Ceset se faisait discret, ondulant son corps longiligne entre les hautes herbes. Du point de vue des Dieux, il ressemblait à un serpent chevelu. Cela devait être fort étrange, mais qu’importe. Le soir commençait à tomber, il lui fallait redoubler de vitesse s’il ne voulait pas être rattrapé par la nuit.

Le prêtre se servait des plantes pour dissimuler son odeur. En l’occurrence, l’herboriste c’était muni de quelques spécimens locaux, qu'il tenait entre ses mâchoires. Cette astuce, forte utile, permettait de passer inaperçu lors des escapades en solitaire.

Il lâcha son bouquet garnit, inspecta l’horizon de ses pupilles d’ébène. Humph…serait-il perdu ? Non ! Impossible ! Il récupéra les plantes avant de reprendre la route. Le tout était formé de plusieurs herbes médicinales. Parfaites pour soigner les blessures, entre autres. Le prêtre comptait enseigner leurs bienfaits à Tadewi. En effet, la jeune lionne semblait connaitre quelques notions de médecine.

Un bruit vint tirer le croyant de ses rêvasseries. Ou plutôt, de ses idées noires. Quelque chose venait de bouger, au sol, à quelques mètres de lui !

Le vieux lion plissa les paupières, tentant vainement de discerner la créature. Mais ce fut impossible. L’animal (s’il s’agissait bien de cela), était camouflé dans la pénombre du crépuscule, sous un buisson. Son sang ne fit qu’un tour. Le croyant recula d’un pas, les muscles bandés, prêt à détaler. Et si le Mal était revenu ? Ou si la chose était en vérité un bandit de grand chemin ?

En analysant de plus près, le religieux détecta quelque chose de troublant : Une forte odeur de sang ! Il déposa les médicaments, observa l’obscurité un instant avant de lui adresser la parole :

- Je sais que vous êtes là, nul besoin de vous cacher ! N’ayez crainte, je ne suis pas venu vous chasser.

Il se contentait de rester sur ses gardes, prenant soin de ne pas se montrer vulnérable, ni trop agressif. Toutefois, vu de l’extérieur et à sa façon de parler, Ceset pouvait sembler froid et blasé.

- Il semblerait que vous soyez mal en point… Je peux vous aider, si vous le souhaitez. Venez par ici, que j’inspecte les dégâts. Mes amis ne sont pas bien loin, ils pourront nous venir en aide si besoin.

L’évocation de Waban et Tadewi devrait avoir dissuadé l’étranger de l’attaquer. Du moins, c’est ce qu’il espérait.

- Je n'ai pas besoin d'aide abruti! Dégage sur le...

La phrase fut coupée par un borborygme peu ragoutant. Celui-ci arracha au prêtre une moue agacée. Pour qui il se prenait, celui-là ?

Bien, maintenant qu’il avait eu confirmation que la chose était un animal - blessé, qui plus est-, le prêtre se détendit. Il leva les yeux au ciel. Encore un qui se croyait plus fort que la douleur.

- Bah voyons. En voilà, des manières de s’adresser à un lion capable de sauver votre misérable carne !

La pique avait été servie avec toute la nonchalance et la lassitude dont le guérisseur était capable. Il observait le semblant de silhouette, une expression vaguement courroucée sur le visage. Ceset réfléchit un instant. Son culte lui imposait de venir en aide au nécessiteux. En revanche, il lui était interdit de les forcer à accepter ses soins. Voilà qui le dédouanait de toute responsabilité vis-à-vis de cet individu mal élevé. Il n’avait pas de temps à perdre avec les difficiles !

- Mais, si vous tenez absolument à ce que je parte, soit. Je vous laisse. Je vous souhaite donc de bien plaisantes souffrances !

Sur ce, il s'empara de son bouquet et se détourna du buisson.

- Non! Attendez ! S'il vous plait...!

Le prêtre s’immobilisa. Une brève agitation le fit se retourner calmement. C’était un liard. Le lion sombre observa l’individu, impassible. Ce dernier se trainait à même le sol. La lumière du crépuscule vint éclairer son visage souillé de sang. Le soleil tombant amplifiait les couleurs rougeoyantes.

- ... argh ...fait chier...Venez m'aider! Bon sang! Soyez sympa...

Ceset ne bougea pas d’un muscle. C’était à son tour de se faire prier, sans mauvais jeu de mot. Qui plus est, il était assez amusant de remarquer à quel point la douleur pouvait rendre réaliste. Il fixa l’estropié, un sourcil arqué.

- Voilà qui est mieux ! Dit-il. Après quoi, le médecin s’approcha délicatement. Il observa le visage tuméfié de l’hybride. Hum, c’était une bien vilaine plaie ! A en juger sa nature, elle avait dû être faite par des griffes félines. En y regardant de plus près, le corps entier du malheureux était recouvert de blessures. Si certaines s’étaient refermées, d’autres demeuraient en court de cicatrisation. Quid de son œil, la partie la plus délicate ne semblait pas trop amochée...toutefois, elle ne serait jamais aussi performante qu'autrefois.

- Bien. Commença le cultiste après son inspection. Je vais pouvoir faire quelque chose pour toi, jeune homme. Quant à ton œil, tu devrais recouvrir certaines de ses facultés.

Sur ce, il éparpilla les herbes précédemment ramassées. Il n’allait pas être aisé de prodiguer les soins tout seul. Mais, par chance, une présence familière vint les rejoindre.

- Ceset! Tu nous as fait une peur bl… Par le Vent du nord… Que vous est-il arrivé ?!

