La brunette s'ennuyait. Cela faisait déjà un petit moment que les étrangers n'étaient pas venus dans la clairière, à discuter ou à prendre des nouvelles de certains autres Outlanders. Elle observait d'un œil vide les nombreux nuages dans le ciel, à défaut d'être intéressée par les activités et les caractéristiques nouvelles de ses camarades. Elle regardait ces épaisses couches brumeuses en plein voyage, défilant sous son nez, disparaissant dans l'horizon tels d'éternels voyageurs en quête d'aventures et de découverte. Le soleil brillait fort au-dessus de la Termitière, mais elle n'en était pas plus gênée que cela. Ses pensées se rassemblèrent pour former le visage de Koda, Janan et Kira ; puis, elles se dispersèrent et prirent toutes la fuite lorsque l'attention de Wissel vint sur la forme sombre de Vita, s'étant arrêté tout près d'elle. Elle leva des yeux plutôt admiratifs vers le visage de son oncle, le frère d'Ishana, un personnage intéressant qui avait su lui faire regagner l'espoir d'être le centre d'attention de quelqu'un. Il était bizarre, son oncle, mais elle n'oubliait pas que leur dernière conversation avait été réjouissante ; tous deux possédaient quelques points en commun – selon la petite Outlander – et c'était donc pour cette raison qu'elle s'était sentie proche de lui, l'espace d'un instant. C'était pour cette raison qu'elle savait qu'elle n'était pas tout à fait ennuyante … Elle pouvait s'attirer l'amitié de certains lions.
Le regard qu'il déposa sur elle fut … quelque peu endormi. Pas vraiment endormi, non non, il manquait juste un peu de … d'intéressement ? Une lueur attristée s'attarda dans les prunelles vertes de Wissel, se demandant alors si elle n'était pas en train de l'ennuyer. Attendait-il quelque chose d'elle ? Aurait-elle dû réagir autrement face à sa venue ? Oh, peut-être était-ce sa contemplation des nuages qui l'exaspérait ? Elle se redressa un peu, histoire de paraître un peu plus convenable devant l'adulte. La fille d'Ishana avait un peu peur de sa réaction. Elle avait peur de ne plus être digne de l'attention de l'un des seuls sur Outland à le lui en accorder.

« Wissel. Je t'avais parlé de t'emmener te promener un peu, la dernière fois. Allons-y, j'ai trouvé le lieu que je souhaite te montrer, j'ai assurément beaucoup à te dire sur lui. »

La lueur attristée s'évapora. Un lieu où il voulait l'y emmener ? Elle sourit, ravie de voir qu'elle était privilégiée par son oncle. Qui sait, il aurait très bien pu emmener sa sœur, Kira.
Sans lui laisser le temps de réagir, Vita s'aida de son museau pour la relever et la pousser. La jeune femelle n'avait pas vraiment le choix, la force du Rouge dépassait largement la sienne. Alors, pour ne pas aggraver davantage les choses, elle pressa le pas elle-même, à contrecœur néanmoins, pour ne pas être inutilement corrigée. Elle ne savait pas vraiment où ils allaient. Elle n'était pas allée dans chaque zone d'Outland, mais … Sa mère, ainsi que d'autres lionnes lui avaient parlé de bien des lieux, bien des légendes et bien des interdictions qu'elle se devait de respecter. Sa curiosité et son excitation prenaient le pas sur son esprit embrumé par l'incertitude. Oh, que ce lieu serait passionnant ! Elle mettait sa patte à couper que son oncle l'emmènerait dans un endroit intéressant, là où il lui permettrait de forger son expérience et son analyse du monde. Cette pensée l'enchantait.

Mais cette pensée mourut, et elle déchanta immédiatement devant le Lac-au-Roi.
Personne ne s'attardait aux alentours. Seuls de nombreux crocodiles sombraient dans ces eaux sombres et tumultueuses. Wissel songea quelques instants. Ce … Ce n'était pas l'heure de boire en groupe, n'est-ce pas ? Elle faillit se coller une claque au visage devant sa bêtise. Non. Bien sûr. Vita ne l'emmenait pas pour boire, c'était autre chose. Il y avait bien des leçons à retenir du Lac-au-Roi.
Ils se rapprochaient étrangement de la rive du lac, alors que la brunette commençait à s'inquiéter en apercevant, au loin, un crocodile endormi sur un tronc mort. Elle s'accrocha à l'une des pattes avant du félin rouge, bégayant pitoyablement :

