Hassun était fier de lui – non pas que c’était un exploit en particulier mais pouvoir attraper cette gazelle était une véritable bénédiction. Le fait que ça soit un rejeton à peine sorti du ventre de sa mère devait jouer énormément. De toute façon il aurait le loisir d’avoir le ventre plein pour la première fois depuis longtemps. Il se jeta sur son repas comme l’affamé qu’il était et ne laissa que très peu de restes pour les charognards. Cela faisait une semaine qu’il

La gueule encore pleine de sang, le Jangowas avança sur ces terres qui n’étaient désormais plus les siennes. Cela faisait une semaine qu’il déambulait comme un vagabond en se fondant dans le décor, jugeant chaque lion qu’il croisait. Tss, ces Pridelanders étaient véritablement les plus paresseux de la Terre des Lions. Des gros lards sur une terre riche qui vivaient dans l’insouciance. Sa sœur serait probablement écœurés de les voir aussi niais, gros, flemmards, pathétiques. Vous parlez d’un clan, une sacrée bande de chiffes molles oui !

Il pestait silencieusement en longeant les frontières du royaume doré. Mais une silhouette attira son attention, le faisant dresser les oreilles. Sa mâchoire se crispa tandis que sa respiration se fit haletante. Un pelage sombre, cela ne pouvait être qu’une coïncidence ou une farce terriblement mal venue. Une idée germa alors dans son esprit et il quitta son air effaré pour revêtir le plus beau masque de sa vie. Un large sourire s’étendit sur ses babines tandis qu’il s’approchait de la femelle plus tôt observée. Toujours le sourire en vue, il adressa un signe de tête à la nouvelle arrivante :

« Pardonnez mon impolitesse, j’admets vous avoir pris pour un prédateur. »

A quoi jouait-il ? Mais enfin, au parfait petit Prideland bien évidemment ! Il avait des doutes, des suspicions et ça le rendait malade d’être aussi prévenant envers un étranger mais il devait absolument vérifier.

« Je m’appelle Mwongo, un plaisir de vous rencontrer ! »

Les véritables questions ne viendraient pas tout de suite, d’abord les politesses, la mise en forme, la prudence. Il était parfait – gentil, agréable, poli et toujours ce sourire si sympathique collé aux babines. Il aurait ses réponses, peu importe les mensonges. Il masquerait son identité profondes, refoulerait ses pulsions et resterait le petit gentleman qu’il montrait.

Bien sûr elle n’allait pas lui révéler comme ça d’où elle venait et qu’il elle était, cela aurait été encore plus stupide de sa part ! Mais Hassun ne se démonta pas pour autant, gardant toujours son sourire poli sur le visage. Il allait devoir inventer un sacré mensonge, renier jusqu’à ses origines et probablement même cracher sur son propre clan. Tant pis. Si le jeu en valait la chandelle, il irait jusqu’au bout de sa perfidie.

Les pelages bruns. Tant d’histoires, tant de haine, tant de sang. Ses mots étaient tellement niais que ça lui donnait la nausée mais il n’en fit rien paraître, se contentant de rester le plus amical possible. Qu’est ce qu’il ne fallait pas faire pour en apprendre un peu plus – d’un ton amusé il lança :

« Ahah en effet, je ne suis pas d’ici, vous avez l’œil ! »

Et c’est maintenant que l’histoire allait se tisser – il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour commencer à imaginer une histoire qui lui permettrait de paraître crédible :

«Je viens de par delà le désert, d’un endroit que l’on appelle les Côtes Rocheuses. Les falaises sont immenses là bas et forment parfois, dans leurs interstices, des abris absolument parfait pour nous autres. »

Il aurait presque pu se croire lui même s’il n’avait pas été l’auteur de ce ramassis de bêtises. Ce qui serait amusant, c’est de découvrir qu’un pareil endroit existe. Cependant le mensonge ne s’arrêta pas là, il avait besoin que la femelle n’ait aucune appréhension envers lui et c’est ainsi qu’un peu penaud, il continua sur une note un peu plus triste :

« Enfin je vous raconte ceci, mais les tremblements de terre ont été très violents ce qui a occasionné de nombreuses pertes parmi les nôtres… Nous avons été forcé de quitter notre habitat. »

Venait ensuite la tragédie ! Que le Grand Désert lui pardonne ses paroles. Il ne nomma pas les Jangowas, préférant rester sur un qualificatif plus large – montrer qu’il en savait peu pour montrer qu’il était bien ce lointain voyageur qu’il prétendait être :

« Nous pensions que nous étions en sécurité mais la traversée du désert fut plus éprouvante que jamais. Un peuple à la barbarie sans nom n’a pas hésité à nous traquer sans fin. Nous nous sommes dispersés dans l’espoir de pouvoir nous retrouver dans un endroit plus paisible comme celui-ci. »

Voilà qu’Hassun – ou Mwongo – arborait un visage terriblement peiné, faisant mine de se remémorer d’affreux souvenirs qui hanteraient probablement ses visions nocturnes. Oh pauvre petite chose accablés par les méchants lions du désert. Mais voilà, il avait eût le sourire au début de sa rencontre avec la lionne, alors il devait se montrer positif, réagir de la bonne façon, croire que tout n’était pas perdu pour sa petite famille imaginaire :

« Personne n’est venu encore … Mais ils ne sont probablement pas loin, j’ai de l’espoir ! »

Et comme pour appuyer cette lueur d’espoir et ce fin sourire qui venait de passer sur son visage, il s’enquit d’en apprendre un peu plus, prétextant que c’était pour la bonne cause, pour sa tribu, son clan, sa famille.

