Si l’environnement était identique au fil du temps, en dépit des cicatrices laissés par l’incendie, Ahva sentait qu’elle inspirait un nouvel air. Elle n’était plus une enfant, même ses parents bien-aimés ne pouvaient prétendre le contraire. Son corps s’était allongée, ses pattes affinées et à sa plus grande fierté, ses muscles décuplés. Elle était adulte à présent, peut-être pas mentalement mais physiquement du moins. C’était avec une assurance toujours plus forte que la lionne déambulait parmi les siens, fière de parader avec ses nouveaux muscles, fière de leur montrer sa stature et ses pas affirmés. A défaut, son arrogance ne semblait pas s’être tue avec le temps. Ses possibilités lui semblaient également démultipliés et bien que la jeune lionne œuvrait pour passer du temps avec sa mère qu’elle sentit vieillir, l’appel des frontières était grand et fort. Plus libre que jamais, la princesse s’en alla en direction du Sud, vers les Terres Libres dont le nom à jamais sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles.

Sans plus besoin de se justifier, la féline prit la poudre d’escampette après avoir offert une brève étreinte quoique sentimentale à sa mère. La savane avait été toujours friande des ouïe dires et fort avenante, Ahva avait su dénicher une perle rare : la rumeur courait que l’ancienne princesse de Freeland, fille du tyran, était de retour sur ses terres natales. Bercée par les récits de ses aïeux, Ahva avait mainte fois entendu parler de la prise de force du trône par Sharkan, de ses guerriers Kulishas, de son pacte passé avec les Nyeusis puis de son imminente rébellion quand il avait tenté de conquérir la Terre des Lions à leurs côtés. Sans doute aurait-on attendu de la fille de Kumpa que celle-ci se montre méprisante envers ce régime et révulsée à l’idée de rencontrer la princesse déchue mais il en était tout autre. Ahva crevait d’envie de rencontrer cette princesse qui avait su se dresser contre tous et après avoir vécu toute sa vie en exil, revenir fièrement sur ses terres. L’on disait qu’elle cherchait rédemption, était-ce vrai ? La jeune lionne qu’elle devait être aujourd’hui n’avait pourtant commis aucun pêché et n’avait pas choisi son ascendance. Les pensées d’Ahva était plus nuancée que ses congénères, probablement parce qu’elle était issue de cette nouvelle génération qui n’avait pas connu la guerre.

Si la jeune lionne au pelage ambrée n’avait pas pour habitude de se rendre en ces lieux, ses souvenirs guidaient ses pas et bientôt, elle franchit la frontière des Terres du Sud. Les lieux n’avaient en rien perdu de leur superbe et un léger sourire graduait les babines de la lionne. Elle avançait au petit trop, déambulait parmi les herbes grasses des plaines. Elle savait ce qu’elle cherchait mais n’avait aucune idée d’où le trouver. Consciente qu’il serait mal venu d’informer les Freelanders de sa demande, Ahva devait se résoudre à se débrouiller seule mais dans une étendue si grande que celle des Terres Libres, ce n’était pas une mince affaire. A défaut, la princesse s’en alla se poster sur une grande roche qui surplombait les collines et observa les lieux qui s’offraient à elle. Elle se demandait quelle sensation cela pouvait procurer de retrouver ses terres natales, ce royaume qui aurait dû être le sien après une si longue absence.

Le dos bien droit, la poitrine légèrement bombée, Ahva se plaisait à dominer la plaine de sa hauteur. Son champ de vision était largement dégagé et lui conférait l’avantage de voir avant d’être vu. Bientôt, cet atout s’affirma lorsque des mouvements brusques l’informèrent de perturbations dans le silence relativement calme de la plaine. Elle tourna aussitôt le regard vers sa source et s’offrit alors à ses yeux le spectacle d’une lionne pourchassant un petit mammifère. Alors qu’elle s’annonçait grande gagnante, la féline se laissa soudainement distancée par la mangouste avant d’abandonner la course vouée à l’échec. Quelque chose l’avait distrait. Bientôt, son regard s’éleva vers les hauteurs des collines et transperça la princesse de sa flamme dévorante.

Ahva fut immédiatement saisie par la puissance de son regard pourpre qui brillait d’un éclat brut et sauvage. Son visage froid et impassible semblait tenir la lionne ambrée responsable de son échec, la princesse aurait presque pu en rire si elle n’avait pas été autant captivée. Coupant court à ce long échange de regard, la fille du Soleil s’avança vers l’inconnue.

