Cela ferait bientôt une année entière que Nedge était parti sans lui laisser la moindre chance de le retenir. Une année entière à porter le deuil de ses enfants qui n’auraient jamais eu la chance de voir le jour, d’ouvrir ne serait-ce qu’une fraction de seconde leur petits yeux. Malgré l’année passée, le chagrin ne faiblissait pas. Et dire qu’elle n’avait toujours pas eu le courage d’aller retrouver Nephtys pour lui annoncer la nouvelle.

Le soleil commençait à décliner dans le ciel et la nostalgie s’éprit de son cœur. Elle marcha sans réelle conviction vers ce lieu si significatif à ses yeux – il recelait tant de souvenirs, tous aussi magnifiques les uns que les autres. Mais il semblait aussi que ces souvenirs ne valent plus grand-chose à l’heure actuelle, du moins c’est ce que ses parents et ses amis s’efforçaient de lui faire croire. Ils voulaient lui ouvrir les yeux, voilà ce qu’ils disaient mais elle n’y croyait pas, elle voulait espérer encore et encore son retour, refusant l’idée qu’il l’avait définitivement abandonnée.

Arrivée au sommet de la colline du Peponi, un sourire étira les babines de Jioni, appréciant la légère brise qui faisait vibrer cet endroit. Sans grande surprise, il n’était pas là, elle était encore une fois seule à espérer en vain son retour. Mais une odeur nouvelle vint lui chatouiller les narines et écoutant plus son cœur que sa raison, elle se retourna vivement en ayant qu’un seul nom pendu aux lèvres :

« Nedge ? »

La déception fut grande et pourtant rien n’aurait pu prédire que son ex-compagnon aurait pu refaire surface aujourd’hui. Il s’agissait là d’un grand lion gris qui lui rappelait étrangement un ami à elle. Mais c’était impossible, Rono était mort, la vieillesse l’avait emportée et dieu merci il avait réussi à partir plus en paix que ne le serait Fleck… Dans un sens, elle avait l’impression de l’avoir déçu, qui plus est il fallait admettre qu’il ne se remettrait jamais totalement de la mort de Kuzali.

Revenant à la réalité, Jioni baissa honteusement la tête et ravala un sanglot avant de regarder l’étranger. Il n’était clairement pas d’ici mais ne semblait pas non plus venir des montagnes, son poil était encore moins fournit que ne l’était celui de Rono qui lui était à moitié Nordique.

« Pardon, je vous ai pris pour quelqu’un d’autre. »

Elle reporta un regard triste sur l’horizon, là où le soleil embrassait la terre de ses rayons flamboyant. Il était temps. Il n’y aurait plus de retour en arrière, plus d’occasion d’espérer, c’était terminé.

« C’est magnifique n’est-ce pas ? Tous les étrangers qui foulent nos terres devraient voir cet endroit au moins une fois dans leur vie. »

Jioni sourit à la première remarque du lion et hocha de la tête pour répondre par l’affirmative à sa première question. Quelques secondes s’égrainèrent mais ce fut comme une éternité. Pourtant, lorsque le lion gris brisa le silence, ce n’était pas pour lui déplaire. Parfois il commençait à devenir pesant, c’est comme s’il elle était devenue sourde. Un petit rire la secoua avant qu’elle ne réponde avec un petit sourire :

« Un bon point pour vous. J’ai le droit de savoir d’où vous venez par conséquent ? »

Une question sans en être réellement une puisque Jioni pensait que c’était de bonne guerre – l’étranger savait qu’elle était Pridelander et elle comptait le restait un moment, mais cela ne les rendaient pas égaux. Elle avait par conséquent le droit de savoir. Il n’était pas Nordique c’était certain et peu des autres contrées de la Terre des Lions possèdent des pelages aussi caractéristiques.

« J’espère que ma présence ne dérangera pas les votre. »

Cette fois la lionne dorée leva des yeux curieux vers le voyageur. La mort de Kuzali avait fait grandir les tensions au sein du clan mais pourtant la politique du royaume était toujours la même. Les voyageurs étaient les bienvenues en ces terres luxuriantes et Kumpa avait l’air de vouloir que cela continue ainsi. Sérieuse d’abord puis un peu plus prompt à la plaisanterie, elle répondit :

« Certains d’entre nous ont peut-être oublié ce qu’était l’hospitalité mais si aucun garde frontière ne vous a plaqué au sol dès votre arrivée, alors c’est que vous ne devez pas être aussi dérangeant que ça ! »

En fait, malgré sa crinière très imposante, il n’avait pas l’air effrayant et ce qui ajoutait à cela c’était les nombreux feuilles qui parsemaient son crin foncé. A la manière d’un enfant il traînait la végétation avec lui, comme s’il s’était roulé volontairement dedans. Ne pouvant s’empêcher de rire, elle demanda :

« Dîtes moi, vous avez un nid d’oiseau caché là dedans ? »

Ou même plusieurs ! Cette pensée de voir émerger soudainement un volatile de sa crinière ne fit qu’accentuer son rire, des larmes perlaient même au coin de ses yeux sans qu’elle puisse elle même définir si c’était de la tristesse ou non. Probablement les nerfs qui lâchaient mais il ne fallait pas éclater en sanglots, non pas maintenant. Il fallait oublier et redevenir ce qu’elle était avant tous ces évènements tragiques. Il fallait qu’elle puisse tenir cette fichue promesse faites à Nephtys. Dans un léger sourire elle finit par dire :

« Pardonnez moi, je ne me suis pas présentée. Mon nom est Jioni ! »

