Le pardon était devenu denrée rare et les lions ne l’accordaient plus aussi facilement qu’hier. Levée aux aurores, Ahva n’était définitivement plus de ceux qui attendaient les miaulements d’enfants pour se lever. L’œil sévère, elle observait Prideland et ses environs. Combien de temps encore avant que n’éclate l’orage ? Sa mission principale demeurait de protéger sa famille et elle se tiendrait prête lorsque la terre tremblera.

Ahva ne s’était jamais tenue auprès du grand tournant de sa vie. Sûrement y était-elle déjà engagée, tuer Mopango et venger sa mère avait changé quelque en elle. Elle se sentait assurément différente. Ce nouveau chapitre de sa vie avait probablement commencé le jour où Sadaka leur avait annoncé la mort de la reine d’or. Depuis, rien n’était comme avant. Ahva avait embrassé la voie guerrière de ses ancêtres et s’en félicitait, elle comprenait aujourd’hui que cela avait toujours été son destin. Enfin, y croyait-elle encore seulement ? Ahva avait perdu sa foi et doutait de ses enseignements. Seul perdurait dans son esprit la croyance que les esprits veillaient sur eux.

Dans son dos, une ombre avançait. Sensible à ses sens perfectionnés, elle détourna son regard de l’horizon pour le poser sur une jeune femelle. C’était Chayà, sa nièce. La finesse de sa mère dans les teintes de son père. Sûrement le plus beau mélange qu’il soit. D’abord silencieuse, elle lui adressa un signe de tête, la saluant.

« Bonjour, Chayà. Tu es bien matinale. »

Un sourire étira ses babines. Son nouveau but était encore flou mais demeurait une certitude, Ahva souhaitait rattraper le temps perdu. Elle s’évertuait à reconquérir le cœur de sa sœur mais également à nouer des liens avec ses nièces et neveux. Cela avait commencé avec Raksà qu’elle avait pris sous son aile et à qui elle enseignait les bases du guerrier. Les deux descendants de Kuzali s’entendaient plutôt bien, beaucoup de similitudes les reliaient mais il lui restait encore trois jeunes lions à rencontrer et Chayà serait assurément la prochaine sur la liste.

Munie d’un petit sourire, Chayà s’approcha de sa tante. La guerrière observait ses faits et gestes, tentant d’en apprendre déjà un peu plus sur l’état d’esprit de l’adolescente qui lui semblait alors sur la réserve. Quoi de plus normal, Ahva avait été longtemps absente de leur vie. Distante mais polie, la jeune lionne lui confia simplement être sortie prendre l’air suite à ses réflexions. Ahva aurait aimé lui demander de quoi il en retournerait mais sûrement était-ce encore trop tôt pour s’immiscer de la sorte dans les pensées de la jeune lionne. Elle se contenta donc de lui adresser un sourire.

Ahva se retrouvait dans la même position qu’avec Raksà, elle ne savait pas trop par où commencer pour rattraper le temps perdu, d’autant plus que quelque chose lui soufflait que Chayà serait moins facile à apprivoiser. Mais bon, il fallait bien commencer quelque part et Ahva était décidé à connaître ses nièces et neveux et faire partie de leur vie.

« Comment vas-tu ? » questionna-t-elle l’air serein avant d’hésiter puis rajouter. « La dernière fois que je vous ai vu, vous n’étiez que des lionceaux et maintenant vous voilà adolescents. Le temps passe vite. Trop peut-être. As-tu trouvé ta place sur Prideland ? »

La lionne n’avait jamais eu de difficultés pour se lier aux inconnus mais la situation était ici différente, Chayà n’était pas vraiment une inconnue mais un membre de sa famille qu’elle avait délaissé, trop occuper à atteindre ses objectifs personnels et à venger la mort de sa mère. Mais Ahva était rentrée et se mettait corps et âme à disposition de sa famille. C’était eux maintenant sa priorité.

« Je vais bien. » répondit la lionne d’un air serein.

