L’aube d’un nouveau jour éclairait la savane tandis que la noirceur s’était évanouie avec la pénombre de la nuit. Le dernier des Nyeusis avait été vaincu. Ils avaient honoré leur serment et Kuzali avait été vengée. Côté à côté, les trois lions regagnaient leur foyer. Sadaka épaulait sa compagne blessée tandis que la cadette se tenait à leurs côtés, étrangement silencieuse. Sa rancœur envers son frère s’était évanoui, la mort les avait éloignés avant de les réunir. Contrairement à ce qu’aurait pu annoncer leur victoire, Ahva n’affichait guère un air de triomphe. Une partie de son âme était apaisée mais tandis que ses pas la ramenaient chez elle, la tristesse qu’elle avait laissé dans son foyer la regagnait. Elle avait vengé sa mère oui, mais celle-ci ne reviendrait pas. La tristesse venait peu à peu remplacer la colère dont elle s’était enfin débarrassée. Son but était maintenant achevé, tous ces mois de recherche et de calvaire prenaient aujourd’hui fin mais sans objectif pour ignorer le poids de sa peine, Ahva devait maintenant lui faire face. Elle se sentait… étrange. C’était comme une nouvelle page de son histoire qui s’écrivait mais dont elle ignorait les tons. Que se passerait-il maintenant ? La lionne aurait aimé penser qu’elle coulerait des jours heureux auprès de sa famille, le temps de se remettre peu à peu de ses émotions mais déjà au loin, elle entendait l’orage gronder. Avant son départ, Soto n’avait manqué de lui rappeler leur pacte. Il les avait aidé à mettre le Nyeusis à terre, c’était maintenant à elle d’honorer sa part du marché. Elle déglutit. La lionne n’en avait pas encore touché mot à ses compagnons, elle craignait leur réaction. Perdue dans ses songes, une vielle odeur lui chatouilla le museau. Redressant son regard ambré vers les plaines qui s’étendaient face à elle, Ahva stoppa sa marche pour humer l’air à plein nez. Prideland. Elle était rentrée.

Plus légère, la lionne foula les herbes de son enfance. Elle n’était plus cette même lionne partit il y a de cela quelques mois, elle était différente et elle le sentait mais ce sentiment d’être de retour parmi les siens suffisait à apaiser ses nouveaux doutes. Sur leur chemin, les trois compères croisèrent un groupe de garde frontalier qui accouru aussitôt à leur rencontre. La princesse les salua dans les règles de l’art, presque heureuse de retrouver son statut et les pria de prévenir sa sœur de son retour. Elle aurait pu également acourir au chevet de sa sœur mais encore mitigée dans son propre ressenti, la lionne préférait prendre son temps pour gagner le rocher de la fierté. La dernière fois qu’elles s’étaient vues, les deux lionnes ne s’étaient pas quitté en bon terme et Ahva avait conscience d’avoir blessé sa sœur en l’écartant ainsi de leur projet mais elle n’avait jamais agi que pour sa sécurité. Le bien-être d’Awena était maintenant une de ses priorités et plus que jamais, Ahva désirait retrouver sa sœur et la sentir contre elle. Espérons simplement qu’Awena saurait oublier sa rancœur.

Arrivée aux pieds du rocher, la lionne sentait bien les regards se poser sur elle. Voilà deux mois qu’elle était partie, peut-être même trois. Elle avait quelque peu perdu le compte à force d’errer de territoire en territoire pour récolter des informations sur sa cible. Elle guettait leurs regards, les expressions de leur visage et c’était avec soulagement qu’elle constatait principalement leur portée douce et fraternelle. A en voir leur sourire compatissant, nombreux devaient penser que la lionne était partie faire un break pour se remettre doucement de la mort de la reine. Le cœur tambourinant, la lionne grimpa les plateformes rocheuses une à une, accélérant le rythme à chacun de ses pas. Arrivée au sommet, elle isola presqu’instantanément la silhouette dorée de sa sœur aînée. La vision de ce pelage doré ô combien précieux lui pressa la poitrine tant la ressemblance entre la mère et la fille était frappante. D’abord hésitante, Ahva se laissa finalement emportée par ses émotions et se pressa aux côtés de sa sœur.