« T-tonton … Je n'aime pas trop ce lac. Que vas-t-on apprendre ici ? Les lionnes du Clan ont toujours dit de ne pas trop s'approcher de la rive, surtout quand nous sommes seuls, puisque les crocodiles, avec leurs mâchoires puissantes, ils peuvent nous attraper et nous blesser grièvement. »

Elle n'était pas suffisamment folle pour oser toucher un crocodile. Elle ne comprenait déjà pas comment certains lionceaux de la Termitière pouvaient se vanter d'avoir affronté un crocodile ou inviter les autres à s'amuser dans leur rivière. Ils ne se doutaient pas à quel point ce jeu-là pouvait être dangereux.
Bien évidemment, elle se doutait que son oncle aurait sûrement une réponse rassurante à lui offrir. La fille de la guérisseuse avait confiance en lui, elle avait même confiance en tous les membres de sa famille.

« Mais tu n'es pas seule, Wissel, je suis avec toi. » assura-t-il, pourtant.

Cela changeait-il quelque chose pour autant ? Le visage de la petite n'en parût pas plus rassuré. Ce n'était pas vraiment la décision de son oncle, qui l'effrayait ; elle aurait pu le suivre et apprendre ses leçons où qu'il le voulait s'il y tenait. Seulement, la vue de ces quelques crocodiles dans le lac, ces eaux peu rassurantes alors qu'elle ne savait pas nager l'intimidaient. Ils ne comptaient pas nager dedans. Elle le savait. Mais il lui semblait pertinent néanmoins de se garder éloigner de ce qui pouvait possiblement la nuire. Quand bien même si la présence de Vita sur les lieux parvenait à apaiser un peu son inquiétude grandissante.
Peut-être se faisait-elle des soucis pour rien ?
Quoiqu'il en soit, la marche reprit son rythme. Ils longeaient les rivières, ces serpents d'eaux qui ne semblaient jamais se finir… (Wissel appelait poétiquement les rivières, courants ou autres « serpents d'eaux » … oui, ça y fait penser) jusqu'au moment où ils finirent par tomber nez à nez avec une grosse cuve d'eau, alimentée par les courants et rattachée à diverses rivières menant à d'autres territoires. L’œil curieux et intrigué, la fille d'Ishana observa le mouvement de l'eau et la légère mélodie qu'il produisait pendant l'entrechoquement de minuscules molécules invisibles.

« J'ai un jeu idéal pour braver ses peurs et s'amuser énormément, j'y jouais souvent quand j'étais plus jeune et que j'arrivais à trouver des amis. » débuta le mâle rouge avec une certaine nostalgie.

La brunette essayait de l'écouter sans trop fixer son attention sur la surface de l'eau. Elle imaginait son oncle, enfant, en train de jouer par ici. Jusque-là, les images se créaient dans son esprit sans mal. Un léger sourire se dessina sur ses babines. Elle trouvait cela très amusant de s'imaginer le visage bienheureux de son oncle en train de jouer, innocemment, près de l'eau. Elle avait également inconsciemment de la peine pour lui. Elle aussi, avait des difficultés à se trouver des amis autres que dans sa propre fratrie. Cette fois-ci, elle se colla un peu plus contre sa patte pour ronronner bruyamment, comme pour lui montrer de la compassion.
Il continuait de raconter ses souvenirs et son expérience, pendant qu'elle écoutait tout en oubliant, petit à petit, le chantonnement dangereux de l'eau.

« Je montais sur un tronc, seul ou avec quelqu'un et l'autre nous poussait sur le lac. C'était des sensations géniales, vraiment et j'adorais fuir la vigilance de ma mère et celle de ta mère pour venir ici. Et si tu essayais ? Tu montes, je te pousse et si quoique ce soit arrive, je saute. Je sais nager, tu n'as pas à t'inquiéter. »

Elle cessa soudainement de ronronner, les oreilles redressées. Elle ? Ses prunelles effrayées se posèrent de nouveau sur le lac. Non. Pas question. Et si elle faisait mal les choses ? Et si elle se mettait en danger ? Et si elle mettait en danger son oncle sans qu'il ne s'en rende compte ? Il n'avait pas la moindre idée des risques qu'il encourait ! Et puis, elle n'avait pas non plus envie de le blesser, mais … Elle ne voyait pas en quoi être poussé dans un lac avec pour seule protection un tronc avait le mérite de rendre courageux quelqu'un. Ça ne pourrait que lui donner confiance en lui, mais sans plus. Elle ne se voyait pas personnellement changer en quoique ce soit après une telle expérience.

