D'un pas hésitant, Wissel s'approcha de ce que les Outlanders appelaient « cratères à vapeur », les yeux ronds face à cette échappée de fumées qu'elle n'avait, jusque lors, jamais vues de sa vie entière. Elle savait qu'elle se trouvait sur la Terre des Hyènes et qu'elle risquait chère si elle s'y attardait trop. La relation entre les hyènes et les Outlanders ne semblait pas au beau fixe. Pourtant, la brunette n'avait su résister à l'envie de s'approcher du premier cratère qu'elle voyait depuis son propre territoire. A quelques longueurs de queue de là, la terre sèche et craquelant l'attendait. Elle pourrait prendre la fuite en cas d'attaque surprise. Du moins le croyait-elle.

« C'est bizarre ... » murmura-t-elle à elle-même, levant la patte comme pour toucher la masse d'air chaude s'échappant du cratère où elle avait jeté son dévolu. Seulement, elle ne put mener à terme son projet : il paraissait que l'eau contenue dans ces cratères était si chaude qu'elle risquait d'en perdre sa patte. Rumeurs, ou vérité ? Elle ne savait pas vraiment. En tout cas, elle ne s'y tenterait pas sans avoir eu une confirmation venant de ses aînés.

Levant la truffe pour attraper au vol de nouvelles odeurs à mémoriser, la petite détendit ses muscles et aspira un bon bol d'air frais. Pas de doute, peu étaient les Outlanders qui venaient ici. Que dirait sa mère si elle s'apercevait que sa fille s'en était allée en terres ennemies ? Et Masika ? Le territoire de son père se trouvait-il donc tout juste derrière celui des hyènes ? Et si elle traversait sans se soucier des ennuis qu'elle pourrait s'attirer ? Pourrait-elle ainsi revoir son père et cette famille paternelle dont on ne lui parlait que peu souvent ?
Un soupir s'arracha de sa gorge, alors qu'elle s'en désolait. Non. Elle rêvait trop. Elle devrait attendre sa prochaine visite sur Outland pour le revoir. Un jour, je viendrai sur Freeland, se promit-elle avant de retrouver une façade neutre. Elle se convainc donc de retourner sur Outland. Se redressant tranquillement, elle s'apprêtait à se détourner de son cratère pour retourner chez elle ...

… quand, de toute évidence, son corps ne semblait plus vouloir exécuter les ordres de son cerveau. La petite brunette tenta de se déplacer mais quelque chose avait l'air de bloquer sa queue contre le sol. Qu'était-ce ? Une odeur particulière envahissait ses narines. Elle ne parvenait pas à décrire et à reconnaître ce que c'était … et ça, elle ne pouvait pas se le permettre. Cette nouvelle découverte était malheureusement à rajouter dans son cercle d'apprentissage, qu'elle le veuille ou non.
Dans une vive volte-face, elle jeta un œil à sa queue puis à cette … grosse masse blanche (Quoi ?!) qui bloquait présentement sa queue contre le sol, à l'aide de sa grosse patte. Le cœur de l'Outlander rata un bond, saisi d'une surprise non dissimulée : rêvait-elle ? Voyait-elle vraiment ce qu'elle était censée voir ? Une bête blanche avec deux yeux bleu clair, étonnamment jolis mais pas moins significatifs d'un danger imminent. Le poil hérissé, Wissel poussa un petit couinement avant de s'aplatir au sol, les yeux écarquillés, prête à se défendre contre cet animal même s'il risquait fortement de la tuer. Bien que la lionne craignît fortement la réaction de cette bête inconnue, elle en demeura cependant étonnée de remarquer que celle-ci avait l'air bien plus inexpressive devant sa trouvaille qu'excitée. Elle inspirait la fermeté et l'autorité, malgré elle. Ou peut-être son apparence n'était-ce qu'une façade pour mieux dissimuler ce trait de caractère ? La fille d'Ishana respira un bon coup, clignant les yeux, essayant de se calmer ; elle perdait tous ses repères, toutes les morales de ses analyses passées une fois dans le feu de l'action. L'apparence ne veut rien dire, contente-toi de garder ton calme et de ne rien essayer de stupide. Cet avertissement revint sans cesse dans son esprit, tandis qu'elle écoutait, encore étonnée, la voix de ce nouvel individu qui lui demandait :

« Je peux savoir ce que tu fais ici ? C'est très dangereux de se balader dans ce secteur, surtout lorsqu'on est seul ! » l'avertit-elle, durement.