Ignorant la réaction de sa sœur, Ahva se retint de l’enlacer mais lui souffla avec une chaleur oubliée ces quelques mots :

« Je suis rentrée. »

Un sourire infiniment doux étirait ses babines tandis que la lionne posait son regard ambré dans celui rayonnants de sa sœur. Elle était heureuse de la retrouver. Awena était ce bel éclairci qui perçait le ciel après la tempête et la lionne n’avait que trop attendu d’enfin la revoir. Elle ne souhaitait qu’une chose, se laisser bercer par sa chaleur et en oublier sa propre amertume, oubliée ce qu’elle avait laissé derrière elle pour renouer avec ses beaux souvenirs. Après tout ce sang versé, elle ne souhaitait qu’une chose : retrouver sa sœur, son dernier et unique Soleil.

La gorge d’Ahva se noua à la vue de ces précieuses larmes qui menaçaient de couler d’un instant à l’autre. Ce spectacle était douloureux et pénible si bien que la princesse crevait d’envie de serrer sa sœur contre elle mais elle ne le pouvait pas, pas encore. Elle devait attendre sa sentence et malgré ses espérances, elle devinait la colère de son aînée. Les oreilles aplaties tel un enfant venant de commettre une terrible bêtise, Ahva attendait avec anxiété que tombent les mots mais brisant son cœur, ceux-ci s’accompagnèrent des larmes de la lionne dorée.

Furibonde, Awena laissa éclat un flot de sentiment qui explosa à la gueule de sa cadette. De la rancœur, de la tristesse, de la souffrance … Ahva devinait tout cela. Depuis la mort de Mopango, c’était ce moment qu’elle redoutait le plus. La gorge serrée, Ahva articula ces quelques mots :

« Je suis désolée. »

Elle-même sentait l’émotion la gagner. Il lui était trop pénible de voir sa sœur dans un tel état et ce par sa faute. S’avançant d’un pas, elle lui offrit ces quelques explications dans l’attente d’un pardon.

« Je devais te protéger. Ce monde de sang et d’obscurité ne t’es pas destiné non, toi tu es faite pour briller et pour irradier les autres de ta chaleur. Je ne pouvais pas te mêler à ça, tu m’en aurais empêché. » avançait-elle d’un ton très doux et implorant à la fois.

La mort de Kuzali vengée, son but n’était plus que de protéger sa sœur et lui offrir le meilleur des avenirs. Craignant encore les foudres de sa sœur mais ne supportant plus ses larmes, Ahva rompit cette distance qui les séparait et frotta sa joue contre celle de la lionne, essuyant ses larmes, puis plongea contre son encolure, la pressant contre elle.

« Je suis là maintenant alors s’il te plait, oublie ta colère. Je ne saurais pas la supporter. » murmura-t-elle dans un souffle.

Awena était son dernier soleil, elle avait tant besoin d’elle et de son amour. Oh, comme elle lui avait manqué.

De grâce, Awena l’accueillit contre elle et la serra avec tendresse. La guerrière humait avec envie son odeur, en imprégnant tant son esprit que son cœur. Qu’il était bon de la sentir contre elle. Sa sœur lui avait tant manqué. Elle sentait contre sa nuque les babines de la lionne dorée s’étirait. Ah, enfin un sourire.

Leur étreinte s’évanouit lorsqu’Awena décida de s’écarter, un air soucieux au visage.

« Ce n’est rien de grave, quelques plaies mais celles-ci guériront. Taali a été la plus touchée… » lui avoua-t-elle, regrettant de ne pas avoir pu protéger la lionne brune. Moins entraînée que ses compagnons, Taali avait le plus subi. « Sadaka a également été blessé mais il survivra. Tous nous garderons des cicatrices de ce combat mais nous vivrons. »

Ses derniers mots s’accompagnèrent d’un sourire qu’elle souhaitait réconfortant. C’était presque un miracle que tous aient survécu mais Ahva n’avait même pas songé à l’idée inverse. Il lui était impossible qui que ce soit d’autre désormais. Elle les protégerait tous.

« Mopango est mort, Awena. Nous avons réussi. » affirma-t-elle d’un regard conquérant. « Nous avons vengé maman. »

Et cette idée était la plus douce qui soit. Mais à quel prix ? Devait-elle tout lui dire maintenant ? Craignant que la colère de sa sœur ne surgisse de nouveau, Ahva l’observa un instant, demeurant silencieuse. Qu’elle était belle. Si douce… si chaleureuse. Elle soupira, l’avertissant :

« Tu ne vas probablement pas aimée la suite. »

Ahva aurait aimé profiter de l’alégresse de ces retrouvailles plus longuement mais plus aucun secret ne devait perdurait entre les deux sœurs, elle se l’était promis.

