Ces derniers jours, les cieux sombres et annonciateurs de tempête avaient laissés place à un ciel plus clément, qui permettait d'entrevoir des éclaircies autorisant quelques sorties. A dire vrai, les Nordiques était un peuple habitué à ce climat, et dont les moeurs et les habitudes étaient quelque peu différentes de celles des autres clans. Contrairement aux terres où toutes les saisons permettaient la chasse, le grand Nord se révélait être un piège mortel pour quiconque s'aventurait dehors sans avoir regardé le ciel auparavant. C'était d'ailleurs une des premières choses qu'apprenaient les lionceaux ; prédire la météo. Ça, et les bases de survie nécessaire pour défier les grands froids et la neige. Dans les montagnes, chasser se révélait donc plus compliqué qu'ailleurs, et l'utilité des réserves n'était plus à démontrer. Lorsque le ciel décidait de se montrer en colère, il n'était pas rare que le vent et la neige tombent des jours durant, interdisant toute sortie. Il était alors primordial d'avoir un minimum de réserve ou - du moins - un repas suffisant peu de temps auparavant.

Aujourd'hui donc, tandis que la neige cessait de tomber le temps de quelques heures, la plupart des Nordiques valides - et non assignés à d'autres taches - avaient été envoyés à la chasse. De petits groupes s'étaient formés dans le but d'avoir de plus grandes chances face au gros gibier. Ideha était de la partie, mais n'avait pour ainsi dire pas trouvé de coéquipier, jusqu'à ce qu'Utapau la rejoigne. Ils s'étaient donc élancés tous les deux, seuls, puisque personne ne semblait vouloir les rejoindre. A dire vrai, cela convenait parfaitement à la lionne, qui préférait encore devoir chasseur seule que de supporter des incapables. Heureusement, Utapau était l'un de ses meilleurs compagnons, et elle savait pouvoir compter sur lui. De toute manière, ils étaient crains ou exclus par la plupart des Nordiques, à quoi bon se montrer ouverts et accueillants en de tels termes ? Sans un regard pour les autres groupes, Ideha s'était donc mis en route, s'enfonçant entre les sapins enneigés.

Tandis que leurs pelages blancs se fondaient parfaitement dans le décor, les deux lions étaient restés silencieux, guettant d'éventuels signes. Tous deux étaient des guerriers et des traqueurs aguerris, néanmoins - tant par nécessité que par fierté - ils devraient user de tous leurs moyens pour ramener suffisamment de proie, quand bien même ils étaient en sous-effectif. Le temps s'égrena lentement, sans qu'aucune proie ne se montre. A l'affut, Ideha parcourait donc le décor des yeux, tout en guettant un bruit ou une odeur. Ce fut d'ailleurs ce qui la fit stopper net, non loin d'une énorme congère. Le corps à l'affut, elle guetta un nouvel indic, qu'elle ne tarda pas à entendre. Elle ne savait si Utapau l'avait entendu, néanmoins, en humant l'air, elle décelait l'odeur caractéristiques d'un troupeau. Sans doute des rennes ou des caribous, toutefois elle ne les voyait pas. Qu'importe, ils suivraient la piste. Tournant son regard vairon vers son compagnon, elle demanda :

─ Tu sens ? Ils ne doivent pas être loin.

Si c'était bel et bien un troupeau, il leur faudrait se rapprocher au plus près pour avoir une chance de repérer les plus jeunes ainsi que les individus malades, pour espérer pouvoir en attraper plusieurs. Si Utapau était massif et pouvait compter sur sa force et sa puissance pour faire chuter les mammifères, Ideha devait compenser avec sa vitesse et son agilité pour les rabattre vers lui tout en les handicapant.

Utapau confirma qu'il sentait également l'odeur du troupeau :

-Oui, je les sens aussi. Accélérons le pas, je pense que nous sommes en avance sur les autres.

S'engageant à la suite du mâle, Ideha ressentit avec plaisir un frisson lui parcourir l'échine. Elle aimait la chasse, par son côté sauvage et carnassier. C'étaient là les lois de la nature, et personne ne pourrait lui reprocher de chasser pour se nourrir. Mais la chasse était également pour elle un moyen de se défaire des pulsions agressives qui l'animaient lorsque quelque chose ne lui plaisait pas. Grâce à leur marche rapide, Utapau et Ideha finirent par repérer de visu le troupeau de bêtes qui paissait non loin de là.