« Qui es-tu ? »

Son regard soutenait le sien avec audace mais son attitude n’était pas agressive. Un très léger haussement de sourcil tirait sa babine gauche dans un semblant de sourire arrogant.

Son regard sanglant la dévisageait comme un roi qui toisait son sujet. Elle semblait contrariée de la question d’Ahva qui, pourtant, ne cherchait qu’à savoir qui elle était. Son regard comme son attitude trahissait l’arrogance de la jeune lionne qui lui semblait pourtant être son aîné. Alors qu’un rictus se dessinait sur ses babines, l’inconnue lui répondit que la question paraissait idiote. Son assurance n’était pas à en douter. En guise de réponse, la lionne caramel haussa un sourcil intrigué. Qui était-elle pour s’accorder une importance de la sorte ? Avec une pointe de déception, la lionne déclina son identité : Sumu. L’éclat de la princesse, déjà interpellé par l’aura de la lionne, sembla se réveillé pour briller d’intérêt. Ce n’était pas elle qui avait trouvé la princesse revenue d’exil mais bien l’inverse. Ahva sourit d’un air satisfait.

Maintenant consciente de la personne à qui elle avait à faire, la jeune princesse détailla plus minutieusement son interlocutrice. Elle ne ressemblait en rien à la fille d’un tyran sanguinaire et d’un point de vue objectif, elle était même très jolie. Son statut ni même l’histoire qui la précédait semblait intimider la plus jeune dont l’intérêt n’était que grandi. Rictus aux lèvres, elle lui répondit :

« Non, je ne suis pas d’ici. Mon nom est Ahva et je viens de Prideland. »


Si la princesse déchue avait décliné son rang, celle de Prideland tue son sang bleu. Il était bien connu que l’armée dirigée par son père avait combattu les Nyeusis et la brigade de guerrier enrôlé par Sharkan, connaître son ascendance aurait probablement révulsé Sumu. Après tout, c’était durant cette guerre que son père était mort et accessoirement, qu’elle avait perdu toute prétention au trône. Un souvenir qu’il ne valait mieux pas éveiller.

« La nouvelle de ton retour a très vite parcourue la savane, on ne parle que de ça. J’étais curieuse de voir à quoi tu ressemblais. »

Sans plus que son haussement de sourcil trahissant son intérêt, Ahva ne laissait trop d’expressions marquées son visage. Elle avait beau être assurée dans sa manœuvre, il n’en demeurait pas moins que la lionne ambrée ignorait encore sur quel pied danser en compagnie de Sumu.

Beaucoup avaient témoigné du régime tyrannique de Sharkan mais de tous les qualificatifs que la jeune princesse avait pu entendre, aucun ne semblait faire écho chez Sumu. Malgré sa méfiance naturelle et son regard brûlant, elle n’était ni démone ni sanguinaire, juste une lionne. En guise de réponse, Ahva lui sourit de manière audacieuse. Son interlocutrice avait du cran et elle appréciait cela, il était même difficile de croire à la vue de son attitude qu’elle était une princesse déchue tant elle était assurée.

Pleine de manière, la féline au pelage ocre s’assit et enchérit comme quoi elle était honorée de rencontrer la princesse de Prideland. Ahva haussa d’un sourcil, presque intriguée que la lionne connaisse son rang mais au final, cela n’était pas plus surprenant que cela. Sumu le savait tout autant qu’elle, leur ascendance avait tendance à leur coller au sang. Non mécontente des formules de politesse employées par la lionne, Ahva abaissa respectueusement son échine sans en faire tout un plat. Contrairement à ce qu’elle avait pu penser, la princesse exilée ne semblait en rien gênée de faire face à la fille de Kumpa. Tant mieux. Son regard sanglant observait les environs avant de s’étonner de la venue singulière de la lionne. Ahva sourit de manière arrogante avant d’avancer :

« Évidemment. Je doute que quelqu’un sur Prideland s’entende avec l’intérêt que je te porte, ma démarche est secrète et c’est très bien comme ça. »

Azaan comme Awena auraient probablement tenté de dissuader leur jeune sœur de venir à la rencontre de la fille de Sharkan ; quant à Kumpa et Kuzali, elle préférait ne pas y penser. Elle n’était plus une enfant à présent, elle n’avait aucun compte à rendre au regard de ses actions et si elle souhaitait rencontrer une princesse revenue d’exilée, elle irait à sa rencontre. Sa rencontre avec le fils du Feu l’avait quelque peu décomplexé d’agir à sa guise et pour ces raisons, Ahva avait habilement contourné le protocole pour rencontrer Sumu en toute liberté.