« Mais, je … j'ai pas envie d'essayer ... » répondit-elle d'une petite voix, hésitante. « Ce jeu est fait pour braver ses peurs mais je crois que dans mon cas, c'est bien plus que de la peur. Je vais faire n'importe quoi. »

Son corps chaud se blottit un peu plus contre sa patte. Elle attrapa sa patte à l'aide de ses propres petites pattes et renchérit, espérant le convaincre :

« On pourrait essayer une prochaine fois ? Avec Kira, Koda et Janan ? » proposa-t-elle alors, pour apaiser l'éventuelle déception de son oncle. La présence de sa fratrie pourrait peut-être davantage lui donner de courage. Le courage venait avec l'amour, l'affection. Elle releva la tête et lui sourit, gentiment. « Merci en tout cas de m'avoir fait découvrir ce jeu. »

La chaleur corporelle de son oncle vint trouver contact contre elle, alors qu'il frottait faiblement son museau contre cette courte fourrure chocolat qui lui permettait de se réchauffer face à n'importe quelle température dite très glaciale. Elle se sentit apaisée par ce contact, souriant légèrement au passage, bien que le problème du jeu perdurât encore entre eux. Le mâle rouge avait apparemment le sourire, un sourire qui rassurait pour l'instant Wissel. Peut-être lui proposerait-il de le suivre et d'aller chercher les autres ? Elle aurait bien pris plaisir à le suivre et à lui poser des questions en chemin. Seulement, cet instant de pur bonheur s'effondra lorsqu'elle remarqua le semblant de peine dans la voix du frère d'Ishana, qui protestait :

« Enfin, Wissel, tu ne vas pas me décevoir … J'avais si hâte de te montrer ce jeu. Et puis, comme ça, tu connaîtras et quand nous reviendrons avec Janan, Koda et Kira, tu auras toute la possibilité de leur présenter les choses toi-même. »

Pourquoi ne le feraient-ils pas tous les deux ? La petite Outlander redressa les oreilles face à la mine abattue du mâle rouge : le sourire et le regard triste, digne d'un orphelin à qui on aurait fait toutes les peines du monde. Le cœur de la brunette se serra. Il lui faisait trop de peine. Elle détourna un instant le regard, pour éviter de souffrir davantage face à tant de détresse venant de Vita. Pourtant, elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas, plutôt. Son cœur, partagé entre l'amour familial et le goût prononcé pour la survie, n'en finissait plus d'hésiter. Wissel posa sa tête contre le sol, l'encerclant de ses deux petites pattes avants, histoire que son aîné ne remarque pas sa propre peine. Les prunelles larmoyantes, le cœur alimenté par sa propre angoisse, elle se sentait de plus en plus mal et regrettait presque d'être l'actrice principale de cette situation. Pourquoi avait-il fallu que son oncle la trouve aujourd'hui, et non pas un autre membre de sa fratrie ? Kira, Koda et Janan auraient su quoi faire devant une telle discorde émotionnelle. Elle, elle ne savait tout simplement pas. Et c'était pourquoi elle était prête à faire de la peine à son oncle, parce qu'elle avait connaissance de sa faiblesse et du fait qu'elle ne parviendrait jamais à devenir la nièce qu'il désirait tant avoir.

« Laisse-moi te communiquer tout mon courage, tu ne feras pas n'importe quoi, je vais te guider. Si quelque chose va mal, je serais là, ne t'inquiètes pas, Wissel, tu peux faire confiance à ton oncle, n'est-ce pas ? »

La fille d'Ishana acheva cette écoute par un couinement, qu'elle ne put retenir malheureusement. Son regard se posa de nouveau sur la surface de l'eau : non, non, elle n'y arrivait vraiment pas. Elle ne pouvait pas y aller. Était-elle peureuse ? Probablement. Le lion la détourna de cette vision grâce à sa grosse patte qui la ramena contre lui, l'étreignant dans un geste purement affectueux, à ses yeux, loin de l'horreur et de l'indécision. Maintenant que le visage de Vita lui faisait face, elle ne pouvait plus le fuir et masquer les larmes qui roulaient sur ses joues sans qu'elle ne puisse les contrôler. Son petit corps tremblait, tout autant que son cœur qui était effrayé par la nouveauté.