Mais ignorant alors délibérément sa propre question, Chayà l’interrogea sur sa vengeance. Les oreilles de la lionne tiquèrent d’un air agacé. Ce n’était pas tant la question qui l’avait échauffé mais plutôt le ton ainsi que l’attitude de la jeune lionne. Ahva aimait les personnes directes mais là, c’était trop intrusif. Elle eut un coup de chaud. La guerrière était sanguine et quand quelque chose ne lui plaisait, elle ne faisait rien pour le cacher.

« C’est un peu impoli d’esquiver une question par une autre. Surtout une question de ce genre. »

Son ton était plus froid. Elle demeura un temps silencieuse, sensible à l’idée de calmer son ardeur. Chayà n’était peut-être pas aussi désagréable qu’elle le laissait paraître mais pour le moment, cela réfrénait pas mal la guerrière qui n’avait guère envie de mener une nouvelle bataille. Elle avait suffisamment rendu de compte à ses proches.

Elle bascula son regard vers la lionne ébène et souffla simplement :

« J’ai vengé la mort de ma mère, c’est le principal. »

Elle ne lui en dirait pas plus, pas tant que Chayà n’aurait pas quitté son attitude batailleuse. La guerrière songea à Raksà qui l’avait bien mieux accueilli, ouvert à la discussion et à la rencontre puis en déduisit par son attitude que Chayà avait des reproches à lui faire. Lesquels, elle l’ignorait encore mais vu la parole libre de l’adolescente, elle ne tarderait sûrement pas à le savoir.

Sensible aux dires de l’adolescente, Ahva se détourna définitivement du paysage pour lui faire face, le regard dur. Elle tolérait mal son jugement, elle qui ne la connaissait pas. Tant mieux si cela la rassurait ? La guerrière retint un grondement.

« Que sais-tu du chagrin de perdre l’être le plus cher à tes yeux ? Cette vengeance était mon choix, ne te permet pas ces mots quand tu ne comprends même ce que nous avons vécu. »

Voilà, elle était lancée mais Chayà rétorquait de plus belle, arguant qu’il était facile de blâmer quelqu’un quand on partageait tant avec lui. Cette fois-ci, Ahva ne retint pas son grognement sourd. Elle commençait à l’agacer.

« La mort de votre mère est un bel hommage et ça n’est pas moi qui insinuerait le contraire. Mais je ne comprends pas pourquoi vous vous acharnez sur mon père qui a, finalement, les même desseins que vous ! Pour lui aussi c’était le principal. Si bien qu’il nous a oublié dans cette vengeance. Vous n’avez rien à perdre, vous n’avez pas d’enfants. Alors je me fais avocat du diable. Vous avez cherchez à vous vengez tout comme lui. Cela vous regarde, mais c’est en vous, et ça pour toujours. Vous êtes les mêmes. Mais puis-je savoir en quoi ça nous regarde ? »

Ah enfin, voilà l’origine de son aigreur bien qu’Ahva peinait à comprendre toutes ses pensées. Il était bien beau d’user d’un beau vocabulaire mais encore fallait-il se faire entendre convenablement. Tout ce beau parler lui rappelait amèrement ces politiciens ennuyeux. L’envie de riposter lui démangeait mais consciente que la lionne n’en avait pas fini, elle la laissa continuer.

« Vous prônez les valeurs familiales : famille, devoir, honneur. Venger Kuzali en tuant Mopango est une belle action, mais nous ignorer, jeter à notre propre père les regards que vous lui avez jetés, j’avoue ne pas comprendre… Vous lui en voulez, certes, comme bien des êtres sur cette terre mais vous étiez sa seule alliée bon sang ! Vous étiez sa famille, comme vous l'êtes pour nous. Il a fauté, je n'en dément pas, il est fautif. Mais, est-ce que cela vous soulage vraiment ? »

Ahva esquissa un demi sourire narquois. Elle était agaçante. Chayà pensait-elle vraiment tout savoir et tout comprendre de cette histoire ? Elle-même rejetait son père et pourtant, voilà qu’elle blâmait Ahva de lui avoir tourner le dos. Elle ne comprenait pas vraiment cette logique, cela lui semblait presque hypocrite.