Cette voix, le vieux lion l’aurait reconnue entre mille. Il s’agissait de Tadewi. Visiblement, la vue du sang n’était pas monnaie courante chez la femelle, à en juger son changement de ton.

- Il faut l'aider, Ceset… Poursuivit-elle. Nous allons l'aider, n'est-ce pas ? On ne peut pas le laisser comme ça, regarde.. Son oeil, il…

Urh. Quel moulin à paroles !

- Oui, oui…Soupira le vieux mâle sans lâcher ses plantes du regard. Il en sépara quelques-unes, dont une courte branche épineuse parsemée de petits fruits verdâtres. Il la bougea prudemment du bout de la griffe, commença à en extraire les baies. De son côté, Waban choisit de rester en retrait. Il s’installa non loin de ses acolytes, observant la scène en silence. La lionne du vent conseilla au malade de garder ses forces. Voilà qui était judicieux aux oreilles du noir.

Le liard se présenta. "Odon" ? Ceset observa le blessé, interloqué. N’était-ce pas la personne que le jeune Jahvis recherchait ? Devait-il lui en parler ?

- …Et puis... vous êtes qui vous deux ?! Marmonna l’estropié. Je.. Je me suis battu contre un lion, pour une proie sur le territoire des hyènes. Et des hyènes sont arrivées, se mélangeant au combat, je me rappelle pas de tout...

Une bien triste histoire. Toutefois, qu’est-ce que ce liard était allé faire sur le territoire des hyènes ? La nourriture était décidément une forte cause de conflit. Pourtant, ça n’était comme si il en manquait, ici !

- Mon garçon, je me nomme Ceset. Prêtre de Sha’Haar. Et voici Tadewi et Waban, mes compagnons de route. Répondit le vieux. Il se tourna ensuite vers sa jeune compagne.

- Je sais que tu connais les plantes, je vais te montrer comment utiliser celle-ci. C’est un Balanites aegyptiaca, autrement dit "Dattier du Désert".

Maintenant qu’il pouvait partager son savoir, le religieux n’allait pas s’en priver. Après tout, celà faisait partie de son métier.

- Il faudrait que tu m’aides à broyer les fruits, nous allons nous servir de leur jus.

- Il y en aura-t-il assez ? Avait demandé la femelle, une fois son travail accomplit. Le prêtre avait hoché la tête, signifiant que la quantité était satisfaisante. N'ayez crainte, Ceset sait ce qu'il fait. Reprit-elle.

- J'espère ! Maugréa le blessé. Ça sent vraiment la bouse d'éléphant vos plantes bizarres. Mais, merci pour l'aide... d'habitude, j'arrive très bien à me débrouiller seul. Quelle plaie !

"Quelle plaie" ? C'était le cas de la dire...

- Ces "plantes bizarres" vont te sauver la mise. Dit Ceset en surveillant Tadewi. Il saisit la feuille, plantant une griffe à l’intérieur avant de la faire glisser jusqu’à lui. Il n’avait pas l’habilité d’un singe, mais cela marcherait tout de même.

- Allons, allons ! Arrête de rouspéter ! Il n’y a pas de mal à cela. Ronchonna le croyant. Le liard n’avait de cesse de s’invectiver, cela en devenait pénible. Accepter l’aide des autres n’est pas une faiblesse. Au contraire !

Si Odon ne supportait pas l’odeur des dattes, il lui faudrait s’en accommoder d’une manière ou d’une autre. En effet, le médecin appliquait déjà le jus sur la blessure du liard, manipulant le médicament du bout d’une griffe, afin de ne pas y plonger la patte. La solution pénétra dans la plaie, collant la fourrure noire à certains endroits. Il tartina le visage du félin avec précaution, les yeux plissés par la concentration. Il avait baissé la tête à la même hauteur que celle de son patient. Une fois le produit étalé, le croyant se redressa.

- Voilà ! C'est assez rudimentaire, étant donné que mes outils de soin sont restés dans à ma Confrérie. Mais c'est suffisant. Par contre, tu vas devoir rester quelques jours en notre compagnie...Je dois m'assurer de l'avancée de ta guérison.

Il se tourna vers ses camarades, comme pour demander leur approbation.

A la tirade du jeune mâle, Ceset n’avait pas pu s’empêcher de rouler des yeux. Il parlait beaucoup trop, pour un malade ! Et que diable ! Ça n’était pas son rôle de soulager le liard de son manque de confiance en lui. Enfin, techniquement, si…Mais peu importait ! L’heure n’était pas aux complaintes.

Vint ensuite sa réaction quand le religieux lui annonça son repos temporaire.

- Si jamais vous voyez au loin une lionne beige avec de beaux yeux oranges, allez la voir et dites-lui ce qui s'est passé. Je vous en serai reconnaissant...

- Oui, oui, nous n’y manquerons pas ! Lâcha le pasteur dans un soupir presque agacé. Avant qu’il n’ait pu ajouter quoi que ce soit, Tadewi se porta volontaire pour partir à la recherche de la fameuse lionne. Son camarade la laissa donc vaquer à cette ennuyeuse occupation.

Quand la jeune brune eu quitté son champ de vision, le guérisseur se tourna vers Waban. Celui-ci c’était déjà avancé pour venir en aide au blessé. C’était pénible à admettre, mais actuellement, le prêtre était ravi d’avoir ce gros lion parmi eux. Le noir avança aux côtés de son camarade, surveillant son patient. La tanière de fortune n’était pas loin, il n’aurait pas à se déplacer longtemps. Toutefois, l’idée de laisser patrouiller Tadewi seule à la nuit tombée ne l’enchantait guère. Le vieux lion veillerait jusqu’à son retour.