Le temps où je me mettais en colère à la simple évocation de ma mère était désormais bien loin. Je n'étais plus cette personne et si je comparais la moi actuelle et la moi d'avant, je n'avais aucun doute quant à celle que je préférais. La moi de maintenant était la véritable moi et je ne m'étais que rarement sentie aussi bien.

J'avais grandit au fur et à mesure de mon voyage. J'avais pu voir un bon nombre de territoires et j'avais rencontré un tas de personnes mais ma plus belle rencontre, je l'avais faite ici même, avant de commencer mon voyage. Notre relation avait évoluée au fil de notre voyage et il était devenu mon compagnon le jour de notre retour. Cela allait encore évoluer car d'ici très peu de temps, il deviendrait le père de mes enfants.

Nous n'avions passés qu'une seule nuit ensemble mais cela avait été suffisant pour que de nouvelles vies soient créées. Cette découverte nous avait remplie de joie et l'un comme l'autre attendions avec impatience la naissance de nos enfants. Et vu la taille de mon ventre, il était clair que cela serait pour bientôt.

Si beaucoup de choses avaient changées chez moi, il y en avait une que j'aimais tout particulièrement. Ma relation avec ma jumelle n'avait pas été aussi forte depuis bien longtemps et je pouvais enfin profiter d'une relation normale avec ma sœur. Je regrettais que par ma faute cela n'aie pas pu se produire plus tôt mais nos moments toutes les deux étaient enfin des moments de joie.

Aujourd'hui était l'un de ces moments et Shana et moi profitions de cette journée entre filles. J'avais insisté pour aller jusqu'à l'Etang et malgré mes mouvements entravés par la taille de mes flancs, nous avions fini par arriver à destination. Après nous être désaltérées, nous nous étions installées de manière à être protégées de la pluie si elle se mettait à tomber.

Notre discussion nous avait immanquablement amenée à parler de la naissance proche et je n'aurais su dire qui de Shana ou moi était la plus impatiente de faire la connaissance de ces petits. Nos éclats de rire étaient nombreux et l'un d'eux fut tellement fort qu'il déclencha une vague de douleur dans mon ventre. La grimace qui en découla alerta Shana et j'essayais de la rassurer.

Ne t'en fais pas, ça va pass...

Une nouvelle douleur plus intense me tordit le ventre et ma phrase se termina dans un rugissement. Quelque chose n'allait pas. Pourquoi avais-je si mal tout d'un coup ? La douleur suivante me donna la réponse : c'était le moment, la naissance était pour maintenant. Le souffle court, j'adressai de nouveau la parole à ma jumelle.

Tan,... tu peux... aller le chercher ?... Je crois... qu'ils vont naître.

Si elle me répondit, je n'entendis rien du tout, pas plus que je ne la vis partir. J'étais tellement concentrée sur mes douleurs que plus rien d'autre n'avait d'importance pour l'instant.

Je tentais tant bien que mal de suivre les conseils que m'avait donné la mère de Tan Diel et un premier petit ne tarda pas à naître. J'eus à peine le temps de découvrir un pelage sombre qu'une nouvelle douleur demanda mon attention. Je repris mes efforts et un deuxième petit finit par rejoindre le premier. Celui-ci avait un pelage plus clair et à l'instar du premier lionceau, c'est tout ce que je pus découvrir. Les douleurs ne se calmaient pas et je luttais encore une fois pour donner la vie. Un troisième lionceau vit le jour et je remarquais en le ramenant entre mes antérieurs qu'il portait mon pelage. Un sourire éclaira mon visage mais il se transforma bien vite lorsqu'une énième douleur me tordit le ventre. J'étais épuisée par le combat déjà mené mais je ne m'avouais pas vaincue et je sortit victorieuse de ce combat quand un dernier lionceau rejoignit le reste de la portée. Celui-ci arborait un joli pelage brun clair qui semblait être le parfait mélange de ses parents.

Ca y est, ils étaient là, bien à l'abri entre mes pattes. Je déposais sur eux un regard empli d'amour. Ils venaient à peine de naître et je les aimais déjà tellement. C'était une sensation indescriptible et jamais je ne me serais cru capable de ressentir quelque chose d'aussi fort.

J'entendis alors un bruissement dans les herbes alentours. Cela pouvait être Shana et Tan Diel qui arrivaient mais aussi un prédateur, appâté par l'odeur du sang que j'avais perdu. Prête à toute éventualité, j'adoptais la position la plus défensive dont j'étais capable avec quatre lionceaux entre mes pattes et lançais même un feulement d'avertissement.