« Famille, devoir, honneur. C’est bien ça et mon credo n’a pas changé. Sadaka était insatisfait de ce qu’on avait à lui offrir sur Prideland et est parti fricoter avec son oncle Nyeusis, ce même lion qui avait semé la terreur parmi nos aïeux. Quand il est revenu, c’était pour créer un incendie qui a failli nous coûter la vie à mon frère, ma sœur et moi-même. Après ça, il était distant. Espion à vrai dire mais on l’ignorait. C’est en voulant percer son secret que Kuzali a été piégée puis tuée. Ton père a trahi sa famille, son devoir et entaché son honneur. Alors oui, j’avais toutes les raisons du monde de lui en vouloir. Il a délibérément mis nos vies en danger et cela a fini par tuer ma mère. Tes beaux discours sont bien jolis mais tu n’as rien connu de tout cela, tu es arrivé après la tempête et tu ne te bases que sur les restes. »

Ahva grondait et son regard était dur. Si elle acceptait les blâmes de ses proches, ceux de Chayà passaient difficilement. Elle n’appréciait pas ses grands airs. L’adolescente n’avait jamais connu la proximité du demi-Nyeusis avec sa sœur, elle ignorait combien ils avaient été proches et comment la princesse avait adulé celui qu’elle avait aimé appeler son héros. La traîtrise de Sadaka l’avait autant fait souffrir que la mort de leur mère car ce n’était pas une mais deux grandes figures qui étaient tombées. Trop accaparée par ses reproches, Chayà n’avait pas pensé à demander à sa tante si la rancœur demeurait, elle ne faisait que lui rappeler des souvenirs qui évidemment enflammaient la lionne. Elle ne savait pas de quoi elle parlait, elle ne connaissait rien de l’état d’esprit de la guerrière ni même de son ressenti et cela l’agaçait.

« Je lui ressemble, je lui ressemble… tu t’évertues à répéter ça en boucle mais toi ne me ressembles-tu pas ? Ose me dire que tu n’as pas été en colère contre ton père pour ses mensonges. »

Ahva ne décolérait pas. Cette discussion n’était clairement pas orientée dans l’optique qu’elle avait souhaité mais si Chayà souhaitait jouer cartes sur tables, elles allaient jouer.

« Et oui, cette vengeance me soulage. Elle me fait un bien fou car celui qui a tué ma mère est mort, c’est justice qui a été rendue. J’accepte les blâmes de mes proches mais toi, qu’as-tu réellement à me reprocher ? Mes regards lancés à ton père ? Oh je t’en prie, c’est ridicule. »

Ahva la toisait du regard. Si Chayà souhaitait hausser le ton, qu’elle le fasse au moins pour une raison valable. Ce n’était pas ces discours aigris qu’elle allait régler la situation entre Ahva et Sadaka, cela ne regardait qu’eux et plutôt que de faire avancer les choses, elle ne faisait que ressasser des souvenirs. Finalement, Ahva soupira. Lorsqu’elle avait franchi la frontière de son royaume après des mois de calvaire, elle n’avait qu’une chose en tête, retrouver son foyer et les êtres qu’elle aimait. Au lieu de cela, elle n’avait reçu que des pierres. Cela la pesait. Tous étaient si froid. C’était bien beau de crier à la mort du Nyeusis mais quand les guerriers revenaient du combat, ils se prenaient des coups parce que les méthodes n’avaient pas plu.

A la mine de l’adolescente, Ahva regretta presque de s’être emportée de la sorte mais au moins, cela lui avait fait bien de vider son sac. Elle souffla, attendant de voir si Chaya répliquerait de plus belle ou si au contraire, elle tenterait de calmer le jeu. Heureusement pour elles deux, la jeune lionne choisit la seconde option et s’excusa. Il lui semblait alors voir un nouveau visage de l’adolescente et cela apaisa la guerrière qui baissa enfin les armes. Elle l’écouta sagement, plus calme et l’air moins contrariée. Les mots de Chaya trouvaient enfin du sens à ses oreilles et la guerrière soupira.

