Aujourd’hui, le ciel avait une sale gueule. Du plafond céleste tombait de minces flocons grisâtres. En approchant le mufle de ces particules, Shasta remarqua qu’il s’agissait de résidus volcaniques. Ces derniers l’avait menée à la plaine, où ils recouvraient partiellement le domaine. De l’endroit lui-même s’échappait une curieuse odeur. Étrange… En s’aventurant davantage, le hyène fut surprise. Sous ses pattes, il lui semblait que le terrain vibrait. Cela était à peine perceptible, pour peu que l’on se concentre un peu. Planquant son oreille contre le sol poussiéreux, elle écouta les tripes de la terre.

Le volcan parlait.

Un chuchotement, certes, où se mêlaient remous et grondements. Le phénomène ne dura qu’une dizaine de minutes. Mais cette observation suffit à éveiller les inquiétudes de la résidente. Elle se redressa, parcourant l’impétueux seigneur endormi. Il s’élevait devant elle, comme un Dieux de mort, prêt à imposer sa volonté.

- Et Makeo se fera un plaisir de te pisser dessus !

La charmante interpellation sorti Shasta de ses pensées. L’écho était proche, ce qui signifiait que le mécontent devait trainer dans les parages. La femelle se mit en quête de ce dernier, intriguée. Elle le retrouva au détour d'un gros rocher.

- Désolée d’te décevoir, mais Makeo n’est plus là. Dit-elle en s'approchant. Et à l’heure qu’il est, il risque plus de pisser sur quoi que ce soit, si tu veux mon avis.

C’était un mâle un peu plus jeune qu’elle. Son pelage rayé et sa crinière dressée lui donnaient un air belliqueux. Allez savoir contre qui pestait cet imbécile, mais quoi qu’il en soit, seul contre tous, l’ancien chef des guerriers ne risquait pas de survivre bien longtemps…d’ailleurs, il était probablement déjà mort.

- J’peux savoir ce qui te met de si bonne humeur ?

- Un tas de choses qui t'en toucheraient une sans secouer l'autre.

Shasta avait levé un sourcil. Ce qui se passait sur le territoire concernait tout le monde. En particulier les opinions politiques des uns et des autres.

Avant qu’elle n’ait pu formuler cette remarque à vive voix, un roulement se fit sentir dans les tripes du volcan. Une vibration se propagea dans les coussinets des résidents. Tant de puissance, s’en était divin…et affolant !

- L'ambiance est à chier depuis trop longtemps. Repris le congénère rayé. Vivement que ça pète. Comme pour lui.

La brute suivit son regard doré, avisa la montagne grise. Le cracheur de feu cachait bien son jeu, pour le moment.

- Je comprends sa colère. Les choses tournent pas rond, ici. Les lions vont et viennent à leur guise, et personne n’en a rien à foutre !

A ces mots, sa grosse patte vint fracasser un caillou. A l’intrusion du freelander, du liard, et plus récemment du lionceau brun et de sa sauveuse, tout le monde tremblait à l’idée d’une nouvelle invasion. Mais à présent, le laxisme redevenait monnaie courante, au grand dam de Shasta et des rares hyènes concernées par leur avenir. En somme, chaque jour était une nouvelle preuve de la nonchalance de Kuruka.

- A force de se reposer sur les épaules de ces connards, on va finir par se faire bouffer. Il faudrait leur rappeler une bonne fois pour toute que ce qui appartient aux hyènes est aux hyènes !

Elle renifla bruyamment, avent de reprendre :

- Qui pourrait respecter une espèce qui compte sur les autres pour se défendre ? Pfeuh !

Bon…voilà que l’autre rentrait dans une sorte de frénésie. Il pesta, laissant libre court à sa frustration. Shasta le laissa délirer, posant son arrière train au sol. Certes, il n’avait pas tort, les partisans de Kuruka étaient un danger majeur pour Makeo, à priori. Mais ils étaient bien peu, à présent.