« D-d- … désolée. T-tu ne comprends pas ? J'en suis incapable … » se plaignit-elle avec une voix tremblante, plus que tout navrée par le refus qu'elle se devait de lui imposer. « Tu aurais mieux fait d'emmener ma sœur ou l'un de mes frères … Eux, ils auraient été bien plus … c-courageux que moi. Je suis née pour être dans l'ombre des autres. Je n'ai aucune réelle capacité. »

Ses mirettes vertes dévisagèrent celles enflammées du félin adulte, espérant y déceler une once de compréhension ou de douceur à son égard. Son oncle comprendrait, peut-être … La peine qu'elle éprouvait à l'idée de blesser un membre de sa famille la saisissait mais, hélas, elle était bien incapable de lutter contre. Elle avait besoin d'entraînement. De force. Pour surmonter ce caractère bien trop sensible et timide qui l'entravait dans bien des situations. Souvent, elle se demandait pourquoi les Grands Esprits ne lui avaient pas tout donné à la naissance, comme certains autres lionceaux. Ou bien, peut-être négligeait-elle ces choses qui faisaient d'elle une personne unique en son genre, comme tous les autres félins de la Terre des Lions.

Malheureusement, son oncle ne se départit point de son air déçu ; le cœur de Wissel se serrait déjà, accablé par la malaisance de la situation. La petite brune tremblotait, incommodée par tout ce que son oncle lui demandait. Qu'allons-nous faire ? Se retint-elle de demander, la gorge nouée par la peur. Elle avait très envie de retourner à la Termitière mais ses membres refusaient de bouger. Comme enracinées dans la terre, ses pattes attendaient impatiemment une réponse de Vita avant de se remettre en mouvements. Cependant, quelque chose de bien grave allait arriver. Sans que Wissel ne puisse y faire grand-chose. Elle l'ignorait, la sotte.

« Ces choses-là vont changer Wissel. Je t'ai choisit pour tout ça justement, tu vas devenir plus forte grâce à cette épreuve. » assura le vieux lion rouge, dont la voix douce fit redresser les oreilles de la fille d'Ishana. Son oncle semblait déterminé. Mais elle ne voulait pas. Pourquoi la forcer de la sorte ? Elle serra un peu plus la patte de Vita contre elle, désireuse de ne plus jamais la lâcher avant la fin de cette petite sortie devenue angoissante. Malgré la tendresse dont faisait preuve son oncle, la jeune Outlander ne pouvait s'y résoudre. Quelque chose, au fin-fond de son être, entravait ses mouvements et lui criait à l'oreille qu'elle risquait de se mettre fortement en danger si quelque chose se passait mal. L'instinct de survie, sans doute. Et la logique, aussi. Son oncle était très gentil mais son attitude lui forgeait une certaine inconscience, quelque part.

« Tu me déçois beaucoup Wissel, j'ai l'impression que tu ne me voues aucune confiance … C'est blessant. » susurra finalement l'intéressé, la mine tendre se changeant en une expression dégoûtée, alors qu'il soupirait, ne pouvant s'empêcher de détruire davantage le cœur de sa nièce.

Wissel releva la tête, considérant son oncle avec deux yeux ronds. Passés la surprise, ceux-ci s'embuèrent de larmes. Mais que racontait-il ? Bien sûr qu'elle lui faisait confiance ! Elle n'en avait juste pas envie !

« Mais, je … J-je n'en ai pas envie, ce n'est pas la même c-chose ! » bégaya-t-elle, terriblement mal-à-l'aise.

La patte qu'elle essayait fermement de tenir lui fut retirée, alors que le voyageur relevait celle-ci pour que sa nièce ne puisse plus l'attraper. Perdue, sans repères, Wissel chercha du regard le chemin qu'ils avaient pris pour venir ici. Elle comptait bien s'en aller, bien qu'elle tremble de plus en plus.

« Tu vas le faire. » affirma Vita.