« Hmm, je me suis également laissée emporter par mes émotions, excuse-moi. »

L’adolescente disait vrai, la famille était suffisamment dispersée pour qu’elles viennent rajouter leur grain de sel. Plus douce, Chayà lui confia son passé sur la Lande, ce que cette vie leur avait appris et comment elle avait influencé leur caractère. Cette fois-ci, Ahva semblait la comprendre et hochait de la tête. Quand Chayà affirma que sa naissance à elle et ses frères et sœurs n’avaient pas aidé, Ahva eut -on aurait dit-, un semblant de rire.

« Ce n’est pas que ça n’a pas aidé, au contraire je pense que c’était le seul éclairci dans toute cette pénombre mais c’était peut-être trop tôt, nous n’étions pas prêts. » lui dit-elle avant de rectifier, plus proche de la vérité : « Je n’étais pas prête. »

Elle n’en avait jamais tenu rigueur à ses nièces et neveux pour quoi que ce soit, Ahva avait même tout de suite plaidé leur venue sur Prideland pour les mettre en sécurité mais ce n’était pas pour autant qu’elle avait souhaité les connaître de suite, son cœur n’était alors que haine et rancœur, elle n’avait rien à leur offrir dans ce temps passé. Aujourd’hui c’était différent, Ahva cherchait la rédemption, l’amour et l’union de sa famille. Si Chayà l’aidait, elles pourraient œuvre dans ce but.

Débarrassée de ses ardeurs, la guerrière se rassit aux côtés de sa nièce l’air plus détendue quoique son visage demeurait marqué, encore rougeoyant. Elle glissa un regard vers l’adolescente et songea. Par ses quelques discussions avec Raksà, elle avait cru comprendre que leur enfance n’avait pas non plus été idyllique, eux aussi avait souffert des torts de Sadaka bien que différemment, l’absence d’un père laissait toujours des marques. Adoptant son discours à ses mots, Chayà lui parla d’avenir, de pardon et de renouveau, qu’elle et sa fratrie n’avaient que ça. Ahva lui décocha un regard presque chaleureux mais surtout compatissant. C’était également ce à quoi elle aspirait. L’air triste de l’adolescente la peina et sensible à son rôle d’aînée, Ahva pensa qu’il était adapté de lui adresser quelques mots d’espoir.

« Le pardon et le renouveau ne sont pas pour vous. Vous n’avez encore commis aucun pêché et j’ose penser que cela durera mais l’avenir, lui, me semble être une belle perceptive. Vous êtes jeunes, beaux et forts, vous aurez tout le temps plus tard de songer à ces désagréments. Trouvez votre place, c’est tout ce qui compte pour le moment. »

Elle lui sourit, plus douce. Ahva n’en disait mot mais elle était étonnée de la maturité de sa nièce. Elle-même à son âge ne pensait à de tels dessins, tout ce qui l’importait était de découvrir le monde.

Continuant ses confidences, Chayà lui avoua avoir de la rancœur envers son père mais ses griefs étaient principalement tournés vers son absence et évidemment leur déménagement sur Prideland. Ahva acquiesça silencieusement puis lui dit, plus positive :

« Votre famille de la Lande est toujours là, elle ne vous a pas quitté. La terre sèche est seulement devenue herbe dorée et la grotte qui vous servez de repère est devenu un énorme rocher à l’allure très tape à l’œil, je l’admets volontiers, mais vous êtes toujours ensemble. C’est ça qui compte. »

Cependant, un mot en particulier retint son attention, celui de héros. Le sourire de la lionne devint nostalgique. Ouvrant enfin son cœur à la jeune lionne, elle lui confia :

