L’immensité du Désert. Elle s’étendait comme un océan d’or en fusion, dont les vagues ne cessaient de conquérir l’horizon. L’éclat aveuglant du soleil, œil impérieux du Dieu devant lequel Nzige avait prêté serment, observait inlassablement son serviteur. Ce dernier n’avait pas échappé à la volonté impétueuse de l’Entité. Il avait maigri. Beaucoup. Au point ou sa musculature, autrefois développée, s’était atrophiée. Le manque de nourriture et d’eau avait considérablement affecté le moral et le physique de l’ex freelander. Il avançait, péniblement, la langue pendante et le regard vide. Combien de temps avait duré son périple ? Il n’en avait aucune idée…la notion du temps lui avait échappé.

Le vent secouait sa crinière sèche, faisant voleter le sable qu’elle contenait, tout en y ajoutant de nouveaux grains.

"La Clé. La Clé…Je dois trouver…La Clé…" Ressassait mentalement l’exilé. Il craignait de l’oublier, même si cela était la raison de sa venue. De même, il faisait de son mieux pour se souvenir de son nom, de Sayed, de Nyaraï. Mais tout cela semblait être des souvenirs tirés d’un rêve. Le lion d’or était-il en train de devenir fou ? Possible. Cela était même fort probable ! La chaleur l’abrutissait, la peur de ne pas retrouver son chemin aussi. Pire que tout, la présence de vautours dans le ciel le rendait nerveux. A n’en point douter, ils étaient là pour lui. Mais le renégat se plaisait à penser le contraire. Il se mentait à lui-même. Et ce, depuis son bannissement des terres libres. Il était seul, comme toujours. Le souvenir du roi Haki prononçant sa sentence lui revint en mémoire. Cette pensée lui arracha une grimace de dégout. NON ! Il n’avait pas eu tort ! Il avait bien agit ! Il était venu en aide à des nécessiteux, comme ses parents le lui avaient enseigné.

Il tituba. Nzige ne se sentait pas bien. Son corps entier semblait bouillonner. Son crâne le brûlait de l’intérieur, comme si l’enfer y vivait. Des fourmillent ne tardèrent pas à se faire sentir, faisant naitre un profond sentiment de peur dans l’esprit du voyageur.

"Non…."

Ses pattes tremblaient tandis que le vent du Désert faisait danser des gerbes de sable autour de lui.

"Un pas…de plus ! Je ne peux pas abandonner ! Je dois trouver La Clé !"

Péniblement, le maous enfonça ses coussinets dans les dunes, uns à uns, au prix de plusieurs efforts qui lui paressèrent surlionesques.

Soudain, son corps, comme déconnecté de son cerveau, tomba dans le sable chaud. Le mâle, prit de panique, haletait comme un buffle enragé alors qu’il marmonnait –ou plutôt, éructait- des mots insensés qui moururent, emportés par le vent.

La créature misérable finie par lâcher prise. Et ses yeux se fermèrent, son corps se raidit. Alors que la noirceur du grand Rien grandissait devant lui, noyant les étendues dorées dans un brouillard de suie, le malheureux se senti partir. Alors c’était ça, la mort ? Son esprit ne put émettre une quelconque réflexion.

Une lueur apparue. Du ciel, elle s’ouvrit comme un œil géant, balayant le paysage d’encre. Quand Nzige ouvrir les paupières, tout semblait avoir disparu.

- Tu es pathétique...

L’exilé se releva brutalement, dans un hoquet de surprise. La voix impérieuse s’adressait à lui.

- DEBOUT !

Obéissant promptement, le misérable chercha la source de l’interpellation. Mais la voix semblait s’élever du lieu lui-même, dans un écho infini à glacer le sang d’un guerrier.

- Qui est là ?

Voilà une question bien singulière. Nzige était seul. Seul face une intelligence qui dépassait son entendement. Le lieu, bien que vide, dégageait une force étrange. Une force millénaire.