Jeter des gens dans le volcan ? Hummm, cette phrase interpela la brute. Ses yeux s’étaient braqués sur la colonne grisâtre. Dès lors, un sourire carnassier se dessina sur ses babines.

- Les jeter dans le volcan, oui…Fit-elle pour elle-même, songeuse. Les paroles du mâle semblaient une vapeur diffuse.

Quand ce dernier eu fini de déblatérer, Shasta recentra son attention sur lui.

- Ces abrutis de lions voient leurs ancêtres dans le ciel. Les vôtres se trouvent là-dedans. Fit-elle en désignant le volcan. Voir les leurs se prostituer pour l’ennemi doit être une vraie honte pour eux ! Mais t’inquiète, Kuruka perd en notoriété chaque jour, justice leur sera bientôt rendue. Ça gronde déjà, dans la meute. Et les bannissements compulsifs ne font qu'empirer les choses. On pourra dire ce qu'on veut, Kuruka est seule dans son combat.

- Pourquoi tu vas pas lui briser les dents ? Tu t'es vue ?

Elle gronda. Avant de réaliser qu’il s’agissait en vérité d’un défi. Cela était vrai, Shasta pouvait allégrement écraser Kuruka, elle en était persuadée ! Après tout, la vieille femelle avait l’air aussi pathétique que ses sous fifres. Un bon coup patte dans le visage suffirait à la remettre à sa place. Néanmoins, la brute était fraichement arrivée. Il ne serait pas prudent de tenter quoi que soit face à un groupe méconnu. D’autant plus que –et même si cela lui arrachait la trogne de l’admettre-, la grosse ne ferait pas le poids face à une meute entière si cette dernière venait à désapprouver une attaque sur la dominante. De ce fait, il allait falloir prendre son mal en patience.

- T'aurais aucun mal à l'envoyer cramer en enfer. Ajouta le mâle, les yeux rivés sur la colonne grisâtre.

- Ouais, c’est sûr. Répondit la grosse. Mais prendre la température de la meute avant de tenter quoi que ce soit me semble judicieux. Les pros-Kurukas existent encore, il serait pas prudent d'agir sans savoir combien ils sont...pour de vrai.

Elle inspira bruyamment.

- Et c’est un sacré paquet de responsabilités. J’ai mieux à faire, pour l’instant.

Comme…massacrer sa génitrice.

- C’est quoi ton nom ? Dit-elle en posant ses grosses fesses dans amas de cendres.

- Zar'roc. J'te ferai pas l'affront de te demander le tien. On connaît tous ceux de qui on voudrait pas prendre une mandale.

Un ricanement -en tout point semblable à un ronflement disgracieux-, échappa à Shasta. A priori, sa réputation n’avait pas tardée à la précéder. C’est avec une grande fierté que la grosse accueillait la remarque du dénommé « Zar’roc ». Un nom bien curieux, mais qui ne manquait pas d’évoquer un esprit mauvais et violent.

- Qu'est-ce que t'as à faire de mieux, alors que tu fais partie de la meute ? Continua-t-il.

- J’ai quelques têtes à faire tomber. Répondit la géante. Dont celle de ma mère. C’est à cause d’elle si j’suis là. Et à cause d’elle si j’ai dû me coltiner des mois d’errance !

Bien. C’est tout ce qu’il aurait le droit de savoir. Après tout, ça n’était pas ses affaires…

- Et si tu m’parlais un peu de Makeo ? Kuruka m’en a causé que brièvement.

Une info contre une info, voilà qui semblait équitable.