« Ton père a été mon héros. Je l’observais sans cesse, lui traînant toujours dans les pattes. Au début il ne voulait pas de moi, il détestait cette nouvelle famille que lui avait offert Kuzali et s’en isolait mais je n’ai jamais vraiment respecté son souhait. Je voulais le connaître mais aussi que lui me connaisse, qu’il me laisse approcher son cœur pour y prendre place. A force de persévérance, il m’a accepté à ses côtés. Rien ne m’avait jamais rendu aussi heureuse. Quand j’étais avec lui, je n’avais plus peur de rien. Aujourd’hui, ce héros me manque. »

Elle voulait le retrouver, elle avait besoin de lui et elle le savait mais quelque chose la retenait encore. Ahva avait pourtant conscience que quelque chose avait surpassé sa rancœur lors de leur périple dans l’ancien royaume des Marozis, la peur de perdre cet être aimé sûrement. Oubliant toute raison et surtout sa propre colère, elle avait bondi face au danger pour lui venir en aide. Sa peur de le perdre avait dominé tout autre chose. Son héros était tombé mais demeurait l’espoir grâce à l’amour porté. Elle soupira doucement.

« Ce héros que tu cherches, tu n’en as peut-être pas besoin. Rien ne t’empêche d’être l’héroïne de ta propre histoire. »

A défaut de compter sur les autres, Chayà pouvait compter sur elle-même. Cela lui assurerait au moins de n’en jamais souffrir. Tourmentée par ses propres songes, Ahva plissait des paupières, observant le soleil se lever. Depuis la mort de sa mère, elle aimait croire qu’à chaque levée de soleil correspondait l’éveil de Kuzali dans le ciel. Cette croyance était réconfortante car elle se sentait protégée. Kuzali n’avait jamais failli à ce devoir.

Ahva sourit, presque amusée. La maturité de sa nièce était extraordinaire, cela l’étonnait mais c’était une surprise agréable. Un autre bien-pensant dans cette famille délurée ne serait pas de trop. C’était ainsi que tout ce petit monde fonctionnait, certains fonçaient tête baissée à l’appel du cœur, d’autres ralentissaient leur course en écoutant leur tête. Ensemble, ils formaient un roc. Elle songeait à son frère, Azaan. La lionne lui en avait terriblement voulu d’avoir pris le parti de leur père en clamant que la vengeance n’était pas la bonne voie, il avait accepté si facilement la mort de leur mère qu’elle s’était dressé contre lui, tournant le dos à celui qui avait été son allié de toujours. Aujourd’hui, sa sagesse et son calme lui faisait défaut. Ahva avait délaissé bien des proches dans cette quête de vengeance. Jamais elle n’avait pensé se sentir si seule en rentrant chez elle. C’était pénible.

Les paroles de Chayà demeuraient écho dans ses songes. Être en accord avec soi-même et ses principes. Elle retint un soupir. Ahva avait agi en accord avec soi-même, la mort de sa mère lui avait été trop douloureuse pour la laisser impuni mais en succombant à ce désir, elle avait renié certains de ses principes. Ce n’était pas toujours évident d’être en accord avec ces deux thèmes. La raison et le cœur tendaient à se quereller.

« Tu es sage, Chaya. » commentait simplement la lionne dans un bref soupire. « Sans doute devrais-je également m’évertuer à suivre ce chemin. »

Elle lui sourit faiblement. Ses principes étaient toujours les mêmes : famille, devoir, honneur, toujours dans ce sens et jamais dans un autre mais elle se demandait si elle n’y avait pas failli. La moitié de sa famille nourrissait de la rancœur à son égard et pour le reste, c’était elle qui avait fermé les portes. L’équilibre avait été rompu mais il n’était pas encore trop tard pour tenter de le rétablir. Ahva avait atteint son but premier, celui de vengé Kuzali, maintenant elle devait s’efforcer de redevenir celle qu’elle était même si beaucoup de changements s’étaient opéré. Un espoir demeurait et la première chose à faire était de pardonner et se faire pardonner.