- Tu me demandes qui je suis alors que tu me cherchais ? Imbécile !

L’exilé dû se mordre la langue pour ne pas céder à la panique. Il était perdu, mais en même temps, il se sentait léger. Comme si son corps n’avait plus de poids.

- Vous êtes la Clé ? Demanda-t-il, timidement. La réponse fut brève, mais éloquente :

- Oui.

La peur du néo-jangowa se mua en une euphorie empreinte de respect. Puis, une grande tristesse vint l’assaillir. C’est comme si toute sa vie se repassait dans sa tête. Il restait un moment silencieux, au beau milieu du paysage lactescent.

- Suis-je… il hésita, prit le temps de choisir ses mots …mort ?

- Oui.

- Mais comment…

- On ne s’aventure pas dans mes entrailles sans me faire une offrande ! S’agaça la Voix.

- Je ne peux pas mourir ! Pas maintenant ! Protesta Nzige.

- Donne-moi une seule raison de te rendre la vie, misérable grain de poussière ! Tonna l’Esprit.

Le rugissement de l’Entité résonna à travers l’étrange dimension. Le maous se sentait écrasé par la puissance de l’Entité. Il réfléchit un instant, prenant le temps de composer sa phrase.

- Je dois vivre ! Vivre pour me vouer à vous. C’est la raison de mon périple. J’ai sacrifié ce que j’avais pour me joindre à vous.

Un silence. Pesant.

- Je sais.

- Je vous serai loyal pour le restant de mes jours ! Et n’existerai que pour propager votre grandeur, mon seigneur. J’en fais le serment solennel, ici, devant Vous.

Le félin adressa une révérence maladroite à l’Esprit. Celui-ci demeura silencieux.

- Comment puis-je en être sûr ?

- Demandez-moi tout ce que vous voulez ! N’importe quoi ! Que je puisse vous prouver ma loyauté.

Le lieu sembla réfléchir. Nzige était résolu, plus que jamais. Il craignait la demande à venir, mais se sentait prêt à y faire face.

- Sorts tes griffes. Ordonna le son Maître. Le prêtre en devenir s’exécuta, habité par l’appréhension.

- Et maintenant, repends ton sang sur moi !

Choqué mais décidé, le futur illuminé entailla ses chairs immatérielles. Il ne ressenti aucune résistance de la part de ses muscles coupés, mais une douleur insupportable envahit son corps dématérialisé. Des flots de sang s’écoulèrent sur le sol invisible. Tellement de sang, que cela parut irréel ! Le Maitre de cette dimension resta muet tandis que la liqueur de vie commençait à envahir le Désert de lumière, montant d’un centimètre à chaque minute. Bientôt, Nzige du battre des pattes pour pouvoir tenir sa tête hors de la marée sanguinolente.

- Pitié ! Hurla-t-il, le visage rougit par l’éclaboussure des vagues sanguines. Aucune réponse ne lui vint. Epuisé, le voyageur se laissa emporter au fond de l’océan rougeoyant, fermant les yeux, suppliant pour que cela ne soit qu’un mauvais rêve.

- VIS ! Tonna la voix de l’Esprit. Elle était dans la tête de l’illuminé, autour de lui, au-dessus, partout ! L’exilé se senti immédiatement happé. Comme tiré vers les profondeurs de l’océan de sang. Il allait de plus en plus vite, les bulles d’air remontant à toute allure autour de lui, alors que les abysses se teintaient d’un noir plus profond.

- VIS !!!

***

Les yeux de Nzige s’ouvrirent en grand. Il redressa brusquement son corps amaigrit, inspirant comme s’il sortait la tête de l’eau. Les paroles de l’Entité résonnaient encore dans sa tête quand il planta ses griffes dans le sable chaud, réalisant qu’il était de nouveau sur terre.