« Je suis partie quérir l’appui de Soto, nous avions besoin d’un complice au sein de l’Ancien Royaume pour nous aider à cueillir le Nyeusis. C’est en partie grâce à lui que cela a été rendu possible. Mais en échange de ses crocs, j’ai dû lui promettre une chose. Hourasi et ses fidèles marcheront bientôt sur Outland, le prince déchu attend de retrouver son trône. La condition à notre qu’alliance était que Prideland n’intervienne pas dans ses conflits. »

C’était encore un cas à résoudre avec son père qui ne se doutait sûrement de rien de tout cela. L’issue n’était pas certaine, Ahva avait bien rappelé à Soto que ce n’était pas elle qui commander les troupes car elle n’était pas à la tête du royaume. Seul Kumpa déciderait de cette issue mais la lionne avait préparé ses arguments. Elle n’était pas certaine d’avoir fait les bons choix mais elle avait également songé à l’avenir de Prideland. Un allié silencieux n’était d’aucune utilité. Peut-être était-il temps de changer les mœurs.

Les réprimandes ne tardèrent pas à tomber. A vrai dire, cela la s’arrêtait plus. Ahva grondait un peu intérieurement, sa sœur ne pouvait-elle pas se contenter de leur retour sain et sauf qui plus victorieux ? Elle savait qu’elle n’avait pas à prendre cette décision seule aussi ne dit-elle mot à ce sujet mais pour le reste, elle riposta.

« Une amie ?! » raillait-elle, le visage aigri. « Tahani n’a jamais rien fait pour nous Awena, ne confonds pas les amitiés de nos parents avec les notre. As-tu un seul souvenir d’elle autre qu’une brume vieillissant dans ton esprit ? »

Ses mots étaient dus mais sa pensée ferme, elle n’avait cure que Tahani soit destituée. Petite, la princesse avait beaucoup admiré sa marraine mais le temps se faisant, cette sympathie s’était envolée. La reine d’Outland avait été particulièrement sévère avec leur mère après que Samekh eut décidé de se sacrifier pour la lionne dorée, elle n’avait pas non plus levé le bout de sa griffe quand la jeune Ahva avait été agressée sur ses terres et même après tout ce temps, elle n’avait pas été capable d’honorer le pacte des Gardiens envers leur père. Alors que lui devaient-elles ? Rien.

Ahva n’était pas la plus sûre quant à sa propre promesse faite avec l’enfant de l’orage mais face à tant de réprimande devant sa face, elle ne voulait pas céder et garderait ses positions.

« Ce ne sera pas un massacre, Hourasi viendra simplement reprendre son trône. Avec ou sans nous, cela se fera. Nous n’interviendrons pas, c’est tout. Et lui au moins offrira un Gardien pour défendre les peuples. »

Ahva avait soudainement un regard dur. Elle acceptait difficilement tant de reproches bien qu’elle en méritait certains. Si elle n’avait pas cherché l’aide de Soto, elle n’aurait jamais rien su de cela donc la situation aurait été identique. Prideland ne pouvait pas sauver toute la terre des Lions, d’autant plus que la princesse avait remarqué plusieurs lions bruns à son arrivée et il n’était pas coutume que tant de Mositus soient réunis autour du priderock.


« Son aide n’était pas sans retour, je devais lui donner quelque chose et c’était la seule condition valable à ses yeux. Je ne le regrette pas, j’ai pu vengé maman. Ne penses-tu pas que j’ai réfléchi avant d’aller quérir son aide, lui qui m’a fait tant de mal ? Il faut savoir voir plus loin Awena, les temps changent et nous devons nous adapter avec lui. »

Ahva ne flancherait pas, elle ne le pouvait pas. De toute façon, rien n’était encore engagée et elle avait pris soin d’en avertir le lion doré. Ce serait à Kumpa que reviendrait la décision finale, avec ou sans l’accord de sa fille aînée.