- Lequel préfères-tu ? Nous prendrons celui que tu souhaites.

Ideha haussa un oeil en regardant son comparse, sans toutefois relever ses propos. A dire vrai, elle trouvait le comportement d'Utapau étrange par moment, mais elle commençait à comprendre - ou du moins à imaginer - de quoi il pouvait s'agir. Néanmoins, elle-même était en proie au doute, aussi faisait-elle parfois exprès de ne pas broncher, même devant les comportements les plus explicites du mâle. Reportant son attention sur le troupeau, elle repéra les jeunes nés il y a peau, ainsi que les caribous les plus faibles. Par fierté, elle voulait en ramener plusieurs, mais ils devraient recommencer leur traque pour attraper un second animal, car il leur était impossible d'en attraper un chacun. A moins de parvenir à en coincer deux, ce qui semblait tout de même compliqué. Fronçant les sourcils, elle répondit d'une voix déterminée à Utapau :

─ Il faut en ramener plus qu'un. Si nous parvenons à isoler un petit, sa mère tentera sans doute de le défendre.

La lionne ne précisa rien de plus. Certes, cela serait délicat, mais pas impossible. S'ils se coordonnaient parfaitement, ils pouvaient y arriver. Elle était rapide, lui était puissant. Si elle ne voulait pas prendre la proie la plus faible par fierté, Ideha était toutefois assez intelligente pour comprendre qu'il valait mieux laisser la plus grosse proie au plus fort. Son rôle à elle serait tout aussi important pour isoler les deux individus du reste du troupeau.

─ Je m'occupe du petit, tu prends la mère ?

C'était une question sans trop en être une, néanmoins elle devait s'assurer que son compagnon de chasse avait compris sa manœuvre. Elle rabattrait un petit vers Utapau - tout en espérant entraîner la mère avec - pour que ce dernier prenne l'adulte en chasse, quand elle n'aurait aucun mal à rattraper le petit. Il faudrait simplement qu'Utapau soit assez rapide pour parvenir à faire tomber la femelle, ou bien qu'elle-même soit assez agile pour blesser à mort le jeune et rejoindre Utapau pour l'aider.

Utapau eut un comportement étrange et bafouilla, faisant hausser un sourcil à Ideha.

─ C’est parfait, essaye de faire fuir ce petit vers nous, je bloquerais la mère lorsqu’elle chargera. Je, hum… Allons-y

Se tenant à ses propos, le mâle s'éloigna pour aller se mettre en position, tapi dans la neige. A elle de jouer, désormais. A pas de loup et dans une démarche des plus félines, la lionne se rapprocha peu à peu du troupeau, jusqu'à se trouver assez près pour pouvoir songer s'élancer sans risque de ne pas réussir à atteindre son objectif. Le troupeau comptait plusieurs petits - la saison des naissances avait déjà commencée - mais ce fut l'un d'entre eux, quelque peu à l'écart, qui attira le dévolu du prédateur. Faisant rouler ses muscles, elle échauffa brièvement ses muscles avant de s'élancer, éclair blanc surgissant de la forêt. Aussitôt, les caribous s'éparpillèrent, chacun fuyant pour sa vie. Néanmoins, la proie était toute choisie, et Ideha la contourna avec soin pour la pousser vers Utapau. Le petit se débrouillait déjà bien pour son âge, et son instinct de survie le poussait au maximum de sa vitesse, mais Ideha gagnait peu à peu de la distance, sa silhouette fine l'aidant à se propulser plus efficacement. Néanmoins, elle ne savait pas si la mère Caribou avait également pris sa suite pour protéger son petit, incapable de détourner la tête de sa cible par crainte de perdre du terrain. A Utapau de jouer, désormais, si tant est que la femelle caribou ne se trouvait pas loin.