Il laissa choir son postérieur dans la poussière, le regard ébahit, haletant comme un dératé, les larmes aux yeux. Que venait-il de se passer ?! Combien de temps avait-il perdu connaissance ?

Il s’écoula un instant -à moins que cela ne fût une éternité- avant que le néo jangowa ne retrouve tous ses sens. Il vérifia ses poignets. Aucune marque de griffe. Avait-il rêvé ? Non ! La voix de l’Impérieux demeurait dans son esprit, comme un écho sans fin. Nzige fut pris d’une crise de rire. La Clé…Il l’avait trouvée ! Investit d’une énergie nouvelle, le nouveau religieux bondi sur ses pattes frêles. Il devait retourner chez lui, annoncer la nouvelle à Sayed ! Il se mit en route sans tarder, ignorant les événements à venir...

Ma respiration était lente et ma concentration était à son maximum. Ces deux éléments étaient indispensable pour réussir notre objectif. La chasse était connue pour être un moment dangereux. Ca l'était encore plus dans le Désert. Les conditions de vie dans le Désert étaient compliqués pour les proies et les seules qui réussissaient à survivre étaient soit trop petites, soit dangereuses.

Mais le danger ne faisait pas peur aux Jangowas et la piste que nous suivions était celle d'un Oryx. J'ignorais ce qui l'avait amené à s'éloigner de son groupe mais cela signifiait une chose pour nous : cet oryx avait signé son arrêt de mort.

Il ne doit plus être bien loin ...

J'étais d'accord avec ma partenaire. L'odeur était bien plus forte et le vent n'avait pas encore effacé les traces, signe évident qu'elles étaient fraîches. Je n'avais jamais tué d'oryx mais j'en avais déjà affronté et j'étais certaine d'une chose : celui-là n'avait aucune chance. Nous étions fortes, parmi les meilleures guerrières du clan - si ce n'est les meilleures guerrières du clan - et à deux contre un, l'issue de cette chasse était déjà décidée tant que nous restions hors de portée des cornes de l'animal.

Les paroles de Kaya se vérifièrent car la gazelle des sables apparut rapidement. Une vingtaine de mètres tout au plus. Quelques foulées rapides et nous pourrions planter nos griffes et nos crocs dans sa chair, rapprochant l'oryx de la mort à chaque coup porté. Désormais en vue, je me rapprochais du sol, prête à bondir à la suite de Kaya mais la suite ne se déroula pas comme prévue. Sans aucune raison, notre proie avait fui à vitesse grand V. Bien que l'envie était grande, la poursuite n'était même pas envisageable car il était bien trop rapide.

Fait chier !

Ma propre frustration fit écho à celle de Kaya, quasiment en même temps.

Et merde !

J'exprimais un peu plus mon mécontentement en donnant un coup de patte dans le sable, faisant voler une gerbe de grain dorés. Cet oryx n'avait aucun moyen de nous avoir repérées, nous étions trop douée pour ça ! Nous avions bien fait attention à nous mettre dans le sens du vent et nous n'avions fait aucun bruit. Impossible donc que se soit nous que l'animal avait repéré.

La même pensée avait cheminée dans l'esprit de ma sœur de cœur car comme moi, elle balayait déjà l'étendue sableuse du regard. Elle aperçu l'origine de notre chasse manqué et elle me la désigna sans tarder.

Hatasa... Là-bas !

Une silhouette assez éloignée se découpait sur l'horizon. Qui était-ce ? Un adolescent en exil ? Si c'était le cas, il n'irait pas beaucoup plus loin dans son épreuve en faisant preuve d'aussi peu de finesse dans le domaine de la chasse. Sauf qu'en nous approchant, je m'aperçu qu'un détail ne collait pas et cela m'arrêta dans ma marche. La silhouette était bien trop grande pour appartenir à un Jangowa...

