Soufflant comme un buffle, Ajjin enchaînait les charges, usant de toute la force qu’il possédait, faisant rouler ses muscles sous son corps et repoussant ses propres limites. Il ne cessait de foncer afin d’espérer atteindre le guerrier en face de lui, grognant à chaque fois qu’il manquait sa cible ou rugissant de rage lorsqu’il arrivait à le repousser. Il n’arrivait même pas à sourire quand son action touchait son adversaire, préférant rester concentré sur sa tâche. Il deviendrait un guerrier, quelqu’un de sérieux qui ne serait plus jamais appelé « enfant », il se l’était promis.

Ce n’était pas au goût de toute sa famille, autant dire que sa mère se faisait du souci, son père ne disait rien mais Ajjin voyait bien qu’il n’avait pas toute son approbation. Quant à Jekhat… Il passait bien plus de temps dans les arbres qu’autre chose. Pourtant, il participait d’une certaine manière à l’entraînement d’Ajjin puisqu’il travaillait aussi son agilité et c’était un véritable défi de suivre le lion bouclé dans les arbres.

« Encore ! »

Voilà au moins une dizaine de fois qu’Ajjin répétait ce simple mot, fonçant de nouveau sur Wajibu, poursuivant sans relâche un entraînement qui devenait épuisant. Le pelage du Mositu commençait à devenir luisant, signe que la sueur s’installait beaucoup trop. Le souffle court, le cœur battant, il n’hésitait pas à un seul instant à frapper. Bien évidemment, les blessures que chacun récoltaient étaient plus de l’ordre des courbatures et des égratignures même s’il arrivait parfois qu’un coup de griffe fasse plus mal qu’un autre. Il répéta encore deux fois avant de finalement s’arrêter, les muscles tremblant.

« Stop, j’en peux plus. »

Repousser ses limites pouvait être une bonne chose mais il fallait aussi savoir s’arrêter. Ajjin se pencha près du Sheshayo afin de se rafraîchir légèrement et d’apaiser sa gorge sèche. Il avait beau faire de son mieux et s’améliorer un peu plus à chaque fois, ce n’était jamais suffisant. Il avait besoin de toujours plus. Soufflant il s’éloigna du cours d’eau avant de s’affaler lourdement sur le sol et râla :

« Je ne fais pas assez de progrès, Wajibu, il faut vraiment que je devienne meilleur. »

Griffes toujours sorties, il jeta un regard au guerrier. Ils s’entraînaient ensembles depuis un bon moment déjà. En vérité cela avait commencé peu après les élections et pour Ajjin, cela avait redoublé d’intensité après le départ d’Heshima et encore plus après celui de Tenzin. Mais il y avait aussi autre chose. Il avait promis à Ahva d’être là en cas de besoin et quelqu’un qui ne sait pas se battre ne lui serait d’aucune utilité. Ses efforts, c’était aussi pour elle. Pour qu’elle redevienne un petit rayon de soleil. Décidant de penser à autre chose, il lança un peu railleur :

« Au fait, comment elle va ta petite copine ? C’est quoi déjà son nom ? Menhit ? »

Un très faible sourire tira en coin les babines du lion brun, tandis qu’il était bien conscient qu’il taquinait ouvertement son ami à propos de cette charmante femelle.

« Tu as fait de bon progrès mon jeune ami, comparé à ce que tu pense, ne soit pas trop dure envers toi même. »
« Tss. Ce n’est pas encore assez. »

C’était à se demander quand ça le serait et si ça le serait même un jour. Ajjin mettait la barre trop haut et il le savait mais il y avait tellement de choses à prouver et à tellement de personne. Dernièrement il s’était rajouté la pression d’Ahva, sa sœur ne semblait pas suffire en terme de pression. Et cette pression il se l’imposait tout seul mais il était encore bien trop rancunier et amer pour s’en rendre compte.

« Ce n'est pas ma copine ! Je ne sais pas ce qu'on t'as raconter mais c'est faux... »

Ajjin arqua un sourcil devant l’indignation de Wajibu, il se retint difficilement de lâcher un rire mais réussit tout de même à se contenir. Le vétéran n’arrivait même pas à se montrer crédible avec son propre mensonge & du point de vue d’Ajjin c’était assez amusant.