[Attaque réussis, je décris ça dans ma prochaine réponse ]

Grâce aux frêles pattes du jeune caribou qui ne le poussaient pas encore aussi vite qu'il l'aurait sans doute souhaité, Ideha n'eut pas de mal à le rattraper, et se retrouva bientôt juste derrière lui. Tandis qu'il paniquait et tentait de fuir en tournant court, la jeune lionne lança ses pattes avant vers la croupe du petit. Les griffes crochetèrent la peau épaisses et - le poids de sa proie étant bien trop léger par rapport à elle - le firent déraper dans la neige, entraînant sa chute. Une fois à terre, poussée par un dernier instinct de survie - bien qu'il n'ait plus aucune chance - le petit mammifère se débattit de toutes ses forces, envoyant notamment ses jambes dans toutes les directions. Ideha, tout en le maintenant de tout son poids, y pris garde car un mauvais coup de sabot pouvait la tuer, même venant d'un bébé. Quand elle entrevit une accalmie dans les mouvements de lutte de sa proie, elle se jeta sur sa tête pour venir plonger ses crocs puissants dans le cou tendre du petit caribou, mettant ainsi fin à la chasse.

Tout cela ne lui avait pris qu'une seconde, trop habituée qu'elle était à tuer pour se nourrir. Levant aussitôt la tête, elle repéra Utapau qui courait à fond de train pour venir intercepter la femelle furieuse qui fonçait vers elle. Dans un bond puissant, il se propulsa et se jeta sur l'arrière-train de la femelle. En quelques secondes également, il mit fin aux résistances de l'animal en lui tranchant la jugulaire. Un sourire carnassier se dessina sur les babines d'Ideha. Leur pelage avaient beau ne plus être immaculés, ils avaient réussit à abattre deux proie pour le clan, un exploit - certes chanceux - mais dont tous les Nordiques n'étaient pas capables, et certainement pas cet empoté de Keshia. Décidant de rejoindre Utapau, la lionne saisit le petit gnou à la gorge, et se mit à le traîner vers son compagnon. Il n'était pas encore trop lourd, même si le chemin du retour serait long. Néanmoins, Utapau devrait déployer bien plus de moyen pour déplacer le cadavre de la mère, plus lourd et imposant.

Une fois sa proie attrapée, Utapau se retourna avec fierté vers Ideha, rétorquant que leur partie de chasse était un succès. Il était désormais temps de rentrer, car la route serait longue au vu de l'effort qu'il faudrait encore déployer pour traîner les carcasses.

- Au fait, tu es au courant pour Amakhaza et Kengeza ? Tous les deux, ils vont devenir parents. Qui l’aurait cru ? J’espère que cette nouvelle responsabilité ne l’entravera pas dans notre but premier à vrai dire.

Ideha ne répondit pas tout de suite, absorbée par ses pensées. Bien sûr qu'elle était au courant, qui ne l'était pas ? Néanmoins, elle ne voyait pas cette le fruit de cette union du même oeil que la plupart des Nordiques. Amakhaza n'avait jamais été son grand ami, et leur opinion était rarement identique, mais le voir prendre une direction différente de la leur la rendait septique. Comment comptait-il parvenir à atteindre leur but commun s'il n'était plus entièrement disponible ? Nul doute que sa portée et sa compagne occuperait beaucoup de son temps ; temps qui ne serait plus mis à profit pour renverser Keshia. Autant dire qu'Ideha voyait déjà cela comme une perte de temps. Son esprit ambitieux et plein d'orgueil ne laissait pas de place au reste, seule comptait leur objectif.

─ Nul besoin d'être devin pour comprendre qu'il n'accordera plus son temps à notre dessein. Je doute que nous puissions encore compter sur lui.

Bien sur, c'était osé de sa part, mais elle savait à quel point Utapau respectait ses paroles, et cherchait à suivre son opinion. Elle n'était pas dupe quant à ses sentiments, mais n'était pas prête à lui renvoyer quelque chose pour le moment. Seule comptait l’ascension au pouvoir. Et plus le temps avançait, plus Amakhaza lui semblait être un frein à cette ambition. Sans même se retourner vers son camarade, elle déclara d'une voix forte :

─ Je ne prendrai pas le risque de voir notre objectif être évincé pour une simple histoire d'amour. Libre à Amakhaza de fonder une famille et de se détourner de nos projets, qu'il ne vienne seulement pas les entraver.

Ce disant, la lionne se remit en route, bien décidé à rentrer, désormais. Son ton glacial ne laissait aucune marge au doute, et si elle n'avait rien contre Utapau à cet instant précis, nul doute que le mâle verrait sa bonne humeur disparaître devant tant de froideur. Ideha n'était pas de celle qui réglait les choses avec tact.