Un grondement sourd sortit de ma bouche. Un autre étranger avait osé fouler le sable sacré du Grand Désert et c'était inadmissible ! Inadmissible que l'on puisse croire que les Jangowas avait baisser leur vigilance pour laisser passer un affront pareil !

Ca rat ne doit pas passer la frontière... ! Penses-tu que nous aurons besoin de renfort ?

J'observait de nouveau la silhouette du lion, car oui avec une crinière pareille, la silhouette ne pouvait appartenir qu'à un lion. Adulte apparemment. Cependant, il ne semblait pas en grande forme vu la manière hasardeuse qu'il avait pour marcher.

A deux contre un et vu l'état dans lequel il est, je pense que nous sommes suffisamment fortes pour le tuer toutes les deux. Et puis ... ce n'est pas un enfant du Désert, il n'a aucune chance face à deux guerrières aguerries telles que nous.

Jetant un regard sur ma sœur de cœur, je voyais son impatience. Elle faisait écho à la mienne et pourtant, je ne bougeais pas encore.

Comment a t-il osé... Réglons lui son compte !

Un léger sourire étira mes babines. Nous pensions la même chose et réagissions de la même manière. Même si ce n'était pas par le sang, nous n'étions pas sœurs pour rien.

Allons-y. Montrons lui qu'un étranger ne franchi pas les frontières sans en subir les conséquences.

Sans attendre plus longtemps, je m'élançais à la suite de l'étranger. Arrivée à portée de voix, j'hésitais et je ralentissais l'allure. Devait-on l'attaquer par derrière ou au contraire, lui offrir un semblant de combat ? Il n'était pas un enfant des dunes et ne méritait pas la justice des Jangowas et pourtant ... Pourtant, quelque chose me soufflait de lui parler. Déstabilisée, j'optais pour un appel et une sentence, un peu à l'image de ce qu'il se passait avant un combat pour le titre d'Empereur.

Toi ! Pour avoir foulé le sable sacré du Désert, je te condamne à mort !

- Toi ! Pour avoir foulé le sable sacré du Désert, je te condamne à mort !

L’interpellation tira Nzige de ses pensées. Il se tourna énergiquement face à sa source. Deux lionnes. Des jangowas, pour être plus précis. Autrement dit, ce type d’individu que Sayed ne s’était par gardé de dénigrer. Il les détailla, une à une, son regard émeraude passant sur celui des gardiennes. Un rictus de dédain lui tira les babines.

En taille, elles étaient bien plus petites que les lions de l’Est. Mais elles étaient deux…et Nzige, lui, était seul. Sans compter le malheureux résultat de son périple à travers les dunes. En cas d’attaque, son corps efflanqué ne lui permettrait pas de se débattre bien longtemps.

- Me condamner ? Demanda le doré. Tiens donc… Il se planta face aux femelles, le faciès neutre. A qui ais-je l’honneur, au juste ?

Il s’adressait en particulier à la plus sombre des deux. N’accordant qu’une attention limitée à sa camarade, dont les yeux dépareillés le dardaient.

- Oh non ! Attendez, laissez-moi deviner. Coupa le mâle. Il réfléchit un instant, une griffe sur son bouc asséché, balayant l’intéressée du regard. Vous devez être l'impératrice ?

Fort probable. Après tout, les traditions jangowas étaient sensiblement les même que celles des Pridelander, selon Sayed. Seul les plus hauts-placés étaient en droit de décider du sort d'un tiers. Dès lors, l'illuminé sentit une certaine appréhension quant à la suite des événements.

L'étranger se retourna et je pus détailler son visage plus en détail. Trois cicatrices parcouraient sa joue, juste en dessous de son œil gauche. Cela ne m'impressionna aucunement, pas plus que le regard mauvais qui s'élançait de ses yeux verts et encore moins le rictus de dédain s'affichant sur son visage.

Il nous avait détaillées mais s'il pensait avoir la moindre chance contre nous, c'est qu'il nous avait largement sous-estimées. Et je ne serais pas la seule à me faire une joie de lui montrer à quel point il avait tort.

