »

Il ne voulait pas vexer sa grand-mère aussi prenait-il des pincettes mais il espérait bien obtenir une réponse qui allait dans son sens et surtout, qui lui assurait que ce serait toujours eux deux contre le reste du monde.

Il avait naïf ou peut-être trop égoïste. D’un ton un peu sec qu’il ne lui connaissait pas, Shaba lui répondit que le Kulishas était un bon ami qui l’avait beaucoup aidé. Déçu par la réponse de sa grand-mère, Enyeto s’assit penaud en fixant le sol d’un air boudeur. Plus dans le reproche que dans la consolation, elle lui demanda tout en se doutant déjà de la réponse si le lionceau avait déjà pris la peine d’aller lui parler. Il ouvrit la bouche en guise de protestation mais se ravisa. Elle avait raison et pourtant, Enyeto n’avait aucune envie de s’approcher de ce Kulishas trop intimiste. Pourquoi est-ce qu’elle semblait aller dans son sens plutôt dans le sien ? Il aurait aimé qu’elle le rassure mais c’était tout le contraire, le ton sec employé avait refrogné le jeune lionceau.

« Non, jamais … je n’ai pas vraiment envie de le connaître. » marmonnait-il dans sa moustache.

Pourquoi est-ce qu’elle l’acceptait à ses côtés ? Il ne lui suffisait pas ? Ce lion était une véritable menace à leur harmonie si bien bâtie et que sa grand-mère prenne sa défense ne le rassurait pas. Comment l’avait-il aidé ? Est-ce que cela faisait de lui quelqu’un d’indispensable à son quotidien ? Il ne lui posa pas la question, conscient du refus auquel il se heurterait.

Munie de sa moue boudeuse, Enyeto dressa le regard vers sa grand-mère et l’observa, moitié attristé moitié coupable. Était-ce lui qui mettait trop de barrière autours d’eux ou Shaba qui était trop laxiste avec les inconnus ? Comme si ces mots lui pesaient douloureusement sur le cœur, Enyeto finit par dire :

« Mais si c’est ton ami, je ferai un effort. »

Un effort à contre-cœur certes mais un effort. Peut-être que son image du lion blond changerait s’il apprenait à le connaître mais gardant ses réticences pour lui, Enyeto demeurait certain que son appréhension n’en serait que plus grande. Il n’aimait pas les regards que Kutoa jetait sur la lionne ni même ceux qu’elle lui rendait … Dans ces moments-là, il sentait exclu du monde de Shaba, un monde où les enfants n’avaient pas leur place. C’était pénible pour lui, il n’arrivait tout bonnement pas à partager sa grand-mère mais comment lui en vouloir, il n’avait qu’elle.

Il pensait faire plaisir à sa grand-mère en lui confiant sa résolution d’améliorer les choses avec le Kulishas, ou du moins une tentative, mais celle-ci lui répondit qu’elle le préférait honnête plutôt qu’hypocrite. Enyeto lui accorda un sourire conquis, retrouvant bien là sa grand-mère. Elle ne l’avait jamais forcé à quoique ce soit et ça ne commencerait certainement pas avec ce lion. Oubliant vite l’objet de son chagrin, le lionceau vint se frotter contre le poitrail de sa grand-mère en guise de réconciliation.

Accablée de fatigue, la vieille lionne se laissa choir au sol et Enyeto fit un geste vers elle, inquiet. Ils n’auraient pas du jouer, Shaba n’était pas encore rétablie … Ses oreilles tirées vers l’arrière se redressèrent devant le souhait de sa grand-mère. Une nouvelle gerbille ? Bien sûr, une n’était pas assez pour la rassasier … Tché, un jour il n’aurait besoin que d’une seule chasse pour la combler. Obéissant et surtout très envieux de lui faire plaisir, Enyeto hocha vivement de la tête tandis que sa queue battait en rafalle tant l’idée d’aller en exploration avec Shaba le rendait fou d’impatience.

« Bien sûr mamie, j’essaierai de t’en ramener trois ! Ou même quatre ! En fait je te ramènerai autant de souris qu’il en faudra pour que tu n’ai plus faim ! »

Ça ferait sûrement beaucoup de gerbille mais tant pis, la santé de sa grand-mère n’avait pas de prix.

« Reposes-toi bien en attendant, j’ai fais de nouvelles découvertes qu’il faut absolument que tu vois ! C’est super cool mais c’est trop secret pour en parler, la meilleure façon c’est de te le montrer … »

Il était très fier d’avoir découvert ce réseau de galeries souterraines, pour le moment seule Melyn était au courant mais il était impensable que Shaba ne soit pas dans la confidence elle aussi. C’était sa première confidente après tout. Il fit un rapide tour sur lui-même tant il était excité avant de déposer une petite lèche sur la joue de sa grand-mère.

« Allez fais bien dodo, je vais prendre mon temps pour que tu puisse suffisamment te reposer. Les vrais aventuriers ont besoin de beaucoup d’énergie ! »

Et de ça il n’en manquait pas. Un dernier sourire adressé à sa grand-mère adorée puis il s’enfuit en courant à la recherche de proies pour la lionne. Peut-être trouverait-il même un lapin, qui sait !