Pas le temps d'esquisser un pas. Le frère d'Ishana se pencha sur elle et attrapa fermement sa nuque entre ses crocs, tandis que la petite poussait des cris effrayés, des couinements. Ses petites griffes sorties inutilement, elle s'agita dans tous les sens, essayant de s'accrocher à quelque chose bien que son oncle était suffisamment grand pour la garder à une hauteur considérable du sol.
Les yeux écarquillés, elle voyait l'eau se rapprocher de plus en plus d'elle. Les crocs du lion rouge serraient sa nuque et l'empêchaient de partir. Elle se débattait, poussant des couinements et des cris à tout vas, mais rien ni personne ne put raisonner son aîné. A croire qu'il … n'avait aucun cœur.

L'eau l'effrayait, et pourtant, elle pouvait presque en toucher la surface avec sa queue. Son oncle la maintenait dans sa gueule, tout en préparant un minimum le tronc où il allait « l'abandonner ».

« TONTON, JE NE VEUX PAAAS ! » hurla-t-elle, éclatant en sanglots.

Au bout du compte, il la déposa sur le tronc, avant de pousser celui-ci de sorte à l'éloigner de la rive. Désespérée, Wissel plongea ses griffes dans l'écorce trempée de son nouveau bateau et jeta des coups d'oeil partout autour d'elle, pas du tout rassurée par ce qui se passait. Elle tourna, un instant, la tête en direction de son oncle. Son regard était devenu sombre. Effrayant. Il la regardait depuis la rive, sans rien faire.

Malgré toutes les hypothèses qui lui traversaient la tête, la fille d'Ishana ne parvenait pas à comprendre son acte. Pourquoi avait-il fait cela ? Cachait-il depuis toujours son addiction à la tyrannie ? Ou … sa bipolarité ? En tout cas, elle était sûre d'une chose : il avait été contrarié. Elle tenta de l'appeler, en vain.

« TONTON ! S-s'il te plaît, ramène-moi à la berge ! Je … Je suis dé-désolée, je ne voulais pas te vex-xer ! »

Cependant, ses excuses s'achevèrent bien vite. A mesure que le tronc progressait au centre du lac, les courants s'acharnèrent sur lui et manquèrent de déloger la brunette de son salut de fortune. Elle essayait de se maintenir, de sauver sa peau, de réfléchir à comment se sortir de là mais, la peur n'aidant pas, la loi de la Nature fut la première à réagir. Le tronc se disloqua progressivement, forcé par la pression de l'eau qui gagnait du terrain contre sa constitution fragile.

« TONTON ! Le tronc est en train de casser ! » cria désespérément Wissel. Elle ne voulait pas y croire. Elle ne voulait pas abandonner. Un autre cri s'arracha à sa gueule quand le tronc finit par se briser en deux. Les deux morceaux sombrèrent sous les eaux, emportant la petite avec eux. Le paysage se changea en des milliers de points brillants grâce au soleil. Les yeux de Wissel lui piquaient, l'oxygène lui manquait et son pauvre corps, qui se débattait furieusement contre le courant, dû se résoudre à se faire malmener par celui-ci.

Il fallait qu'elle remonte à la surface. Sinon, elle mourrait très bientôt.
C'était une situation fortement désagréable, voire, traumatisante. Surtout pour un lionceau de six mois comme elle. Elle frôlait la Mort à un âge trop jeune. Elle ne savait donc quoi faire pour se sauver.
Consciente que le courant était bien trop fort pour elle, Wissel cessa de se débattre, se laissant porter par le lac. Peut-être la ramènerait-il vers la surface lui-même, ou la laisserait s'échouer contre une rive.
Elle ne savait plus trop où elle se trouvait présentement. Suffoquant, la femelle aux prunelles vertes vit sa vision se troubler de plus en plus, jusqu'à devenir totalement … noire.