Honteuse, la féline se redressa, quoique maladroitement, avant de regarder sa petite queue coincée sous sa patte puis le visage de sa nouvelle interlocutrice. Elle chercha ses mots, tardant encore à faire disparaître la panique que lui procurait instantanément son instinct de survie.

« P-pardon … » commença-t-elle en bégayant, tâchant de dire la vérité sans offenser cette étrangère. « Je le sais, mais … J'ai eu la stupide idée de m'approcher du premier cratère que je voyais, pour confirmer certains de mes doutes d'ignorante. Je ne voulais embêter personne, et je ne pensais pas que ma présence viendrait perturber vos activités, Madame. Vraiment navrée d'avoir commis une telle bêtise ... »

Va-t-elle s'en plaindre à ma maman ou aux autres Outlanders ? Ce serait le comble … Elle s'imaginait par avance la tête des autres lionceaux quand ils apprendraient sa bêtise. Ils la traiteraient de « rebelle trouillarde » pendant quelques temps, puis l'oublieraient très vite. Franchement, elle n'avait pas envie d'attirer l'attention des autres, et surtout pas avec une raison comme celle-ci.

Sur ces mots, la petite posa ses yeux sur ses pattes, ne pouvant davantage soutenir le regard de la femelle blanche et faire face aux fruits de sa terrible bêtise. Elle avait honte d'avoir été si naïve au point de ne pas se rendre compte qu'elle rencontrerait tôt ou tard un "adversaire" du territoire voisin.

Fort heureusement, son interlocutrice vint à avoir la gentillesse de libérer sa queue. La petite brune remua celle-ci avec soulagement, heureuse de retrouver son membre sain et sauf. Ses prunelles vertes remontèrent de nouveau jusqu'au visage de la dame crème … qui soupira :

« Franchement … Tu as vraiment eu de la chance. Les autres hyènes ne sont pas aussi tendres ! Tu n'as jamais entendu parler des tensions entre les outlanders et les hyènes ? »

Wissel baissa ses oreilles, l'air un peu navré. Eh bien oui, en effet … On lui en avait déjà parlé, mais elle n'avait jamais vu de hyènes de ses propres yeux. Cette femelle devait en être une, alors. Une lueur de curiosité dansa dans son regard, désormais fixé sur la hyène au pelage clair. Que c'était étrange, une hyène ! Mais pour une hyène, elle devait tout de même s'avouer très jolie. Souvent, les Outlanders racontaient aux petits lionceaux que les hyènes étaient des créatures hideuses, sales, semblables à des monstres que nul ne désirerait rencontrer. Elle, elle ne ressemblait pas à un monstre. Mais la lionne se sentait quand même un peu bête. Elle aurait dû se douter que c'était une hyène. L'apparence n'affectait en rien la dangerosité et le tempérament d'une personne, ou alors rarement. Raah … Pourquoi n'y aie-je pas pensé plus tôt ? Se désola-t-elle pensivement. Était-ce un châtiment de la part des Grands Esprits ou bien des Esprits du Feu ? Elle était bien la pire enfant du monde … Quelqu'un de son âge aurait agi plus intelligemment qu'elle !

« Si, je … j'en ai déjà entendu parler. Vous allez trouver cela très stupide, je sais, mais … je ne savais pas que vous étiez une hyène. » Vraiment hésitante, elle insista : « Je n'en ai jamais vu une seule de ma vie. Je me suis toujours contentée d'Outland, à cause de ma jeunesse et de ma petite taille. Je suis vraiment désolée. »

Du regrets, elle en avait. Autant parce qu'elle ne s'était pas sentie à la hauteur que parce qu'elle craignait de vexer, d'une façon ou d'une autre, la hyène face à elle. Des pensées sombres se bousculèrent dans la tête de la jeune Wissel. Encore une fois, elle se demandait si la mort précoce n'était pas, de base, réservée aux petites idiotes dans son genre.