Me condamner ? Tiens donc ... A qui ais-je l'honneur, au juste ?

Hmpf. Voilà qu'il se mettait à parler. Et pas de la manière la plus respectueuse qui soit.

Comment oses-tu adresser la parole à un enfant du Désert ?!

Je n'étais clairement pas la seule à ne pas apprécier le ton qu'il avait employé mais Kaya avait toujours été plus sanguine que moi et elle venait d'exprimer à la perfection la colère qui nous habitait toutes les deux.

Mais le lion ne semblait pas vouloir prêter attention à la féline grise. Un mince sourire étira mes babines. Il commettait là une énorme erreur mais ce n'étais pas moi qui allait le lui dire. Il n'était visiblement pas un guerrier aux vues des nombreuses erreurs qu'il continuait de faire à chaque minute. Et s'il n'était pas tombé sur des Jangowas, voilà qui aurait signé son arrêt de mort face à n'importe quel ennemi.

Oh non ! Attendez, laisser-moi deviner. Vous devez être l'Impératrice ?

Il se pensait visiblement tout permis et j'avais hâte de lui faire comprendre que non. Kaya n'était pas restée bien longtemps à mes côtés et profitait de la "discussion" pour aller se poster derrière l'étranger afin de lui couper toute retraite. Elle n'était pas encore en position alors je prenais sur moi pour parler à celui qui mourrait aujourd'hui afin de lui offrir un peu plus de temps.

Quelle importance qui nous sommes ? N'importe quel Jangowa peut tuer quiconque ose s'aventurer dans notre Désert.

Si ce n'était pas déjà clair, voilà qui lui disait explicitement nos intentions à son égard. Son expression avait changée et peut-être réalisait-il enfin qu'il ne sortirait pas vivant d'ici. Son cadavre pourrirait sur le sol avant la fin de la journée et le sable aurait tôt fait d'avaler sa carcasse.

Je captais enfin le regard que j'attendais. Ma sœur de cœur était prête à passer à l'action et d'un infime mouvement de tête, je lui signifiais que j'avais compris. Elle se chargea de lancer les hostilités et s'adressa une dernière fois au futur mort.

J'espère que tu ne crains pas trop la douleur ... Car ta mort sera loin d'être douce !

Sa phrase à peine terminée, Kaya bondissait sur l'individu, déchirant la chair à coups de crocs et de griffes. Voilà bien longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de combattre un réel ennemi et mes muscles ne tardèrent pas à entrer en action, m'élançant à mon tour pour rejoindre le combat.

S'il s'était protégé de l'attaque de Kaya, rien ne pourrait l'empêcher d'échapper à la mienne, légèrement en contretemps de la première. Mes griffes s'enfoncèrent dans le corps chétif et le goût du sang dans ma bouche m'indiqua que je l'avais touché même si je ne savais pas vraiment où dans la confusion de la bataille.

Avec l'adrénaline qui parcourait tout mon corps, je ne senti même pas s'il y avait eu une contre-attaque. Je ne cherchais pas à esquiver, continuant de griffer et de mordre pour mettre cet imbécile à terre au plus vite et libérer le Désert de cette souillure.

- Quelle importance qui nous sommes ? N'importe quel Jangowa peut tuer quiconque ose s'aventurer dans notre Désert.

Il s’apprêtait à lui répondre, à faire preuve d’arrogance, comme il savait désormais si bien le faire. Ignorant jusqu’aux menaces de la lionne qui lui tournait autour tel un vautour.

Mais là fut son erreur.

Du coin de l’œil, il la vit bondir sur lui. D’un geste brusque, le doré se cabra et les griffes de la jangowa se plantèrent dans son flanc. L’impératrice suivit. Ses crocs s’enfoncèrent dans le poitrail de l’exilé juché sur ses pattes arrière.

