C’était enfin l’heure de rentrer au bercail. Hassun n’attendait que ça bien qu’il modérait son allure et son impatience. On peut dire ce que l’on veut à propos de l’exil, on ne peut jamais se préparer totalement. Le pire ce n’est pas de devoir se nourrir, trouver de l’eau ou de devoir bouger dans tous les sens pour espérer que le clan ne serait pas sur votre route. Non le pire c’était être tout seul. Jamais quelqu’un avec qui parler, avec qui échanger le moindre regard. C’était entre le lion et le Désert et lui seul sait à quel point il est grand et silencieux.

Hassun avait beaucoup changé – en dehors du fait qu’il avait perdu du poids et que ça se voyait légèrement, sa crinière avait poussé. Mais il était fier qu’elle n’ait pas poussé davantage – en effet il arborait une crinière courte qui ne descendait que légèrement sur ses épaules, rien sur son poitrail. De quoi le prendre pour adolescent toute sa vie s’il avait été élevé en dehors du Grand Désert. Non content de revoir enfin le clan, un mince sourire étira les babines d’Hassun quand il aperçut sa sœur qu’il ne manqua pas de saluer :

« Kaya ! »

Il lui donna même un coup d’épaule, taquin. Cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas pu l’embêter et ce n’était pas l’âge qui allait arrêter ça. Il faut dire qu’il n’avait pas toujours su bien s’entendre et c’est la mort de leur père qui a pu les rapprocher. Triste constat dans un sens mais Hassun n’avait jamais pu se résoudre à devoir vouer une haine naturelle à sa sœur. Railleur il finit par dire :

« J’espère que t’as bien pu profiter de tes vacances sans moi ! »

Il finit par vite retrouver son sérieux et fronça les sourcils. Quelque chose le frappa. L’absence de quelqu’un en vérité. Il avait beau chercher dans tous les coins, il ne vit pas sa mère. Probablement que l’excitation lui faisait manquer le coche mais il ne put s’empêcher d’imaginer soudainement le pire, si bien qu’il lança un regard à Hanska avant de finalement demander :

« Où est maman ? »

Désireux d’ôter ces idées noires de sa tête et de rester réaliste, Hassun finit par renverser l’ordre des priorités. Sa mère était forcément envie et probablement entrain de s’occuper des enfants ou de se reposer dans un coin. Pas de quoi s’alarmer, vraiment. Le regard grave et presque dur, il balança avec tout le sérieux du monde :

« Écoute, je dois vois l’Empereur, l’Impératrice, peu importe qui est au pouvoir aujourd’hui. C’est urgent. »

Cette histoire de Mositus devaient impérativement arriver jusqu’aux oreilles du dirigeant des Jangowas. Hassun n’était pas assez idiot pour croire que Wivu resterait indéfiniment au pouvoir, peut-être que quelqu’un avait pris son courage à deux pattes et s’était opposé à lui. Peu importe qui cela pouvait être, si c’était un Jangowas, alors il comprendrait l’urgence de la situation et ferait le nécessaire. Ces vermines devaient mourir, jusqu’aux derniers.

Enfin ce jour était arrivé. Aujourd’hui, tout le monde rentrerait, comme s’ils n’étaient jamais partis. Une année s’était écoulée mais pour Chukia cela semblait plus n’être que quelques mois, tout au plus. Le départ de ses deux oncles l’avait inquiété sur l’instant, mais bien vite d’autres occupations avaient détourné son esprit de cette inquiétude. Après tout, c’était la famille, et bien qu’elle n’aie pas réellement d’avis sur les deux lions, hormis cette préférence naturelle qu’elle porterait envers Hassun, ils faisaient partie de ce petit cercle restreint familial que Chukia s’éfforce à essayer de chérir.

Comme Jehara et Lewa, elle avait attendu ce moment où ils reviendraient, sans jamais imaginer que peut-être ils pouvaient disparaître à tout jamais au sein du Grand Désert, avant même de revenir montrer la force qui les a forgé. Et ils étaient bien là, sains et saufs. Le choc fut d’abord visuel ; alors même que Chukia se souvenait d’eux bien plus petits et bien plus frêles et imberbes. Ils étaient revenus changés, grandis. Il ne s’agissait plus de les qualifier de lionceaux désormais, mais bien de jeunes lions en devenir. C’en était admirable, et des étoiles naissaient dans les yeux de la jeune jangowa.

- Hassun ! Hanska !

Sous le coup de l’excitation des retrouvailles, Chukia ne put s’empêcher, tout comme le restant de sa petite fratrie, de s’élancer vers ses oncles avec enthousiasme, oubliant même les informations importantes qu’ils avaient à confier.

- Comme vous êtes grands maintenant … Oh, vous devez être fatigués mais j’aimerais tellement entendre ce que vous avez vécu ! Est-ce que c’est vraiment comme ce que l’on raconte ? Très dangereux ?

Oh, sur le moment Chukia avait mis de côté la réalité qu’un jour le tour de Jehara se présenterait. Et il semblait de plus en plus proche, mais elle se refusait de considérer cela. Il était si fragile, si doux, elle ne pouvait se résoudre à potentiellement le perdre pour une tradition alors même que celui-ci n’était pas fait pour ca. Mais qu’en penserait les autres ?

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Chukia chuchote en #086A87

Le lion gris ne put que se satisfaire de la surprise de sa sœur – s’il l’avait reconnu de bien loin, il ne pouvait que constater à travers les yeux de son aîné qu’il avait bien changé. Probablement bien maigris aussi mais ce n’était qu’un détail. Il était revenu d’exil et c’est tout ce qui comptait – il allait enfin pouvoir revoir les siens. Néanmoins, sa sœur voulu s’enquérir de ce qui pouvait troubler à ce point le lion fraîchement revenu de l’exil. Pour le moment, il ne souhaitait pas trop en dire, surtout lorsqu’il reçut la pique de son frère à laquelle il ne put s’empêcher de répliquer avec un légèrement grognement :

« Contrairement à ce que tu sembles croire, le monde ne tourne pas autour de toi et de tes ambitions. Si tu me connais si bien que ça, grand frère, tu saurais que le pouvoir ne m’a jamais intéressé. »

Cette petite paranthèse se clôtura bien vite et il reporta son attention sur les paroles de Kaya. Ainsi elle n’avait parlé que d’Hatasa, il y aurait-il un problème avec Wivu ? Peu importe, tant qu’il voyait quelqu’un d’haut placé dans la hiérarchie qui pourrait enfin secouer tout ce tas de feignasses croulantes. Cependant, alors qu’il aurait bien voulu lui expliquer de quoi il retournait, il se ravisa bien vite lorsqu’elle évoqua Wema. Le lion gris fronça les sourcils. Besoin de repos ? S’il avait voulu poser un tas de question il fut bien vite coupé dans son élan par l’intervention de Chukia. Un large sourire étira les babines d’Hassun, d’habitude si stoïque et il ne put que constater à quel point sa nièce avait grandis. Vivement, il adressa quelques paroles à Kaya :

« Je te raconterai plus tard, quand je serai certain qu’on puisse y faire quelque chose. En attendant je vais aller voir maman. »

Il se baissa pour donner un coup de museau à Chukia avant de la prendre par la peau du cou et de s’élancer vers l’oasis tout en disant :

« En avant, petite terreur du Désert ! Aller voir ta grand-mère au triple galop sera déjà une aventure et je pourrai tout te raconter. »

Il ne le dirait sans doute jamais à voix haute, mais sa famille lui avait terriblement manqué.

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