« Je remarque que vous ne ressemblez pas du tout à l'image donnée sur les hyènes par les Outlanders. » fit-elle remarquer, d'une voix hésitante et quelque peu inaudible.

Elle s'attendait à un grondement, un sermon. Un regard mauvais, un avertissement à l'avenir. Une menace. C'était habituellement le genre de sort réservé aux têtes en l'air et aux maladroits. Wissel s'attendait à quelque chose du genre, et pourtant ...
La hyène eut un petit sourire, face à ses dires. La tête de la brunette se pencha légèrement sur le côté, tandis qu'elle plantait ses prunelles curieuses dans celles, aussi limpides que l'eau claire et sources de lumière indéniable, de la grande femelle de la Terre des Hyènes. Elle ne se montra pas agressive, pas même après avoir entendu la description générale des Outlanders au sujet des hyènes. Un rire s'échappa de sa gorge. Il y avait quelque chose de beau là-dedans. Wissel se permit un petit sourire, soulagée de ne pas s'attirer davantage la colère de son interlocutrice.

« Voilà ! Maintenant tu sais à quoi ressemble une hyène ! » confirma la dame blanche, suite au rire qu'elle avait laissé échapper.

Alors vous êtes une hyène ?! S'étonna la fille d'Ishana. La surprise luisit quelques instants dans le regard émeraude de la petite, qui jeta divers coups d'oeils aux facettes de la femelle au pelage clair. Son attention se riva sur la forme de son museau, ses oreilles symétriques, ses pattes longues, la drôle de crinière accrochée à son cou et sa longue queue touffue. Egalement les nombreuses tâches constellant son beau pelage gris, mettant assurément en valeurs sa belle crinière de cristal. Wissel eut de l'admiration pour cette hyène.

« Mais tu sais, la haine déforme notre perception des choses. Cela explique très bien le fait que les explications données par les autres outlanders ne concordent pas avec la réalité. Mais au fait, comment t'appelles-tu ? »

D'autant plus que cette hyène avait, tout comme elle, une perception des choses assez éloignée et philosophique. C'était assez intéressant, en fin de compte. Wissel ne parvenait pas à comprendre pourquoi la haine déformait les traits physiques des gens, lors des descriptions. Elle essaya de se mettre à la place des Outlanders, prenant pour cible le visage de son oncle. Bizarrement, l'ironie prit forme et elle fronça légèrement les sourcils, touchée par ce souvenir désagréable de son oncle qui refusait de la sauver alors qu'elle sombrait dans les eaux. Comment peut-on trouver de la beauté dans un truc pareil ? Enfin, elle comprit.

« Pourquoi exagère-t-on la réalité des choses, si ce n'est pour convaincre et manipuler les autres ? Je trouve ça tristement stupide de déformer certaines vérités à cause de notre égoïsme. Enfin … Je le fais également, involontairement. Comment ça se fait ? » s'enquit-elle, sans trop savoir si la hyène pourrait fournir une explication convaincante pour répondre à son interrogation. Elle-même s'imaginait déjà les réponses en question. Trouverait-elle cela idiot ? Elle avait bien envie d'observer sa réaction. « Je m'appelle Wissel, Madame. Et vous ? » se présenta-t-elle dans un petit sourire timide, encore un peu hésitante.

La hyène prit assise sur une plateforme un peu plus en hauteur, tandis que Wissel la dévisageait avec une curiosité timide, voire respectueuse. Sans trop fixer non plus, quoi. Son interlocutrice avait des allures de reine, plus encore lorsqu'elle s'installa sur sa petite pierre surélevée par rapport à la fille d'Ishana. La brunette ne chercha pas à changer de position ou d'emplacement. Elle se trouvait bien, à sa place. Et puis, elle foulait les terres d'un autre groupe, elle avait bien moins de droits que la dame tachetée.