« Qui te dit que quelqu’un a eu besoin de me raconter quelque chose ? »

Il aurait fallut être aveugle pour ne pas voir ce qui se tramait entre ces deux là sans que pour autant il ne se passe quelque chose. Et puis pour une fois qu’Ajjin charrier quelqu’un gentiment, c’était quelque chose de bon à prendre, il retrouvait le sens de l’humour ! Continuant sur sa lancée, il décida de pousser le vice et de taquiner un peu plus son ami :

« Et puis, si ça se trouve elle a très bien pu venir me voir et me parler de toi. Après tout on s’entraîne souvent ensembles, ça serait normal ! »

Vilain Ajjin. Mais c’était amusant de voir la tête de Wajibu se décomposer devant lui. La dernière réaction de ce dernier acheva définitivement le Mositu qui se décida enfin à lâcher un rire franc – un vrai rire comme il n’en avait plus eu depuis un moment :

« Allons détends toi. Personne ne m’a rien dit mais admet quand même que ta réaction laisse place au doute. »

Posant sa tête sur ses pattes, Ajjin apprécia la fraîcheur que lui procurait la terre de la jungle. La mousse et la végétation retenait l’humidité sans pour autant charger l’air ce qui rendait le tout très agréable. Décidant qu’il avait assez embêté Wajibu au sujet de Menhit, il changea de sujet :

« Assez parlé de ta petite copine. Tu penses qu’ils ont réussi à ne pas se faire dévorer ? »

Pas besoin d’être une lumière pour savoir de qui Ajjin parlait. Il ne croyait pas une seule seconde en la réussite du groupe de Tenzin & bien qui leur souhaite de se retrouver dans les pires situations possible, il se sentirait peiné d’apprendre leur mort.

Wajibu était le plus grand menteur de la Jungle, à n’en point douter. Il essayait de masquer l’évidence ce qui ne fit qu’accentuer la moquerie d’Ajjin. Le mensonge n’était vraiment pas le domaine de prédilection du guerrier. Le lion brun fut même assez amusé de constater que son camarade avait manqué de se casser la figure.

« Si seulement il ne s’agissait que de cela. »

Ajjin avait eu le mérite de sortir plus d’une fois de la Jungle, de voir à quoi cela ressemblait dehors et de prendre conscience que tout n’était pas rose dans les autres royaumes. Il en avait vu la beauté c’est vrai mais avait entendu toutes les horreurs qui passaient par là.

« Ils ne savent pas ce qui se passe dehors. Ils ne savent pas que le royaume d’Outland a connu la guerre qui a amené son lot d’exilés. Crois-tu vraiment que ces lions soient des lionceaux au coeur pur et dénué de toute violence ? Tss. »

Adolescent, il n’avait que peu saisit l’ampleur de tout ce que cela impliquait, mais il avait pu comprendre que les étrangers n’avaient pas de place en dehors de chez eux. Il valait mieux rester là où l’on se trouvait en sécurité. Néanmoins, il ne lésina pas sur les exemples, prenant même les propos d’Ahva pour appuyer ses dire :

« T’as aussi Prideland tiens ! Leur reine, assassinée et le meurtrier qui court toujours. Tenzin est parti sans avoir la moindre information sur ce qui se passait en dehors de chez nous. Le Grand Canarge, perpétué par un fou de plus. »

L’extinction des Mositus ! Quelle magnifique histoire que cela serait à raconter. Sauf s’il n’y avait personne pour le faire bien évidemment. Beaucoup de femelles étaient parties avec Tenzin, à croire qu’elles en pinçaient toute pour lui. Ajjin leva les yeux au ciel, exaspéré. Le faux charisme de ce lion lui avait donné le pouvoir de diriger tout un clan, de cracher sur la jungle, sur un clan, comme si ce qu’avait construit Siri n’était absolument rien :

« C’est vraiment cracher sur l’hospitalité des Lamasus… Comme si rompre notre accord allait être aussi simple. »

Il leva un regard ampli d’amertume et de regrets avant de demander :

« Pourquoi est-ce qu’on a refusé de m’écouter ? »

Pourquoi l’avait-on tant discréditer surtout… Il n’espérait pas réellement une réponse miracle, surtout venant de Wajibu. Après tout, il n’avait pas non plus été écouté lors des élections.