« Pourquoi être revenue après tout ce temps ? »

Ahva ne cachait pas sa curiosité, elle n’en avait pas honte. L’histoire entre leurs pères avaient marqué un royaume comme l’autre et malgré son éternelle admiration pour son paternel, la princesse ne se sentait pas concernée par ces vieilles rancunes. Elle était simplement venue à la rencontre de son homologue et ne comptait en rien revenir sur des histoires passées qui appartenaient à leurs aïeuls tandis qu’elles, représentaient le futur.

Par ses confidences, la jeune lionne ambrée avait su susciter l’intérêt de Sumu. Elle s’en félicitait. La princesse exilée incitait sa cadette à lui en dire plus, l’arguant d’un regard pressant. Devait-elle le lui dire ?

« Tu n’es pas commune. » répondit simplement la plus jeune des princesses, non sans un sourire piqué de curiosité.

Les histoires des lions ordinaires, elle les connaissait. Elles étaient ennuyantes, sages, fort peu distrayantes et d’une banalité sans fin. Sans quitter le regard autoritaire de la princesse déchue, Ahva se demandait jusqu’où Sumu pourrait satisfaire son envie de savoir. Son histoire semblait si riche, si nouvelle et si forte. Elle n’en avait en aucun son pareil. Reconnaissant les prémices de ses émotions lors de sa rencontre avec son cousin rouge, Ahva avait démasqué sa fascination pour la fille de La Vipère.

Vraisemblablement ennuyée par sa question, la plus vieille des deux confia les raisons de son retour avant de vite s’agacer, provoquant la surprise d’Ahva. Muette, la princesse abaissa doucement ses oreilles contre son crâne, comme un enfant trop curieux qui venait de se faire disputer. Elle esquissa un sourire maladroit et lui dit :

« Excuse-moi, je ne voulais pas m’immiscer dans ta vie. »

Ses multiples questions et son tempérament de fonceuse faisait qu’Ahva oubliait bien souvent les émotions des autres. Elle se doutait bien que la vie d’un exilé n’était pas aisée, malgré le peu de fois où elle lui en avait parlé, sa mère lui avait confié la rudesse d’une telle vie. Après la naissance des héritiers, Kuzali subit un temps les séquelles de sa vie passée avant se rétablir grâce à la richesse du royaume et aux soins de la chaman. Sumu n’avait pas eu cette chance mais malgré tout, elle avait survécu et était revenue la tête haute, sans peur. En cela, Ahva la trouvait admirable et plus que sa vie passée, elle voulait comprendre cette force.

Dans un soupir, Sumu s’excusa de sa mauvaise humeur. La jeune lionne fut presque étonnée de ce revirement de situation, elle n’aurait jamais pensé recevoir d’excuse d’une lionne comme celle-ci.

« Ils ne t’ont pas très bien accueilli je suppose… Tu n’as personne avec toi ? »

Alors même que les mots franchissaient le seuil de ses babines, Ahva réalisait que la princesse exilée pourrait de nouveau se méprendre sur le sens de sa question et s’emporter. Ce n’était en rien un interrogatoire et Ahva voulait l’en assurer aussi se reprit-elle très vite :

« Je veux dire, tu n’as personne à qui parler ? »

Loin de prendre Sumu en pitié, elle se montrait simplement compatissante de la solitude de la princesse déchue. Guidée par cette soudaine empathie et oubliant toutes les histoires racontées au Rocher et dans la Savane, Ahva s’assit confortablement face à la lionne et lui sourit simplement. Il était sûrement imprudent pour le joyau de Prideland de montrer tant d’aisance face à la situation mais elle ne semblait montrer aucune peur face à la fille du tyran. Loin d’assimiler la situation comme le ferait ceux d’après-guerre, Ahva ne voyait là qu’une discussion entre deux princesses venues de deux mondes totalement différents.