« Je m'appelle Kuruka. Je suis la dominante de la meute des hyènes qui vit ici. » se présenta la femelle.

La petite lionne ouvrit légèrement la bouche, surprise. Ses yeux s'arrondirent un peu. La dominante ? C'est la même chose qu'un chef, un roi, un empereur … non ? Elle ne pouvait pas y croire. Devant elle se trouvait la tête pensante même des hyènes. Pourquoi ne l'avait-elle pas déjà tuée, alors ? C'est ce qu'un chef ferait normalement … du moins, un chef mal réputé comme la Cheffe des Hyènes, dont les rumeurs n'avaient de cesse de s'alimenter depuis la termitière d'Outland. Il y avait, en effet, des tensions entre hyènes et Outlanders. Wissel comprenait mal pourquoi la dominante n'avait pas cherché à dégager de son territoire un ennemi. A moins que … son statut de lionceau la protège. Peut-être était-ce la raison pour laquelle elle ne la touchait pas. Tuer un enfant, c'était faible …
Non, non, non, Wissel : tu fausses ton jugement avec les ondes de surprise et d'angoisse que tu produis. Kuruka ne te touche pas parce que, comme elle l'a dit, les rumeurs sur les hyènes sont exagérées par rapport à la réalité. Tahani ne tuerait jamais un étranger sans une raison largement approfondie ! Pourquoi serait-ce différent pour Kuruka ?

Quant à la fameuse Kuruka, les explications commencèrent à prendre place au sein de la conversation. Chassant toutes ces pensées néfastes de son esprit, la femelle aux prunelles vertes considéra son interlocutrice avec attention, curieuse de connaître ses arguments.

« La modification de la réalité des choses n'a rien d'anodin. Comme tu l'a très bien dit il y a l'égoïsme ... Mais aussi la haine. Lorsque l'on déteste une personne, on part du principe que tout ce que fait cette personne est néfaste. Tu vois, depuis plusieurs années, les hyènes et les lions ont toujours eu de très mauvaises relations ... Les lions de ton clan nous haïssent, et les hyènes de ma meute haïssent les outlanders mais aussi les lions des autres clans en général. Quand j’étais plus jeune, j'ai beaucoup souffert à cause de grand lions noirs. Mais en faisant la connaissance d'autres lions qui avaient aussi ce désir de chasser ces grand lions noirs, j'ai compris que conserver de la haine pour tout une espèce rendait aveugle et idiot ... »

D'autant plus que moi, je discute avec toi et nous ne nous disputons pas. Ça veut bien dire que nous pouvons cohabiter ensemble. Wissel se doutait bien que les raisons pour laquelle les hyènes et les lions se détestaient semblaient très évidentes, mais … elle ne pouvait s'empêcher de se demander, quel était l'avis de la hyène sur la question. Elle comprenait par ce récit que la haine entre les hyènes et les outlanders perdurait à cause d'une mauvaise entente en général. D'après ses dires, les hyènes haïssaient notamment les autres clans. Ce qui voulait signifier que cette haine n'était pas, en vérité, dirigée uniquement contre les Outlanders mais également contre les autres lions. Le problème devait provenir d'une mésentente entre espèces, et non entre clans. Peut-être qu'en arrangeant le fameux problème, les hyènes pourraient cohabiter de nouveau avec les lions et devenir leurs alliés. La haine ne pansait les plaies de personne … c'était dur à entendre pour la petite qui commençait à craindre son oncle, mais c'était malheureusement ainsi. Elle devrait procéder autrement pour se détacher de tous ses sentiments négatifs.

« Pourquoi les lions et les hyènes se détestent-ils ? Est-ce dû à leurs différences, à leurs espèces qui n'apportent pas les mêmes avantages à la Terre des Lions ? Avez-vous déjà essayé de rétablir la paix entre vous et les Outlanders, par le passé ? » renchérit-elle, alors.

