L’os qu’elle tenait lui servit de défouloir. Elle se plaisait à penser qu’il s’agissait du cou de sa mère. Ses crocs se refermèrent dessus, avec une rage qui faisait bouillir son sang. Sa mère…son enfoiré de substitut maternel. Un jour, elle allait payer !

"Craaac !"

Lentement, elle broya le fémur. Son imaginaire morbide se figurait les hurlements de douleurs de la vieille…Un long râle d’agonie. Oui, c’était incroyablement jouissif ! Dommage qu'Akoda ne soit pas là pour partager son délire.

- Hey, toi !

Shasta se tourna vers la source du bruit. Deux jeunes hyènes venaient de rejoindre les montagnes. Deux femelles, plus précisément. Pff, pas intéressant. La grosse reprit ses funestes rêvasseries, tandis que les jeunes filles continuaient de s’approcher.

- Je te parle ! Lança la plus agressive des deux.

- Quoi bordel ?! Grogna Shasta en se retournant. D’un bond, elle se hissa sur ses quatre pattes, faisant face à ses congénères. En la voyant se déployer ainsi, la moins imposante des chipies baissa les oreilles. Mais ce qui semblait être sa sœur poursuivit sur le ton de l’arrogance.

- Alors comme ça, c’est toi, la nouvelle recrue ? Fit-elle, dédaigneuse. Shasta ne répondit pas. Son esprit était toujours embrumé par ses visions de vengeance...que cette sale petite peste venait troubler.

- Je m’attendais à plus imposant…Railla la petite tachetée, sous le regard médusé de son amie qui, de son regard, la suppliait de se taire. La brute s’approcha du duo, un grondement sourd vibrant dans son gosier.

- T’inquiète, quand j’aurai aplatit ta sale gueule, tu m’trouveras assez grande !

Pour qui elle se prenait, cette idiote ? Elle était plus fine que Kuruka, et elle se permettait de venir lui parler ?

- Ah oui ? Tient donc…poursuivit la peste.

- Non, non. On ferait peut-être mieux d’y aller…Allez, viens. Insista la plus raisonnable. Mais sa sœur refusa.

- Si on part, elle pourra pas nous prouver qu’elle n’a pas peur de nous ! Et doooonc, elle planta son regard dans celui de Shasta. Ça ferait d’elle une poule mouillée.

La brutasse hésitait entre exploser de rage et se moquer de cette pimbêche. Finalement, ce sont ses bas instincts qui prirent le dessus. Son énorme patte vint percuter la joue de la femelle qui recula de quelques centimètres. De son côté, la sœur soupira, morte de honte. La honte fut remplacée par la peur quand, d’un bond, le colosse se retrouva au-dessus de sa rivale, ses crocs plantés dans son front.

Un concert de grognements, de couinements et d’appels à l’aide remplirent l’atmosphère des montagnes.

Un nuage de poussière et de cendres s’était levé autour des deux rivales. Shasta enfonçait progressivement ses crocs dans le visage de son opposante, tandis que cette dernière, dans un élan d’espoir, tentait de se dégager de son étreinte, labourant de coups de griffes le ventre de la brute.

C'est une bourrade inattendue qui vint perturber l’équilibre du colosse. Pas très forte, mais suffisamment pour la déstabiliser. Cette dernière se tourna rageusement vers la responsable, lâchant un long grognement indigné. Elle parvint à reconnaître Kuruka. Si son peu de sagesse ne lui avait pas intimé de se calmer rapidement, la dominante aurait figurée parmi les victimes journalières.

- ASSEZ ! Cessez ces enfantillages idiots ! Réprimanda la dominante, avant d’invectiver le déclencheur de cette guéguerre. Puis, elle se tourna vers le bourrin :

- J'interdis à quiconque de semer le trouble dans ma meute, n'oublie pas qu'elles sont tes alliés, pas des lions !

Shasta laissa échapper un grognement. Personne n’avait le droit de lui parler sur ce ton !

- Bon...Viens avec moi, je dois te parler...

La hyène d’argent convoqua Shasta sur un signe de tête. Avant de la rejoindre, celle-ci jeta un regard assassin aux deux jeunes femelles.

- Ceux qui me provoquent sont des ennemis. Peu importe leur espèce ! Annonça la combattante en rejoignant la cheffe.