- CHIENNES ! Lâcha-t-il avec rage. Comment osez-vous !?

La douleur mêlée à l’incompréhension le gagnait. La panique ne tarda pas à se joindre à cette délicieuse assemblée, provoquant les bas instincts de ce lion qui, autrefois, était aussi doux qu’un jeune zèbre.

Qui aurait pu croire qu’il finirait aussi mal ? Balloté par les moqueries de ses ex-congénères freelanders, jamais pris au sérieux par qui que soit ? Nzige avait toujours essayé de relativiser. Mais depuis l’arrivée de Sayed, tout avait changé. C’est comme si le gros lion lui avait insufflé la force de caractère qu’il n’avait jamais eue. Hélas, cela l’avait mené à un bien triste destin…Il avait tout perdu. Ou plutôt, il avait tout sacrifié, pour suivre celui qui à ses yeux méritait de l’être.

Il fit preuve de violence. Pour la première fois de sa vie, poussé à bout par la peur. Il ne voulait pas mourir ! Il ne POUVAIT pas mourir ! Pas ici ! Pas maintenant ! Sa mission ne faisait que commencer !

Distribuant des coups de pattes hasardeux, l’Illuminé tentait de se tirer de cet horrible piège. Ses griffes déchiraient l’air tandis qu’il sentait ses muscles se chauffer.

Sa patte frappa quelque chose. Mais il ne parvint pas à définir sa nature, les yeux clos par la frayeur.

- Traîtres ! Traitres ! Vous avez laissé un sang impur régner sur ses terres et bafouer l’honneur Très Haut ! C’est VOUS qui méritez la mort ! Hurla-t-il, poursuivant ses assauts désordonnés.

Sayed lui avait tout dit. Shabel, l’impératrice batarde qui l’avait exilé sans que personne ne conteste jamais son autorité, en dépit du mécontentement causé par sa monté au pouvoir. L’exilé ne pouvait cautionner cela ! Il l’avait vu, LUI, l’Esprit qui vivait en ses lieux !

CHIENNES ! Comment osez-vous !?

L’attaque avait été fulgurante et les coups continuaient de pleuvoir. L’intrus avait un temps de réaction vraiment lent et lorsqu’il se mit à combattre à son tour, la déception fut immense. Le terme même de combat était un bien grand mot.

Tout le monde n’était pas combattant mais en osant s’aventurer dans le Désert, il aurait dû avoir un niveau minimum – bien qu’il aurait assurément été inférieur au nôtre, qui combattions depuis notre plus jeune âge – et ce qu’il nous montrait était quasiment insultant pour nous, chose que Kaya releva.

Ce manque d’entraînement est presque une insulte…

Tout ce qu’il savait faire, c’était jeter des coups de pattes au hasard. L’un d’eux s’abattit tout de même sur mon épaule et la brûlure qui suivit m’indiqua qu’il avait ouvert une plaie. Je m’en fichais car la seule chose qui comptait en cet instant était sa mort. Nous étions plus fortes que lui et il me tardais de le voir mort. Peu m’importais qu’il me touche.

Traîtres ! Traîtres ! Vous avez laissé un sang impur régner sur ses terres et bafouer l’honneur Très Haut ! C’est VOUS qui méritez la mort !

Je faillis m’étrangler en entendant ces mots. Comment osait-il ?! Mon rugissement de rage fit écho à celui de ma sœur de cœur. Nous étions semblables elle et moi et ses mots firent écho à ma propre pensée.

SAIS TU SEULEMENT A QUI TU T’ADRESSES ?!

La gifle qu’elle asséna était puissante, l’imbécile qui nous avait traité la sentirait passer, c’était certain. Elle continuer d’éructer, crachant sa haine.

NOUS avons sauvé le Désert de cette vipère !! Comme nous allons le débarrasser de toi … !