Rebondissant sur ses mots, Chaya lui souffla que son héros n’était pas loin, cette figure dont Ahva semblait alors avoir tant besoin. Elle dressa vers elle son regard ambré, silencieuse. Bien sûr qu’il lui manquait. Ahva n’avait sans doute qu’à faire un pas vers lui pour engager la réconciliation mais l’accepterait-il aussi facilement ? Aujourd’hui elle l’admettait enfin, la lionne était loin d’avoir été tendre avec lui. Sûrement était-elle-même celle qui l’avait le plus blâmer. Hmm non, cette question coulait sous l’évidence. Elle soupira puis esquissa un sourire léger. Elle n’était pas dupe face aux intentions de sa nièce mais ne rejetait plus ces avances. Finalement, elle et Chaya avaient commis le même péché : celui d’avoir tourné le dos à Sadaka quand il avait connu la plus grande peine.

Pleine de détermination, la jeune lionne confia qu’elle serait certes l’héroïne de sa vie mais qu’elle pensait toutefois qu’une figure héroïque était nécessaire voir plusieurs, ce qui était son cas. Ahva eut l’air étonné. Plusieurs héros ? Hmm, comment concilier toutes ces sources d’admiration ? La princesse guerrière avait connu beaucoup de lions qui avaient attisé sa curiosité et même son inspiration, certains lui étaient source de grande sympathie, Vita par exemple bien que cet hors-la-loi suscitait également en elle d’autres envies mais quelqu’un comme Sadaka, elle n’en avait jamais trouvé. Leur lien était trop personnel, trop unique. Elle soupira avant de pouffer doucement de rire. Elle ne se moquait pas de l’adolescente, elle riait simplement de ses propres émotions refoulées.

« Oh je crois qu’on peut avoir de nombreuses sources d’inspirations mais un héros, on n’en a qu’un. »

Son rire évanouit, demeurait l’ombre d’un sourire nostalgique aux coins de ses babines. Chayà elle-même éprise de ses souvenirs confia que certains de ces lions lui manquaient. Oh, la discussion prenait une tournure presque triste mais dans leur nostalgie, les deux lionnes se rejoignaient.

« Oui à moi aussi mais ils demeurent dans nos esprits, que ce soit leur enseignement ou leur sourire. »

Son sourire ne la quittait mais Ahva paraissait triste. Ses songes étaient maintenant tournés vers sa mère. Avoir vengé sa mort lui permettait d’avoir la conscience moins lourde car elle pensait avoir accompli son devoir mais son cœur lui demeurait en souffrance. Elle s’était faite à l’idée maintenant mais tous ces mois passés à courir après son assassin avaient été une excuse pour échapper à sa véritable peine. Elle lui faisait face maintenant, armée de sa seule consolation que le meurtrier avait été puni mais l’absence de la reine dorée demeurait froide et pénible. Ce soleil parcourant la savane n’était plus. Souvent, elle regardait sa sœur avec mélancolie. Leur ressemblance était aussi douce qu’amère.

Ahva prit une grande inspiration, élevant son regard vers l’astre solaire.

« J’aime penser que ma mère repose près de son Père, le Soleil. C’était une croyance très forte parmi son peuple. Elle m’a longtemps narré leurs diverses légendes mais aujourd’hui, celle que je me remémore le plus est celle-ci, qu’une fois délaissée de leur enveloppe terrestre, ses Enfants s’élèvent pour le rejoindre et propager sa lumière. Ils deviennent ses rayons. Chaque matin et chaque nuit, qu’il commence ou finisse sa course, le Soleil nous offre un dernier scintillement. Je ne le rate jamais. C’est peut-être stupide mais j’aime croire que c’est ma mère qui me fait signe. Je regrette que tu ne l’ai pas connu. Tu l’aurais adoré et elle aussi. »

Elle soupira. Kuzali grand-mère… ç’aurait été une chose formidable à voir. Si toute cette noirceur ne s’était pas répandu autours d’eux, peut-être auraient-ils pu tous connaître cette délicieuse histoire. Ce tableau peint lui semblait agréable mais il n’était que chimère. Coupant court à toute nostalgique, Ahva changea rapidement de sujet et demanda :

« J’ai entendu dire que tu souhaitais devenir conseillère de la future reine. Pourquoi ce choix ? »