Elle s’ébroua, chassant la poussière de sa mince fourrure.

- Bref. Qu’est-ce que vous vouliez me dire de si important ?

Il était étonnant de constater le contraste entre les deux animaux : Kuruka avait une démarche souple et gracieuse, tandis que l’étrangère semblait pataude. Néanmoins, grâce à Akoda, sa stature se faisait plus massive. Ses muscles roulaient sous sa peau, faisant onduler ses cicatrices, vestiges des combats passés et des entrainements avec le guerrier. Fini l’époque ou son corps était enveloppé d’une large couche de graisse.

- Oh ? Intéressant. Donc, si un lion ne te gêne pas, tu serais prête à sympathiser avec lui ?

Shasta observa la dominante avec étonnement, avant de tourner le regard vers l’horizon.

- Un lion reste un lion, peu importe d’où il vient.

Cela résumait parfaitement le fond de sa pensée. Nul besoin d’aller plus loin.

- ...Bref à la base j'avais quelques questions à te poser. J'ai entendu parler de cette intrusion de deux lions non pridelanders sur nos terres. Serais-tu capable de me faire une description de ces félins ?

La brute renifla bruyamment tandis que Kuruka se planta devant elle.

- L’un d’eux était un blanc sans crinière. Commença-t-elle. L’autre, je sais pas s’il s’agissait d’un lion ou d’une autre bestiole. On aurait dit… Une sorte de léopard. Noir, avec des crins bruns sur le crâne.

Les souvenirs de cette créature se faisaient flous. Il faut dire, elle était captivée par sa victime. L’ennemi d’Akoda lui avait paru secondaire. Néanmoins, il y avait un détail qui pourrait intéresser la cheffe.

- Le sans crinière était un freelander.

L’odeur ne mentait jamais. Chaque clan avait sa propre marque olfactive. Et ça, les hyènes le savaient.

- Akoda saura vous renseigner sur l’autre.

- Je vois...Bon travail. Félicita Kuruka, après le rapport de la combattante. Je pense qu'avec ça, ces deux lions n'auront pas l'idée farfelue de remettre les pattes ici.

- J’espère pour eux. Avait grondé la brute. La dominante continua son discours, s’installant sur un promontoire de roche. La noiraude leva un sourcil à l’évocation d’une leçon de politique. Si elle c’était intégrée à la meute ? Presque. Du moins, ce territoire, elle le considérait comme le sien, désormais. De ce fait, elle avait donné son âme à ces terres, avait juré allégeance et promis de les défendre au péril de sa vie. Il fallait bien ça ! Si on devait se reposer sur les minables que Kuruka appelait "guerriers "…

Elle s’assit en face de la hyène blanche. On allait donc lui parler de lion ? Encore ? Mais qu’est-ce qu’elle avait, avec ces bestioles ? Néanmoins, cela s’avérait intéressant. Qui plus est, c'était dans l’intérêt du clan.

- J’écoute.

Son regard se figea sur la dominante. Froid et impassible, comme à son habitude.

Shasta regrettait presque cette entrevue. Elle savait déjà que les Pridelanders étaient les seuls alliés des hyènes. Cependant, à ses yeux, tous les félins se valaient. Il était certain que, même originaires du Glorieux Royaume, les bêtes à crinières sauraient se montrer hostiles en cas de besoin. "Ne vois pas ces lions comme une menace" ? Considérait-elle les Outlanders comme une menace avant qu’ils n’attaquent ?

- Par contre, pour ceux qu'on appelle les sans clan ou voyageur, il faut savoir que, la plupart du temps, ils sont simplement de passage sur notre territoire. Alors tout ce que te demanderai, c'est d'escorter le félin en question. En cas de non-coopération de celui-ci, tu sais ce que tu dois faire...

L’unique chose à faire en cas de rébellion, c’était d’imposer sa loi par les crocs. Et ça, Shasta savait pertinemment comment faire. Deux intrus avaient eu l’occasion de s’en assurer.

- Jusque-là tout est clair pour toi ?

- Ouais. Et donc ?

Elle attendait l’info inédite. Quelles précisions importantes qui pourrait l’aider à anticiper les attaques et protéger les frontières. A vrai dire, Akoda aurait pu le faire à la place de Kuruka, mais les deux jeunes n'avaient pas eu le temps de discuter très longtemps. Depuis l'intrusion des étrangers, toute la meute était en effervescence.