La vision complètement noire, Wissel finit par perdre connaissance. Ses pensées furent balayées de son esprit comme une poignée de poussière emportée par la véhémence du vent. La brune mourrait … enfin, c'est ce que n'importe qui aurait pu penser en écoutant pareille histoire. Seulement, un miracle sembla se jouer, et la petite aux mirettes émeraude se réveilla dans une quinte de toux insupportable. Etalée contre le sol, respirant intensément et vainement l'oxygène que ses poumons peinaient à absorber, la petite Outlander toussa, toussa et re-toussa sans pouvoir s'arrêter. Une langue râpeuse réchauffa son petit dos pétrifié par la température froide de la rivière ; Wissel ne fit même pas attention à celle-ci. Il y avait comme un incendie dans sa gorge, de temps à autre la fille d'Ishana vomissait de l'eau et sentait son corps se revigorer grâce à cela. Les sentiments désagréables s'atténuaient peu à peu, pour autant, le cœur de la brunette continuait de battre à la chamade, encore tout secoué par ce qui venait de se passer. Elle avait survécu à la mort. N'était-ce pas merveilleux ? Le regard émeraude du lionceau se posa finalement sur le visage encore trouble de son sauveur, qui semblait plutôt être une … sauveuse. Une femelle Outlander. Bonne amie d'Ishana. Wissel reconnaissait la belle noiraude, Asha, qui avait maintes fois complimenté la beauté des filles de la guérisseuse d'Outland.

« Tout va bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? » l'interrogea la femelle sombre avec un regard se voulant rassurant et maternel.

Face à de telles questions, Wissel se sentit perdre patience. Elle se jeta contre la patte de celle qui l'avait sauvée, ne pouvant réprimer cette montée de larmes qui salissait davantage ses joues déjà trempées. Bientôt, la petite couinait, pleurait, sanglotait, visiblement choquée par cette odieuse tentative d'assassinat dont elle ne connaissait aucunement les fondements. Elle ne savait pas pourquoi Vita lui avait fait ça, et s'il regrettait ce geste, mais en tout cas elle était sûre d'une chose : elle ne lui ferait plus jamais confiance. Ça lui faisait beaucoup de peine de devoir renier son oncle de la sorte mais la fille d'Ishana en avait suffisamment vu pour aujourd'hui. Celui qu'elle avait tant de fois admiré et aimé, venait tout juste de dégringoler de son piédestal. Au final … ils ne se ressemblaient pas tant que ça.

« M-mon oncle … I-I-Il a … » bégaya-t-elle, saisie de sanglots. La suite fut une explosion de peur et de tristesse, un cri déchirant : « IL A VOULU ME TUER !!! »

Sur ce Wissel reprit ses pleurs et câlina la patte de la femelle. Asha la serra contre elle, la réchauffant grâce à ses coups de langues répétés. A force de passer du temps sous l'eau et de pleurer, Wissel avait terriblement mal aux yeux. Son corps était terriblement fatigué, la jeune femelle avait presque envie de s'endormir contr e Asha et de ne plus voir la suite des choses.

C'était tout simplement horrible. Traumatisant. Pourquoi Vita avait-il fait ça ? Ce monstre !

La petite brune était tellement secouée par les tragiques événements survenus sur sa personne qu'elle ne songea pas une seule fois à la possibilité d'être retrouvée par son oncle d'une minute à l'autre. Et pourtant, le pire se déroula sous ses yeux : entre deux crises de larmes, elle distingua une silhouette rouge s'approchant à vive allure des deux femelles. Wissel poussa un cri effrayé et se colla contre Asha, priant les Grands Esprits pour qu'il ne la prenne pas avec lui et ne retente pas de la tuer. Au-delà de la haine qui se formait petit à petit dans son être à l'encontre de son oncle, subsistait une peur terrible, un traumatisme d'enfance. Plein d'incompréhension, le mâle au pelage sombre se précipita vers elles, l'air visiblement paniqué.

« Wissel ! Tu es trempée, tout va bien ? »

Sans attendre davantage, Vita passa une patte derrière le dos de Wissel et l'attira contre lui dans un geste brusque, si soudain et si fort que la fille d'Ishana n'eut pas la moindre chance de pouvoir s'échapper de ses griffes. Il lui lança un sourire rassurant, presque malsain, tandis qu'il la forçait de se blottir contre son épaisse crinière brune. Wissel voulut hurler de terreur, mais la force de son oncle n'était pas comparable à la sienne et sans grand-mal, l'étreinte dangereuse qui l'étouffait l'empêcha de prononcer un quelconque mot qui pût trahir son aîné.
Asha les regardait, toute confuse. 