Avant qu’elle ne la questionne sur ses desseins, Chaya eut le temps de lui confier que son père se réveillait toujours avant le lever du Soleil et ne se couchait jamais avant son dernier rayon. Ahva ne pipa mot, préférant demeurer silencieuse mais son cœur se serra. Elle avait longtemps délaissé la peine de son frère et pourtant, sûrement avait-il celui le plus en proie au chagrin. Ahva le savait, sa rancœur s’état apaisée mais elle-même ne saurait dire pourquoi elle n’était pas encore allée à sa rencontre. De honte peut-être. La guerrière se souvenait de cette frayeur ressentie lorsque Sadaka avait manqué d’être noyé avec le Nyeusis. L’idée de le perdre lui avait été insoutenable, elle l’aimait toujours profondément, c’était un fait. Elle soupira brièvement avant que le sujet ne glisse sur les aspirations de l’adolescente.

D’abord étonnée de ce changement de sujet radical, Chayà affirma ses dires. Ahva hocha lentement de la tête, un peu amusée de la réaction de sa nièce. Elle n’était visiblement pas une lionne à brusquer. Elle garderait ça en tête pour la prochaine fois. Se battre avec ses griffes ou avec ses mots, toutes deux avaient la même ambition : protéger les leurs et leur assurer un avenir serein. Pourtant, l’adolescente la surprenait une fois encore. Petite Ahva n’avait aspirer qu’aux voyages, elle rêvait d’aventures mais surtout d’échapper à ces chaînes auxquelles on voulait la retenir. Chayà, à contrario, souhaitait bâtir sa vie sur de solides bases et cela commencé par créer un monde meilleur sur Prideland. Ahva l’observait, sentant monter en elle une pointe d’admiration.

« Avec de pareilles idées tu me sembles effectivement coller au rôle. Tu seras une bonne alliée pour ma sœur, elle a besoin de lions comme toi autours d’elle. »

Ahva lui sourit, plaçant alors sa confiance en elle pour veiller sur sa sœur. Awena était l’être le plus important dans son monde, cela lui tenait à cœur de la savoir bien entourée. En tout cas, elle avait bien plus foi en sa nièce qu’Amaya qui au même âge aspirait à cette même élévation auprès de la reine. Chayà avait la force d’esprit nécessaire.

« Garde cette ambition, travaille pour obtenir ce que tu désires et je te souhaite de réussir. » enchérit la princesse dans un sincère sourire d’encouragement. Toutefois, elle ajouta la mine plus malicieuse : « Mais attention je garderai un œil sur toi, on parle de ma sœur après tout. »

Son regard pétillait. Ce n’était en rien des menaces ou même une mise en garde, Ahva lui faisait simplement savoir qu’elle se souciait énormément de sa sœur aînée et qu’elle ne souhaitait que les meilleurs autours d’elle.

« Bien, comme tu l’as rappelé c’est avec mes griffes que je me bats et à la vue de l’avancée du soleil dans les cieux, les gardes-frontières doivent sûrement m’attendre pour notre ronde matinale. Tu ne m’en voudras pas mais le devoir m’appelle. »

Toujours sourire aux babines, Ahva se redressa noblement mais avant de prendre la poudre d’escampette, elle adressa ces quelques derniers mots à l’adolescente :

« Je suis heureuse d’avoir eu cette discussion avec toi Chayà. Prends soin de toi. »

Et merci de ne pas m’avoir fermé la porte. Après un vif salut de la tête, Ahva quitta le promontoire et s’éloigna en direction des rugissements lointain des gardiens. Ils furent surpris de la voir arriver de si bonne humeur, ce n’était pas si courant mais Ahva avait effectivement le cœur plus léger. Ca n’avait pas été de tout repos mais peu à peu, il lui semblait reprendre sa place auprès de son foyer. Il lui restait encore deux de ses nièces à rencontrer et surtout, l’idée était désormais acquise qu’elle devait parler à son père pour enfin taire les non-dits et peut-être, l’espérait-elle secrètement, retrouver son héros d’antan.

HRP: