La nuit avait été douloureuse pour Sadaka. Il avait eu du mal à dormir et ses songes étaient ailleurs, sur la Lande. Il n’aurait pu expliquer pourquoi, mais il sentait que le jour où Taali mettrait au monde sa progéniture arrivait alors que lui était là, coincé sur Prideland. Rien ne le retenait réellement mais il se savait surveillé de près par Ateyo. Lui si fidèle, il semblait au lion ébène qu’il doutait presque de la loyauté de son comparse. C’est pourquoi prudence restait maître mot. Mais pour combien de temps ? L’absence de Taali à ses côtés le torturait un peu plus chaque jour et sa promesse, pourtant si honnête, lui paraissait plus dure que jamais à tenir. Il voulait être près d’elle, elle si seule. Et si quelque chose tournait mal ? Et si la mise à bas se soldait par la mort ? A cette pensée il se réveilla en sursaut. Il aurait tant aimé partir, là, maintenant, mais il gravitait au dessus de la main mise de Mopango. Nul doute qu’Ateyo serait le premier au courant si Sadaka venait à manquer à l’appel, c’est pourquoi si tel devait se faire, il devrait préparer minutieusement son départ afin que nul ne s’aperçoive qu’il était parti, même quelques heures.

Son éternel côté solitaire était un atout. C’est pourquoi, au lieu de fuir en plein milieu de la nuit ou nul ne dormait vraiment sur ses deux oreilles, qu’il se mit à réfléchir comment il partirait. Bientôt. Ces pensées l’endormir rapidement et c’est aux aurores qu’il ouvrit les yeux. Fidèle à ses habitudes, il sortit dans les premiers de la grotte. Il continuait son entrainement avec autant de ferveur qu’avant. Bien qu’ayant atteint son gabarit idéal, c’était une habitude qu’il n’avait su se résoudre à abandonner. Surtout que chez les exilés, cette pratique était de rigueur et nul ne s’en dérobait. La dernière raison était la suivante : il savait que les jours à venir ne seraient pas paisible. Et qu’importe sa décision, pour la première fois, il devrait se battre. Pour qui ? Il l’ignorait encore, pour lui, tout simplement. Pour ses convictions. Mais personne ne l’avait encore séduit assez pour qu’il s’y dévoue. Mopango avait eu raison de lui, il avait su lui dire les mots justes, mais Sadaka avait été lucide sur beaucoup d’autre points. Il servait son oncle car il connaissait sa façon de faire, et aujourd’hui, bientôt père, il ne pouvait mettre sa famille en péril.

Une fois chose faite il s’abreuva à l’étang, l’esprit songeur. Déçu.

Puis, non friand de l’affluence de l’endroit, il fit vite chemin inverse. Ses pas le menèrent rapidement sur la colline du Peponi. Cet endroit n’avait jamais fini de le surprendre. Il représentait tant à ses yeux. C’était ici que sa mère et lui avaient passer leurs plus beaux moments sur Prideland, c’était ici qu’il avait vu Taali revenir, pour la première fois. Qu’elle avait rencontré sa mère et sa soeur, encore jeune et naïve. Tant de choses avaient changé depuis. Mais ce havre gardait toute sa splendeur, son réconfort. Il s’assied, l’esprit vagabond. Comment donc allait-il s’éclipser ? Une odeur arriva à sa portée et il ne lui fallut même pas tourner la tête. Il savait qui était cette lionne qui approchait, toujours discrète et pourtant si présente. Elle le salua d’un signe de tête, presque réservée. Pourtant, elle était belle et souriante, comme à son habitude. Elle avait également vieilli. Autour de ses yeux, des crins blancs étaient apparu et Sadaka senti son coeur flancher. La mort de son père, celle de Samekh avait fait perdre à Kuzali de son éclat et Sadaka avait voulu la protéger, de tout, et même de la mort. Pourtant celle-ci semblait lui rire au nez et lui dire, dans un murmure : Un jour, ta mère ne sera plus là. A cette pensée, il fut parcouru d’un frisson. Il l’aimait tant…

Mais Kuzali semblait sérieuse, comme si sa venu n’était pas vierge d’intention. Elle se mit à parler, comme une confession. Sadaka se doutait un peu du sujet mais il ne souhaitait s’avancer. Son père avait été le sujet d’une seule et unique conversation qui avait été bouleversante pour l’enfant qu’il était. Depuis, jamais ils n’en avaient discuté et bien qu’il ai prétendu le contraire, c’était ces questions qui l’avaient poussé à rejoindre Mopango.

La lionne du soleil semblait inquiète malgré tout. Le mâle se doutait que le sujet était encore sensible et qu’il le serait surement toujours. Mais il ne put s’empêcher de sourire, délicat. Il était heureux qu’elle lui en parle et, finalement, qui mieux qu’elle aurait put lui décrire le monstre qu’il n’était pas. Avait-elle senti qu’il était parti pour trouver ces réponses là ? Elle le connaissait mieux que quiconque et son coeur fit un bond en s’en rendant compte, une fois de plus.