Les hyènes se fixèrent intensément.

- Avant de poursuivre, je tiens à te prévenir. Si ce que je viens de te dire au sujet des pridelanders ne te conviens pas, tu es libre de quitter la meute.

Cette phrase sonna comme un défi aux oreilles de Shasta. Et cette réflexion fut la première erreur de la dominante. Elle arracha à la brute un grondement rauque, à peine audible, mais bien présent. Bien qu’elle se demanda par quel miracle du sort le hyénidé blanc avait deviné le fond de ses pensées, il aurait été préférable que la vieille cheffe enterre cette remarque dans les profondeurs de son esprit. "Comme tu voudras" Pensa le charognard gris.

La Dominante continua son récit. Ainsi donc, c’était l’intervention d’un félin qui avait sauvé la mise aux hyènes ? Pitoyable ! Preuve supplémentaire que la meute était incapable de se défendre. Cela dit, l’idée de la vengeance n’était pas à exclure. Imbéciles comme ils étaient, les lions reviendraient très probablement à la charge, un de ces jours...

Vint le tour des Freelanders. Ayant traversé ce territoire, elle avait pu s’imprégner de l’odeur des autochtones. C’est d’ailleurs grâce à cela qu’elle était parvenue à identifier le sans crinière.

- On devrait leur envoyer des messagers. Grogna la guerrière. Histoire de leur rappeler que notre territoire a des frontières, et qu’elles ne sont pas là pour décorer. Encore plus si leur intention est de souiller nos terres par leur sang !

- ...Tu veux y aller ? Avec ton physique, je pense que tu seras "Convaincante".

La remarque ne manqua pas de flatter Shasta. Cependant, il y avait un souci. La géante prit un air penaud.

- Herm. Ça serait avec plaisir ! Mais j’ai eu un accrochage avec une lionne sur Freeland, il n’y a pas si longtemps. Même si ça n’était qu’une voyageuse, on a été interrompues par un garde-frontière. Ça ne serait pas un peu ironique de m’envoyer faire la leçon ?

Elle repensa à la correction infligée à l’inconnue. Cela avait été tellement jouissif de s’enfuir avec son butin après lui avoir déchiré le visage ! Dommage qu’une native du clan les ai séparées, sans quoi Shasta ne se serait pas contentée d’un simple museau amoché…Qui plus est, cette même lionne orangée risquerait de se souvenir de la hyène. Dès lors, les charognards pourraient être discrédités. Ce qui n’était pas le but !

- Il ne vaudrait pas mieux que vous y alliez vous-même ? Akoda pourrait vous escorter.

L’idée que le guerrier puisse participer à des débats sans elle la décevait quelque peu, mais après tout, elle ne pouvait pas risquer de ridiculiser le clan. Déjà que sa côte de popularité était en baisse...

Si la venue de Shasta en territoire Freelander était à la limite du légitime, les lions locaux risquaient d’accorder plus d’attention aux paroles de Kuruka. Toutefois, ils risquaient de lui poser des questions au sujet de l’intruse qui, quelques temps auparavant, troubla la tranquillité du clan. Pff, tout ça à cause d’une lionne débile trop attachée à sa proie. La brute se fit la promesse de la détruire complètement si d’aventure, les animaux étaient emmenés à se recroiser.

La Dominante approuva le plan de la combattante. Il était certain que la géante irait questionner Akoda au sujet de la rencontre. Quel dommage qu’ils ne puissent pas partager ce moment.

- D'autres questions ? Termina Kuruka

Shasta haussa les épaules. Elle avait désormais toutes les informations qu'elle voulait. Nul besoin d'en rajouter. La situation de cette meute ne pourrait jamais s'améliorer tant que les hyènes se reposaient sur les Pridelanders ! Qui prendrait au sérieux des animaux incapables de se suffire à eux-mêmes ! Pas étonnant que les Outlanders les aient piétinés.

- Non. Pas pour l’instant.

Elle se redressa sur ses pattes arrières, s’ébroua pour chasser la poussière de sa crinière.

- Je vais faire mon tour de garde. Annonça-t-elle en quittant les lieux. Faites attention à vous. Les lions sont fourbes.