C'est bon, je suis là !

La voix de Tan avait de peu suivie son apparition et je me détendis aussitôt. Bien que ce n'était déjà pas le cas, je n'était plus seule et sa présence près de moi me rassurait. Il approchait doucement, peut être pour ne pas effrayer nos enfants. Ses yeux étaient fixés sur eux et sa prochaine remarque les concernaient.

Oh Uka... Ils sont si magnifiques...

Si mon regard s'était posé quelques instants sur mon compagnon, il était de nouveau fixé sur les quatre lionceaux gigotant entre mes pattes. Toute jeune mère, j'aimais déjà mes enfants de façon inconditionnelle et c'est pour cette raison que je n'étais pas entièrement d'accord avec le père de mes enfants.

Non... Ils sont parfaits.

Le sourire taquin qui était apparu sur mon visage se fana bien vite lorsque Tan Diel s'empara du premier né. J'avais la curieuse sensation qu'il venait de m'arracher une partie de moi et je mis quelques secondes à me rendre compte que j'étais jalouse. Certes mes enfants étaient aussi les siens et c'est pour cette raison que je le laissais faire mais j'étais jalouse du contact qu'il avait avec nos enfants, quand bien même ils avaient été rien qu'à moi pendant de précieuses minutes.

Désormais tous entre les pattes de leur père, j'avais enfin pu découvrir le sexe de nos enfants. La copie conforme de Tan se révélait être une femelle. Les deux lionceaux qui avaient suivi étaient des mâles et le dernier à avoir rejoint sa fratrie était une femelle. Nous avions donc une parité parfaite et chacun de nous avait un mini-soi.

Eh Uka, comment on va les appeler nos petits bouts ?

Sa voix coupa mes réflexions et je détachais encore une fois mon regard de nos enfants pour le fixer dans celui du jeune père. La question des prénoms m'avait déjà traversé l'esprit durant ma gestation et il y avait un prénom qui revenait régulièrement dans les scénarios que je m'imaginais.

Celui qui portait mon pelage me rappelait ma propre mère et je cherchais le regard de ma sœur lorsque j'annonçais le prénom que j'avais choisi.

Ma mère nous avait raconté une fois que si elle avait été un mâle, ses parents l'aurait appelé Nilam. Alors même si la signification ne lui correspond pas, j'aimerais qu'il porte ce prénom.

Je ne savais pas si Shana se souvenait de cette histoire mais je l'espérais. Le choix de ce prénom était symbolique et j'y tenais beaucoup. Je n'en avais choisi qu'un - celui qui me tenait le plus à cœur - et je laissais donc mon compagnon choisir pour les autres. Comme j'ai nommé le mâle qui arborait mes couleurs, j'étais presque certaine qu'il voudrait nommer la femelle qui lui ressemblait et l'autre mâle. Je cherchais donc dès à présent un prénom qui pourrait convenir pour notre dernière née.

Le regard de Shana s'agrandit immédiatement et je sus qu'elle se souvenait de cette histoire. Le sourire triste qui s'afficha sur son visage faisait écho à la peine que je ressentais. Si mon bonheur était immense en ce jour, je ressentais aussi de la tristesse lorsque je pensais que nos parents ne pourraient jamais rencontrer mes enfants, passer du temps avec eux et leur raconter des tas d'histoires. Je croyais aux Esprits comme bon nombre d'entre nous et j'espérais sincèrement qu'ils pouvaient nous voir de là où ils étaient.

Uka... Maman serait... si fière.

Sa voix était nouée et des larmes coulaient sur ses joues. Un ronronnement qui se voulait apaisant sortit de ma gueule. Pendant longtemps elle avait été la seule famille qui me restait et même si elle s'était agrandie aujourd'hui, je n'oubliais pas pour autant la promesse que j'avais faite à mon père : je prendrais soin de ma sœur et je veillerais sur elle aussi longtemps que je le pourrais.

Nilam... J'adore ce prénom !

Je posais un regard doux sur mon compagnon. Le prénom était donc adopté ! Ma jumelle fit ensuite une remarque sur le fait que nos enfants étaient aussi beaux que nous et Tan Diel s'empressa de rectifier Shana en l'incluant dans sa propre remarque. J'avais passé tellement de temps en compagnie du jeune père que je ne me trompais pas sur le véritable sens derrière ses paroles.

