C’était devenu une habitude à présent, Hassun s’éloigna un peu du clan. De quoi le forger pour les situations à venir lorsqu’il serait en exil. Alors que ses pattes foulaient le sable à un rythme régulier, il sentit comme une ombre. Rien de véritablement concret puisque la seule ombre présente était la sienne, générée par l’écrasant soleil qui donnait au désert toute sa force.

Un léger sourire étira les babines d’Hassun lorsqu’il comprit d’où cette sensation venait. En fait, il se demandait comment il n’avait pas pu s’en rendre compte plus tôt alors que c’était tellement évident. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et pourtant ça l’amusait à chaque fois qu’il le faisait. Il fit semblant pendant encore quelques minutes de n’avoir rien vu, rien entendu et rien sentit.

C’est lorsqu’il commença à apercevoir l’Oasis qu’il se dit qu’il était peut-être temps de mettre fin à ce petit jeu. Son neveu le suivait depuis un bon moment et Hassun était certain que ce n’était pas pour rien.

« Tu sais p’tite tête, ça fait un moment que tu me suis. Tu pourrais au moins me dire bonjour ! »

Il ne se retourna cependant pas, préférant laisser au lionceau tout le loisir de sortir de la cachette qu’il avait potentiellement trouvé entre temps. Décidément, lui et ses sœurs faisaient la paire et il était persuadé qu’il risquait d’en voir de toute les couleurs pendant encore un bon moment. Mais ce n’était pas pour lui déplaire, ça lui permettait de leur enseigner des choses au passage. Il le fallait. Pour leur propre survie et peut-être qu’un jour, Kaya les reconnaîtra en tant que dignes enfants au lieu d’éternels poisons. Le rejet, il l’avait connu, surtout venant de sa sœur alors il ne pouvait que trop les comprendre.

« Tu sais, je crois que tu commences à devenir bon à ce jeu là. Peut-être qu’un jour tu pourras traquer tout ce qui bouge. »

Hassun cligna des yeux plusieurs fois avant de sourire, il fut même secoué d’un petit rire. Décidément, l’entêtement et la fierté, c’était de famille et personne ne pouvait le nier. Cependant, il retrouva son sérieux, non sans perdre son sourire et affirma :

« Tu connais même plus de choses que moi. Je n’ai jamais vu de ‘paplylion’ ! Il faudra que tu m’en attrapes un. »

Il acheva sa phrase en levant légèrement les yeux au ciel. Jamais il n’aurait fait ce genre de remarque avec un autre lionceau. Il était devenu un tonton gâteau sans rien voir venir et ce à l’instant même où il a posé les yeux sur ses nièces et son neveu pour la toute première fois.

« Je m’entraîne voyons. Tu sais bien que je vais partir en exil d’ici peu. »

Et alors qu’il s’apprêtait à faire un mouvement, il se bloqua totalement, prenant conscience de ce qu’il venait de dire. Est-ce qu’ils en avaient conscience ? Est-ce qu’il ne venait pas de heurter la sensibilité de son neveu en lui révélant qu’il ne serait bientôt plus là pendant une année complète ? Un peu incertain, il leva des yeux à demi inquiets vers Jehara :

« Tu le sais, pas vrai ? »

De toute façon il ne partait jamais qu’un an. Cela passerait plus vite qu’il ne le pensait, du moins il l’espérait. Il s’approcha de son neveu et avec un sourire et lui proposa :

« De toute façon j’suis pas encore parti alors ça te dirait de t’entraîner avec moi ? T’as sûrement des choses à m’apprendre, p’tite tête. »

Il se recula de quelques pas et leva son derrière, prêt à encaisser des coups ou des questions, peu importe. Cherchant à lui faire prendre un peu plus confiance en lui, il ajouta :

« Montre moi ce que le plus grand traqueur du Désert sait faire ! »

Un brin amusé par l’attitude de son neveu, Hassun n’en perdit pas tout son sérieux. Derrière cette bonne intention d’amuser Jehara, il y avait cette envie de voir ce qu’il valait en tant que Jangowas. Bien sûr ce n’était qu’un lionceau et il essayait de se le répéter tant bien que mal mais il devait se préparer. Lorsque viendrait le temps de l’exil, il partirait seul. Ses sœurs ne l’accompagneraient pas, il ne ferait pas la plus grande escapade du monde, ce n’était pas une aventure.

« Viens m’attraper alors ! »

Probablement le combat dans lequel il essaya de ménager le plus son adversaire sans pour autant lui laisser toutes les chances. Il fallait que ça soit aussi instructif pour son neveu, pas question de laisser le jeu prendre le dessus. Il le fit tomber peut-être quelque fois mais le laisser l’attraper aussi. Peut-être jugé beaucoup trop sérieux et exigeant, Hassun aurait pu passer pour un mauvais oncle. Peu importe.

« Tu te défends pas si mal que ça p’tit tête. Mais t’as encore beaucoup de choses à apprendre. »

Hassun aurait aimé qu’à l’âge de Jehara, son père lui explique que l’exil n’était pas une partie de plaisir, qu’il fallait le prendre très au sérieux dès le début. Oh pas qu’Hassun se prétende aussi bien avisé qu’un adulte, mais il se faisait un devoir de participer à l’éducation du jeune Jangowas :

« Tu sais, l’exil, ce n’est pas un jeu. Tu vas être tout seul pendant une année entière. Sans tes sœurs. »

Au fond, Hassun se demandait si Lewa et Chukia en avaient conscience elles aussi. Qu’elles ne pourraient pas faire l’exil. Ou alors il faudrait que Wivu autorise les femelles à le faire mais ce n’était clairement pas une option. Légèrement sévère il demanda :

« Tu me promets de t’entraîner durement quand je ne serai plus là ? »

