La plaine volcanique. Un endroit hostile, froid et inhospitalier. Les conditions y étaient réunies pour creuser la théorie de la sélection naturelle. Entre les lacs d’acide et l’exposition constante à la poussière, seuls les mieux adaptés, les plus forts pouvaient survivre. Et quand bien même la nature leur épargnait une mort certaine, c’était contre les menaces extérieures que le combat se jouait. En l’occurrence : Les envahisseurs, comme bon nombre d’hyènes se plaisaient à les appeler.

Les félins n’avaient pas leur place sur ce territoire. L’ouverture des frontières à ces derniers compromettait la sécurité de toute la meute ! Plus que jamais, le colosse gris s’en rendait compte. L’épisode du meurtre de sa génitrice l’ayant dispensée de son poids, l’esprit de Shasta se réorganisait. La brute avait approfondi l’histoire de la meute et l’état actuel du clan était tel que seul un bon coup de patte ou un mot de travers suffirait à renverser la balance en faveur de leur principe : Les hyènes aux hyènes. Mais bien entendu, aucun tour de force ne se déroulait sans un peu de sang. La géante en avait pleinement conscience. Aussi lui faudra-t-il attendre le rapport de Zar’roc, afin de mettre en place une révolte digne de ce nom, dont l’issue sera en leur faveur, de préférence.

Assise sur un promontoire rocheux, suffisamment élevé pour distinguer la totalité de la pleine, Shasta méditait sur les possibles conséquences d’une prise de pouvoir quand une odeur familière se fit sentir. La géante eu un sourire discret, nul besoin de se retourner.

- Que me vaut le plaisir de ta présence ?

La première remarque arracha un petit rire à la brute.

- Alors, tu t'sens mieux depuis qu'elle pourrit six pieds sous terre ? Reprit-il, s’installant près de sa congénère.

"Elle", Shasta sut pertinemment de qui il parlait.

- Ouais, répondit-elle, un large sourire aux babines. Aussi paisible que cette terre. Mais y’a un truc qui me dérange… Elle racla le sol d’un de sa patte, faisant voler un petit nuage de poussière. …Les deux abrutis qui lui servaient de gardes, j’aurais pas dû les tuer !

Reconnaitre ses erreurs n’était pas dans sa nature, mais il fallait avouer que, dans le feu de l’action, ses bas instincts avaient pris le contrôle bien vite.

- Je me suis laissée emportée par la rage. La meute nous aurait sans doute suivis si je m’étais contentée de kidnapper la vieille. J’ai merdé.

Elle tourna la tête pour fixer le mâle.

- Mais faut avouer que les voir se vider de leur sang, c’était bien drôle !

- Ouais, et puis de toute façon, t'es sûre qu'ils auraient servi à quelque chose ? Ils ont même pas été foutus de protéger leur dominante. Si tu les avais vus me suivre... Ces abrutis n'ont même pas pigé que j'étais pas des leurs. Objecta le mâle, avant d’opter pour une posture confortable. Ils auraient été aussi inutiles que les membres de notre meute...

La femelle resta un instant pensive, fixant le vide.

- Ouais, t’as raison. On a bien assez d’un lot d’abrutis. Finit-elle par lâcher. De toute façon, les lions les ont probablement tués. C’est bien ce qu’ils voulaient, non ?

Un sourire mauvais se dessina sur son visage alors qu’elle s’allongea à son tour. Son cou pivota vers Akoda. Elle devait à présent lui parler de ses nouveaux projets.

- Mais qu’ils crèvent. J’ai d’autres idées en tête. Cette meute a déjà trop souffert du laxisme qui la gangrène.

L’exemple de son clan natal n’était que trop parlant. Les gentils et les froussards n’avaient pas leur place au pouvoir ! Shasta laissa son regard sur celui du mâle. Sa phrase était lourde de sens, mais elle tenait à démystifier ses intentions au maximum.

- Toutes les hyènes sont à bout, certaines sont prêtes à se rallier au premier qui leur promet un avenir meilleur. Mais les belles paroles, plus personne n’y croit. Il est temps d’arrêter de promettre et donner ! T'en penses quoi ?

Ses paroles attisèrent sa propre soif de changement. Sa mère, avant de mourir, lui avait insufflée une idée de génie.

Les hyénidés étaient sur la même longueur d’onde, une fois de plus. Le mâle fixait les terres désolées depuis leur promontoire tandis que la brute parcourait le mâle de ses yeux jaunes. Tous leurs entrainements, leurs épopées, avaient forgé un lien particulier entre eux. Un lien qui surpassait l’amitié et la fraternité… Elle s’approcha d’avantage pour coller son épaule à celle du guerrier.

- Je te jure que je rendrai sa force à cette meute ! A la minute où le sang de Kuruka tâchera mes crocs, mon avenir sera de raviver notre honneur. Les lions trembleront en entendant nos rires !

Elle ajouta, sur un ton solennel et curieusement doux :

- Je te le promets.

Beaucoup de charognards avaient été victimes des félins. Depuis la nuit des temps, les hyènes étaient humiliées, vivaient dans l’ombre de leurs pires ennemis naturel. Il était grand temps d’inverser cette tendance ! Cela dit, regarder l’horizon était une chose délicate pour un chef. Aussi, désigner un conseiller ne serait pas de trop, une fois Shasta au pouvoir. Et il semblerait qu’elle en ai un tout désigné…Avant de redorer le blason de la meute, il allait falloir apprendre à voir.