« Peut-être que vous les avez vu, des lions comme moi ! Ou même, vous connaissez probablement un endroit où ces derniers auraient pu se réfugier, n’est-ce pas ? »

Qu’il avait hâte que tout ceci se termine, c’était véritablement dérangeant comme sensation.

Hassun arbora une mine déçue lorsque la lionne lui révéla qu’elle n’avait pas vu ses semblables. Évidemment idiote, sinon tu serais déjà morte, pensa-t-il au plus profond de lui même, ne laissant rien paraître. Son impatience était mise à rude épreuve mais il devait démêler le fin mot de l’histoire et si pour ça il devait s’y prendre à plusieurs fois, alors il le ferait. Si des Mositus parcouraient la Terre des Lions aussi près du Grand Désert, c’était le devoir d’Hassun que de se battre pour le savoir. Se battre contre eux tout court était aussi une solution qui encourageait le lion du désert à poursuivre dans sa petite mascarade.

«  Tu sais quoi mon père est le chef des Voyageurs, lui seul peut t'aider à retrouver ta famille c'est le meilleur de tous il connaît beaucoup de choses. Avec un peu de chance il te demandera de rester avec nous enfin si tu veux bien sûr ce n'est pas une obligation. »

Hassun fut surpris de la proposition faite par la lionne et ce fut une réelle surprise contrairement à tout ce qu’il avait feint depuis le début de la rencontre. Était-elle idiote à ce point là ? Néanmoins voilà qu’elle lui offrait une belle ouverture. De plus il n’oublia pas d’enregistrer le fait que des lions bruns s’étaient déplacés en masse récemment, si cela était vrai bien entendu. Mais le conduire jusqu’aux siens, c’était trop beau pour Hassun. Il fallait qu’il réfléchisse vite. Un petit sourire triste vint peindre son visage tandis qu’un ton dénué d’espoir traversa les frontières de ses babines :

« Venir avec vous ? Alors vous ne pensez pas qu’ils aient pu survivre … »

L’adolescent baissa les yeux vers le sol, les yeux brouillées par de fausses larmes. Voilà qu’il grattait nerveusement le sol de sa patte, faisant tourner un caillou dans tous les sens. Il faisait semblant d’être terriblement chagriné par ce qu’il croyait. L’ouverture était immense, il n’avait plus qu’à s’engouffrer à l’intérieur.

« Votre père. Est-ce qu’il peut réellement m’aider ? C’est vraiment le meilleur ? Vous ne dîtes pas cela seulement pour me rassurer ? »

Voilà qu’il prenait l’air d’un enfant apeuré par son futur incertain et les mille et une question qui pouvaient lui assaillir l’esprit quant à sa pauvre famille disparue. Qu’il se donnait envie de vomir. D’un côté, Hassun se demandait si son frère et sa sœur aurait eût la patience qu’il venait d’avoir. Il aurait voulu évoquer les lions bruns mais n’en fit rien pour le moment, pensant que c’était probablement trop criant et que cela aurait tôt fait de mettre la puce à l’oreille de la lionne. Il devait gagner un genre de laisser passer pour rester un peu plus longtemps sur ces terres et découvrir la vérité. Pendant un temps, il serait Mwongo et il serait prêt à suivre cette idiote d’étrangère s’il le fallait.

Le doute plane toujours et cette lionne commence à réellement devenir une source d’agacement qu’Hassun ne pourra bientôt plus contenir. Mais lui arracher la jugulaire ne serait pas judicieux, du moins pas ici. Puis de toute façon cette lionne ne lui inspirait pas confiance – non pas qu’il ait eût une seule once de conviction à son égard mais elle était tellement stupide dans ses paroles que même le dernier des idiots ne lui accorderait pas sa foi.

Enfin c’est vrai quoi ! Quel lion, aussi bête soit-il, penserait que pour retrouver sa famille qui s’était perdue dans le désert, le voyage serait la meilleure solution ? S’éloigner du désert n’était pas la meilleure variante dans cette équation et ça, il ne fallait pas être sorti du Grand Désert pour le comprendre. Rester au plus près de ce dernier garantissait de voir ressortir cette famille fantôme du même côté que lui.

De plus, si son père était un aussi grand connaisseur, il aurait probablement enseigné à sa fille que personne ne ressortait du Grand Désert en vie. Du moins pas si c’était un étranger. Une idiote et une menteuse, c’est tout ce qu’elle était. Néanmoins, le sourire d’Hassun ne faiblit pas et malgré ce constant voile de tristesse qu’il tentait de conserver, il finit par déclarer, presque désolé de devoir refuser la proposition de la brune :

«  C’est gentil mais… Je vais rester ici. »

Bien évidemment, Hassun voulait connaître la vérité plus que tout – si cette lionne brune appartenait bien à un groupe de Mositus rescapées du Grand Carnage, alors il se devait de le découvrir et de le rapporter à la fin de son exil. Parce que si cela s’avérait juste, alors les Mositus étaient bien trop proches du Grand Désert – qui sait ce que ces immondes créatures voulaient en frôlant d’aussi près les frontières de l’étendue de sable.

«  Si, comme vous le dîtes, ils sont en vie, alors c’est ici que j’ai le plus de chance de les retrouver. Donc je vais attendre. »

Attendre oui, mais pas sa famille fantôme. Il allait attendre de recueillir plus d’informations. De toute façon, les lions n’étaient pas les seuls animaux doués de paroles et il viendrait à bout de cette énigme tôt ou tard. Il ne traînerait pas plus que nécessaire ici mais ferait en sorte de ressortir avec les informations qu’il convoite. Lui adressant un dernier sourire, plus faux que jamais, et un signe de tête reconnaissant, il tourna les talons, non sans lui adresser une dernière parole :

«  Cela aura été un véritable plaisir. »

Plaisir qui se perpétuera dans les larmes et le sang.