Quelque part le Jangowas gris avait encore besoin d’une assurance. Il était hors de question que Jehara se fasse bouffer par le Désert lui même. Il ne le permettrait pas. Pour être sûr d’avoir toute son attention il réitéra sa question :

« Jehara, tu me le promets ? Tu seras un fier Jangowas ? »

Hassun ne put retenir un léger sourire quand il vit à quel point son neveu n’était pas prêt pour comprendre les enjeux dont il lui parlait. Trop tôt peut-être. Ou alors c’était Hassun qui avait grandit trop vite, confronté bien trop jeune aux monuments de la vie que sont la pression de l’exil et la mort infligée par le Désert, par ses enfants perfides qui serpentent dans le sable. Mais la perplexité du lionceau gris fut plus grand quand son neveu parla de ce qui semblait être … La mort ? Clignant des yeux plusieurs fois, il demanda incertain :

« Une… Une dune ? »

Il secoua la tête. Il ne voulait pas vraiment de réponse à ça. C’était disons une manière de voir les choses – après tous les os redevenaient de la poussière et au fond, les Jangowas marchaient peut être sur des morts en ce moment même. Un peu glauque au fond, mais au moins c’était littéral de dire qu’ils marchaient sur les traces de leurs ancêtres. D’un geste affectueux, il ébouriffa de sa patte les deux poils de crinières du petit lionceau :

« Tâche de ne pas devenir une dune trop tôt, ta mère le prendrait mal. Tes sœurs aussi. »

Pour Lewa & Chukia c’était bien plus évident mais Hassun ne doutait pas de l’attachement de Kaya à ses enfants. Sinon elle aurait fait le choix de les abandonner dans le désert lorsqu’ils étaient nés.

« De toute façon tu es un Jangowa et les faibles n’existent pas chez nous. Les faibles, ce sont les étrangers, les sangs-mêlés, ils n’ont pas leur place au sein du Grand Désert. Tu sera un grand Jangowa, j’en suis sûr. Gare à ceux qui diront le contraire. Qui sait, tu pourras peut-être même me battre un jour ! »

C’était probablement s’avancer et placer beaucoup d’espoir en son neveu, mais après tout c’est ce que l’on plaçait en lui aussi. C’était ce qui lui permettait d’avancer, se surpasser encore et toujours, faire de son mieux. Jehara n’avait pas de figure paternelle pour lui montrer le chemin. Hassun non plus, enfin pas assez longtemps, mais il se sentait responsable de son neveu. De ses nièces aussi. Il les protégeait beaucoup trop, probablement que ça leur ferait du tort, à lui aussi d’ailleurs.

Cependant il se sentait concerné par l’avenir de sa famille si bien qu’il anticipa sur quelque chose. Probablement que le lionceau ne lui répondrait pas tout de suite. Hassun avait des plans à son âge, une ambition bien réelle, mais depuis l’éloignement avec son propre frère, tout ceci était devenu plus bancal. Être un très bon guerrier était pour le moment la meilleure chose à espérer. Peut-être que son neveu avait plus d’ambition que lui :

« Qu’est ce que tu veux devenir, Jehara, après l’exil ? »

Un étrange sentiment de fierté gonfla la poitrine d’Hassun lorsqu’il entendit les dires de son neveu. Un sourire vint même étirer son visage, lui qui était si neutre d’habitude, voilà qu’il était content. Content d’entendre que Jehara n’était pas perdu au milieu du clan sans savoir quoi faire. Chasser les Mositus ? Encore faudrait-il qu’il en reste assez pour en faire une chasse intéressante, mais pourquoi pas !

« On tuera ces lavettes de Mositus ensembles si tu veux ! »

Et chaque étrangers qui oseraient se présenter sur les terres du Grand Désert. Probablement que le sangs-mêlés devraient y passer mais ça … Eh bien cela ne relevait pas d’Hassun malheureusement. Le meurtre au sein du clan était puni par la loi des Jangowas, aussi impitoyable soit-elle. C’était donc à l’Empereur que revenait la tâche de faire le nécessaire pour que le clan ne reflète que la fierté et le noble sang des Jangowas. C’était quand il voulait quoi …

« Je vais devoir épouser une fille aussi, n'est-ce pas ? »

Oh, la poisse. Le sujet était comment dire … Tout sauf ce que Hassun voulait aborder. Il ne pouvait même pas en parler lui même avec sa mère ou sa sœur alors comment en aurait-il pu parler à son neveu. En plus cela signifiait également, ou du moins cela lui rappelait, qu’il devrait aussi s’incomber de cette tâche au retour de son exil. Autant dire qu’il n’était pas pressé de devoir faire un choix. Il ne saurait même pas vers qui se tourner.

« Eh bien … Je suppose que oui. Il faut assurer l’avenir du clan, c’est important de participer à ce genre de choses. »

La chose en question il ne savait pas trop comment la qualifier et de toute façon, ce n’était pas à Hassun de lui expliquer cela. Que Kaya se décoince un petit peu et lui évite ce genre de situation de malaise. Il tourna le regard vers Jehara avant de lui adresser un sourire et de lui donner un petit coup d’épaule :

« De toute façon tu n’as pas de souci à te faire là dessus ! Je suis sûr qu’aucune ne saura résister à ton charme. »

Après tout, c’était son neveu et Hassun n’était probablement pas objectif mais Jehara avait de l’ambition et malgré sa petite taille, il restait un Jangowa, un vrai. Constant que le soleil commençait à décliner sérieusement, Hassun donna un coup de museau à son neveu avant de déclarer, tout en prenant la tête de la marche :

« Il est temps de rentrer. Si c’est pas ta mère qui s’inquiète de ne pas te voir, ce sera tes sœurs. »