A cet instant, elle pensait que rétablir la paix ne pourrait que rendre les clans plus forts encore. Elle n'avait pas encore la certitude d'être une pacifiste dans l'âme, pourtant, l'ambition d'apaiser le conflit s'insérait doucereusement dans son esprit ; pourquoi se faire la guerre sur la Terre des Lions quand d'autres ennemis, venus d'autres parts, se ramenaient pour voler des territoires et pour affaiblir considérablement les races et les clans déjà présents ? Pourquoi les clans ne pourraient-ils pas s'unir pour vaincre la menace extérieure, plutôt que de se déchirer inutilement ?
Trop de nouvelles pensées s'immisçaient dans son esprit. Wissel attendait un retour de la part de Kuruka, désireuse de trier ses ambitions enfantines afin de ne garder que les idées les plus réalistes. Elle s'en doutait bien que si les problèmes étaient tant simples à régler, il n'y en aurait jamais sur la Terre des Lions. C'est pour ça qu'il fallait traiter le Mal progressivement.

Face à tant de questions, Kuruka lui sourit tout en l'observant, répondant sans grand-mal aux interrogations émises par la petite curieuse :

« La haine entre les lions et les hyènes est très ancienne. Elle a perduré sur le long terme jusqu'à maintenant. Il y'a plusieurs années bien avant ta naissance, les hyènes ont lancées une invasion sur Outland ... Ce conflit marqua le début d'une mésentente significative. D'ailleurs, les lions d'Outland ont repris leurs territoire par la suite. Plusieurs années plus tard, après la guerre contre ces lions noirs dont je t'avais parlé précédemment, les lions de Prideland et les hyènes ont concluent un accord. Mais ce qui reste paradoxal dans cette affaire, c'est que les Pridelanders eux-mêmes étaient alliés à Outland et ... La meute de hyènes et les outlanders continuaient à se haïr mutuellement ... L’événement ayant contribué à une continuité dans les tensions s'est produit très récemment. Les outlanders partisans d'Hourasi ont attaqués la meute. C'est d'ailleurs depuis cet affrontement, que la haine s'est étendue sur les autres clan de lions. Je n'ai malheureusement rien pu faire pour "calmer le jeu" »

Ces nouvelles informations aidaient grandement Wissel à éclaircir le tableau de cette affaire. Elle fut à la fois surprise et intéressée par le nom « d'Hourasi » qui était, depuis sa parenté avec Tahani, son grand demi-oncle, bien qu'elle ne l'ait jamais vue et lui non plus. Malgré ce petit détail familial, la petite n'oublia point le fait que les hyènes ont « engagé » le conflit en attaquant Outland, dans le but d'envahir ses habitants. Pourquoi ? C'était la question. Pourquoi les avaient-elles attaquées ? Cela voulait donc dire que les Outlanders avaient raison ? Les hyènes étaient-elles les fautives de l'histoire ? Dans ce cas, le jugement de Kuruka par rapport à ce conflit perdait tout son sens ?

« Pourquoi avez-vous envahi Outland ? Cette action fait de vous les premiers acteurs de ce conflit - vous et les vôtres, Madame Kuruka. Si vous n'aviez pas attaqué les Outlanders, peut-être auriez-vous pu vous allier à eux. » Dans ce cas-là, la meilleure chose à faire pour apaiser ce conflit aurait été d'aller se racheter auprès des partisans de Tahani. Mais Wissel désirait la justification de Kuruka avant d'émettre ne serait-ce qu'une hypothèse à ce propos. Attaquer un Clan pour rien, c'était très idiot. Il devait y avoir une bonne raison à cela.

Cette acte du passé demeurait une véritable plaie infectée entre les Outlanders et les Hyènes. Il fallait se ressaisir, rapidement, avant que tout cela ne mène à des catastrophes plus graves encore. Qui sait si, dans quelques années, certaines hyènes enragées projetaient de tuer des Outlanders pour satisfaire leur propre vengeance ? Wissel ne voulait pas s'imaginer, un instant, le fait que l'un des membres de sa famille pâtisse d'une telle attaque.