Il a risqué sa peau pour le bien de la meute, un vrai commandant de guerre, et il l'a perdue, fin j'suppose, depuis le temps. Et voilà où on en est, Kuruka vire tous ceux qui lui plaisent pas. Qu'elle crève. J'vois pas c'que tu veux savoir de plus sur Makeo, en fait. Faut juste que quelqu'un fasse ce qu'il a pas réussi. C'est tout c'qui importe aujourd'hui. Ça dépend ce de c'que tu sais déjà. Il a flairé que le laxisme de sa sœur puait pour la meute. Et v'là c'que ça lui a valu, l'exil.

Shasta écoutait attentivement Zar’Roc, ne tardant pas à montrer une moue de mépris. Comme elle l’avait imaginé, Kuruka se contentait de réduire ses ennemis au silence. Pourquoi s’évertuer à perdurer une politique dénigrée par quatre-vingt pourcent d’un clan ?

- Mouais, je vois. Avait-elle répondu, après un court silence. La vieille bique joue de son rang pour faire valoir sa légation, quand bien même la meute est prête à se rebeller pour obtenir une politique qui lui convient.

Nouveau silence. Durant lequel le regard de la brute se planta dans celui de son congénère. Zar’Roc, comme beaucoup d’autres, seraient prêts à retenter une nouvelle révolte pour peu qu’on leur offre l’occasion d’en déclencher une. Mais une question subsistait : En auraient-ils la foi ? Makeo, un chef des guerriers, avait échoué dans cette démarche et d’après les dires, une autre femelle avant lui. Makeo était un mâle, de ce fait, sa défaite n’était pas une surprise. Mais tous les espoirs qu’il représentait s’étaient envolés avec l’annonce de son exil.

- Si quelqu’un se montrait prêt à retenter un coup d’Etat, tu ferais quoi ?

C’était une question simple. Mais néanmoins assez explicite sur ce que pensait le grise. Et surtout : Sur ce qu'elle prévoyait.

Un rire sinistre remonta de la gorge de Zar’roc. A priori, lui aussi avait perdu gros à cause des lions, au même titre qu'Akoda. Raison de plus pour envisager quelque chose d'audacieux.

-Il faut protéger la meute. J'y participerai.

Son regard doré flamboyait. De toute évidence, Shasta avait ravivé la soif de justice chez le mâle. Son approbation fut comme la signature d’un pacte. La brute n’était pas sûre de ses actes, mais tentait de prouver le contraire. Après tout, qui d’autre qu’elle était capable de renverser Kuruka ? Son incertitude s’évapora au fil des secondes. Il ne fallait pas se laisser impressionner par ce possible futur. Néanmoins, il ne fallait pas promettre un avenir meilleur trop vite : Il lui fallait déjà éclaircir le sien et Dieu sait comme cela serait pénible. Il fallait être paré à toute éventualité ! Et puis, à bien y penser, qu'aurait-elle à faire de sa vie, une fois sa vengeance accomplie ? Si c'était pour rester le cul dans la poussière à attendre une attaque de félins, autant prendre des directives pour le bien de tout ce beau monde.

La géante observa le volcan avant de reporter ses mirettes sur Zar’roc. Si, autrefois, elles laissaient transparaitre de la réflexion, c’est un regard froid et plein de détermination qui se posa sur celui du rayé. Les deux hyènes brûlaient du même feu. Elle pencha un peu la tête afin de se mettre à la taille de son congénère.

- Dans ce cas, j’vais avoir besoin de ton aide. Commença-t-elle. Je vais devoir quitter la meute pendant quelques jours pour régler mes histoires. Pendant ce temps-là, tu seras mes yeux. Informe-toi sur la meute. Débusque les derniers fidèles de Kuruka. Il faut s’assurer qu’on soit supérieurs en nombre.

Elle se releva, se retourna, époussetant son arrière-train d’un revers de queue.

- A mon retour, tu me feras ton rapport. On improvisera en fonction de c’que t’as vu. Capiche ?

Son cou puissant pivota vers son acolyte. Elle voulait être sûre que tout soit le plus simple possible. Aucune erreur ne serait tolérée ! Il s’agissait leur avenir…à tous.