Ahva était bien sûr d’une chose désormais : la princesse déchue avait un tempérament sulfureux. La lionne souriait intérieurement. Elle était crue, ne mâchait pas ses mots et assumait droitement son passé. Imitant sa benjamine, Sumu s’assit également et la regarda avec une lueur provocatrice. La testait-elle ? Guidée par son instinct plutôt que par sa tête, la princesse de Prideland ne se dégonfla pas et lui répondit :

« Ton nom n’est pas secret, ni celui de tes parents. Quand on ne nous connait pas, il est facile de nous arrêter à ce que l’on sait de nos parents comme si on n’était qu’une vulgaire projection. Ceux qui ne veulent pas savoir s’arrêtent à cette vision et en concluent pouvoir prétendre nous connaître. » avançait-elle d’un ton plus sérieux mais conservant d’une certaine mesure sa légèreté. « C’est justement pour ça que je suis venue, pour ne pas me suffire d’une étiquette et apposer mes propres convictions sur ta personne plutôt que celles des autres. »

Elle ignorait si cette réponse plairait à Sumu mais elle était sincère et la lionne n’allait pas s’en cacher. Autant que Sumu assumait son sang, Ahva embrasait son franc parler.

« Tu n’as pas à te méfier de moi. » conclut la lionne en haussant des épaules. « Je ne cherche pas à te nuire ni à te provoquer, considères moi comme au-dessus des contingences politiques. Je ne suis pas ici Pridelander ou toi Freelander, on est juste deux lionnes qui discutent. »

Sans doute Sumu n’était-elle pas habituée à ce genre d’attitude à son égard mais Ahva s’en fichait, elle était telle qu’elle était et les à priori ne la dissuaderaient pas d’agir comme elle l’entendait. L’histoire de son peuple, elle la connaissait déjà et malgré son sens du devoir, elle tendait progressivement à vouloir étendre son entendement à celui des autres et à s’enrichir de leur vision du monde. Politiquement, cette entrevue aurait soulevé bien des grondements mais cela n’avait jamais arrêter la princesse. Fidèle à sa famille, elle n’était pour autant pas aussi impliquée que ses frères et sœurs dans la gouvernance et si son allégeance avait voulu qu’elle écourte au plus vite cette situation, elle n’en ferait rien, bien trop intéressée par cette lionne face à elle qui, par sa force de regard, avait su la captiver.

« Je n’en ai pas encore. » déclara la lionne en haussant des épaules. « Tu es plutôt difficile à cerner. »

Sa franchise était encore de rigueur, Ahva n’avait jamais eu honte de déclarer son ressenti et ne s’en cachait pas. Sumu était loin d’être une banale lionne, son attitude comme son élocution en témoignait mais de là à pouvoir se prononcer, la princesse ne s’avancerait pas tant. La fille du tyran était méfiante, secrète et sur la défensive lorsque certains sujets sensibles étaient abordés. Difficile de se faire une opinion dans pareilles conditions mais jusqu’ici, la lionne ambrée se plaisait à découvrir sa comparse.

« Oh je ne cherche pas à te caresser dans le sens du poil ! » répondait-elle un brin amusée. « La vie de sang-bleu présente pour moi des avantages comme des inconvénients, j’aime la liberté et cette faculté de voir le monde par mon propre regard aussi je m’en détache pour aborder un point de vue plus … neutre, je dirais. Si je portais si haut mon rang et mes couleurs, je ne serais pas venu te saluer de la sorte. »

Elle lui souriait avec une pointe d’arrogance. Les mœurs n’auraient pas salué cette rencontre ni l’intérêt de la fille de Kumpa pour la princesse déchue.

« Mon sang je le porte noblement mais il n’est pas seulement celui de mon père. Ma mère m’a offert une toute autre ascendance et celle-là que j’ai choisi d’embraser. »

Kuzali avait toujours été une figure admirée par son enfant, sa vie d’exilée et son parcours l’attachaient autant au clan qu’ils l’en détachaient. La reine était animée par un souffle plus sauvage et féroce que celui des Pridelanders, elle était princesse du Soleil et n’avait jamais failli à ses valeurs, les inculpant ensuite à ses descendants. Plus que sa fratrie, la benjamine y avait toujours été particulièrement sensible et sa rencontre avec Vita lui avait permis de découvrir sa Lumière ardente qu’il avait su libérer. Elle aimait cette nature enfouie et se plaisait à la réveiller doucement, se découvrant de nouvelles envies et de nouvelles passions.

Sans intervenir d’un ton offensif, Sumu lui fit part de son désaccord. Porter fièrement son rang sans en devenir arrogant… Pourtant, du temps où Sharkan régnait, les rumeurs concernant le tempérament princier de son petit joyau n’avait pas failli. Mais leur arrogance était-elle nécessairement dû à leur sang ou simplement à leur nature propre ? Ahva sourit simplement à la lionne, le regard luisant.