« Hourasi et ses partisans ont disparu depuis déjà un bon moment, depuis que Tahani les a exilés. Je pense que ce pourrait être un bon début pour régler les problèmes. On devrait apprendre aux lions à faire confiance aux hyènes et vice-versa, maintenant. Non ? »

Ces propos étaient, à ses yeux, bien légers et naifs. Mais que pouvait-elle y faire ? Wissel n'était qu'à l'aube de sa vie, elle goûtait à peine à la dure réalité de la vie …
Tout aussi impatiente que précédemment, la fille d'Ishana leva des yeux intéressés vers la reine au pelage blanc et attendit une réponse, une correction ou une justification. De quoi lui permettre de mieux s'orienter dans cette quête de paix et de renouveau.

« Un événement, ou une menace commune, pourrait montrer aux Outlanders et aux hyènes qu'ils ont besoin d'agir ensemble pour survivre. » supposa-t-elle, doucement, pensive.

Il était presque étonnant de voir à quel point les choses devenaient faciles quand Wissel venait à les analyser. Elle ne se doutait pas vraiment de la réalité des choses, que la vie était plus compliquée que ça, que les histoires ne se finissaient pas toujours bien et qu'un jour ou l'autre, elle se prendrait une grosse claque et ouvrirait enfin les yeux.
Cependant, observatrice qu'elle était, la fille d'Ishana pensait ne pas être bien loin de la vérité. Elle ne savait pas vraiment si Kuruka l'approuvait réellement ou s'amusait simplement de sa naiveté. Pourtant, la brunette voulait apprendre. Etre sur le bon chemin. Et elle attendait, à chaque fois, une correction de son aînée pour parfaire sa vision et laisser derrière elle ses erreurs. C'était une trop bonne occasion pour nourrir ses rêves et ses ambitions. Aujourd'hui, elle s'imaginait être l'héroine des hyènes et des Outlanders.

Dans un rire, la dame blanche lui rappela :

« Non pas vraiment ... Ce n'est pas aussi simple que ça. Si tu cherche l'origine de cette mésentente, il faut remonter beaucoup plus loin. Moi-même je n'était pas né. Il y'a très longtemps, les hyènes vivaient sur Prideland. Mais malheureusement, pour je ne sais quel raison, le roi de l'époque chassa mes congénères. Pour se venger de cette injustice, ma meute tua la reine avant de définitivement repartir au cimetière ... Et je pense que cette haine du lion a commencée là. Malheureusement, les hyènes ne font aucunes différences entre les différents clans. Cela explique le fait qu'Outland soit devenue la cible d'une invasion plusieurs années plus tard ... »

C'est à cause des Pridelanders et non pas des Outlanders, songea la petite, alors. C'est à cause de la monarchie de Prideland si les Outlanders et les Hyènes se détestaient. Cela dit … La sœur de Koda ne comprenait pas, cette fois-ci, pourquoi ses congénères et ceux de Kuruka se bagarraient à longueur de journée pour un petit exil de rien du tout. Les hyènes devraient se venger des Pridelanders, et non pas des Outlanders !
Wissel s'apprêtait à ouvrir la bouche pour émettre une objection, mais son aînée fut plus rapide et délaissa son petit trône surélevé, se dressant face à la petite et l'observant quelques secondes. Curieuse, étonnée, la jeune Outlander redressa les oreilles et considéra Kuruka avec une lueur de curiosité dans le regard. Elle craint, un instant, que la femelle ait des remontrances à lui faire. Elle ignorait lesquelles, mais Wissel avait toujours peur de tout. Comme des imprévus. Comme de ses propres défauts. Son petit cœur s'emballa furieusement contre son poitrail mais la petite lionne demeura malgré tout immobile, dans l'attente d'une explication.