« Je suis prêt. » Déclara-t-il, plongeant ses yeux dans les siens. Il ne savait quoi lui demander et il avait confiance en elle pour se laisser guider. Cela dit, il ajouta :

« à tout entendre. »

C’était important. Aujourd’hui Sadaka avait bien compris que nul être n’est lisse et parfait, qu’il n’existe pas qu’un combat entre le bien et le mal. Il était prêt à découvrir son père comme il était réellement. Pas comme le roi que les exilés voyaient en lui, pas comme le monstre que les Pridelander s’amusaient à dépeindre. Comme un lion, un lion de suie, qui avait réussi à séduire le coeur de sa mère et à provoquer chez elle la plus grande des terreur.

Elle commença, presque hésitante. Il ne la pressa pas, il savait pertinemment que ça ne serait pas chose aisée pour sa mère que de parler avec son coeur de ce lion qui l’avait tant meurtri. La lionne se mit à parler du monstre. Celui là, il le connaissait bien. Et même si ils savaient les Pridelander médisants, il avait vu son oncle, et cela lui avait suffit à imaginer la noirceur du coeur des Nyeusi. Cela dit, l’histoire ne s’arrêtait pas là. Kuzali parlait de romance, un aspect qu’il n’avait jamais pu saisir jusque là. Jamais elle ne lui avait parlé avec ces mots, jamais elle n’avait employé de tel terme pour parler de ce qui les avaient uni. Sadaka avait toujours cru en une once, ne serait-ce que minime, d’amour entre ses deux parents, et là, elle confessait. Oui, cet amour avait été présent.

Elle parla ensuite des Pridelander, eux tant propice aux mauvais jugements. Mais oui, ils ne les avaient jamais rencontré réellement. Même Sadaka en savait plus sur eux que la bonne partie des lions et lionnes d’ici. Sa mère avait toujours été, à ses yeux, quelqu’un de juste, de rationnel. C’est pourquoi elle était aujourd’hui plus nuancée. Elle lui avoua ensuite l’avoir trahi, d’avoir fait taire la lumière dans le coeur de ce mâle aujourd’hui passé. Elle disait l’avoir trahi pour Prideland. Il leva les oreilles. C’était fou de voir, ici d’entendre, à quelle point l’Histoire regorge de vérités. Pour le peuple de Kumpa, c’était Kuzali la trahison, et Sadaka son allégorie. C’était elle qui avait procréer avec le diable. Bien sur, nul ne la voyait comme fautive, le lion noir en était seul responsable. Mais d’entendre sa mère dire qu’elle avait trahi Mopanga pour Prideland, c’était beau. Mais pas que, c’était aussi révélateur d’un réel attachement, de réel espoir de l’un envers l’autre.

Elle se mit ensuite à le décrire, le décrivant calme et réservé. Elle parlait aussi de grand orateur. Le mâle se mit à sourire, rêveur. Il aimait à savoir qu’il avait prit de son père des traits plus nobles que son sombre pelage. Oui, il était lui semblable à Mopanga, et sur des aspects qu’il n’aurait jamais soupçonné. Et ça n’était pas tout, lui aussi avait prit du recul face au dénommé Gara, le leader de la révolte, il s’était posé des questions, tout comme Sadaka face à Mopango. Il était aussi protecteur. Tout comme Sadaka face à sa tendre mère. Il semblait conquis, conquis de voir que ce lion n’était pas juste un Nyeusi, mais un félin comme les autres. Un lion avec un coeur, meurtri, certes, mais cognant assez fort pour le rendre plus complexe que la brute qu’on lui avait toujours montré.

Son père avait été une marionnette, surement docile face à Gara. Voici un trait dont avait hérité son unique fils. Cependant, Sadaka ne combattait pas pour une cause qu’il pensait juste, il la savait dénuée d’intérêt, au moins pour lui, et digne d’une simple utopie. C’est pourquoi il s’y sentait si loin et peu impliqué. Les lions étaient tous les mêmes, il était facile de les dresser, a eux d’avoir la chance de prendre exemple sur les bonnes personnes. C’était l’erreur qu’avait commise son père. Faire confiance à un monstre, un vrai.

Sa mère semblait peiné. Elle se rendait coupable de la trahison, elle se sentait coupable d’avoir choisi Prideland en dépit de Mopanga. Quelques années auparavant, Sadaka aurait rendu Kumpa coupable de tout, aujourd’hui, il savait que ça n’était pas si simple. Elle parla de Samekh, son fils l’écoutait toujours, doux. Il la senti flancher, presque faible. Allait-elle même pleurer ?

Le grand mâle posa sa patte sur son épaule pour l’approcher de lui, dans un semblant d’étreinte.