Ahva observait sa sœur d’un regard incertain. Elle souhaitait que ce coup d’Etat se fasse dans les conditions les plus pacifiques qu’il soit mais elle connaissait Soto et sa colère débordante… peut-être Hourasi était-il différent et conformément aux mots de Soto, ne souhaitait que reprendre l’héritage de son défunt Massempo. Ahva hésita avant de lui répondre mais aujourd’hui, elle ne ferait prôner que la vérité, toute la vérité. La voix basse, elle lui confia :

« Je ne peux rien te promettre quant à cela, Soto ne m’a confié aucun détail sur le déroulement de leur projet. Je l’ai prié de s’y prendre de façon pacifique mais ma pensée n’a aucun impact sur lui. »

Jamais Ahva ne s’était senti aussi prisonnière du présent. Elle devait attendre pour savoir si elle avait fait le bon choix. L’ombre d’un souire, elle ajouta :

« Je me suis tout de même assurée de la sécurité d’Ishana. »

S’il arrivait quoi que ce soit à l’Enfant rouge, l’esprit de Kuzali serait revenu la hanter jusqu’à la fin de ses jours. Peut-être plus sensible aux justifications qu’Ahva tentait de lui exposer, Awena décoléra mais encore dans les reproches, elle tentait de faire comprendre à sa jeune sœur l’impact de cette alliance silencieuse.

« Oh si j’avais eu le temps de revenir vous en parler je l’aurais fait ma sœur mais le temps nous manquait, je devais prendre une décision. » lui confia-t-elle, presque lasse. On ne pouvait pas marchander avec un lion tel que Soto, il lui fallait une réponse immédiate et si Ahva avait laissé paraître trop d’incertitude, il n’aurait pas accepté de l’aider. « J’en parlerai avec Papa, on verra bien ce qu’il en pense. »

S’il y aurait des représailles de Soto ? Ahva l’ignorait mais ne le pensait. La frappe de Prideland était trop forte à supporter pour les exilés. L’inquiétude de l’héritière touchait la lionne qui semblait enfin autre chose que de la colère dans son regard.

« C’est à lui que reviendrai la décision, j’avais prévenu Soto que je n’avais aucun pouvoir décisionnaire, il savait à quoi s’en tenir. »

Ahva s’assit face à sa sœur, expirant longuement. Le plus dur était-il vraiment passé ? Ahva n’avait pas la moindre idée de la réaction du roi, la mort de sa compagne l’avait beaucoup affecté. Dans un coin de sa tête, Ahva gardait également ses souvenirs de sa nouvelle rencontre avec Sumu. Elle ignorait ce que deviendrait la situation de Freeland mais une chose était sûre, elle devait protéger Prideland. Ces conflits n’étaient pas les leurs, ils avaient assez souffert comme ça.

« Je sais que tu es en colère et déçue mais ne devrions-nous pas nous serrer les coudes ? Toute cette histoire m’a beaucoup pesé, j’aimerais maintenant profiter de mon foyer mais c’est impossible si je sais que persiste en toi cette colère. Tu es mon Soleil Awena, je ferai toujours tout pour te protéger, quitte à prendre des décisions qui te dépassent. Ne me tourne pas le dos… »

Toute once défensive s’était maintenant envolée depuis longtemps, Ahva baissait les armes devant sa sœur, exprimant son seul souhait de la retrouver et de pouvoir se sentir à nouveau chez elle.

Bien qu’armée d’un sourire teintée de tristesse, Awena s’approcha de sa benjamine et lui offrit une étreinte douce. Si sa colère était encore présente, Ahva pouvait sentir la force de son amour. Cela la consola. L’héritière semblait lui offrir son pardon mais posa toutefois une condition.

« Promets-moi de ne plus jamais faire ça … »
« Oui, je te le promets. »

Ahva serra la tête de sa sœur contre son cou, soupirant. Cette histoire avait fait d’elle une lionne nouvelle c’était incontestable mais si elle s’était égarée un temps, Ahva se jurait de ne plus jamais faire de peine aux siens. Ils étaient tout pour elle, Awena la première. Dissimulée dans l’étreinte chaleureuse de sa sœur, Ahva sourit. Tout ne serait pas de tout repos, l’avenir des Outlanders la préoccupait mais pour l’heure, Ahva se permettait de profiter amplement de ces retrouvailles. Elle avait tout avoué à sa sœur, le plus dur était fait. Maintenant, tout reposait sur Kumpa.