Les lions du Vent ? Jioni devait bien avouer être curieuse à ce sujet, n’ayant jamais entendu parler de ce clan. Elle n’avait pas eu l’occasion d’aller par delà la terre des Lions et pourtant elle ne regrettait pas la fin de son voyage – c’était aussi bien de pouvoir rentrer chez soi. Elle affirma cependant dans un sourire :

« J’ai eu la bougeotte pendant deux ans, je sais ce que c’est ! En plus, il y a tellement de choses à voir, ce serait bête de manquer tout ça. »

Il faut dire qu’elle avait eu, à l’époque, une bonne raison de partir et de délaisser tout ça. Mais aujourd’hui repartir ne faisait pas parti de ses projets – bien évidemment elle referait le voyage sur Freeland au moins une fois. Mais pour ce qui est de la suite, Prideland semblait être l’endroit qu’elle foulerait pour le restant de sa vie, aussi longue soit-elle.

Le lion gris piqua sa curiosité, surtout quand il se mit à rire au sujet de sa crinière. Elle ne put s’empêcher de se joindre à cet élan de bonne humeur et bon sang que cela faisait du bien. C’était très rafraîchissant de pouvoir sourire, rire, se réjouir et penser à autre chose. Tous les pensées noires semblaient s’être envolées, d’un seul coup. Jioni était bien consciente que son enfermement et sa solitude avait contribué à l’enfoncer dans son chagrin. Dans un sens, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle même.

Il avait parlé d’un animal caché dans sa crinière et alors qu’elle était prête à demander si c’était bien vrai, l’animal ne se fit pas prier pour se montrer. C’était une expression presque enfantine qui était peinte sur le visage de Jioni. Ses manières l’amusait grandement et elle ne put réprimer un nouveau rire. Elle inclina légèrement la tête dans un signe respectueux et mima avec la plus grande noblesse :

« Le bonjour est pour vous, Seigneur Lièvre. »

Ce petit animal l’amusait beaucoup, c’était un bien curieux duo que ces deux là formaient mais après tout, pourquoi pas ! De plus, il avait un air absolument adorable qui charmait Jioni. Le lièvre, pas le lion. (Je vous vois venir les petits lecteurs assoiffés de ship et de pensées bizarres. Bande de charognes, laissez moi dans mon deuil !). Toute cette conversation lui faisait revoir son voyage du début à la fin, elle finit par demander :

« Il y a bien d’autres endroits incontournables sur la Terre des Lions. Savez-vous où votre voyage va vous mener vous et vôtre charmant compagnon de voyage ? »

Elle ne se rendit compte qu’après de sa bêtise. Peut-être qu’il n’en avait tout simplement aucune idée – il ne venait pas du tout de ces terres alors comment aurait-il pu connaître le moindre endroit. Alors qu’elle ne cessait de se réprimer mentalement, elle ajouta pour ne pas paraître trop bizarre :

« Pardonnez moi, c’était un peu bête. »

C’est rien de le dire. De toute évidence il lui fallait un autre sujet avant de définitivement passer pour une idiot auprès du voyageur. Un éclair de curiosité traversa son regard tandis qu’elle demande avec l’entrain d’une enfant :

« Je suis curieuse, dîtes m’en plus sur les lions du Vent, s’il vous plaît. »

Jioni écoutait avec attention les dires du voyageur, s’imaginant ce que devait être la vie des ces lions du vents, sur les falaises rocailleuses, en proie aux caprices de ces dernières. Heureusement que tout ne se limitait pas à la terre des lions et peut-être que pour une fois, ce serait elle qui aurait l’occasion d’apprendre et de raconter quelque chose à Fleck. Elle n’osait pas trop aller le voir par moment, de peur de l’importuner plus qu’elle ne l’avait déjà fait par le passé mais pour ce genre de contes, pourquoi pas !

Elle reconnu cependant l’influence que pouvait avoir les croyances qui guidaient son clan autant que cela guidait son voyage. C’était intéressant et en même temps assez étrange. Elle ne put néanmoins pas s’empêcher à la remarque du lièvre, s’esclaffant un peu plus face à l’air outré du mâle. Entre deux éclats de rire, elle parvint à articuler :

« Il faut reconnaître les avantages que cela peut avoir. Il peut se fondre parfaitement dans le décor ! »

Que c’était amusant de s’imaginer Waban en opération camouflage, tel un buisson qui se laissait porter par les bourrasques. Elle en avait les larmes aux yeux, mal aux côtes et avait du mal à respirait mais qu’est ce que cela faisait du bien. Lorsqu’elle réussit enfin à se calmer, elle inspira une bonne bouffée d’air frais. Elle devait avoir l’air excessive devant le lion massif, mais peu importe. Un petit sourire sur les babines, elle tourna vers lui un regard reconnaissant :

« C’est peut-être bête et insignifiant pour vous mais je vous remercie. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas laissée aller de cette façon. »

Lâcher prise, tout simplement. Jioni aurait dû le faire il y a tellement longtemps mais avait-elle seulement eût une raison de le faire ? Une véritable raison ? Probablement que oui, elle avait seulement dû passer à côté sans la voir.

« Vous devez penser que je suis un petit peu folle ! En tout cas, je peux vous assurer que tous les Pridelanders ne sont pas aussi irrationnels que moi. »

Enfin pas tous en tout cas. Il existait bien sûr un grain de folie dans chaque être, encore fallait-il l’exploiter. Mais il y a des personnes chez qui elle ne risquerait jamais de vouloir découvrir ce côté là. Elle pensait notamment à un des fils du conseiller et frère du roi. Avec un doux sourire elle ajouta cependant :

« J’espère que Prideland sera un bon souvenir pour vous. »