Il a raison, tu sais. Tu fais partie de la famille et ce n'est pas parce que je suis mère désormais que je fais une croix sur nos moments rien que toutes les deux.

Elle était une partie de moi et si je l'avais lâchement abandonnée pour partir en voyage, elle m'avait trop manquée pour que je la quitte une seconde fois.

Le mâle brun prit ensuite la parole, comme s'il avait eu une révélation :

Et cette petite lionne, je voudrais bien l'appeler Keri...

Keri... Sans le savoir, je faisais exactement la même chose que mon compagnon quelques minutes plus tôt. J'avais répété plusieurs fois ce prénom en regardant ma fille aînée et alors que j'allais annoncer mon verdict, Tan fut plus rapide que moi.

Et celui-là, il porterait bien le nom "Ashka"... J'aime bien ce nom. Il est unique comme ce petit bout !

Oui il était unique, et il était parfait comme les deux autres.

J'approuve tes choix, se sont de jolis prénoms pour de jolis bébés.

Keri, Ashka, Nilam. Il serait injuste que la petite dernière de la fratrie ne porte pas un aussi beau nom que ceux de ses frère et de sa sœur. Je réfléchissais donc à ce qui pourrait lui convenir quand un nom s'imposa à mon esprit.

Elle est aussi précieuse que le reste de sa fratrie. Que dirais-tu de Kita pour notre dernière née ?

S'il était contre, j'avais bien une seconde option. En effet, si trois de nos enfants gigotaient de temps en temps entre les pattes de leur père, celle qui n'était pas encore nommée ne cessait de bouger dans tous les sens. J'aimais beaucoup le nom de Kita alors j'attendais sa réponse avant d'ajouter quoi que soit d'autre. Je profitais tout de même de cet instant de réflexion de la part de mon compagnon pour m'adresser à ma sœur.

tu peux t'approcher plus, tu sais. Je ne pense pas que Tata Shana soit un danger pour ses nièces et ses neveux.

En effet, je n'avais jamais vu Shana être agressive - à part lors de nos entraînements et envers moi mais cela remontait à une autre époque - et j'avais une totale confiance en elle. Je ne voyais donc aucun soucis à ce qu'elle s'approche de nos enfants.

Ma sœur sembla un instant pensive et leva les yeux au ciel. Je n'eus aucun mal à deviner ses pensées et ses paroles me le confirmèrent.

Papa et Maman veillent sur nous depuis le ciel, j'en suis sûre... Peu importe la distance qui nous sépare... Et maintenant, ils vivent à travers ces enfants.

Touchée, aucun mot ne sortit de ma bouche. Je me contentais donc de poser sur ma jumelle le regard le plus tendre dont j'étais capable. Ma proposition sembla l'étonner et se fut à mon tour d'être surprise. Elle s'approcha effectivement mais elle rampait presque, comme si elle cherchait à ne pas les effrayer. Cette attention me fit sourire et une lueur d'amusement s'alluma dans mon regard.

Mon compagnon profita de cet instant pour me donner sa réponse quant au prénom de notre dernière fille.

J'aime beaucoup Kita... ça lui correspond bien. Kita, Keri, Ashka et Nilam... Ils sont si beaux...

Shana était maintenant assez proche pour pouvoir détailler ses neveux et nièces à sa guise et sa réaction ne se fit pas attendre. Elle ronronna de bonheur avant de s'adresser à nous en chuchotant.

Uka, Tan Diel, avec toute l'objectivité du monde, ces lionceaux sont les plus beaux lionceaux que j'ai vu de toute ma vie...

J'appréciais la douceur dont elle faisait preuve et j'étais certaine qu'elle serait une tante parfaite. Et lorsque le moment sera venu, elle sera aussi une excellente mère, j'en étais certaine.

Je suis tout à fait d'accord avec toi.

J'étais du même avis qu'eux mais je n'avais plus la force de parler pour le leur dire. La mise au monde de mes enfants m'avait épuisé mais jusqu'à maintenant j'avais lutté pour rester éveillée et faire bonne figure. Mais je ne pouvais plus continuer, la fatigue devenait trop forte pour moi et je commençais doucement à fermer les yeux.

Je sentis du mouvement autour de moi et quelques instants plus tard, mes enfants étaient de nouveau entre mes pattes. Je n'entendis qu'un bourdonnement en lieu et place des paroles et rassurée par le contact avec mes bébés, je me laissais emporter par le sommeil.

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