« Ne te blâme pas maman. Ca n’est pas ta faute. Mopanga était un adulte responsable, il aurait pu abandonner ses convictions, lui aussi aurait pu choisir de t’aimer. Tu as fais un choix mais lui aussi en a fait un. Ca, c’était sa responsabilité. Tu n’as rien à te reprocher si ce n’est d’avoir été toi même, cette lionne rayonnante et pleine de principe. Tu n’as pas créer de monstre, tu en as sauvé un, peut-être même deux… »

Il n’avouerait jamais à sa mère sa rencontre avec son oncle, mais il voulait lui montrer que malgré son absence et ses doutes, Kuzali l’avait toujours amené du côté de l’amour,de la lumière et de la tolérance.

« Cette plaie ne se refermera jamais tant que tu n’aura pas compris que rien n’était ta faute. Qu’un lion est un lion, qu’on est maitre de nos destin et que ne tiens qu’à nous de préférer la lumière à l’ombre. » Les paroles d’Ahva semblaient transparaitre. Et lui qui c’était voulu nuancé lors de cet échange comprenais mieux certaines choses qu’elle lui avait dit.

Il allait parler, mais avant, il lui laissa reprendre ses esprits. De plus, lui aussi avait à réfléchir avant de se lancer. Cela faisait beaucoup…

Ils restèrent ainsi longtemps, sans rien dire, contemplant l’horizon immobile. Rien ne bougeait autour d’eux, comme si le temps s’était arrêté. Les laissant prolonger cette étreinte tendre. Elle disait qu’il avait grandi. Il était fier. Cela dit, il réfléchissait aussi. Elle venait de lui dire beaucoup de choses, beaucoup de vérités qu’il n’aurait soupçonné. Une page semblait se tourner pour lui. Il avait passé une bonne partie de son existence à découvrir qui était ce lion que tant craignait, et ce qui en ressortait était si… bariolé. L’être vivant était un animal complexe et Mopanga n’avait pas échappé à la règle : un amant, un tyran, un roi, un corps, son père… Il avait tout été, tout comme sa mère d’ailleurs. Mais dans sa quête, il s’était trouvé et aujourd’hui, il allait devoir laisser de côté ses questionnements, il allait devoir avancé.

Il se sentait si libre et en même temps prisonnier de son oncle. Cette situation l’enrageait souvent, mais il préférait ne rien transparaitre. Nul ne devait se douter des soucis de son coeur, et surtout pas sa mère. Comment pouvait-il se livrer sans rien laisser s’évader ? Une fois de plus, il sourit, intérieurement. Le portrait que dressait Kuzali de son ancien amant lui rappelait beaucoup de lui même, dans l’attitude, la reflexion. Comme si ils s’étaient tout deux infligés le dictat maudit d’un lion au coeur noir. Un lion qui avait sur eux patte mise, un lion qui était capable de détruire leur vie au moindre faux pas. La différence avait été que Sadaka avait prit le risque d’essayer quand même alors que Mopanga avait courbé le dos. Il avait été plus fort.

Il soupira, heureux et fier de lui.

Elle avait tant fait pour lui et encore aujourd’hui elle le surprenait. De par ses mots, de par sa vérité. Kuzali avait mit du temps à être honnête avec son fils et aujourd’hui encore il savait qu’elle ne l’était pas entièrement. Cela dit, elle essayait, et elle essayait bien. Alors pour ça, il la remerciait et avait envie, tel un père avec sa fille, de lui dire bravo. Ce bravo se traduisait par les regards, la tendresse de l’étreinte. Oui, il était heureux maintenant. A cet instant précis. Tout n’était pas au mieux dans le meilleur des mondes, mais aujourd’hui, il savait apprécier les failles dans le temps. Apprécier ce qu’on pouvait lui offrir de beau dans un monde souvent trop dur.

Sa mère s’était livré, il aurait tant aimé pouvoir en faire autant. Lui avouer pour Taali, lui annoncer qu’elle serait grand-mère, et ce bien plus tôt qu’elle ne l’aurait pensé. Mais il ne pouvait. La crainte était trop présente, l’oeil de Mopango le regardait de près. Il ne pouvait, non, il ne pouvait… Il soupira de nouveau, un instant ailleurs. Toutes les conditions étaient là pour qu’il soit heureux, et non, une chaine invisible le retenait encore et toujours. Il serra son étreinte, comme pour dire à sa mère qu’il y avait plus que ça, plus que son père, plus que lui même. Mais il ne dit rien, il n’avait plus rien à dire. Malgré des soucis toujours présents, aujourd’hui, c’était son problème. C’était sa vie, Kuzali n’en avait pas la responsabilité. Elle n’avait pour rôle que d’être là, souriante, honnête. Elle était parfaite, voilà tout… Il aurait aimé que cet instant dur toujours.

(Je pensais répondre mais je crois que je préfères ça comme ça... Ce fut court, mais merci, à moins que tu veuilles rajouter des choses ? MP si nécessaire, on peut carrément continuer si l'inspiration te prend)