Subitement intriguée, la princesse déchue l’interpella sur ses dires. Le sourire de la jeune lionne n’en fut que plus grand.

« Je veux suivre mon propre chemin et décider par moi-même de la route que j’emprunterai. Ce que j’aimerai, c’est voyager pour me faire ma propre idée du monde, me détacher des leçons toujours apprises pour apprendre de moi-même. »

La démarche de venir rencontrer seule Sumu entrait dans cette perspective. Si la lionne ambrée s’était tenu aux dires propagés, son image de la princesse aurait surement été négative mais maintenant qu’elle lui faisait face et partageait divers points de vue en sa compagnie, il était simple de balayer les rumeurs.

« Prideland a bien assez de mon frère et ma sœur. Je ne suis pas un outil indispensable à la conduite de leur politique, je n’ai ni leur sagesse ni leur patience. Awena tient l’ordre, Azaan la conseille et moi j’agis. Ça a toujours été comme ça alors oui, je compte bien partir à l’assaut du monde. »

Sumu semblait intéressée par cette vision de la benjamine et Ahva se plaisait à lui partager son regard. C’était intéressant. Cet intérêt émanait-il seulement du fait que la Fille du Soleil lui exposait une idée nouvelle de la royauté et affranchie ou bien parce que Sumu ressentait ce même désir ? Difficile de savoir.

« C’est seule que je partirai mais je compte bien gonfler les rangs au fil de mes pas. J’ai rencontré un voyageur il y a quelque mois de cela et son expérience de hors-la-loi a conforté mon envie. Je l’ai presque convaincu de venir se joindre à ma quête, il faudra simplement que je le retrouve mais là se constituera la première partie de mon voyage. »

Vita avait bien du souci à se faire, l’adolescente devenue jeune lionne n’avait certainement pas oublié ses mots ni même ce lien spirituel qui les unissait. Le rouge avait chamboulé son côté sauvage, soucieux de liberté et désirs.

Marquant une légère pause, la princesse souffla d’aise et se laisser bercer par le souffle du vent. L’odeur qu’il lui apportait était différente de celle de Prideland mais tout aussi agréable. S’ébrouant légèrement, elle reporta son attention sur son aînée et l’observa d’un regard luisant, animé d’un intérêt non dissimulé.

« Et toi qu’est-ce qui motive tes pas ? »

Les deux lionnes discutaient déjà depuis de longues minutes mais Sumu n’avait pas encore parler sincèrement de ses désirs, quels en étaient-ils ? Qu’avait-elle à gagner en revenant sur Freeland ?

Interloquée par ses propos tenus, Sumu ne tarda guère à répliquer et reprocha à la lionne son inconscience. Ahva ne put s’empêcher de sourire tant cette mise en garde lui rappelait l’attitude de sa sœur ainée.

« Ça peut sembler risquer, c’est vrai, mais je lui fais confiance. Il n’est guère intéressé par la Couronne et il fait partie de la famille éloignée. »

Son sourire s’était agrandi dans une moue malicieuse. De la famille… Étrangement, si la princesse avait toujours apparenté Ishana à une sorte de grande sœur, elle ne parvenait pas à rattacher Vita à cette grande famille qu’ils formaient. Elle ne l’avait pas côtoyé dans son enfance comme cela avait pu être le cas avec sa sœur et de facto, leurs tempéraments étaient si opposés qu’elle ne pouvait les rapprocher que par leur pelage flamboyant. Pour une quelconque raison, Ahva ne souhaitait pas l’identifier à la famille mais plutôt à un allié secret.

Se pliant alors à sa question, la moue de Sumu se métamorphosa en une mine amusée. Conquérir le monde… Hmm, Ahva se retrouvait dans ses paroles, sûrement avait-ce été le rêve de tous les lionceaux mais de tous, celui de Sumu semblait avoir été le plus compromis. Poursuivant sa réflexion, elle lui confia avoir perdu le luxe d’entretenir de tels rêves. Cette pensée chagrina la princesse aurore. Insufflée par ce vent de liberté, Ahva n’aurait jamais supporter de voir ses rêves enchaîner ou restreint par la seule volonté d’autrui.

