Ce territoire n’avait rien de rassurant. Et ce fut encore pire quand leurs coussinets foulèrent une plaine remplie d’ossements. Waban fut le premier à réagir.

- Wow… C’est vachement lugubre par ici. Observa-t-il. Trainons pas…

- Bien que cela me soit insupportable : Je suis d’accord avec toi. Avait répondu Ceset. Il vérifia que la jeune lionne ne se soit pas éloignée. Par chance, elle était toujours à leurs côtés. La fine équipe put reprendre sa route, l’esprit alerte. Hex ne tarda pas pointer le bout de sa truffe, surveillant les horizons.

Leur progression parmi les restes fit naitre une profonde nostalgie chez le prêtre. Cette balade avait un air d’avertissement couvert d’une certaine poésie : « La vie vient, la vie part. » Un cercle immuable dont personne ne pouvait échapper, pas même ceux qui vouaient leur existence aux déités. Qu’adviendrait-il alors ? Nul ne le sait…Quoi qu’il en soit, le pèlerin finirait lui aussi par reposer quelque part, endormi à jamais. Le temps ferait son œuvre, la nature conserverait en elle le souvenir de son bref passage dans ce monde. Il espérait néanmoins accomplir son devoir avant.

Des rires sinistres vinrent briser ses réflexions. Instinctivement, le croyant vint se rabattre contre ses alliés. Waban s’était posté en position de combat, faisant face à un large groupe d’animaux étranges. L’un d’entre eux prit la parole en sortant de l’ombre.

- Tiens, tiens, tiens… Des gros minous qui ont le toupet de venir poser leurs salles pattes sur notre territoire ?! C’est parfait ça ! Ça doit avoir un bon gout, le lion hihihi….

L’ainé ne put retenir un frisson. Quelles étaient ces créatures ?! Se nourrissaient-elles vraiment de lions ? Un échange tendu débuta alors entre le grand gris et les bêtes tachetées. La conclusion fut on ne peut plus désagréable :

- Mais je n’hésiterais pas à m’attaquer à vous si vous ne nous laissez pas le choix. Dit le félin maous, les muscles tendus.

- Ne sois pas stupide, Waban ! Ils sont bien plus nombreux que nous ! Objecta le prêtre. Nous devons fuir !

L’idée de voir du sang couler ne le réjouissait guère, que cela soit du côté adverse où du sien. Qui plus est, la morphologie atypique de ces créatures ne devait pas leur permettre de courir bien vite. Ce territoire devait bien avoir des frontières ! Il se tourna vers Tadewi, afin de vérifier son état.

Dans quel calvaire c’étaient-ils embarqués ? Les animaux resserraient leur cercle sur le trio, l’effet de groupe exacerbant leur excitation. Ceset était pétrifié, son maigre corps était tendu. Si l’occasion de fuir se présentait encore quelques minutes auparavant, leurs chances de s’en aller sans faire de dégâts étaient à présent nulles.

- Je vais faire diversion… Annonça Waban avant de se ramasser sur lui-même. Le prêtre espérait alors que le gris s’en sorte sans trop de blessures.

-Assez camardes !

Les créatures stoppèrent leur intimidation. Leurs petites têtes se tournèrent vers la source de l’interpellation, pour le moment invisible aux yeux du vieux mâle.

-Quant à vous les lions, rangez vos griffes ! Vous n'avez aucune chance contre nous ! Ce serait trop bête de mourir dans de telles circonstances. Si vous vous tenez tranquille, nous vous escorterons jusqu'aux frontières du territoire, conformément à nos règles.

Soudain, elle apparut. Une femelle blanche aux yeux émeraude. Elle était visiblement de la même espèce que les agresseurs, mais était physiquement différente. Il s’agissait sûrement de la reine, à en juger leur changement comportement. Waban changea également d’attitude, au grand bonheur du guérisseur. Ce dernier se détendit, sortant du dos du combattant pour examiner la scène de plus près. De son côté, le lion du vent avait entamé un discours qui, aux oreilles de l’aîné, semblait quelque peu déplacé. Ils n’avaient pas leur mot à dire !

- Ma reine ! Intervint soudain un mâle. Ce lion a voulu nous sauter dessus ! Il nous a menacés et voulait faire de nous leur repas ! Comme s’ils avaient pas assez de proies sur leur territoire ! Et ils viennent de Freeland ! C’est encore une agression de leur part, j’en suis sûr !

Le prêtre leva un sourcil, agacé. Il n’eut guère le temps de s’exprimer, son acolyte prenant la parole :

- Tout ceci est un ramassis d’âneries. Nous ne faisions que passer. Nous ne sommes que de simples voyageurs venus de terres lointaines. Pour vous prouver ma bonne foi, je rentre donc mes griffes que vous ne souhaitez voir…

Pour une fois, cet affreux Jojo avait adopté le bon comportement. Mais cela suffirait-il à convaincre la cheffe ? Le cultiste fit un pas en avant, afin de faire entendre sa voix.

