À cette période précédant l’aube, lorsque le ciel ne peut encore se décider s’il veut amorcer sa transition ou non, une créature s’avançait, se traînait presque, sur le sol de poussière et d’herbe sèche des Grandes Steppes. Malgré sa maigreur, sa fourrure sablée et sa crinière sale ne laissaient aucun doute sur la nature de cette chose : il s’agissait d’un lion. Il s’agissait de Kutoa.

L'exilé était exténué, blessé, mais euphorique. Aucune infection, aucun ventre vide ne pourrait lui ôter le soulagement qu'il ressentait d'être à bon port. Car il n'y avait aucun doute : l’étendue herbeuse d’apparence infinie, le silence qui régnait, le vent qui soufflait, voilà bien les caractéristiques de l'ancien territoire des Marozis. Cela faisait des mois, des mois qu’il cherchait ce lieu depuis qu'il en avait entendu parlé, et il l'avait trouvé. Celui qui se qualifiait autrefois de guerrier se tourna alors de moitié vers l’oiseau qui le suivait, ne pouvant détacher son regard du paysage qui s’offrait à lui, et lui grogna d’une voix rauque et cassée :

Kutoa : “ Pars. Je n’ai plus besoin de toi. „

Le volatile n’eut pas besoin qu’on le lui dît deux fois, et s’envola aussitôt vers le sud-ouest. Kutoa le regarda néanmoins s'éloigner, songeant que le piaf avait intérêt à retrouver son propriétaire, sans quoi, une petite bande de lions voudrait certainement avoir sa peau. Soufflant un peu, se sentant revigoré par son objectif atteint, le rouquin puisa ensuite dans ses maigres ressources pour se redresser et tenter d’avancer avec plus de prestance. Pas que cela réussît bien. Il lui fallait à présent trouver ses camarades Kulishas.

Cependant, un effluve, qui lui arriva aux narines porté par le vent, l'interrompit. Des Outlanders, ici ? Non, l'odeur était différente, mêlée à ce qui ressemblait à celle des Kulishas. Ces derniers n’auraient donc pas été les seuls exilés ces derniers mois, alors. Au lieu de révulser l’exilé et de le faire fuir, il se dirigea au contraire dans la direction des fragrances, qui appartenaient à des femelles. Ah, il devrait tenter de se montrer sous son meilleur jour possible, alors. Difficile, au vu du piteux état de son corps.

Peu de temps après, il put distinguer au loin deux formes féminines, comme il s’y attendait, bien que l’une soit visiblement plus jeune que l’autre. La plus petite se redressa alors, regardant droit dans sa direction, et l’exilé sut qu’il avait été repéré. Le changement de sens soudain du vent ne laissa également plus place au doute. Après ce qui sembla être un ordre, la plus jeune des lionnes s’en alla en courant, abandonnant son aînée. Cette dernière s’approcha alors de lui, et lui-même ne ralentit aucunement. Toutefois, on ne pouvait nier le fait qu’elle gagnait bien plus rapidement du terrain que lui.

Ils s’arrêtèrent finalement l’un en face de l’autre, bien que quelques longueurs de queue les séparassent. La lionne, au pelage foncé constellé de petites taches, posait sur lui un regard d’or, dur, mais Kutoa n’était pas étranger au langage de son corps, qui trahissait sa tension. Lui-même était un peu tendu : si elle le souhaitait, elle pourrait ne faire qu’une bouchée de lui, vu son état pitoyable. À vrai dire, il avait un peu honte à se présenter ainsi, surtout si cette exilée Outlander avait rejoint les Kulishas.

??? : “ Qui es-tu étranger ? Les rôdeurs ne sont pas les bienvenus en ces terres. „

Kutoa, trop épuisé pour rester debout, s’assit lourdement, soulevant un petit nuage de poussière malgré son immense perte de poids. Il toussa un peu, puis fixa la lionne de ses yeux bleus perçants avant de répondre d’une voix usée, la gorge desséchée :

Kutoa : “ Kutoa. Je m’appelle Kutoa. Je ne suis pas un rôdeur, mais un Kulisha. Un Kulisha ayant perdu son chemin, il y a fort longtemps. Et je viens retrouver les miens. „

Il fit une pause, tenta de s’humidifier la gueule en déglutissant, en vain. Ah, que ne ferait-il pas pour boire ! Il reprit tout de même, d’une voix plus faible, bien qu’il la voulût assurée :

Kutoa : “ Où se trouve Ekua, la reine vipère ? Je dois lui annoncer mon retour, j’imagine. Cette garce nous a abandonnés, moi et d’autres guerriers, à notre sort. J’espère lui montrer qu’elle a eu tord. Il en faut plus, pour se débarrasser de moi. „