Son regard bicolore croisa ensuite le mien et je compris qu’elle voulait que je partage ce moment avec elle. Je pouvais enfin laisser libre cours à ma colère et il la sentirait passer. Je ne pouvais pas le laisser impuni. Déjà qu’il osait s’aventurer dans le Désert, voilà que maintenant il osait nous traiter nous de cette manière, c’était trop. Il fallait qu’il paie.

Je t’interdis de parler de choses dont tu ne connais rien ! C’est grâce à NOUS que nous pouvons de nouveau être fiers de nous appeler Jangowas ! NOUS et uniquement NOUS tu entends ?! Tu n’es qu’un misérable insecte, insolent et abject ! Supplie la Mort qu’elle te prenne rapidement car je vais me faire un plaisir de te faire souffrir ! Et je ne serais sûrement pas seule !

Chaque « nous » avait été ponctué d’une gifle, mes griffes lacérant un peu plus son visage à chaque nouveau coup. Depuis le début, il n’y avait eu qu’une seule fin possible à cette rencontre et nous avions beaucoup trop parlé à mon goût. Je regrettais d’avoir écouté ce sentiment qui m’avait poussé à engager la conversation. Si je ne l’avais pas fait, nous l’aurions eu par surprise et il serait déjà mort. L’idée de voir son corps sans vie était désormais une obsession.

Je me remettais donc en action et bondissais sur son dos, plantant mes griffes dans ses épaules et cherchant à atteindre sa nuque avec mes crocs. Je le tenais fermement et tant que j’étais sur son dos, Kaya avait le champ libre pour l’attaquer à la gorge. Ne restait plus qu’à passer la barrière de la crinière ou le faire saigner suffisamment pour qu’il se vide de son sang.

Alors que j’arrachais des touffes de crinière, le mâle s’évertua à continuer de parler.

Je suis … désolé …

Je ne savais pas à qui il s’adressait et je ne souhaitais pas le savoir. Il ne pourrait plus jamais adresser ses excuses de vive voix alors à quoi bon ? Et de toute manière, les seules excuses valables étaient pour le Désert, qu’il avait osé fouler alors qu’il n’en avait pas le droit.

Alors que Kaya parvenait à planter ses crocs dans la gorge de l’imbécile, ma propre mâchoire se refermait sur sa nuque. Le Désert absorbait la vie de ce malheureux à mesure que le sang coulait de ces plaies. L’issue inévitable de cette entrevue était désormais proche. Alors qu’il s’affaissait sur le sol, je desserrais enfin les crocs et m’écartais de son corps.

Puisse le Désert avoir pitié de lui…

Je n’avais rien à ajouter, aussi gardais-je le silence en observant le cadavre. Voilà à quoi doivent s’attendre tout ceux qui comme lui sont assez fou pour oser fouler le sol sacré du Désert. Kaya se tourna vers moi avant de reprendre la parole.

Nous devrions le ramener aux frontières… Il n’est pas nécessaire que sa carcasse pollue le Désert une minute de plus. Avec un peu de chance, cela servira d’avertissement aux autres inconscients qui auraient l’idée de venir nous rendre une petite visite…

Elle lisait dans mes pensées. Il n’avait que trop bafoué le Désert par sa présence et même mort, il fallait que cela cesse.

Tu as raison. Eloignons le d’ici.

Impossible de le porter comme je le faisais parfois pour mes enfants, il était trop grand pour ça. Je le chargeais donc sur mon dos en me fichant pas mal du sang qui pouvait tâcher mon pelage. Je m’étais attendue à ce qu’il soit lourd mais il n’en fut rien, au contraire. Il était effroyablement léger, c’en était ridicule. Je regardais ma sœur de cœur avant de désigner la frontière.

Allons-y.

Bien que cela ne soit pas nécessaire, cette exécution à deux nous avait rapprochée Kaya et moi et j’étais heureuse d’avoir vécu ce moment en sa compagnie.