- Mon compagnon a raison. Nous n’avions nulle intention de semer le trouble chez vous. Nous voulions simplement traverser ce cimetière pour gagner du temps, vos guerriers nous ont interceptés avant. Je vous présente nos plus plates excuses (il insista sur le mot tout en glissant une œillade au gris) et acceptons vos conditions.

Après tout, ils n’étaient pas chez eux. Mieux valait de ne pas miser sur l’arrogance et se laisser guider aux frontières.

Après avoir vérifié la marque olfactive des félins, la femelle se tourna et décrocha un violent soufflet à son subalterne. Le vieux lion faillit lâcher un hoquet de surprise. C’était inattendu…mais mérité ! Après avoir réprimandé le malotru, la cheffe s’adressa aux félidés, leur expliquant les raisons de cet accueil pour le moins déplaisant. A priori, des intrus auraient blessés leurs congénères, voilà qui justifiait l’agressivité de ces créatures envers le groupe. Néanmoins, cela n’excusait pas tout.

- Le premier lion était petit de taille et avait un pelage noir. L'autre était sans crinière. Il avait un pelage gris et...Il était beaucoup plus grand que vous...D'ailleurs, aucun d'entre vous ne connaîtrait un de ces lions ?

- Plus grand qu’un lion du vent ?… Questionna Waban.

Le prêtre haussa un sourcil. "Un freelander, énorme, gris et sans crinière ?" Hum. Cela lui rappelait bien quelqu’un…. Mais le vieux noiraud garda le silence.

-Nous vous escortons jusqu'aux frontières. Vous pourrez me dire ce que vous savez en marchant. Reprit l’étrange animal. En route !

Le mâle gris s’empressa de rassurer Tadewi. Quelque part, les paroles de son camarade l’apaisèrent tout autant. Se mettant en marche, le lion du vent fit part de son ignorance quant à la connaissance des agresseurs. La nuit où Ceset était tombé dans la rivière, menacé par une vision cauchemardesque, il avait été secourut par un individu répondant parfaitement aux critères.

Comme si il avait pu deviner ses pensées, Waban adressa un regard au pèlerin. Celui-ci se senti obligé d’informer cette dominante. Après tout, elle leur avait rendu un grand service en réprimant les menaces de ses pairs.

- J’ai été sauvé de la noyade par un lion curieusement identique à votre description. Répondit-il. Mes compagnons n’ont guère eu le temps de le rencontrer, notre interaction s’est terminée sur un désaccord.

Oui. Ce Banguko n’avait pas été le plus charmant du monde. Néanmoins, le but du croyant n’était pas de le mettre dans les ennuis. Il lui avait sauvé la mise, après tout. Mais l'idée d'avoir put avoir affaire à un meurtrier ne l'enchantait nullement. Au contraire, cette idée lui donna soudainement des frissons.

- Que s’est-il passé au juste ? Quelles étaient les motivations de ces lions envers les vôtres ?

La hyène répondit à la question. Et, comme il s’y attendait, le vieux se retrouva submergé par l’inquiétude de Tadewi. Si cela avait été quelqu’un d’autre, nul doute que prêtre aurait lâché un "C’est pas tes affaires" significatif. Mais le temps avait lié les liens entre la jeune femelle et lui. Il se surprenait même à la considérer comme une enfant de sa famille...la famille qu’il n’avait jamais eue.

- Je vous expliquerai. Avait-il dit simplement, avant que leur escorte ne les conduise aux frontières. L’idée ne l’enchantait guère, mais il devrait leur dire la vérité. Après tout, Waban et Tadewi étaient compréhensifs, non ?

La créature blanche ordonna à ses troupes de se disperser. Ceset fut bien aise d’être débarrassé de cette bande d’affreux !

- Avec tout ce qui s'est passé, reprit la cheffe, je ne me suis pas présentée. Mon nom est Kuruka et...Comme vous avez pu le constater, je suis la dominante de cette meute. Je suis sûre que nous aurons l'occasion de nous revoir quand les tensions internes auront cessées. Malheureusement, je vais devoir vous laisser maintenant. Je dois absolument réunir les miens au plus vite, je ne veux pas qu'une telle chose se reproduise pour d'autres innocents comme vous...En cas où, je vous souhaite bon courage pour la suite de votre voyage !

- Je saurai retenir votre nom, Kuruka. Et je pense pouvoir vous remercier en notre nom pour le geste que vous avez eu à notre égard. Il est préférable que le sang ne coule pas. Répondit Waban, dont les paroles furent validées par un signe de tête approbateur de l’aîné. C’est qu’il savait faire de l’esprit, quand il voulait! Ils ne s’étaient pas présentés, mais pour sa part, la guérisseuse s’en était chargée pour lui.

Puis, Kuruka disparut, retournant dans les ténèbres de son territoire. Le vieux lion lui adressa une prière silencieuse, lui souhaitant paix et courage.

Le fils du vent fit ensuite face à ses acolytes, le regard chargé de pensées. Son trouble était nettement partagé.

- Nous devrions reprendre la route, la nuit commence à tomber. Suggéra le prêtre.