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Kutoa parle en #0070ff

Kutoa ne put cacher sa surprise à la révélation de la lionne, sa gueule s’entrouvrant légèrement. S'il s'était attendu à une telle annonce ! La reine vipère n'était plus ? Wanji la brute non plus ? Que de bonnes nouvelles en perspective. L'exilé se félicita de ne plus avoir à voir leur tête jusqu'à la fin de ses jours. Il espérait qu'ils avaient tous les deux connu une mort baignée de souffrance, similaire à celle qu'il avait lui-même souffert. Il plissa légèrement le nez en songeant à ses blessures infectées, avant de répondre d'une manière aussi éloquente que possible (chose difficile pour lui, mais il faisait des efforts de temps en temps) :

Kutoa : “ Le pouvoir est toujours source de problèmes. De par mon expérience, je pense qu'il est possible d'affirmer que l'on vit plus longtemps sans se mêler à la politique. „

Toutefois, il regretta rapidement son commentaire, car de la poussière portée par le vent lui rentra dans la gueule. Dégoûté, l'exilé se mit à tousser et cracher, bataillant comme un beau diable, car il n'avait que peu de salive tant il était déshydraté. Finalement, il réussit au bout de quelques minutes à se débarrasser de la majorité des particules intruses. Ah, il se sentait ridicule. Comment cette lionne pourrait-elle le prendre au sérieux ? Un peu honteux, il dirigea son regard partout, sauf sur la lionne. Bien. Faire comme si de rien n'était. Éloigner l'attention de lui-même. Il se leva et fit le tour de la femelle, de façon à ne plus être face au vent.

Il prit ainsi une inspiration, avant de se recentrer sur l'inconnue. Il devait avouer qu'elle était plutôt agréable à regarder. Certes, elle n'était plus toute jeune, mais lui non plus. Dans tous les cas, elle se portait bien mieux que lui. Enfin, Kutoa doutait qu'il existât un seul individu dans toute la Terre des Lions qui se portât moins bien que lui. On pouvait faire difficilement pire, vu son état. Le Kulisha soupira. Il mit à espérer qu'il aurait la possibilité de se remplumer, à présent qu'il avait retrouvé les siens. Après tout, cette lionne avait l'air d'être suffisamment nourrie pour ne pas devenir émaciée. Kutoa sourit alors un peu, oubliant rapidement son moment de ridicule. Il avait apprécié la franchise dont elle avait fait preuve. Après tout, ces derniers temps, il avait été entouré de lions voulant sa peau et, pour s'en sortir, il avait dû faire appel à de jolis mots, ainsi que des paroles totalement mensongères. Pas que cela changeait énormément de ses habitudes. Peut-être devrait-il se mettre à la franchise ? L'ancien guerrier laissa ses yeux trainer sur le corps de la lionne, avant de croiser son regard. Il ne connaissait toujours pas son nom.

Kutoa : “ Mais assez parlé de ces incapables. Tu ne m'as pas dit ton nom, il me semble ? „

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Kutoa parle en #0070ff

La lionne sembla avoir un blocage lorsqu'il lui demanda son nom, sursautant et restant muette quelque temps. Kutoa haussa un sourcil. Y avait-il un problème avec cela ? Il ne faisait que preuve de courtoisie. Quoiqu'en vérité, il serait en mesure de comprendre qu'elle refusât de révéler son identité si une mesure avait été mise en place pour la protection des exilés, aussi paradoxal que cela sonnait. Toutefois, le silence de la femelle se révéla de courte durée et elle se présenta sous le nom de Shaba. Cependant, elle l'avait éclairci d'une voix tellement basse que Kutoa dut tendre l'oreille pour l'entendre. Devenait-il sourd ? Un petit élan de panique le prit à cette idée, mais évanouit aussitôt. Après tout, il devenait âgé. Dans tous les cas, la lionne précisa également d'elle était originaire d'Outland.
Ah, ça confirme ma théorie.
Le rouquin acquiesça pour lui-même plus que pour autre chose. Néanmoins, en étudiant encore davantage la femelle qui se situait en face de lui, Kutoa remarqua bien l'embarras qui se dégageait de son langage corporel. Ah. Il était vrai qu'ils ne se trouvaient pas dans les meilleures conditions pour discuter.
Notamment avec ce putain de vent !
Le guerrier gronda légèrement à cette pensée. Il espérait sincèrement que ce vent ne soufflait pas constamment sur le territoire, sinon, il aurait du mal à s'adapter. Enfin, pas qu'il n'était tout à fait en position pour faire des propositions dans le but de trouver un nouveau lieu plus apte. Il ignorait tout de ce territoire.

Shaba lui proposa alors de rencontrer un fameux Hourasi, apparemment prince héritier d'Outland. Il était vrai que ce nom lui disait quelque chose, mais Kutoa sentait la fatigue prendre peu à peu le contrôle, et il ne trouva pas l'énergie de fouiller sa mémoire. Il haussa donc une épaule en guise de réponse, la gigantesque cicatrice qui couturait l'autre empêchant de la bouger plus que le minimum nécessaire. Toutefois, il jugea qu'il valait mieux répondre à voix haute, histoire d'être certain de se faire comprendre. Il ne voudrait pas insulter la lionne en manquant de respect à son roi.

