Il avait laissé le félin derrière lui. Son dos le lançait toujours. N’y avait-il donc aucun soigneur sur ses terres ? A force de battre des ailes comme un demeuré, sa plaie s’était rouverte, lui infligeant une douleur vive et persistante. Tout compte fait, il n’aurait peut-être pas dû s’attaquer à ce lionceau…mais il fallait dire, il avait l’air tellement succulent !

Progressant ainsi sur ce nouveau territoire, Vigo cherchait désespérément une branche assez hospitalière. Il ne tenait pas à rencontrer de nouveaux lions ! Ah ça non ! Il avait eu sa dose.

Prenant de l’altitude au prix d’un effort douloureux, le volatile plana. Que d’arbres
morts…était-ce là le seul refuge que pouvaient espérer les oiseaux de la Terre des Lions ?

Soudain, sa vue perçante détroussa un arbre touffu, non loin de là. Sans s’attarder, le vautour fendit l’air pour s’y poser, et bouscula quelque chose dans la manœuvre.

Quelque chose qui s’avérait être un homologue au plumage sombre !

- Oh ! Oups…Désolé ! Lança le malhabile avec un rire gêné, tandis que ses serres s’enfonçaient dans le tamarinier.

Il inspecta la pauvre créature qu'il venait de brusquer. Avisa cette dernière avec un grand intérêt. Un sourire lubrique se dessina sur son bec.

- Que je suis maladroit ! Navré de vous avoir pénét..hum, percuté aussi violemment. Il n’est pas dans mes habitudes de prendre les gens…par surprise.

- Fais attention ! Avait rouspété l’oiselle en colère. Vigo s’était légèrement écarté. Il ne tenait pas à prendre un coup de bec, bien qu’entamer un contact très rapprocher avec la demoiselle ne lui semblait pas une si mauvaise idée.

Elle s’était posée à une distance raisonnable, observant le malotru. Elle était borgne ! Cela lui donnait un air de guerrière qui fut des plus appréciables.

- Mmf, je vois. Vous êtes vraiment maladroit. Le vautour avait acquiescé, tout en conservant son regard malsain. Vous êtes blessé ?

Il ne s’attendait pas à cette question. Aussi, la remarque eue pour effet de raviver la douleur. Vigo avait oublié sa blessure pendant qu’il reluquait la femelle.

- Ah heum, oui ! Répondit-il. Mais c’est trois fois rien ! Juste une petite fente…

Un "trois fois rien" qui lui faisait souffrir le martyre. Mais bon, il fallait bien relativiser. Et puis, en y réfléchissant, il l’avait quand même mérité. Le vautour s’éclaircit la voix :

- Figurez-vous que je patrouillais dans le Désert, à la recherche d’un petit quelque chose capable de me sustenter. Et là, je me suis retrouvé face à un lionceau. J’ai tenté de le saut…herm, de lui sauter dessus. Mais sa mère est arrivée ! Elle a violé mon espace personnel en me griffant ! Vous y croyez, vous ? Et par derrière en plus !

Il observa sa congénère. Elle aussi avait l’air mal en point, à en juger son unique œil valide.

- Et vous ? Que vous est-il arrivé ?

- Pardon, mais vous avez une étonnante façon de raconter ! Observa l’aiglette dans un rire contenu.

- Ah bon ? Les gens disent que je suis habille avec ma langue, en effet. Ajouta furtivement Vigo.

Après avoir secoué activement son plumage, le rapace reprit sur sa lancée. Il expliqua les raisons de sa venue sur la Terres des Lions, et, par la même, l’origine de sa griffure. En mentionnant celle-ci, ses plumes gonflèrent. L’incident avait visiblement laissé plus qu’une simple cicatrice. Cette défaite devait être sentie comme un affront impuni. De son côté, Vigo avait été, à de nombreuses reprises, victime de chamailleries avec les oiseaux du Grands Désert. Il n’avait jamais pu s’établir et constituer un "territoire". Grand bien lui fasse, car perdre son habitat ainsi que sa dignité devait être fort détestable…

- Au faite, je m'appelle Farah, et vous ?

- Oh…Mais quel mal élevé je fais ! Je n’ai même pas prit le temps de m’introduire ! Mon nom est Vigo ! Enchanté, Farah. J’espère que vous retrouverez cette brute. Pour lui reprendre ce qu’elle vous a pris !

Il secoua ses grandes ailes, activant de ce fait le mécanisme infernal nommé "douleur". Une grimace déforma temporairement son visage.

- Hum, dites, vous ne sauriez pas où je pourrais trouver un chaman ou quelqu'un capable de soigner ça ?

- Enchantée Vigo ! C'est la première fois que je rencontre un autre oiseau depuis mon arrivée ici, ça me change !

Le vautour esquissa un sourire. Lui aussi s’était senti bien seul, dans le Désert. Non pas qu’il manquait de congénères ! En vérité, le souci était d’une toute autre nature : Leur agressivité. De ce fait, il était bien agréable de tomber sur cette chère Farah. Qui plus est, elle n’était pas pour lui déplaire. Voyager en sa compagnie serait de bon ton…et fort appréciable.

- Il y a bien quelqu'un, qui a soigné mon œil gravement infecté à mon arrivée… Reprit la demoiselle... Je ne sais pas s'il sera là, mais je peux te conduire à un endroit meilleur et essayer de t'aider ? Ce serait avec plaisir !

L’oiselle déploya ses ailes, commença à les échauffer.

- Oh ! Magnifique ! Merveilleux ! S’exclama le vautour. Il imita sa partenaire, tendant prudemment ses longues rémiges. Allons-y tout de suc…herm, tout de suite !

Son dos éclaté le brûla à nouveau. En s’élevant dans les airs, le gypaète laissa échapper un piaillement. C’était affreux ! La sensation de chair à vif refroidie empirait à chaque pause.

- Je te suis, Farah ! Annonça-t-il.

Les rapaces prirent leur envol. Farah resta devant, planant gracieusement, tandis que son charognard d’acolyte battait des ailes de façon hasardeuse. Il espérait que ce fameux gourou ne soit pas à mille lieues d’ici, sans quoi il ne parviendrait pas à suivre.