« Bon sang ... Heureusement que tu étais là ... Je lui ai parlé des jeux que je faisais par-ici enfants et voilà qu'elle s'approche trop de la rivière. J'aurais dû me méfier, elle est encore jeune pour faire la part des choses ... Shhht Wissel, tout va bien, je suis là. Tout ira bien.
▬ Pourquoi a t-elle dit ... Cela ?
▬ Elle est jeune, peut-être a t-elle mal pensé ce que je lui disais ? Je ne suis pas très fort avec les lionceaux mais jamais je n'aurais agit ainsi. Je veux dire, je prends soin d'eux. Tu l'as bien vu non ?
▬ C'est bien pour ça que je m'étonnais, Vita. Mais ... Enfin, elle est encore jeune, fais attention à ce que tu lui dis quand tu parles de tes péripéties d'enfant, d'accord ? »

Chaque parole fut comme un coup de poignard dans le cœur de la petite Outlander. Au début, elle fut tentée de douter d'elle-même, de ce qu'elle a vu, compris, de ce qui s'était réellement passé … puis les paroles odieuses de Vita lui revinrent en mémoire, sa brusquerie soudaine, et son indifférence face aux cris désespérés de sa nièce. Non, elle n'avait pas halluciné. Et l'idée de ne pas pouvoir prouver les faits véridiques la rendaient sérieusement malade. Son petit cœur battait la chamade. Son rythme cardiaque crut défier l'espace-temps lorsqu'elle vit Asha quitter la rive, et s'éloigner dans le lointain. NON, NON ! Voulut hurler Wissel, terrorisée à l'idée de se retrouver une fois de plus en tête-à-tête avec son oncle. La peur la submergea, et elle se mit à pleurer. Étouffée par la crinière épaisse de celui qui avait bien failli être son meurtrier, elle sentit des larmes dégouliner le long de ses joues et venir souiller son coussin du jour. C'était bien le pire jour de sa vie qui se déroulait présentement.
Lorsque Asha disparut du paysage, Vita redevint comme il l'était ; c'est-à-dire, le méchant tonton assassin qui se paraît de faux masques pour manipuler les autres à sa guide. Sans douceur, il plaqua sa nièce sur le dos et lorsque Wissel voulut s'enfuir, il posa sa large patte sur son petit ventre innocent, la clouant définitivement au sol. Elle allait se mettre à hurler quand elle remarqua l'air furibond de son oncle. La peur lui noua l'estomac et elle ne parvint à prononcer une syllabe, tant l'inquiétude de se voir frapper par Vita lui hantait l'esprit. S'il avait tenté de la noyer, alors la frapper serait un jeu d'enfant pour lui, pas vrai ? Au lieu de quoi, il lui cracha :

« Tu la fermes sur ce qu'il s'est passé. Compris, Wissel ? Tu peux de toute manière essayer de dire quelque chose à ce propos, personne ne te croira, tu n'es qu'une gamine écervelée et je suis ton oncle, un adulte qui s'occupe de vous quatre. Tu n'avais qu'à être moins bête et couarde, tu es pire que ton père, petite sotte. Rien de tout cela ne serait arrivé si tu n'étais pas .... Toi. »

Tout compte fait, elle aurait préféré qu'il la frappe. Voilà qu'il la menaçait de répéter quoique ce soit à quiconque, sous peine de jouer sa parole contre la sienne. Ingénieux. Dans d'autres circonstances, la finesse d'esprit de son oncle aurait pu lui provoquer des petites étoiles dans les yeux, preuves de son admiration envers lui … toutefois, la peur la submergeant alors, ces petites étoiles tremblèrent dans ses yeux, comme si elles allaient se mettre à pleurer. Wissel ressentit un dégoût sans pareil pour son oncle, celui qu'elle avait tant aimé, tant admiré, tant voulu plaire par le passé … Elle avait été d'une telle imbécillité … Oui, il avait raison … Elle avait été bête, bête de croire qu'un adulte comme lui pourrait un jour s'intéresser à une petite insignifiante comme elle. Elle réprima un petit gémissement désespéré et ressassa infiniment les paroles de Vita.

« On rentre. » annonça-t-il, poussant un soupir profondément dégoûté.

Elle réprima cette fois-ci un sursaut lorsqu'il lui saisit la nuque avec toute la non délicatesse et l'indifférence qui pouvaient l'habiter. Elle se tût, fermant les yeux. Profondément terrorisée. Désolée. Perturbée.

Tu es pire que ton père, petite sotte. Rien de tout cela ne serait arrivé si tu n'étais pas … Toi.