« Tu dois faire très attention Wissel. N'imagine pas qu'une menace commune arrangera la situation. La dernière guerre contre ces lions noirs l'a prouvée. Les Pridelanders, ma meute et une parties des Outlanders ... Nous étions tous dans le même camp. Et à la fin de la guerre, nous n'avons jamais réussi a forger une relation solide avec les Outlanders. Le seul moyen d'y arriver Wissel, c'est de savoir pardonner et surtout ... Agir d'un même cœur. »

Sur ce, Kuruka retrouva sa place sur son petit trône. Ces mots plongèrent Wissel dans la réflexion. Elle avait bien envie d'argumenter, mais ses connaissances en matière de guerre et d'histoire ne le lui permettaient pas d'exprimer une opinion valide pour convaincre la hyène tachetée. La brune regarda même ses pattes, à la fois attristée de ne pas pouvoir aider davantage mais aussi honteuse de ne pas bien comprendre la dernière parole de Kuruka : « Agir d'un même cœur. » A ses yeux, les peuples devaient-ils se pardonner ? Pour pouvoir se pardonner, devaient-ils agir avec bon cœur et non pas par intérêt ?

« Que voulez-vous dire par là, Madame Kuruka ? » s'enquit-elle finalement, à voix basse.

Elle hésitait déjà, alors autant éclaircir le point tout de suite avant qu'elle n'en fasse des nuits blanches.
Le temps s'écoulait, et cela, Wissel s'en rendit compte que maintenant. Jetant de brefs regards aux alentours, pour s'assurer que nul ne les espionnait elle et son interlocutrice, la jeune femelle en vint même à regretter de ne pas pouvoir rester toute la journée avec Kuruka. Elle avait tant de choses à lui apprendre, et elle avait tant de choses à apprendre d'elle. C'était même fabuleux de voir un lionceau et une hyène parler ensemble sans que quoique ce soit ne se passe mal. Merci les Grands Esprits.

« Je voulais simplement dire que ... » tenta de rectifier Kuruka.

Seulement, elle n'en eut pas le temps. Wissel ne fut pas sourde à ce douloureux craquement d'os qui devait probablement venir d'un habitant de la Terre des Hyènes. Le cœur de la petite s'emballa, elle était effrayée à l'idée de tomber nez à nez avec une autre hyène. Malheureusement pour elle, elle ne pourrait pas se renseigner davantage aujourd'hui et ainsi établir son projet de réconciliation et d'alliance idéaliste dans sa tête. De toute manière … Elle reviendrait voir Kuruka.
Se redressant, Wissel jeta un coup œil quelque peu inquiet à Kuruka qui agitait les oreilles, à l'écoute de ce son de mauvais présage. A en voir ses réactions, la brunette se doutait que quelque chose n'allait pas et que leur petite conversation serait bien vite interrompue.

« Un de mes camarades arrive … Cours Wissel vite ! »

La dame au pelage gris-blanc descendit, une fois de plus, de son trône, s'aidant de son museau pour pousser la jeune Outlander en direction de son territoire. La fille d'Ishana ne se fit pas attendre. Elle hocha la tête et n'oublia point de remercier la hyène pour le temps qu'elle lui avait consacré :

« Merci pour tout, Madame Kuruka ! » murmura-t-elle dans un léger sourire.
« Ne traîne pas ! » insista l'intéressée.

Wissel ne s'attendit pas vraiment à une réponse autre qu'un avertissement venant de Kuruka. Autant ne pas les mettre en danger en toutes les deux … La femelle tachetée le comprit bien vite en se dirigeant vers la source du bruit. Quant à la jeune lionne, elle ne perdit pas son temps à marcher ; elle courut sans plus attendre. Son rythme cardiaque redoubla d'efforts, ses pattes se fatiguaient mais elle se mit bien vite en lieu sûr. Heureuse de retrouver la terre craquelante d'Outland. Elle jeta un dernier regard en direction de la Terre des Hyènes, là où la silhouette si divine de Kuruka se muait en quelque chose de très flou à l'horizon.

Peut-être était-ce de la folie de penser ainsi … mais la petite voulait que la relation entre les Outlanders et les hyènes s'améliore. Seul le temps pourrait déterminer si oui ou non ce « rêve » avait quelque chose de réalisable.