« Nos rêves nous appartiennent, personne n’est en droit de décider ce qu’ils doivent être. » répondit-elle simplement en haussant des épaules. « Après tout, ils ne sont qu’une représentation plus ou moins idéaliste de ce que l’on désire. »

N’importe qui pouvait rêver, longtemps cela avait été une forme d’échappatoire pour la princesse et aujourd’hui, elle comptait bien les réaliser mais là était toute la complexité d’un rêve, la réalité serait-elle à la hauteur de ses espérances ? Un rêve transformé en réalité était un tout autre rêve.

Le regard droit et sérieux, Sumu concluait ses mots. La benjamine l’observait franchement. Malgré tous ses dires répandus, elle ne parvenait ni ne voulait partager cette vision que tous avaient de la princesse déchue. A ses yeux, Sumu n’avait rien de diabolique et bien au contraire, elle lui semblait plus humaine que bien d’autres.

« Tu es courageuse. » répondit alors la lionne. « Il faut du cran pour revenir et ces lions peuvent penser ce qu’ils veulent de toi, tu ne sembles pas avoir baissé l’échine devant leur regard inquisiteur. »

A nouveau, sa franchise parlait et si cela pouvait surprendre, Ahva ne s’apitoyait pourtant aucunement sur le sort de la princesse déchue et à contrario, était presque admirative. Si c’était des liens sincères qu’elle recherchait, la jeune lionne serait heureuse de lui prêter sa patte mais elle craignait que sa nature avenante n’éveille la méfiance de Sumu qui n’avait pourtant raison d’être. Il lui fallait soigneusement choisir ses mots mais sa réflexion avait tendance à plier sous l’action aussi préférant la spontanéité, elle lui dit :

« Ça peut sembler présomptueux mais, tu peux me considérer comme tel. »

Sur ces quelques paroles, Ahva s’osa à un sourire franc et bienveillant. La princesse déchue l’intriguait et peu à peu, il lui semblait voir derrière sa carapace et si Sumu n’aurait certainement pas aimé cela, la féline n’en pensait pas moins qu’elle se sentait seule et qu’au fond, tout ce qu’elle cherchait en ce moment était un peu de compagnie. Après tout, elle venait de quitter les siens, peu importe qui ils étaient, pour revenir sur ses terres natales peuplés d’êtres hostiles à son égard. Un peu de soutien ne serait pas de refus, non ?

Après beaucoup de retenue, Sumu lui décrocha enfin un sourire que la lionne pensait sincère. Cela lui allait bien mieux que cet air sévère. Répondant à sa proposition, la princesse déchue lui confia qu’alors elle pouvait la considérait comme une amie. Ahva était ravie et cela se lisait aisément dans son regard. Cette nouvelle amitié ne plairait certainement pas à ses parents ni même ses proches et bien qu’Ahva soit libre de ses choix, elle tairait ce nouveau chapitre de son histoire pour ne pas les inquiéter car si la génération précédente se souvenait de Sharkan et de ses méfaits, la princesse ambrée n’en avait eu qu’un portrait dépeint par des lions rancuniers. Sumu n’était pas comme son père ou du moins était-ce ce dont elle se persuadait. Elle voulait croire en cette amitié et donner sa chance à Sumu car elle le méritait comme n’importe qui d’autre. Porter sur le monde un regard son haine, là était son credo.

«« On ne s’est jamais plains de ma compagnie ! » lui dit-elle en souriant malicieusement.

Ahva avait beaucoup d’amis mais comme Sumu, aucun. Peut-être était-ce par son histoire que l’ancienne exilée la fascinait ainsi, rares étaient les lions qu’Ahva admirait.

Parcourant les plaines luxuriantes du regard, la lionne ambrée s’y perdit quelques instants avant de soupirer d’aise, basculant son regard vers sa nouvelle amie.

«« Je dois partir mais je reviendrai, j'ignore quand mais je le ferai. »

Elle aurait aimé ajouter des paroles plus légères telles que ne crée pas de polémique en attendant mais cela nécessitait sûrement plus de discussion entre elles pour ajuster leurs liens et bien qu’Ahva était d’un naturel taquin, elle se retint cette fois-ci.

Elle se redressa fièrement sur ses quatre pattes et s’éloigna après avoir adressé un signe de tête à la lionne. Ses pas étaient légers, comme si cette rencontre lui avait fait oublié ses précédents maux. Avant d’être hors de portée et de ne plus pouvoir être entendue, elle jeta un dernier coup d’œil vers la princesse et lui dit chaleureusement :

«« A bientôt, Sumu. »