Kutoa : “ Pourquoi pas. Je suis sûr qu'un tel individu, pardon, prince, saura se montrer clément envers un exilé fatigué. „

Puis il finit par faire un sourire fatigué en guise de remerciement à Shaba. Bien. Les Outlanders semblaient bien plus sociables qu'on ne le lui avait conté lorsqu'il était enfant. Néanmoins, il ne résista pas l'envie de faire un commentaire sur l'identité de la femelle :

Kutoa : “ Shaba est un joli nom. Ça sonne bien. C'est commun chez les Outlanders ? „

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Kutoa renifla à la première réponse de Shaba, amusé. Bien. Elle n'avait pas l'air d'être du genre à passer par quatre-chemins, contrairement à lui. Au moins, il ne serait pas difficile de la comprendre ou de répondre à ses attentes si elle se montrait si franche et ouverte. Qu'allait-il donc s'imaginer ? Ses vaines tentatives de flirt s'étaient montrées inefficaces jusque-là. Enfin ... Pas qu'il s'était attendu à des résultats immédiats, avec l'apparence de mort-vivant qu'il devait avoir. Peut-être ferait-il mieux de calmer son jeu, pour l'instant, au lieu de risquer de perdre la seule aide qu'il pût recevoir.

Puis, Shaba lui rendit son compliment, avec une certaine maladresse, mais c'était ce qui la rendait si ... Charmante ? Était-ce bien le mot ? Eh, dans tous les cas, ce devait bien être la première fois qu'on lui disait que son nom n'était pas affreux, même s'il n'était pas sûr de comprendre la comparaison. À moins que ce fut justement un moyen pour la lionne de l'insulter ? Cependant, ce qu'elle lui raconta par la suite lui ôta rapidement cette idée de la tête, lui confirmant que cela avait bien été une tentative de compliment. Le vieux lion sourit à cela, ou du moins, il essaya. Toutefois, la suite de ce qu'elle lui apprit lui arracha cette fois-ci un véritable petit ricanement. Ah ! Qui aurait cru que ses frères et sœurs Kulishas se fussent comportés comme des sauvages en son absence ! Il aurait aimé être là pour les voir se ridiculiser.

Kutoa : “ Ah, que puis-je répondre à cela sans insulter mes camarades ? J'imagine que vivre en tant qu'exilé en voyageant sur la Terre des Lions m'aura appris à être un peu plus humble. „

Une nouvelle quinte de toux le prit alors. Ah, il n'était pas certain que son corps tint encore le coup longtemps, avec l'état dans lequel il se trouvait. Et cette soif qui ne s'arrêtait pas ! Kutoa jeta un regard quelque peu méfiant vers la femelle. Lui viendrait-elle en aide s'il le lui demandait ? Un peu de politesse devrait suffire, n'est-ce pas ?

Kutoa : “ Euh ... Désolé de devoir interrompre cette discussion, mais penses-tu pouvoir m'amener auprès de ce Hourasi ? Ou alors quelque part où je puis boire, manger peut-être, et me reposer ? Voyager n'est pas de tout repos, surtout lorsque l'on est un exilé. „

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Kutoa parle en #0070ff

Un sourire, un peu plus sincère que les précédents, étira légèrement les babines de Kutoa lorsque la lionne laissa son amusement transparaître. Ah, qui eût cru que ces tentatives d'humour marcheraient un jour ! Toutefois, son visage reprit rapidement son sérieux lorsque la femelle lui indiqua qu'elle l'aiderait, bien qu'il fut obligé de marcher encore un peu plus avant qu'ils n'arrivent à destination. Le guerrier se contenta d'acquiescer, avant d'ajouter avec une voix aussi mielleuse que sa gorge sèche pouvait lui permettre :

Kutoa : “ C'est toi le chef ! Je te suivrais volontiers jusqu'au bout de ce territoire si cela devait se révéler nécessaire. „

Une nouvelle quinte de toux. Bon, il se la fermerait définitivement, cette fois. Ainsi, fidèle à sa promesse, Kutoa ne pipa mot de tout le voyage. Il préférait se concentrer sur l'endroit où il posait les pattes, ne souhaitant pas se ridiculiser face à cette lionne. Enfin, il ne doutait pas du fait qu'il pouvait difficilement faire pire que son état actuel de squelette sur pattes. Vraiment, plus il y pensait, et plus le guerrier venait à la conclusion que sa capacité d'encore pouvoir se mouvoir provenait d'un miracle.

Même si en réalité, si miracle il y avait, ce devait plutôt être sa chance d'être tombé sur une lionne disposée à l'aider, et à lui sauver la vie.

Kit © Kutoa

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